Prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde en médecine générale

Société Française de Rhumatologie
Les Publications sélectionnées
Revue du Rhumatisme 73 (2006) 256 – 262
Anne-Christine Rat,Viviana Henegariu, Marie-Christophe Boissier *
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : service.rhumatologie@avc.ap-hop-paris.f
(M.-C. Boissier).
Service de rhumatologie
CHU Avicenne (AP-HP)
125, route de Stalingrad
93009 Bobigny cedex
France
et UPRES EA-3408,
UFR Léonard-de-Vinci,
université
Paris-Nord,
Bobigny, France
Reçu le 5 février 2004 ; accepté le 28 février 2005
Disponible sur internet le 14 avril 2005
Résumé
Objectif
Étudier la prise en charge diagnostique et thérapeutique des patients ayant une polyarthrite débutante ou une polyarthrite
rhumatoïde (PR) confirmée en médecine générale par une enquête auprès des médecins généralistes (MG) dupartement de la
Seine-Saint- Denis.
Méthodes
Enquête auprès des MG du département de la Seine-Saint-Denis. Le questionnaire a été envoyé par courrier à tous les médecins
généralistes du département répertoriés dans lannuaire téléphonique. Une relance a été effectuée deux mois après le premier envoi.
Résultats
Quarante pour cent (356/895) des médecins contactés ont renvo le questionnaire. Ils étaient âgés de 49 ans en moyenne,
exerçaient depuis 25 ans en moyenne (depuis 2 à 40 ans) et 77 % dentre eux étaient des hommes. Ils estimaient recevoir une
moyenne de 125 patients par semaine.Vingt-huit pour cent desMGdisaient n’avoir pas suivi plus d’une PR au cours de l’année
écoulée, la grande majorité ayant vu d’une à cinq PR. Trente-sept pour cent des MG se disaient les principaux décisionnaires en
matre de PR pour 1 à 25 % de leurs patients suivis pour PR alors que 46 % des MG ne l’étaient jamais. Devant une polyarthrite
cente la demande d’avis auprès d’un rhumatologue se situait dans les trois mois pour 74 % d’entre eux, mais après les six
premiers mois de la maladie pour 6 % d’entre eux. Les motifs de demande d’avis étaient principalement pour confirmer le diagnostic
et recevoir des conseils thérapeutiques, 39 % souhaitaient que la PR soit entièrement prise en charge par le spécialiste. En
attendant la consultation auprès d’un spécialiste les patients étaient traités par antalgiques et AINS par 90 % des médecins et par
corticoïdes par 26 % d’entre eux dont 15 % à plus de 15 mg/jour. Devant un patient ayant un diagnostic de PR connu mais étant en
poussée de polyarthrite, 47 % des médecins augmentaient la corticothérapie par prednisone à plus de 15 mg/jour, 13%faisaient
eux-mêmes des infiltrations des articulations douloureuses ; un avis auprès d’un rhumatologue était demandé par 65%des MG dans
ces cas. En pratique, lors d’un suivi conjoint avec le spécialiste, 65 % des médecins surveillaient eux-mêmes le traitement et 22 %
ne prenaient en charge que les pathologies autres que la PR.
Conclusion
Le médecin généraliste joue un rôle essentiel dans la prise en charge de la PR en particulier dans leur prise en charge précoce.
D’après cette enquête, il persiste une marge pour améliorer cele. L’information entre médecins généralistes et spécialistes devrait
permettre de réduire les délais de mise en route des traitements de fond et de traitement spécialisé.
Mots clés : Polyarthrite rhumatoïde ; Médecins généralistes ; Enquête
Keywords: Rheumatoid arthritis; Primary care physician; Survey
1. Introduction
La polyarthrite rhumatoïde (PR) est la plus fréquente des rhumatismes inflammatoires. Sa prévalence est estimée à 0,5 % chez
l’adulte environ [1,2] et ses conséquences sont nombreuses : progression radiologique, handicap fonctionnel, déformation
articulaire, mortalité précoce [3–7] et coûts [8]. La difficulté de prise en charge tient d’une part à l’absence de prise en charge
stéotypée et d’autre part à l’existence d’une multitude de tableaux cliniques. Des études ont montré qu’il existe une grande
variabilité des diagnostics posés devant une polyarthrite [9], des examens complémentaires prescrits aubut de la polyarthrite
[10], des traitements prescrits [11–16], du suivi [11,17–20], de la surveillance du traitement de fond [17,19,21] et de la prise en
charge globale de la PR [22]. La place du médecinnéraliste est essentielle dans la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde
d’une part au stade diagnostic et d’autre part au cours du suivi des patients lorsque le diagnostic est déjà confirmé. Ils sont souvent
le premier contact dical des patients présentant des problèmes rhumatologiques. Un certain nombre de décisions et
d’interventions dépendent donc de leur diagnostic : demandes d’avis, tests diagnostiques, traitements ou conseils. Le traitement de
la PR dont la précocité de mise en route est importante n’est possible que si lesMGévoquent le diagnostic et adressent les patients
rapidement au spécialiste. Par ailleurs, la prise en charge initiale a des conséquences évidentes sur l’anxiété éventuelle des patients.
Au stade de PR confire, le MG est plus à même d’assurer une prise en charge globale de la personne dans son environnement
habituel. Étant donné la faible prévalence de la PR, les MG en ont en conséquence une expérience limitée. L’enseignement de la
rhumatologie joue ici un rôle primordial. Plusieurs études [23] ont é publiées sur la place du MG dans la prise en charge de
polyarthrites récentes ou confirmées mais aucune n’a été réalisée en France alors que le système de santé de chaque pays modifie
considérablement cette prise en charge. Il n’existe pas par exemple d’estimation du nombre de patients suivis exclusivement par le
MG ou à quel moment il va adresser le patient au spécialiste. L’objectif de notre étude a été de décrire la prise en charge
diagnostique et thérapeutique des patients ayant une polyarthrite débutante ou une PR confirmée en médecine générale par une
enquête auprès desMGdu département de la Seine-Saint- Denis.
2. Méthodes
2.1. Enquête
Il s’agit d’une enquête transversale réalisée auprès desMG du département de la Seine-Saint-Denis. Un questionnaire a été envoyé
par courrier à tous les médecins généralistes du département répertoriés dans l’annuaire téléphonique. En cas de non-réponse une
relance a été effectuée deux mois après le premier envoi. Le questionnaire était divisé en deux parties : une première partie portait
sur les attitudes des MG (suivi exclusif, demandes d’avis spécialisés, traitement) devant une polyarthrite récente et une deuxième
partie sur leurs attitudes devant une polyarthrite rhumatoïde dont le diagnostic était déjà confirmé (traitement, suivi). Des questions
sur leurs perceptions de l’action des traitements de fond, et sur leur confiance dans leur pratique rhumatologique ainsi que des
données démographiques étaient également incluses dans le questionnaire.
2.2. Analyse statistique
L’âge et le sexe desdecins, le nombre de patients vus par semaine, le délai d’attente avant une consultation spécialisée et
l’ancienneté d’exercice ont été comparés pour les réponses à plusieurs questions jugées importantes et dont les modalités de
réponse étaient binaires ou discrètes mais mutuellement exclusives par des tests t de Student ou des Anova pour les variables
quantitatives et par des tests v2 pour les variables qualitatives. Une régression logistique a été prévue en cas d’association retrouvée
en analyse bivariée, les variables explicatives étant l’âge et le sexe des médecins, le délai d’attente avant une consultation
spécialisée et l’ancienneté d’exercice. Le seuil des variables indépendantes candidates à entrer dans le modèle étant fixé à 0,1. Une
analyse des correspondances a été réalisée afin d’individualiser des profils de MG.
3. Résultats
Quarante pour cent (356/895) des médecins contactés ont renvo le questionnaire. Parmi les 895 questionnaires envoyés, 23
adresses étaient erronées, un médecin était décédé et deux n’ont pas répondu parce qu’ils ne voyaient pas de patients suivis pour
PR. Les MG étaient âgés de 49 ans en moyenne (49 ans pour les hommes et 46 ans pour les femmes), exerçaient depuis 19 ans en
moyenne (depuis 2 à 40 ans) et 77 % d’entre eux étaient des hommes. La grande majorité des médecins avaient un diplôme délivré
dans la région parisienne. Leslais d’obtention d’une consultation spécialisée étaient variables, d’un jour à trois mois. Ils
estimaient recevoir une moyenne de 125 patients par semaine (128 pour les hommes et 111 pour les femmes). Vingt-huit pour cent
des médecins disaient n’avoir pas suivi plus d’une PR au cours de l’année écoulée, la grande majorité ayant suivi d’une à cinq PR.
Les résultats descriptifs du questionnaire sontunis dans le Tableau 1. Trente-sept pour cent des MG se disaient les principaux
cisionnaires en matière de PR pour 1 à 25 % de leurs patients suivis pour PR, 5 % pour plus de 50 % de leurs patients alors que
46 % ne l’étaient jamais. Dix-huit pour cent des médecins prescrivaient eux-mêmes des traitements de fond. Devant une
polyarthrite récente, la consultation spécialisée se situait dans les trois mois pour 74 % des médecins, mais après les six premiers
mois de la maladie pour 6% d’entre eux. Pour 63 % des médecins interrogés toute PR confirmée était une indication à la mise en
route d’un traitement de fond tandis que le délai pour instaurer ce traitement était fonction de la symptomatologie pour 48 %
d’entre eux et que 33%pensaient que le traitement devait être débuté dès le diagnostic po. Le niveau de confiance des médecins
dans leur pratique clinique en rhumatologie était variable. Concernant la pratique d’infiltrations des genoux 37 % d’entre eux
estimaient leur pratique bonne ou excellente, 13 % estimaient leur capacité de maniement des traitements de fond de la même
façon. En revanche, ils estimaient leurs connaissances dans le maniement des corticoïdes au moins bonnes pour 78 % d’entre eux.
En analyse bivariée (Tableau 2–5), laponse à plusieurs questions était statistiquement différente suivant l’âge et l’ancienneté
d’exercice mais les différences n’excédaient pas trois ans.
En dehors du nombre de consultations par semaine et de leur ancienne d’exercice, il existait quelques différences entre les
hommes et les femmes. Plus de femmes nétaient jamais le principal décisionnaire en matière de PR et demandaient des
consultations antidouleur. Les hommes quant à eux avaient plus confiance dans leurs capacités à faire des infiltrations des genoux.
En dehors du sexe, aucune donnée démographique ou des caractéristiques d’exercice n’était associée aux pourcentages de patients
dont le médecin était le principal décisionnaire en matière de PR, aucune association n’était retrouvée avec ceux qui prescrivaient ou
non eux-mêmes des traitements de fond. En analyse multivariée, les différentes associations disparaissaient après ajustement sur le
sexe. Peu de variables permettaient d’individualiser des profils deMGdans l’analyse des correspondances. Trois profils peuvent
cependant être isolés. Le premier regroupe des MG qui prescrivent des corticoïdes à des doses supérieures à 15 mg/j devant une
polyarthrite débutante et devant une poussée de PR confirmée et qui prescrivent eux-mêmes des traitements de fond. Le deuxième
profil regroupe des MG qui pensent que le traitement de fond de la polyarthrite doit être débus le diagnostic posé et non en
fonction de la symptomatologie, que le traitement de fond doit être donné pour toute PR et qui font eux-mêmes des infiltrations
devant une PR confirmée. Dans le troisième groupe, les MG lorsqu’ils demandent un avis rhumatologique le font pour prise en charge
complète de la polyarthrite et demandent également des avis auprès de consultations antidouleur.
Tableau 1
Prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde en médecine générale
Questions n %
Devant une polyarthrite débutante
Demande davis auprès :
d’un rhumatologue
d’un interniste
d’un centre antidouleur
en dehors des établissements hospitaliers
341
49
3
236
95,8
13,8
0,8
67,8
Délai avant la demande davis :
au cours des 3 premiers mois
de 3 à 6 mois
après 6 mois
après un bilan
en cas de résistance aux AINS
en cas de résistance aux corticoïdes
en cas de résistance au traitement de fond
259
71
21
281
117
33
29
73.8
20.2
6.0
79.2
33.0
9.3
8.2
Motif de la demande d’avis prise en charge complète de la polyarthrite 139 39.0
Traitement en attendant la Cs :
anti-inflammatoires non stéroïdiens
antalgiques
prednisone per os = 15 mg/jour
prednisone per os > 15 mg/jour
327
263
41
52
91.9
73.9
11.5
14.6
Devant une polyarthrite rhumatoïde confirmée
MG principal décisionnaire de la PR de :
0 % de ses patients
1 à 25 % de ses patients
26 à 50 % de ses patients
> 50 % de ses patients
164
130
39
19
46,6
36,9
11,1
5,4
Prescription de traitements de fond par le MG 64 18,2
Traitement en cas de poussée de PR :
prednisone per os 15 mg/jour
prednisone per os > 15 mg/jour
infiltration des articulations douloureuses
avis auprès d’un rhumatologue
102
166
44
229
29,1
47,4
12,6
65,4
Recours des MG aux :
orthopédistes
consultations antidouleur
infiltrations
orthèses
psychologues
84
92
206
71
93
35
26.9
29.6
66.2
22.8
29.9
11.3
Lors du suivi conjoint de la PR avec un spécialiste :
Prise en charge des pathologies autres que la PR
exclusivement 79 22.6
Connaissances des traitements de fond
Quelle est l’indication d’un traitement de fond :
devant toute polyarthrite rhumatoïde 222 63.2
À quel moment doit on débuter un traitement de fond :
dès le diagnostic posé
le délai dépend de la symptomatologie
le délai dépend de la réponse aux AINS
le délai dépend de la réponse aux corticoïdes
114
167
93
57
32.6
47.7
26.6
16.3
Cs : consultation spécialisée ; AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens. Pour plusieurs questions les réponses ne sont pas exclusives
et le total des pourcentages n’est donc pas égal à 100.
Tableau 2
Prise en charge de la PR par les MG en fonction des données démographiques et d’exercice
âge (années)
nombre de patients/semaine
ancienneté
d’exercice(années)
sexe (%) hommes
femmes
jamais décisionnaire
non oui p
48,2 ± 7,6 49,2 ± 7,4 0,19
121,7 ±
39,0 127,5 ±
39,0 0,18
18,2 ± 8,4 20,3 ± 7,6 0,01
40,8 59,2 0,0002
65,0 35,0
avis 3 mois
non oui p
49,2 ± 7,5 47,7 ± 7,0 0,09
128,2 ±
41,3 117,4 ±
33,3 0,02
19,8 ± 8,2 10,3 ± 7,3 0,13
74,7 25,3 0,60
71,8 28,2
cons douleur
non oui p
49,2 ± 7,2 47,8 ± 8,0 0,13
123,1 ±
37,3 131,1 ±
45,2 0,15
19,9 ± 8,0 18,0 ± 7,9 0,04
77,0 23,0 0,02
63,6 36,4
Les résultats sont exprimés par des moyennes et leurs déviations standard à l’exception du sexe dont les résultats sont exprimés en
pourcentages. Jamais décisionnaire : jamais principal décisionnaire en matière de PR ; avis 3 mois : avis spécialisé demandé au
cours des trois premiers mois de la polyarthrite ; cons douleur : recours aux consultations antidouleur ; moy : moyenne.
Tableau 3
Perception de l’indication des traitements de fond des MG en fonction des données démographiques et d’exercice
âge (années)
nombre de patients/semaine
ancienneté d’exercice(années)
sexe (%) hommes
femmes
TDF d’emblée
non oui p
48,0 ± 6,9 50,5 ± 8,3 0,006
124,4 ± 37,3 127,2 ± 43,6 0,55
18,3 ± 7,7 20,6 ± 8,6 0,05
66,9 33,1 0,05
71,8 28,2
TDF dépend
non oui p
50,1 ± 7,7 47,4 ± 6,9 0,0007
126,4 ± 41,5 124,1 ± 37,2 0,59
20,6 ± 8,3 18,0 ± 7,6 0,002
54,0 46,0 0,13
44,2 55,8
Les résultats sont exprimés par des moyennes et leurs déviations standard à l’exception du sexe dont les résultats sont exprimés en
pourcentages. TDF d’emblée : pensez-vous qu’il faille débuter un traitement de fond dès le diagnostic posé ? TDF dépend :
pensez-vous que la mise en route du traitement de fond dépend de la symptomatologie ?
Tableau 4
Traitement d’une poussée de PR par les MG en fonction des données démographiques et d’exercice
âge (années)
nombre de patients/semaine
ancienneté d’exercice(années)
sexe (%) hommes
femmes
poussée prednisone
non oui p
49,7 ± 7,6 47,8 ± 7,2 0,01
121,5 ± 40,8 127,9 ± 37,3 0,01
20,1 ± 7,9 18,5 ± 8,07 0,06
50,0 50,0 0,09
61.0 39.0
poussée infiltration
non oui p
49,0 ± 7,4 47,1 ± 7,6 0,11
122,0 ± 36,8 143,6 ± 5 0,01
19,5 ± 7,9 18,2 ± 8,7 0,32
87,5 12,5 0,91
87,0 13,0
Les résultats sont exprimés par des moyennes et leurs déviations standard à l’exception du sexe dont les résultats sont exprimés
en pourcentages. Poussée prednisone : traitement d’une poussée de PR par prednisone > 15 mg/jour ; poussée infiltration :
traitement d’une poussée de PR par infiltration ;moy :moyenne.
Tableau 5
Confiance des MG dans leur pratique en fonction des données démographiques et d’exercice
âge (années)
nombre de
patients/semaine
ancienneté
d’exercice(années)
sexe (%) hommes
femmes
infiltration
Faibles ou
moyennes bonnes ou
excellentes p
47,8 ± 6,5 50,3 ± 8,5 0,004
124,3 ± 37,1 125,9 ± 43,1 0,72
18,3 ± 7,4 21,0 ± 8,8 0,004
56.4 43,6 0,0001
85.3 14,7
TDF
Faibles ou
moyennes bonnes ou
excellentes p
48,4 ± 7,2 51,3 ± 8,1 0,02
125,0 ± 39,6 123,4 ± 38,2 0,80
19,0 ± 7,8 21,9 ± 9,3 0,02
86,7 13,3 0,49
89,6 10,4
Les résultats sont exprimés par des moyennes et leurs déviations standard à l’exception du sexe dont les résultats sont exprimés
en pourcentages. Infiltration : confiance dans leur pratique des infiltrations du genou TDF : confiance dans leurs pratiques du
maniement des traitements de fond.
4. Discussion
Aucune donnée concernant la prise en charge des polyarthrites par les médecins généralistes n’existe en France. Par exemple,
aucune approximation n’existe concernant le pourcentage de PR suivies exclusivement en médecine générale, ni sur le nombre de
médecins traitants prescrivant euxmêmes un traitement de la PR. L’attitude des médecins généralistes devant une polyarthrite
récente ou l’assimilation des recommandations soulignant l’importance de la précocité de la prise en charge n’a jamais été évaluée.
D’après notre enquête 5 % desdecinsnéralistes étaient les principaux décisionnaires de plus de 50%de leurs patients suivis
pour PR. Trente-sept pour cent létaient pour 1 à 25 % de leurs PR et 47 % ne l’étaient jamais. Aux États- Unis dans deux études, le
médecin principal de patients suivis pour PR n’était pas rhumatologue dans 20 et 10%des cas [24,25].
Dix-huit pour cent des MG prescrivaient eux-mêmes des traitements de fond, ce qui est proche des chiffres d’une étude américaine
présentant un cas théorique de PR à des MG seulement 12 % d’entre eux disaient qu’ils prescriraient un traitement de fond
même si cette proportion était plus importante chez les MG ayant une expérience de la PR. Soixantedouze pour cent d’entre eux
reconnaissaient lacessité de les prescrire mais 14%en avaient prescrit au cours de l’année écoulée. La grande majorité d’entre
eux auraient adressé le patient à un rhumatologue [26]. Dans une étude de Hernandez- Garcia, 4,4 % des patients avaient reçu un
traitement de fond avant leur première visite chez le rhumatologue [27]. D’après notre enquête, ni l’âge, ni le sexe, ni l’ancienne
dans la profession n’était associé à la prescription d’un traitement de fond par les MG. En revanche ceux qui prescrivaient euxmêmes
des traitements de fond prescrivaient plus souvent des doses de corticoïdes supérieures à 15 mg d’équivalent prednisone devant
une polyarthrite récente ou devant une poussée de PR confirmée.
Les recommandations établies par l’American College of Rheumatology rappellent la nécessité d’un diagnostic précoce et d’un
traitementbuté rapidement. Le traitement ne doit pas être débuté plus de trois mois après la confirmation du diagnostic de
polyarthrite rhumatoïde. De plus, une consultation auprès d’un rhumatologue doit être considérée pour confirmer le diagnostic et
initier un traitement de fond [28–30]. Mais si l’importance de la précocité du diagnostic et de la mise en route du traitement de fond
est maintenant bien établie, une prise en charge rapide spécialisée n’est possible que si les MG évoquent le diagnostic et adressent
les patients rapidement. D’après notre enquête, 74 % des MG déclaraient envoyer leur patient consulter au cours des trois premiers
mois de la polyarthrite, 19 % au cours des six premiers mois et 6,5 % aps. Dans une étude rétrospective de revue de dossiers, le
temps médian entre première consultation chez le MG et première consultation chez le rhumatologue était de huit semaines [31].
Dans une deuxième étude, le temps médian entre début des symptômes et première visite chez un rhumatologue était de trois mois
pour 22,5 % des patients et de plus de trois ans pour 39 % d’entre eux. Le meilleur facteur prédictif d’un délai plus court entre
début des symptômes et début de traitement de fond était le délai entre début des symptômes et première consultation chez un
rhumatologue [27].
Seulement 33 % des MG pensaient que le traitement de fond devait être débuté dès le diagnostic posé et 37%ne pensaient pas que
toute PR devait recevoir un traitement de fond. Aucun chiffre sur les connaissances des MG des indications et du moment appropr
pour débuter un traitement de fond n’a été publié dans la littérature. Il faut donc souligner ici la possibilité d’amélioration de la prise
en charge par la formation.
Plusieurs limites existent dans notre étude. D’une part, L’enquête est limitée à un département et n’est pas donc pas généralisable.
Le département de la Seine-Saint-Denis est en effet un département de la banlieue parisienne, nous ne pourrons donc avoir aucune
idée de la prise en charge de la PR dans des régions rurales qui est probablement différente. Par ailleurs le département de la Seine-
Saint-Denis est particulier par sa forte proportion de patients d’origine étrangère et de patients de niveau socioéconomique bas ce
qui modifie parfois les possibilités de prise en charge, d’adhérence au traitement et de suivi. De plus, un questionnaire d’analyse des
pratiques auprès des praticiens n’est pas le reflet exact desritables pratiques, les intentions affichées différentes en effet des
prescriptions réelles. Il a en effet été démontré que les praticiens n’ont pas toujours la même attitude devant un cas écrit et un cas
simulé [32]. Par ailleurs, certaines questions faisant appel à des conduites passées sont par nature rétrospectives et introduisent
donc un biais d’anamnèse. Le taux de réponse du questionnaire correspond au pourcentage attendu pour ce type de questionnaire
en France (30 à 58 %) [16,33], en revanche il est moins élevé que dans d’autres pays : 54 % en moyenne [34], 71 à 88 % aux
États-Unis et au Canada [14]. Cependant une revue de la littérature a rélé que seulement 20 % de 68 enquêtes publiées réalisées
auprès des médecins avaient un taux deponse supérieur à 70 % [14].
Si le recours au spécialiste au cours de la PR n’est probablement toujours pas assez fréquent et les délais de prise en charge trop
longs, les raisons doivent en être étudiées dans chaque environnement de pratique des soins. Il faut s’interroger sur les raisons du
retard à l’initiation d’un traitement : les retards au diagnostic et à la demande d’avis auprès du spécialiste et les difficultés daccès
aux consultations de rhumatologies sont deux raisons mais d’autres raisons doivent être recherchées et prises en compte. La prise
de conscience de la nécessité d’une demande d’avis appropriée et précoce est un objectif important de la formation des étudiants et
des médecins généralistes. L’impact d’une telle formation et de recommandations devra être évalué. Il serait, par ailleurs important
d’étudier les facteurs qui conduisent à l’interruption de la prise en charge par le rhumatologue afin d’éviter les arts intempestifs et
dommageables des traitements de fond.
La place du MG est essentielle dans la prise en charge de la polyarthrite rhumatoïde mais l’évolution diagnostique et thérapeutique
de cette prise en charge la rend difficile et souligne l’importance d’une coopération avec le spécialiste. Les MG sont les premiers
contacts des patients et sont donc un maillon fondamental de la prise en charge puisque la précocité du traitementpend en
grande partie d’eux. Malheureusement, les délais d’instauration d’un traitement de fond restent trop longs, notamment par manque
de connaissance des changements de stratégies de prise en charge de la PR. Les améliorations doivent porter sur la coopération
MG–spécialistes et sur l’information des MG de la nécessité d’une prise en charge spécialisée précoce et de la mise en route d’un
traitement de fond de toutes les PR dès le diagnostic posé. Cette collaboration est d’autant plus importante que la réforme pour
l’assurance maladie donne au médecin traitant unle majeur et unique dans l’orientation des patients au début de leur maladie.
Une flexion et un travail commun entredecins généralistes et rhumatologues sur la prise en charge des pathologies
rhumatologiques en médecine générale doivent être encouragés.
Remerciements
Tous les médecins généralistes dupartement de la Seine- Saint-Denis participants. Les laboratoires Wyeth pour leur subvention
scientifique.
Références
[1] Gabriel SE, Crowson CS, O’Fallon WM. The epidemiology of rheumatoid arthritis in Rochester, Minnesota, 1955–1985. Arthritis
Rheum 1999;42:415–20.
[2] Saraux A, Guedes C,Allain J, DevauchelleV,Valls I, Lamour A, et al. Prevalence of rheumatoid arthritis and spondyloarthropathy in
Brittany, France, Societe de Rhumatologie de l’Ouest. J Rheumatol 1999; 26:2622–7.
[3] Sokka T, Kautiainen H, Mottonen T, Hannonen P. Work disability inrheumatoid arthritis 10 years after the diagnosis. J Rheumatol
1999; 26:1681–5.
[4] Jantti J, Aho K, Kaarela K, Kautiainen H. Work disability in an inception cohort of patients with seropositive rheumatoid arthritis:
a
20 year study. Rheumatology (Oxford) 1999;38:1138–41.
[5] Van Jaarsveld CH, Jacobs JW, Schrijvers AJ,Van Albada-Kuipers GA, Hofman DM, Bijlsma JW. Effects of rheumatoid arthritis on
employment and social participation during the first years of disease in The Netherlands. Br J Rheumatol 1998;37:848–53.
[6] Wolfe F, Hawley DJ. The longterm outcomes of rheumatoid arthritis: Work disability: a prospective 18 year study of 823 patients.
J Rheumatol 1998;25:2108–17.
[7] Guedes C, Dumont-Fischer D, Leichter-Nakache S, Boissier MC. Mortality in rheumatoid arthritis. Rev Rhum Engl Ed
1999;66:492–8.
[8] Rat AC, Boissier MC. Rheumatoid arthritis: direct and indirect costs. Joint Bone Spine 2004;71:518–24.
[9] Berthelot JM, Klarlund M, McGonagle D, Bernelot-Moens HJ, Calin A, Harrison B, et al. Lessons from an international survey of
paper cases of 10 real patients from an early arthritis clinic. CRI (Club Rhumatismes et Inflammation) Group. J Rheumatol
2001;28:975–81.
[10] Saraux A, Maillefert JF, Fautrel B, Flipo RM, Guillemin F, Kaye O. Quels examens complémentaires sont proposés par les
rhumatologues dans les rhumatismes inflammatoires débutants (RID) Résultats d’une enquête d’opinion. Rev Rhum 2000;67:762
[abstract].
[11] Sany J, Dropsy R, Daures JP. Cross-sectional epidemiological survey of rheumatoid arthritis patients seen in private practice in
France, Descriptive results (1629 cases). Rev Rhum Engl Ed 1998;65:462–70.
[12] Berard A, Solomon DH, Avorn J. Patterns of drug use in rheumatoid arthritis. J Rheumatol 2000;27:1648–55.
[13] Criswell LA, Henke CJ. What explains the variation among rheumatologists in their use of prednisone and second line agents for
the treatment of rheumatoid arthritis? J Rheumatol 1995;22:829–35.
[14] Maetzel A, Bombardier C, Strand V, Tugwell P,Wells G. How Canadian and US rheumatologists treat moderate or aggressive
rheumatoid arthritis: a survey. J Rheumatol 1998;25:2331–8.
[15] Ward MM. Trends in the use of disease modifying antirheumatic medications in rheumatoid arthritis, 1980-1995: results from
the National Ambulatory Medical Care Surveys. J Rheumatol 1999;26: 546–50.
[16] De Asit N, Le Loët X, Czernichow P, Bertho JM, Delcambre B, Tonnel F, et al. Comment le rhumatologue français traite-t-il, en
pratique, la polyarthrite rhumatoïde au début? Rev Rhum Engl Ed 1996;62:188–95.
[17] Lanes SF, Lanza LL, Radensky PW, Yood RA, Meenan RF, WalkerAM, et al. Resource utilization and cost of care for rheumatoid
arthritis and osteoarthritis in amanaged care setting: the importance of drug and surgery costs. Arthritis Rheum 1997;40:1475–81.
[18] Clarke AE, Zowall H, Levinton C, Assimakopoulos H, Sibley JT, Haga M, et al. Direct and indirect medical costs incurred by
Canadian patients with rheumatoid arthritis: a 12 year study. J Rheumatol 1997;24:1051–60.
[19] Criswell LA, Such CL, Neuhaus JM, Yelin EH. Variation among rheumatologists in clinical outcomes and frequency of office visits
for rheumatoid arthritis. J Rheumatol 1997;24:1266–71.
[20] Ward MM. Rheumatology visit frequency and changes in functional disability and pain in patients with rheumatoid arthritis. J
Rheumatol 1997;24:35–42.
[21] Donald F,Ward MM. Evaluative laboratory testing practices of United States rheumatologists. Arthritis Rheum 1998;41:725–9.
[22] Gorter S, Van der Linden S, Brauer J, Van der Heijde D, Houben H, Rethans JJ, et al. Rheumatologists’performance in dailiy
practice. Arthritis Rheum 2001;45:16–27.
[23] RatAC, HénégariuV, Boissier MC. Do Primary Care Physicians Have a Place in the Management of Rheumatoid Arthritis? Joint
Bone Spine 2004;71:190–7.
[24] Yelin EH, Such CL, Criswell LA, EpsteinWV. Outcomes for persons with rheumatoid arthritis with a rheumatologist versus a
nonrheumatologist as the main physician for this condition. Med Care 1998;36:513–22.
[25] Criswell LA, Such CL,Yelin EH. Differences in the use of second-line agents and prednisone for treatment of rheumatoid arthritis
by rheumatologists and non-rheumatologists. J Rheumatol 1997;24:2283–90.
[26] Stross JK. Relationships between knowledge and experience in the use of disease-modifying antirheumatic agents, A study of
primary care practitioners. JAMA 1989;262:2721–3.
[27] Hernandez-Garcia C, Vargas E, Abasolo L, Lajas C, Bellajdell B, Morado IC, et al. Lag time between onset of symptoms and
access to rheumatology care and DMARD therapy in a cohort of patients with rheumatoid arthritis. J Rheumatol 2000;27:2323–8.
[28] Guidelines for the management of rheumatoid arthritis: 2002 Update. Arthritis Rheum 2002;46:328–46.
[29] American College of Rheumatology Ad Hoc Committee on Clinical Guidelines. Guidelines for the management of rheumatoid
arthritis. Arthritis Rheum 1996;39:713–22.
[30] American College of Rheumatology Ad Hoc Committee on Clinical Guidelines. Guidelines for monitoring drug therapy in
rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 1996;39:723–31.
[31] Chan KW, Felson DT, Yood RA, Walker AM. The lag time between onset of symptoms and diagnosis of rheumatoid arthritis.
Arthritis Rheum 1994;37:814–20.
[32] Rethans JJ, Van Boven CP. Simulated patients in general practice: a different look at the consultation. Br Med J (Clin Res Ed)
1987;294: 809–12.
[33] Rozenberg S, Lang T, Laatar A, Koeger AC, Orcel P, Bourgerois P. Diversity of opinions on the management of gout in France,A
survey of 750 rheumatologists. Rev Rhum Engl Ed 1996;63:255–61.
[34] Asch DA, Jedrziewski MK, Christakis NA. Response rates to mail surveys published in medical journals. J Clin Epidemiol
1997;50:1129–36.
© SFR - A.-C. Rat et al. / Revue du Rhumatisme 73 (2006) 256–262
1 / 5 100%