38 Disponible en ligne sur ARTICLE ORIGINAL www.smr.ma Le retard au diagnostic et au traitement du patient rhumatisant : Quels déterminants ? Enquête transversale aux secteurs publique et privé à Marrakech The delay in diagnosis and treatment of rheumatic patients : what determinents ? a cross-sectional survey among the public and private sectors in Marrakech Ahlam Belkhou, Hind Cherquaoui, Selma EL Hassani Service de Rhumatologie, Hôpital Ibn Tofaïl CHU Mohammed VI, Marrakech - Maroc Rev Mar Rhum 2012; 20:38-41 Résumé Abstract Introduction : Les pathologies rhumatismales représentent un problème de santé publique. Tout retard à la consultation rhumatologique peut influencer négativement leur diagnostic, traitement et pronostic. Le but de cette étude est de déterminer les raisons pour lesquelles le patient rhumatisant tarde sa consultation spécialisée auprès du rhumatologue. Introduction : The rheumatic diseases represent a public health problem. Any delay in rheumatology consultation may negatively influence their diagnosis, their treatment and their prognosis. The purpose of this study is to determine the reasons why the patient with rheumatic diseases delays his specialized consultation with the rheumatologist. Matériel et méthode : Nous avons réalisé une étude transversale sur 1000 patients rhumatisants colligés au niveau des consultations de rhumatologie publique et privée de la région de Marrakech. Methods : We conducted a cross-sectional study on 1000 rheumatic patients collected in the public and private consultations of rheumatology in the area of Marrakech. Résultats : L’âge moyen des patients était de 49 ans avec une prédominance féminine. La plupart des patients étaient citadins, n’avaient aucun niveau d’instruction, sans profession et sans couverture sanitaire. La symptomatologie clinique des nouveaux patients était dominée par la douleur, principal motif de consultation. L’arthrose était le chef de fil des pathologies des anciens malades. Les patients avaient opté pour d’autres modes de traitements avant de s’adresser au rhumatologue : un traitement traditionnel, la phytothérapie, ou le recours à la médecine moderne. La majorité des patients (71 %) était retardataire à la consultation en rhumatologie, et avait expliqué son retard par la négligence des médecins consultés en premier lieu, ainsi que la pauvreté. L’ignorance de la spécialité et les problèmes de rendez-vous étaient placés en second lieu. En troisième lieu, existent des patients qui croyaient à la médecine traditionnelle beaucoup plus qu’à la médecine scientifique. Les autres n’étaient pas conscients de la maladie, ou non disponibles pour la consultation. Results : The average patient age was 49 years with female predominance. Most patients were city dwellers, had no education, were unemployed and without health mutual. The clinical symptoms of the new patients were dominated by pain, which was the main reason for consultation. Osteoarthritis was the most frequent pathology in the former patients. Patients opted for other treatment methods before addressing to the rheumatologist: the traditional treatment, the herbal medicine, or the use of modern medicine. Most patients (71%) were latecomers to the consultation in rheumatology, and had explained their delay by the negligence of doctors consulted first, and poverty. Ignorance of the specialty and the problems of appointment were placed second. In third place, there were patients who believed in traditional medicine much more than scientific medicine. Others were not aware of the disease, or not available for consultation. Conclusion : Plusieurs facteurs influencent le retard à la consultation spécialisée, reste à faire de grands efforts pour diminuer ce retard. Mots clés : Retard, Diagnostic, Consultation, Maladies rhumatismales, Déterminants La pathologie rhumatismale représente un problème de santé publique. Chaque année, elle est source de millions de journées de travail perdues, de milliers de mises en invalidité. Le vieillissement Correspondance à adresser à : Ahlam Belkhou Email : [email protected] Conclusion : Several factors influence the delay to specialist consultation; still have to make great efforts to reduce this delay. Key words : Delay, Consultation, Rheumatic diseases, Determinants de la population ne peut qu’aggraver cette situation. Le diagnostic précoce des maladies rhumatismales constitue un défi important. Tout retard à la consultation du patient rhumatisant au-delà de 39 Le retard au diagnostic et au traitement du patient rhumatisant : Quels déterminants ? Enquête transversale aux secteurs publique et privé à Marrakech trois mois à partir des premiers symptômes, aboutit aux retards diagnostique et thérapeutique, risque de provoquer des dégâts irréversibles et peut même grever la réponse au traitement. Le but de cette étude est de tenter de mettre en relief les raisons pour lesquelles le patient rhumatisant tarde sa consultation spécialisée auprès du rhumatologue. Matériel et méthodes Nous avons réalisé une étude transversale sur un échantillon accidentel de 1000 patients rhumatisants colligés au niveau des consultations de rhumatologie publique et privée de la région de Marrakech, sur une période de six mois allant de Avril à Septembre 2010. Le recueil des informations a été réalisé par le médecin, en arabe dialectal, à l’issue de l’interrogatoire des patients rhumatisants selon une fiche d’exploitation préétablie. Les résultats ont été analysés par un logiciel de statistiques SPSS version 10. Résultats Mille patients ont été colligés. L’âge moyen de nos patients était de 49 ans avec une prédominance féminine (73,8 %). Sept cent quatre-vingt-dix sept (soit 79,7 %) des patients étaient citadins. Prés de la moitié (soit 49 %) des patients n’avaient aucun niveau d’instruction. Six cent vingt et un (soit 62,1 %) des patients étaient sans profession. Près de 58,4 % des malades n’avaient pas de couverture sanitaire. Concernant la symptomatologie clinique des nouveaux patients, elle était dominée par la douleur, essentiellement sous forme de polyarthralgies et de lombalgies. L’arthrose était le chef de fil des pathologies (23,8 %), suivie de la polyarthrite rhumatoïde (4,9 %) et de l’ostéoporose (3,2%). Avant de s’adresser au rhumatologue, sept cent soixante trois patients (soit 76,3 %) avaient déjà opté pour d’autres modes de traitements, soit un traitement traditionnel dans 40,2 %, soit la phytothérapie dans 17,9%, soit le recours à la médecine moderne. Le médecin est le premier orientateur du patient vers le rhumatologue (45,5 %). Vingt neuf pour cent des patients ont été envoyé par un patient de leur entourage et 12,4 % des patients ont été adressé par un personnel de santé. En ce qui concerne le médecin orientateur, le généraliste vient en premier (71,7 %) suivi du traumatologue (2,9 %). Le retard à la consultation est défini par un délai entre la date des premiers symptômes et la date de la première consultation chez le rhumatologue dépassant 3 mois. Seulement 21 % des patients avaient consulté un rhumatologue durant le premier mois. Alors que sept cent dix patients (soit 71 %) étaient retardataires à la consultation en rhumatologie (Fig. 1). Ces patients avaient Figure 1 : Répartition de l’échantillon en fonction du délai entre les premiers symptômes et la première consultation en rhumatologie expliqué leurs retards par la négligence des médecins consultés en premier lieu dans 23,8 % des cas, ainsi qu’à la pauvreté dans 19,1 % des cas (tableau I). L’analyse bivariée avait révélé une corrélation significative entre le retard à la consultation et les paramètres suivants : l’âge, le sexe, le niveau d’instruction, la profession et le recours à un traitement antérieur. Par ailleurs, la corrélation entre la résidence, la couverture sociale et le secteur de consultation avec le retard n’a pas été significative. Discussion Les pathologies de l’appareil locomoteur sont fréquentes et constituent l’un des principaux motifs de consultation en médecine générale. Elles sont caractérisées d’une part par leur caractère chronique et d’autre part par leur nombre grandissant, notamment en raison de l’allongement de l’espérance de vie. En cas de complications rhumatismales causées par le retard à la consultation, les handicaps intrinsèque (de la santé) et extrinsèque (socio-économique) seraient plus importants, et variables selon la pathologie. En effet, au cours de la polyarthrite rhumatoïde par exemple , tout retard thérapeutique peut avoir un retentissement fonctionnel ainsi que vital. Dans notre enquête, la prédominance féminine retrouvée n’a pu être expliquée que par la fréquence de la pathologie rhumatismale chez la femme en général. La majorité citadine pourrait être expliquée par les difficultés d’accès géographique. La moitié des patients était analphabète. Ceci rejoint le taux d’analphabétisme du pays retrouvé lors du recensement de 2007 puisqu’il a été noté que le taux d’alphabétisation des adultes était de 55,6 % de la population générale [1]. Plus que les deux tiers des patients (62,1 %) étaient sans profession. Ceci pourrait être dû à la fréquence plus élevée des femmes au foyer dans notre population à l’étude, et pourrait expliquer la plus grande part de dépendance sur le plan financier de nos patients. Cela pourrait être considéré comme un facteur principal du retard à la consultation si l’on tient compte des difficultés économiques de cette catégorie de la population. La douleur était, dans notre étude, le principal motif de consultation. L’arthrose, chef de fil de cette enquête, essentiellement sous forme de gonarthrose, de cervicarthrose et de lombarthrose. Viennent ensuite par ordre décroissant de fréquence, la polyarthrite rhumatoïde, l’ostéoporose, la spondylarthrite ankylosante, la goutte et l’ostéomalacie. Les tendinopathies, les déformations osseuses, les paresthésies et les tuméfactions articulaires ne constituaient que des motifs secondaires dans cette enquête. Les patients avaient déjà opté pour d’autres modes de traitements avant de s’adresser au rhumatologue : un traitement traditionnel, la phytothérapie, ou le recours à la médecine moderne. Une thérapie traditionnelle fournie par un guérisseur traditionnel, peut très bien être la première rencontre de la personne avec les services médicaux. On peut également se tourner vers ces thérapies non conventionnelles pour une variété de raisons : Le bas niveau d’instruction des patients, désir d’éviter toxicités et traitements invasifs, préférence pour les médicaments naturels plutôt que synthétiques, insatisfaction avec les professionnels de la médecine moderne, techniques des guérisseurs traditionnels font partie de l’héritage culturel du patient. Dans notre étude, le 40 A. Belkhou et al. ARTICLE ORIGINAL médecin généraliste avait orienté plus que le tiers de l’échantillon vers le rhumatologue tandis que le spécialiste avait orienté 12,9 % des malades. Le diagnostic des pathologies rhumatismales est porté très souvent à distance des premiers symptômes à cause de plusieurs facteurs. La durée entre la symptomatologie initiale et l’établissement du diagnostic a suscité beaucoup d’intérêt ces dernières années en raison de son influence sur le pronostic de ces pathologies. Nos patients étaient majoritairement retardataires et avaient expliqué leur retard par la négligence des médecins consultés en premier lieu, ainsi que la pauvreté. L’ignorance de la spécialité et les problèmes de rendez-vous étaient placés en second lieu. Existaient en troisième lieu des patients qui croyaient à la médecine traditionnelle beaucoup plus qu’à la médecine scientifique. Autres n’étaient pas conscients de la maladie, ou n’avaient pas le temps pour la consultation. Les difficultés d’accès géographique, l’automédication et la peur des effets secondaires des médicaments n’étaient que des causes secondaires. Palm et al avaient menée une étude prospective sur une durée d’une année à propos de patients présentant une PR, une différence statistiquement significative entre le délai de consultation et le sexe a été retrouvée [2]. Dans une étude portant sur 527 patients atteints de PR, Hernández-García et al avaient trouvé que le retard diagnostique variait significativement avec le statut matrimonial, le soutien familial, le niveau d’instruction, l’âge de début des symptômes, la tuméfaction articulaire et la capacité fonctionnelle des patients [3]. Elaudi et son équipe avaient réalisé une étude transversale sur une durée d’une année à propos de 272 patients atteints de PR et avaient trouvé que le retard diagnostique variait significativement avec le secteur de consultation [4]. Dans l’étude transversale de Dincer et ses collaborateurs, à propos de 111 patients ayant une spondylarthrite ankylosante (SPA), il y avait une différence statistiquement significative entre le retard diagnostique et la spécialité du médecin du premier recours [5]. Ce retard ne variait pas significativement avec l’âge et le sexe dans l’étude de Kumar et al qui l’avaient mené sur un échantillon de 169 patients atteints de PR [6], ni avec le niveau d’éducation et la profession dans l’étude de Ibn Yacoub et al (2010) à propos de 100 patients atteints de SPA [7]. En 2007, Feldman et al avaient réalisé une étude à propos de 10001 patients atteints de PR, et avaient conclu que les raisons pouvant être responsables de la précocité de la consultation étaient : le sexe féminin, l’âge jeune, le niveau socio-économique élevé et la comorbidité [8]. En France, la cohorte ESPOIR avait inclus, entre 2003 et 2005, 813 personnes consultant pour une polyarthrite récente. Les facteurs associés à un délai court étaient: la région d’habitation, l’handicap important, le mode de début explosif ou subaigu, le caractère fixe des atteintes et un accès direct au rhumatologue [9]. Eleishi et son collègue avaient conduit, en 2009, une étude prospective à propos de 78 patients rhumatisants, et avaient Impliqué l’ignorance vis-à-vis de la symptomatologie clinique ainsi que la responsabilité des médecins déjà consultés dans le retard à la consultation spécialisée [10]. Alors que dans l’étude rétrospective de Junyi Qian et ses collaborateurs (2010) qui a porté sur 161 patients, les auteurs avaient conclu que l’allongement du délai entre les consultations du généraliste et du rhumatologue était corrélé au comportement insouciant des patients [11]. L’ignorance des patients était la principale raison pour laquelle il y avait un retard de consultation dans l’étude transversale réalisée par Sheppard et ses collègues (2008) sur 24 patients présentant une PR [12]. Enfin, Aggarwal et son collègue (2009) avaient mené une étude à propos de 70 patients atteints de SPA et avaient trouvé que l’âge jeune, l’erreur diagnostique surtout devant les premiers symptômes non spécifiques et l’absence de manifestations extra-articulaires, étaient des déterminants du retard diagnostique [13]. Tableau 1 : Répartition des patients retardataires en fonction des différentes causes du retard Causes du retard Nombre de cas % / à l’échantillon Le médecin traitant ne me l’a pas conseillé 238 23.8 % Faute de moyens 191 19.1 % Je ne connaissais pas la rhumatologie 155 15.5 % Le rendez-vous de consultation s’étend sur des mois 113 11.3 % Le symptôme que j’ai est incurable par la médecine 71 7.1 % Tolérance 38 3.8 % Laisser-aller : la non conscience de la maladie 37 3.7 % Fluctuance de la symptomatologie 27 2.7 % Non disponibilité : Temps 22 2.2 % Autres 12 1.2 % Automédication 10 1% Difficulté d’accès géographique 9 0.9 % Peur des effets secondaires des médicaments 7 0.7 % Conclusion Le retard diagnostique en rhumatologie est un problème qui concerne tout le monde. Il influence la prise en charge thérapeutique ainsi que le pronostic de la maladie. On aura encore bien des défis à relever dans les années à venir, et on devrait agir tous pour réduire ce retard. En effet, des efforts sont encore nécessaires afin d’organiser le système de santé. Assurer une formation continue pour les médecins généralistes afin d’actualiser leurs connaissances sur la prise en charge des pathologies rhumatismales. Faire participer activement les malades et les associations de malades. Organiser des compagnes médicales de dépistage des pathologies rhumatismales chez les populations ayant des contraintes matérielles ou géographiques pour accéder aux soins dans les grands hôpitaux. Conflits d’intérêt Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt. Références 1. World Health Organization. Global Health Observatory, World Health Statistics. Disponible sur: http://www.who.int (consulté le 13.11.2010). 2. Palm O, Purinszky E. Women with early rheumatoid arthritis are referred later than men. Ann Rheum Dis 2005; 64 (8):1227-8. 3. Hernández-García C, Vargas E, Abásolo L, Lajas C, Bellajdell B, Morado IC et al. 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