Enjeux cliniques du passage d`un

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L’Encéphale (2013) 39, 439—444
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
ScienceDirect
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
THÉRAPEUTIQUE
Enjeux cliniques du passage d’un
antipsychotique à l’autre
Clinical stakes when switching from one antipsychotic to
another
É. Constant
Service de psychiatrie adulte, cliniques universitaires Saint-Luc, institute of neurosciences, IoNS, 10,
avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique
Reçu le 1er juillet 2013 ; accepté le 13 septembre 2013
Disponible sur Internet le 13 novembre 2013
MOTS CLÉS
Antipsychotiques ;
Switch ;
Effet rebond ;
Symptômes de
discontinuation ;
Psychose
d’hypersensibilité
KEYWORDS
Antipsychotics;
Switch;
Rebound effect;
Résumé Le passage d’un antipsychotique à un autre est de plus en plus habituel dans notre
pratique clinique. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette constatation. Nous avons, à notre
disposition, de plus en plus d’antipsychotiques disponibles avec des profils réceptologiques
différents et également des profils de tolérance différents. D’habitude, les raisons du passage d’un antipsychotique à l’autre sont les suivantes : efficacité insuffisante ou problème de
tolérance (prise de poids, désordres métaboliques, symptômes extrapyramidaux, hyperprolactinémie, sédation, troubles sexuels). De manière à ce que ce passage se déroule sans trop de
complications, il est capital pour le clinicien de bien connaître, à la fois, le profil réceptologique et la demi-vie des antipsychotiques en question. Le clinicien doit s’attendre à un effet
rebond dopaminergique lorsqu’il introduit un antipsychotique qui a une plus faible affinité pour
le récepteur dopaminergique D2 que celui qui est arrêté ou qu’il s’agit d’un agoniste partiel
avec une demi-vie particulièrement longue. D’un autre côté, un effet rebond histaminergique
ou cholinergique est à craindre si le nouvel antipsychotique introduit possède une affinité plus
faible pour ces deux récepteurs. Dans tous ces cas, un schéma de passage en « plateau » est
souvent recommandé. Si, par contre, un passage d’un antipsychotique à l’autre plus rapide est
impératif, diverses stratégies médicamenteuses existent pour essayer de diminuer l’impact de
ces effets rebonds.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Summary Switching antipsychotics is more and more common in our clinical practice. Several
reasons can explain this observation. We have more and more antipsychotics available on the
market with different receptor binding profiles and also different tolerability issues. Usually, the
reasons of the switch are the following: insufficient efficacy or problems of tolerance (weight
gain, metabolic disorders, extrapyramidal symptoms, hyperprolactinemia, sedation, sexual dysfunction). So that the switch takes place without complications, it is essential for the clinician
Adresse e-mail : [email protected]
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2013.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2013.10.001
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Withdrawal
symptoms;
Hypersensitivity
psychosis
É. Constant
to have full knowledge of both the receptor binding profiles of the antipsychotics in question
and their half-life. The clinician has to expect a dopaminergic rebound when the introduced
antipsychotic has a lesser affinity for the dopaminergic D2 receptor than that which is withdrawn
or if it is a partial agonist with a particularly long half-life. On the other hand, a histaminergic
or cholinergic rebound can be expected if the new antipsychotic has a lesser affinity for these
two receptors. In all these scenarios, a ‘‘plateau’’ switch will often be recommended. Now, if
a faster switch is imperative, various medication strategies exist to try to decrease the impact
of the rebound effects.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Introduction
Ces dernières années, une multitude d’antipsychotiques
atypiques sont arrivés sur le marché. L’enjeu important
d’arriver aux résultats optimaux dans le traitement de nos
patients, sur le plan clinique, avec les médicaments disponibles, est encore compliqué par l’interaction de plusieurs
facteurs, comme des variables liées au patient, la relation
clinicien-patient, ainsi que l’environnement dans lequel ce
traitement est pris.
Tout
ceci
a
engendré
des
changements
d’antipsychotiques de plus en plus fréquents chez nos
patients en cas d’effets secondaires mais aussi en cas
d’efficacité insuffisante. Le fait que la santé physique des
patients schizophrènes suscite de plus en plus d’attention
(suite notamment aux effets métaboliques problématiques de certains antipsychotiques atypiques), n’a fait
qu’accentuer la tendance au remplacement d’un antipsychotique par un autre. La littérature relative aux essais
cliniques suggère que, sur une période d’un an, environ 30 %
des patients schizophrènes changent d’antipsychotiques
[1]. De plus, le changement d’un antipsychotique typique
vers un atypique semble plus risqué que le changement
d’un antipsychotique atypique vers un autre [2].
N’oublions pas que si tous les antipsychotiques atypiques
font partie d’une même classe, nous avons affaire à des
molécules très différentes l’une de l’autre sur le plan réceptologique. Par conséquent, passer d’une molécule à l’autre
pourra avoir des conséquences sur le plan réceptologique
qui se traduiront sur le plan clinique.
Les principaux effets des antipsychotiques atypiques font
intervenir les voies dopaminergiques, sérotoninergiques,
cholinergiques, histaminergiques et adrénergiques.
Les symptômes associés à la discontinuation d’un antipsychotique peuvent être classés en différents types :
• les symptômes de retrait : comme l’hyperthermie induite
après arrêt de la clozapine [3] ;
• les phénomènes rebonds sérotoninergiques, histaminergiques, cholinergiques [4] ;
• les syndromes d’hypersensitivité comme une psychose
d’installation rapide d’hypersensibilité [5].
Dans la plupart des cas, ces symptômes sont interprétés par le clinicien comme résultant du nouveau traitement
antipsychotique prescrit, alors qu’ils sont, en fait, dus
au retrait du traitement antipsychotique antérieur ! Cela
conduit souvent à l’arrêt du nouveau traitement puisqu’il est
interprété comme ne convenant pas. . . C’est la raison pour
laquelle une bonne connaissance des symptômes de retrait
est essentielle lorsque le clinicien veut utiliser des stratégies de passage d’un antipsychotique à l’autre. Au niveau
de la littérature également, nombreuses sont les publications rapportant un effet secondaire lors de l’introduction
d’un nouvel antipsychotique (par ex : nausées, insomnie,
vomissement, diarrhée lors de l’instauration d’aripiprazole)
n’ayant pas été mis en rapport avec un rebond cholinergique
lors de l’arrêt (souvent trop brutal) de l’antipsychotique
précédent (ex : clozapine) [6—8].
Passons en revue les principaux neurotransmetteurs
concernés et leurs implications dans les symptômes de
retrait.
Principaux neurotransmetteurs concernés
Dopamine
Tous les antipsychotiques bloquent plus ou moins fort les
récepteurs dopaminergiques D2.
Le parkinsonisme parfois observé avec les antipsychotiques est la conséquence d’une réduction en dopamine au
niveau striatal. La dyskinésie précoce provient, quant à elle,
d’un relargage de dopamine trop important. Les mécanismes
pharmacologiques précis de l’akathisie restent peu clairs à
ce jour. Les dyskinésies tardives sont, elles, attribuées à une
hypersensibilité des récepteurs striataux post-synaptiques,
en particulier après de longues périodes d’antagonisme D2
[9].
Il est généralement admis, que dans la schizophrénie, les
récepteurs D2 ont une affinité élevée, ce qui rend ces sujets
supersensibles à la dopamine [10].
Après une discontinuation brutale d’antipsychotiques ou
de changement brutal d’un antipsychotique vers la quétiapine ou la clozapine, qui présentent une liaison au récepteur
D2 seulement pendant une brève période [11], une dyskinésie de retrait ou une akathisie peut survenir [12].
Un mécanisme similaire d’hypersensibilité de retrait au
niveau du système limbique pourrait conduire à une psychose d’hypersensibilité [13]. Et le clinicien d’en conclure
précipitamment et de manière erronée que le nouveau traitement (quétiapine ou clozapine) ne fonctionne pas !
Ainsi, après une discontinuation rapide d’antagonistes
dopaminergiques, une psychose de rebond (ou psychose
d’hypersensibilité) peut se développer en raison de la
Enjeux cliniques du passage d’un antipsychotique à l’autre
sur-régulation des récepteurs [5]. De nombreuses publications ont ainsi rapporté une psychose d’hypersensibilité
après arrêt de clozapine [14], ou encore des dystonies ou dyskinésies [15]. En général, cette psychose
d’hypersensibilité s’accompagne aussi d’autres symptômes
de retrait dans le cas de la clozapine, comme des
nausées, vomissements, insomnie, diarrhée, agitation,
céphalées, sudation, indicateurs d’un rebond cholinergique [3]. D’autres études ont rapporté des psychoses
d’hypersensibilité après arrêt de l’olanzapine et de la quétiapine [16]. Cette psychose de rebond peut survenir en
général dans les 6 semaines après arrêt d’une médication
orale ou 3 mois après une médication sous forme de dépôt
[17].
Un avantage de passer d’un traitement à blocage D2 élevé
vers un autre traitement à plus faible affinité D2 ou à des
propriétés d’agoniste partiel, est de favoriser la normalisation des taux de prolactine et de la fonction sexuelle.
Sérotonine
Les caractéristiques atypiques des antipsychotiques atypiques sont à mettre en rapport avec la stimulation ou le
blocage de sous-types de récepteurs sérotoninergiques [18].
L’hyperthermie de rebond observée après arrêt brutal de
l’olanzapine pourrait impliquer les récepteurs sérotoninergiques [19].
Le passage d’un antipsychotique atypique avec une affinité élevée pour le récepteur 5HT2A vers un antipsychotique
typique (avec une moindre affinité pour le récepteur 5HT2A)
pourrait se solder par une perte de l’effet au niveau des
symptômes négatifs et cognitifs.
Un des effets bénéfiques du passage de la clozapine ou
l’olanzapine vers la ripéridone ou l’aripiprazole, peut être
une perte de poids, consécutive à un blocage plus faible des
récepteurs 5HT2 C sous rispéridone ou aripiprazole.
Acétylcholine
À ce jour, cinq récepteurs muscariniques ont été retrouvés
chez les humains. Les récepteurs M1 semblent importants
pour les fonctions cognitives [20]. Ainsi, certains antipsychotiques avec une forte affinité pour les récepteurs
muscariniques peuvent occasionner des atteintes cognitives.
Arrêter brutalement un antipsychotique avec une forte
affinité cholinergique (olanzapine, clozapine) peut entraîner un rebond cholinergique : nausées, vomissements,
sudation, insomnie, symptômes grippaux [21].
Histamine
Les récepteurs histaminergiques H1 semblent être importants pour la régulation du poids [22]. De plus, les récepteurs
histaminergiques sont impliqués dans les processus cognitifs
et la sédation.
En conséquence, passer d’un antipsychotique à forte
affinité H1 (clozapine, quétiapine, olanzapine) vers un antipsychotique à plus faible affinité H1 (ex : rispéridone,
palipéridone) peut se solder par un effet bénéfique au niveau
du poids, de la sédation, mais peut, par contre, entraîner
une insomnie de rebond [23].
441
Adrénaline, noradrénaline
L’antagonisme adrénergique alpha-2 agit comme sympathomimétique. Il entraîne un flux adrénergique accru dans la
fente synaptique, pouvant contribuer à une amélioration de
l’humeur et une amélioration des fonctions cognitives [24].
Après le passage vers un antipsychotique avec moins
de propriétés antagonistes noradrénergiques, une réaction sympathotonique temporaire avec augmentation de
la pression sanguine ou de l’anxiété peut surgir [25].
L’hyperthermie de rebond décrite lors de l’arrêt brutal de
la clozapine pourrait impliquer les récepteurs adrénergiques
alpha-1 [3].
Raisons du changement d’antipsychotique
En pratique clinique courante, il existe différentes raisons
pour passer d’un antipsychotique à l’autre, principalement pour une raison d’efficacité insuffisante ou d’effet
secondaire (prise de poids, augmentation de prolactine,
dysfonction sexuelle, sédation importante. . .). Le clinicien devrait toujours bien peser le pour et le contre du
changement d’antipsychotique. En termes d’efficacité, rappelons que la fameuse étude CATIE (Clinical Antipsychotic
Trials of Intervention Effectiveness) n’a pas trouvé de différence entre les patients pour lesquels un changement
d’antipsychotique avait été opéré et ceux qui étaient restés
avec leur antipsychotique initial [26]. Il convient donc de
maximiser le traitement antipsychotique en cours avant de
vouloir opter pour le changement, qui n’apporte pas toujours de bénéfice sur le plan clinique et qui implique une
prise de risques.
Paramètres à prendre en considération
Lors du passage d’un antipsychotique vers un autre, deux
paramètres importants sont à prendre en considération :
• l’affinité des antipsychotiques concernés pour les divers
récepteurs ;
• la demi-vie des antipsychotiques.
Affinité pour les divers récepteurs
Le but du traitement dans les psychoses ou la manie, est de
diminuer l’hyperactivité dopaminergique de la voie mésolimbique, hyperactive dans la psychose et la manie. Étant
donné que les antipsychotiques varient dans leur affinité
pour les récepteurs dopaminergiques D2, le blocage dopaminergique D2 efficace sera atteint à des doses très différentes
d’un antipsychotique à l’autre, et surtout, il sera atteint
avant, en même temps ou après seulement avoir bloqué
d’autres récepteurs. Par conséquent, les effets secondaires
associés au blocage de ces autres récepteurs surviendront en
même temps que l’effet antipsychotique recherché (blocage
D2) ou non.
Considérons l’affinité relative des divers antipsychotiques par rapport au récepteur D2 ; c’est-à-dire, imaginons
un instant que tous les antipsychotiques typiques et atypiques aient la même affinité pour le récepteur D2.
442
Examinons alors leur affinité relative pour les autres récepteurs concernés. Lorsque l’affinité relative pour un autre
récepteur est plus importante que pour le récepteur D2,
nous devons nous attendre à un effet secondaire lié à
l’occupation de ce récepteur. Nous constaterons que certains antipsychotiques atypiques (les « pines », olanzapine,
quétiapine, clozapine) ont une affinité relative plus importante pour les récepteurs muscariniques et histaminergiques
alors que d’autres antipsychotiques (les « ones », rispéridone, palipéridone, mais aussi aripiprazole, amisulpride,
haldol) ont une affinité relative bien plus faible pour
ces mêmes récepteurs. Par conséquent les « pines » seront
responsables d’effets secondaires muscariniques et histaminergiques avant d’atteindre un blocage D2 suffisant que pour
exercer une action antipsychotique ; ce qui n’est pas le cas
des « ones ».
Demi-vie des antipsychotiques
La connaissance sur l’absorption et la demi-vie des antipsychotiques concernés va nous aider à déterminer quand
l’état d’équilibre sera atteint lorsqu’un antipsychotique est
introduit, ou quand il sera éliminé lorsqu’il est arrêté. En
général, il faut considérer que cela prend environ 4 à 5 fois la
demi-vie d’élimination pour qu’une molécule atteigne l’état
d’équilibre ; et le même laps de temps pour que la molécule soit éliminée du compartiment plasmatique, une fois
arrêtée.
Nous pouvons regrouper les temps de demi-vie de la
manière suivante :
• T ½ de ± 24 heures : amisulpride, clozapine, quétiapine
XR1 , halopéridol, perphénazine, rispéridone, palipéridone ;
• T ½ de ± 30 à 36 heures : olanzapine ;
• T ½ de 72 heures (3 jours) : aripiprazole.
Les phénomènes de rebond
Les phénomènes de rebond risquent d’être particulièrement
problématiques lorsque les deux antipsychotiques concernés
diffèrent considérablement dans leur profil réceptologique
et leur demi-vie.
Ainsi, des phénomènes de rebond peuvent survenir
lorsque l’on passe d’un antipsychotique avec un blocage
histaminergique ou muscarinique relativement important
(ex : chlorpromazine, clozapine, olanzapine, quétiapine)
vers un antipsychotique avec un blocage plus faible pour
ces récepteurs (ex : aripiprazole, halopéridol, rispéridone,
palipéridone).
Le rebond histaminergique se caractérise par de
l’anxiété, agitation, insomnie, symptômes extrapyramidaux. Le rebond cholinergique, quant à lui, se caractérise
par de l’agitation, confusion et des symptômes extrapyramidaux.
De même, un rebond dopaminergique peut se développer lors du passage d’un antipsychotique à forte affinité D2
1 Demi-vie relative dans ce cas tenant compte de l’absorption
progressive de quetiapine XR.
É. Constant
(rispéridone, palipéridone) vers un antipsychotique à plus
faible affinité (clozapine, quétiapine) ou vers un agoniste
partiel D2 à longue demi-vie (aripiprazole) ; surtout s’il n’est
pas administré à posologie adéquate (de manière à obtenir
un blocage D2 suffisant malgré cette affinité plus faible ou
cet agonisme partiel).
Le rebond dopaminergique va se caractériser par
l’émergence d’une symptomatologie psychotique, voire un
état maniaque, de l’agitation, agressivité, akathisie.
Lorsque l’antipsychotique arrêté a une demi-vie plus
courte que l’antipsychotique introduit (ex : passage de
rispéridone vers aripiprazole), il y a bien un risque de
rebond dopaminergique car les récepteurs D2, qui plus est,
hypersensibles du fait de leur blocage, vont être libérés
rapidement et seront réoccupés plus tardivement !
Différents types de stratégies
Il existe différentes manières de procéder au passage d’un
antipsychotique vers un autre :
• le passage en plateau : introduire progressivement le nouvel antipsychotique à dose croissante jusqu’à la dose
thérapeutique et ensuite diminuer doucement les doses
du premier antipsychotique ;
• le passage direct : remplacer de manière abrupte un antipsychotique par un autre sans titration ;
• le passage ascendant : introduire progressivement le nouvel antipsychotique à dose croissante et arrêter ensuite
brutalement le premier antipsychotique ;
• le passage descendant : diminuer progressivement le
premier antipsychotique et introduire le nouvel antipsychotique brutalement à dose thérapeutique.
Plusieurs facteurs peuvent intervenir dans le type de
schéma choisi. Parmi ceux-ci, la demi-vie des antipsychotiques concernés est d’une grande importance. En
effet, un passage rapide d’un antipsychotique vers un
autre pourra être choisi et sera moins problématique si
l’antipsychotique qui doit être arrêté possède une longue
demi-vie. Par contre, il conviendra d’être plus prudent si
l’antipsychotique introduit possède une longue demi-vie.
Lorsque ce changement d’antipsychotique a lieu chez un
patient en consultation ambulatoire, le schéma en plateau
est certainement préférable car il limite les phénomènes
de rebond [27]. Bien entendu, le risque potentiel d’effets
secondaires dus à la prise simultanée de deux antipsychotiques (dans le schéma en plateau) doit être mis en balance
avec le risque de phénomènes de rebond plus fréquent si
on n’opte pas pour le plateau ! En particulier, le risque
d’interactions pharmacocinétiques entre antipsychotiques
doit être considéré.
Le schéma en plateau est particulièrement indiqué dans
les circonstances suivantes :
• lors du passage d’un antipsychotique à fort blocage histaminergique ou cholinergique vers un antipsychotique à
faible blocage de ces deux récepteurs (ex : olanzapine,
quétiapine, clozapine vers rispéridone, palipéridone, aripiprazole) ;
Enjeux cliniques du passage d’un antipsychotique à l’autre
443
• lors du passage d’un antipsychotique à courte demi-vie
vers un autre à longue demi-vie (ex : quétiapine, rispéridone, palipéridone vers aripiprazole) ;
• lors du passage d’un antipsychotique à forte affinité
D2 vers un autre à moindre affinité D2 (haldol, rispéridone, palipéridone vers quétiapine, clozapine) ou vers un
agoniste partiel (aripiprazole).
vers d’autres antipsychotiques, en particulier la rispéridone ou l’aripiprazole [6]. Il convient donc d’effectuer
un changement très graduel pour la clozapine (50 mg par
semaine) ou l’olanzapine vers un autre antipsychotique avec
moins d’affinité muscarinique. L’utilisation de benzodiazépines ou d’anticholinergiques peut également s’avérer
utile dans ce cas. Pour la clozapine, si la raison de l’arrêt
est l’agranulocytose, il est préférable d’instaurer un antipsychotique avec un profil réceptologique différent (éviter
l’olanzapine et la quétiapine) alors que si la raison de l’arrêt
est une autre cause que l’agrannulocytose, il est préférable
d’instaurer un antipsychotique avec le même profil réceptologique [30].
Les
effets
indésirables
du
changement
d’antipsychotique, lorsqu’ils surviennent, n’apparaissent
pas tous en même temps. Le rebond cholinergique et
l’akathisie rebond surviennent généralement dans les premiers jours après le changement ; un rebond parkinsonien
apparaît généralement après une semaine et la dyskinésie
rebond peut apparaître après un mois. Pour être certain
que les effets observés sont bien dus au changement, une
épreuve de réintroduction de l’antipsychotique arrêté peut
être tentée. Elle devra dès lors se solder par la disparition
de la symptomatologie observée.
Le schéma en plateau proposé par Correll [4] se déroule
de la manière suivante : après ajout du nouvel antipsychotique à 75 %—100 % de sa posologie finale pendant un laps
de temps correspondant à 4 à 5 fois sa demi-vie, le clinicien
commencera seulement à diminuer plus ou moins rapidement l’ancien antipsychotique de 25 % à 50 % toutes les 4 à
5 demi-vies.
Ce schéma en plateau est particulièrement pertinent
lorsqu’on va vers l’ariprazole. Pour illustration, lorsque
le clinicien veut par exemple passer de l’olanzapine à
l’aripiprazole, il y a des risques d’effet rebond tant
dopaminergique qu’histaminergique et cholinergique pour
2 raisons :
• l’aripiprazole a une longue demi-vie (environ 3 jours) ;
• l’olanzapine a une affinité bien plus grande que
l’aripiprazole pour les récepteurs histaminergiques et
cholinergiques.
Si nous appliquons le schéma en plateau décrit ci-dessus,
nous allons introduire l’aripiprazole et garder les deux
antipsychotiques pendant environ 15 jours (5 × 3 jours de
demi-vie pour l’arpiprazole) pour éviter le rebond dopaminergique avant de commencer à diminuer lentement
l’olanzapine pour, cette fois, éviter un rebond histaminergique et cholinergique : par exemple diminuer sa posologie
de 25 % chaque 7 jours (30 heures de demi-vie × 5).
Stratégies pour diminuer les effets rebonds
Plusieurs stratégies existent pour essayer de diminuer
l’importance des phénomènes de rebond, par exemple
en cas de nécessité d’arrêter l’antipsychotique précédent plus rapidement (ex : agranulocytose sous clozapine).
L’utilisation de substances anticholinergiques peut aider
à évider le rebond cholinergique [28]. Pour diminuer le
risque d’insomnie de rebond liée à l’arrêt d’un antipsychotique à forte affinité histaminergique H1, l’addition de
benzodiazépines ou d’autres sédatifs peut être une stratégie utile. Encore faut-il bien identifier qu’il s’agisse d’une
insomnie de rebond et non d’un signe de rechute psychotique ! Généralement la stratégie du schéma en plateau est
le meilleur procédé pour essayer d’éviter les phénomènes
de rebond [29]. Si le clinicien prévoit, qu’en fonction du
schéma considéré, du profil des molécules concernées et
des caractéristiques de son patient, que ce changement
risque d’être difficile et pourrait s’accompagner d’insomnie,
de peur, d’agitation, il pourrait s’avérer utile d’hospitaliser
brièvement le patient pour le suivre de près et adapter son
traitement régulièrement.
Au vu de la littérature, le risque d’une exacerbation psychotique de rebond, telle que nous l’avons décrite, est le
plus important en passant de la clozapine ou olanzapine
Conclusion
Si le changement d’un antipsychotique à l’autre est souvent
motivé par de bonnes raisons dans notre pratique clinique
courante, il convient de prendre conscience des risques liés
à cette pratique. Trop souvent, ils sont tout simplement
ignorés par le clinicien. Une bonne connaissance du profil
des molécules utilisées permettra de mieux décider de la
stratégie qui minimise les risques d’effets de rebond. En
particulier, en cas de changement vers un antipsychotique
avec un profil réceptologique assez différent de celui qui est
arrêté, un schéma en plateau sera toujours privilégié.
Déclaration d’intérêts
L’auteur déclare avoir perçu des honoraires d’orateur et/ou
d’Advisory Board de différentes firmes pharmaceutiques:
AstraZeneca, BMS, Lilly, Wyeth, Servier, Janssen Cilag, Pfizer, Lundbeck, GSK. Il ne détient aucune action dans ces
sociétés.
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