La Lettre du Neurologue - n° 3 - vol. III - juin 1999 133
a myélopathie cervicarthrosique est la conséquence
de l’agression chronique du cordon médullaire cervi-
cal par des remaniements d’origine dégénérative. Si
le point de départ de cette myélopathie résulte du rétrécissement
du calibre du canal rachidien, sa physiopathologie est multifac-
torielle, faisant intervenir des phénomènes compressifs, vascu-
laires et dynamiques. Cette pluralité étiopathogénique explique
les limites de la chirurgie dans cette affection dont le traitement
est parfois décevant.
RAPPELS ANATOMIQUES
L’union entre les différentes vertèbres cervicales s’effectue par
le biais de trois articulations différentes :
L’articulation intersomatique est de type amphiartrose. La
dégénérescence du disque entraîne un rapprochement des pla-
teaux adjacents et provoque l’apparition d’ostéophytes médians,
pathogènes pour le cordon médullaire ou l’artère spinale anté-
rieure.
Latéralement, les plateaux vertébraux s’articulent directement
l’un avec l’autre par le biais des uncus. Cette articulation propre
au rachis cervical est fréquemment le siège de remaniements
d’origine arthrosique. Les constructions ostéophytiques de cette
région sont volontiers pathogènes pour l’émergence radiculaire
à l’entrée du foramen intervertébral.
Les articulations postérieures sont de type arthrodèse.
L’arthrose interapophysaire postérieure entraîne une compres-
sion d’origine postérieure, soit médullaire, soit radiculaire, par
fermeture de la paroi postérieure du foramen.
Facteurs dynamiques
Les mouvements de flexion du rachis cervical entraînent un éti-
rement du cordon médullaire avec rétrécissement de 2 à 3 mm
du diamètre antéro-postérieur du canal cervical. Le cordon
médullaire est alors plaqué contre le mur postérieur des corps
vertébraux. Les espaces sous-arachnoïdiens jouent normale-
ment le rôle de plan de glissement, mais la présence d’ostéo-
phytes peut être responsable d’un frottement des cordons anté-
rieurs.
En extension, on constate la plicature des ligaments jaunes, qui
ferment en arrière le canal rachidien et peuvent devenir agres-
sifs pour les cordons postérieurs, entraînant parfois un véritable
signe de Lhermitte.
Facteurs vasculaires
Les études anatomopathologiques mettent en évidence des
aspects d’ischémie chronique dans la myélopathie cervicarthro-
sique. Cette ischémie peut survenir par le biais de deux méca-
nismes. Sur le versant artériel, la compression de l’artère spinale
antérieure par un ostéophyte médian, ou d’une artère radiculaire
à destinée médullaire par une uncarthrose, entraîne une diminu-
tion de la perfusion médullaire. Sur le versant veineux, la com-
pression des plexus veineux périmédullaires entraîne une gêne
au retour veineux médullaire et une congestion veineuse intra-
médullaire aggravant le tableau clinique et la souffrance neuro-
logique. Cette stase veineuse a été incriminée dans la genèse de
Indications du traitement chirurgical
dans la myélopathie cervicarthrosique
E. Louis, N. Reyns, M. Sleiman, P. Bourgeois, J.P. Lejeune*
*
Clinique neurochirurgicale, hôpital Roger-Salengro, Lille.
L
La moitié des patients de plus de 50 ans ont une cervi-
carthrose, mais seul un petit nombre développe une myélo-
pathie cervicarthrosique.
Le mécanisme n’est pas que compressif mais aussi dyna-
mique et vasculaire.
L’indication opératoire implique un diagnostic de certitude.
L’IRM en séquence T2 sagittale est l’examen clé du dia-
gnostic.
L’électrophysiologie aide au diagnostic différentiel.
Le traitement chirurgical ne joue que sur la composante
compressive de la physiopathologie.
Le but du traitement est, sinon d’améliorer la sympto-
matologie, au moins de stabiliser l’évolution de la maladie.
Le résultat sera d’autant meilleur que l’histoire de la mala-
die est courte et le handicap préopératoire peu important.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
MISE AU POINT
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MISE AU POINT
l’hypersignal médullaire visible sur l’IRM en T2. Ces lésions
ischémiques expliquent le caractère irréversible d’une partie de
la symptomatologie clinique, malgré une décompression médul-
laire efficace.
ASPECTS CLINIQUES
La présentation clinique est très polymorphe en fonction de
l’importance respective des troubles sensitifs et moteurs. Les
deux modes de révélation les plus fréquents sont :
– aux membres supérieurs, une maladresse gestuelle le plus sou-
vent en rapport avec des troubles de la sensibilité plutôt qu’avec
un déficit moteur ;
– aux membres inférieurs, les troubles de la marche, à type de
fatigabilité et d’engourdissement.
À ces signes fonctionnels s’associent des douleurs, parfois sous
la forme d’une névralgie cervico-brachiale pouvant réaliser un
véritable syndrome lésionnel, parfois sous la forme de douleurs
plus diffuses, mal systématisées, d’origine cordonale postérieure.
Enfin, les troubles sphinctériens sont souvent sous-estimés, à
type de mictions impérieuses et de troubles sexuels. La présence
d’un syndrome d’irritation pyramidale aux quatre membres
signe l’origine centrale de la pathologie.
Les différentes formes évolutives posent parfois le problème du
diagnostic différentiel : formes évoluant par poussées pouvant
évoquer une affection démyélinisante, formes purement
motrices évoquant une sclérose latérale amyotrophique. Le
bilan électrophysiologique et l’étude du LCR permettent dans
les cas difficiles de rectifier le diagnostic.
BILAN RADIOLOGIQUE
Les radiographies standard objectivent les remaniements d’ori-
gine dégénérative : constructions ostéophytiques, discopathies,
troubles statiques (anté- ou rétrolystésis).
Le scanner rachidien permet d’étudier le canal rachidien et, en
particulier, les sténoses latérales ainsi que l’uncarthrose. Très
utile en fenêtre osseuse pour juger de l’importance de la sténose,
il ne permet pas de voir le cordon médullaire.
L’IRM est l’examen de choix pour l’étude de la moelle cervicale.
Les coupes sagittales en séquence T2 permettent d’étudier la sté-
nose canalaire et son étendue en hauteur (figure 1), elles préci-
sent sa prédominance antérieure ou postérieure. L’IRM peut éga-
lement montrer des modifications du signal médullaire en regard
de la sténose canalaire (hypersignal en T2), dont la valeur pro-
nostique est discutée. La qualité de ces images a rendu excep-
tionnelles les indications de myélographie et de myéloscanner.
BILAN NEUROPHYSIOLOGIQUE
Les potentiels évoqués somesthésiques objectivent la souffrance
médullaire par l’étude de la transmission au sein des cordons
postérieurs. La comparaison des enregistrements obtenus par
stimulation des nerfs médian et sciatique poplité interne permet
de confirmer la souffrance de la moelle cervicale.
Les potentiels évoqués moteurs sont d’une grande utilité en cas
de neuropathie périphérique sévère associée. Leur sensibilité
permet d’éliminer le diagnostic de myélopathie cervicarthro-
sique en cas de normalité.
PRINCIPES DU TRAITEMENT CHIRURGICAL
Le traitement chirurgical permet la décompression du cordon
médullaire soit par voie antérieure, par abrasion des ostéophytes
rétrocorporéaux et de l’uncarthrose (discectomie élargie, soma-
totomie), soit par voie postérieure, par l’élargissement du canal
rachidien (laminectomie). La technique employée dépend de la
symptomatologie clinique (prévalence de signes sensitifs ou
moteurs), des données anatomiques (compression antérieure ou
postérieure dominante en IRM), et aussi des habitudes de
l’équipe chirurgicale.
Les abords antérieurs
Dérivés de la technique de Cloward, ils consistent à aborder le
rachis cervical par une cervicotomie antéro-latérale. La décom-
pression médullaire peut se faire au travers de l’espace interso-
matique après discectomie plus ou moins élargie (figure 2),ou
après réalisation d’une tranchée médiane verticale centrosoma-
tique (somatotomie), étendue éventuellement à plusieurs étages
en fonction de l’étendue de la sténose. Cette décompression
peut être complétée au besoin par une greffe ou une arthrodèse
(figure 3).
Figure 1. IRM
sagittale de profil
pondérée T2.
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L’abord postérieur
Il consiste en la réalisation d’une laminectomie étendue de C3 à C7.
Cette intervention permet une décompression étendue à toute la
hauteur du canal cervical sans compromettre la stabilité du rachis.
LA CHIRURGIE : POUR QUI, QUAND, COMMENT ?
Pour qui ?
La décision opératoire chez un patient porteur d’une myélopa-
thie cervicarthrosique repose sur un certain nombre de critères.
Le diagnostic doit être formel. En effet, la moitié des patients
âgés de plus de 50 ans présente des manifestations cliniques ou
radiologiques de cervicarthrose. Parmi ces patients, seul un petit
nombre développera une authentique myélopathie cervi-
carthrosique. Il faut donc résister à la facilité d’incrimi-
ner la cervicarthrose dans toute symptomatologie médul-
laire chez ces patients. Dans ce but, l’analyse sémiolo-
gique fine et un interrogatoire précis doivent permettre
de préciser l’origine médullaire cervicale des troubles.
Le bilan paraclinique, et en particulier neurophysiolo-
gique, permettra d’éliminer la plus grande partie des dia-
gnostics différentiels (sclérose latérale amyotrophique,
sclérose en plaques). Des potentiels évoqués moteurs
normaux permettent, par exemple, d’éliminer le diagnos-
tic de myélopathie cervicarthrosique.
L’importance de la gêne fonctionnelle est un critère
important dans la décision chirurgicale chez ces patients.
Le retentissement fonctionnel et le handicap doivent être
comparés au bénéfice attendu de l’intervention, mais sur-
tout au risque potentiel d’aggravation par le geste chirur-
gical. Si le retentissement fonctionnel est modeste, il
n’est pas rare qu’une décision chirurgicale ne soit prise
qu’après deux ou trois consultations, quand la certitude d’une
aggravation progressive, grâce aux examens neurologiques
comparatifs, est acquise.
L’état général du patient est bien sûr à prendre en compte avant
de retenir une indication chirurgicale chez ces patients souvent
âgés, potentiellement porteurs de tares associées (insuffisance
cardiaque, athéromatose carotidienne, etc.)
Quand ?
L’évolution naturelle de la myélopathie par cervicarthrose se fait
vers l’aggravation progressive du handicap. L’installation de
lésions anatomiques irréversibles, responsables de mauvais
résultats chirurgicaux ou de séquelles définitives, incite à propo-
ser un geste décompressif sans attendre l’apparition d’un déficit
neurologique important dont la récupération serait hypothétique.
Comment ?
Le choix de la technique chirurgicale dépend de plusieurs critères :
La voie d’abord antérieure sera préférée pour une compression
essentiellement d’origine discarthrosique, sur un nombre limité
de niveaux (2 ou 3 au maximum), surtout si la symptomatologie
est à expression motrice prédominante, ou si un geste stabilisa-
teur est nécessaire.
Inversement, la laminectomie sera proposée chez les patients
présentant une sténose très étendue du rachis cervical, dont la
composante est essentiellement postérieure (hypertrophie des
ligaments jaunes) ou dont la symptomatologie est essentielle-
ment sensitive.
Dans certains cas, le caractère insuffisant de l’amélioration
obtenue par une des deux voies d’abord peut justifier une réin-
tervention secondaire par l’autre voie.
D’autres facteurs, en particulier locaux, peuvent imposer une
voie d’abord plutôt qu’une autre. C’est le cas par exemple
d’une sténose carotidienne serrée qui fera préférer la voie pos-
Figure 2. Discectomie greffe.
Figure 3.
Discectomie
greffe à deux
étages avec
arthrodèse.
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MISE AU POINT
térieure pour éviter la mobilisation peropératoire de la carotide
et le risque embolique ; c’est aussi le cas d’antécédents de
radiothérapie cervicale responsable d’un véritable “blindage”
des parties molles rendant impossible la réalisation d’une voie
antérieure.
RÉSULTATS DE LA CHIRURGIE DANS LA MYÉLOPATHIE
PAR CERVICARTHROSE
À la lumière de notre expérience (36 cas revus avec un recul
moyen de 7 ans) et des séries comparables de la littérature, les
résultats chirurgicaux peuvent être résumés de la façon suivante :
De façon globale, environ la moitié des patients sont amélio-
rés après l’intervention, 20 % sont stabilisés et 30 % continuent
à s’aggraver malgré un geste chirurgical décompressif efficace
(vérifié sur un bilan neuroradiologique de contrôle). Jomin, en
1983, avait noté sur 700 cas, 66 % d’amélioration, 24 % de sta-
bilisation et 10 % d’aggravation.
Il est bien difficile d’affirmer la supériorité d’une technique
chirurgicale par rapport à une autre. Vaquero, en 1982, retrou-
vait 40 % de patients améliorés par la voie antérieure contre
71 % par la laminectomie. Dans notre série, 56 % des patients
sont améliorés par la voie antérieure contre 36 % par la lami-
nectomie.
Les critères de bon pronostic sont :
– une durée d’évolution courte de la symptomatologie neurolo-
gique ;
– l’absence de modification du diamètre transversal du cordon
médullaire sur l’IRM ;
– la perte isolée du potentiel N13 sur les PES.
Les critères de mauvais pronostic sont au contraire :
– la désynchronisation des PES par stimulation des SPI, qui tra-
duirait une souffrance des faisceaux centraux de la moelle, plus
par un biais vasculaire que compressif ;
– la présence d’un hypersignal médullaire en T2 et la sévérité du
tableau clinique préopératoire, qui sont d’une valeur pronos-
tique plus controversée.
Résultats en fonction de la symptomatologie
Les troubles moteurs des membres supérieurs répondent mieux
au traitement chirurgical que le déficit des membres inférieurs.
De même, les troubles sensitifs régressent mieux aux membres
supérieurs qu’aux membres inférieurs. L’efficacité sur les
troubles sphinctériens est modeste : 70 % des patients gardent
une symptomatologie urinaire ou génitale.
La survenue de complications per- ou postopératoire doit être
prise en compte. La fréquence de celles-ci est difficilement éva-
luable car rarement rapportée dans les séries de la littérature
(elle se situe probablement aux alentours de 5 %), mais ces
aggravations sont bien connues des équipes chirurgicales, que
l’abord se fasse par voie antérieure ou par voie postérieure.
Elles revêtent parfois le tableau dramatique d’une authentique
tétraplégie définitive, dont le pronostic est souvent vital chez
ces patients âgés.
CONCLUSION
La myélopathie cervicarthrosique est une affection médullaire
d’origine dégénérative dont le traitement logique est la décom-
pression chirurgicale. L’indication doit être posée devant un dia-
gnostic de certitude, dès que la symptomatologie devient invali-
dante. L’objectif de cette chirurgie est d’espérer, sinon une amé-
lioration, au moins une stabilisation de l’évolution de la maladie.
Les résultats sont souvent meilleurs aux membres supérieurs
qu’aux membres inférieurs, et chez les patients dont l’histoire cli-
nique est courte. La possibilité d’une aggravation postopératoire
doit faire peser l’indication chez des patients parfois âgés ou por-
teurs de pathologies associées, en particulier cardiovasculaires.
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