Une publicité insulte les conseillers Yves Bonneau et l’équipe de Conseiller.ca Une publicité de Gestion FÉRIQUE parue récemment dans le journal Les Affaires soulève l’ire des conseillers. « Attention aux requins de la finance qui ont plus à cœur leur enrichissement que le vôtre ! », clame la brochure du fonds des ingénieurs du Québec. Dans le paragraphe d’introduction, Gestion FÉRIQUE remet en question « l’intégrité et la compétence des conseillers financiers [qui] ont fait amplement les manchettes de l’actualité ces dernières années ». Plus loin, on peut lire : « La plupart des courtiers, conseillers et planificateurs financiers reçoivent des comwww.conseiller.ca missions des sociétés de fonds lorsqu’ils vendent leurs produits, ce qui peut remettre en cause leur objectivité en matière de service-conseil. Heureusement, ce n’est pas le cas chez Gestion FÉRIQUE. Notre seul intérêt est de vous offrir des conseils judicieux pour vos placements et vos finances afin de vous aider à atteindre vos objectifs. » « C’est de la diffamation ! Gestion FÉRIQUE associe les conseillers rémunérés à commission à des requins, à des fraudeurs », s’insurge Larry Bathurst, président du Regroupement indépendant des conseillers de l’industrie financière du Québec (RICIFQ). Il ne comprend pas pourquoi une société de fonds communs, qui réserve ses produits aux ingénieurs du objectif conseiller 26 Québec et à leur parenté, s’en prend à l’ensemble des conseillers. « Gestion FÉRIQUE dit que ses frais de gestion sont de 0,69 % et ceux des fonds concurrents, de 2,32 %. Ensuite, elle laisse croire aux consommateurs que les représentants indépendants empochent la différence au détriment des investisseurs. Toute l’industrie sait que c’est faux. Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce n’est pas de bonne guerre. » Étonnamment, les entreprises que Gestion FÉRIQUE attaque par la bande préfèrent garder le silence ou font montre de circonspection. « Nous ne commentons pas les publicités de nos concurrents », affirme Chris Pepper, porteparole de Fidelity Investments Canada. À AIM Trimark, nos demandes d’entrevue sont demeurées sans réponse. Du côté de Standard Life du Canada, on réagit avec prudence. L’entreprise trouve dommage que la publicité de FÉRIQUE mette l’accent sur des éléments négatifs. « C’est toujours plus profitable de mettre en lumière ce qu’on fait de bon », dit Ann-Marie Gagné, directrice des communications externes et des affaires publiques. La brochure de Gestion FÉRIQUE indique que ses fonds sont distribués par Placements Banque Nationale. Comment ce cabinet, l’un des plus importants au Québec, apprécie-t-il cette publicité ? « Nous ne commentons pas les réclames produites par les sociétés de fonds autres que la Banque Nationale. Nous ne faisons que distribuer ces produits », dit Marie-Claude Lavigne, porte-parole de la Banque Nationale. Nous avons demandé si la Banque Nationale approuvait qu’un de ses fournisseurs qualifie de « requins » ceux qui ne travaillent pas pour lui. « Pas de commentaires », répète Mme Lavigne. Le RICIFQ n’entend pas en rester là. « C’est fini le temps où nous laissions passer de telles attaques », lance Larry Bathurst. Le RICIFQ a songé à porter plainte à l’AMF. Mais il a plutôt demandé à ses membres d’intervenir individuellement. « Si l’AMF reçoit 250 ou 300 plaintes au sujet de Gestion FÉRIQUE, elle va se rendre compte qu’il s’agit d’une affaire importante », dit Larry Bathurst. Jusqu’ici, deux plaintes ont été déposées à l’AMF. Mais ce sera probablement peine perdue, car rien dans la loi ne permet à l’AMF d’intervenir. « Ni sur le style, ni sur le contenu de la publicité », précise Frédéric Alberro, porte-parole de l’AMF. Certes, les firmes de fonds communs qui présentent les rendements de leurs produits doivent respecter plusieurs conditions. Dans le cas de Gestion FÉRIQUE, « l’AMF n’a relevé aucune anomalie. » Des juristes spécialisés en valeurs mobilières consultés nous ont pourtant confirmé qu’on trouvait au règlement 81-102 sur les organismes de placement collectif ainsi qu’à l’instruction relative au règlement 81-102, amplement matière à sévir. Comme la publicité de Gestion FÉRIQUE vise particulièrement les planificateurs financiers, nous avons demandé l’avis de Gilles Sinclair, président du conseil de l’Institut québécois de planification financière (IQPF). « J’aurais aimé savoir comment sont rémunérés les planificateurs financiers de Gestion FÉRIQUE. On n’en parle nulle part. De plus, si les gens qui vendent des fonds communs sont des requins, comment qualifier les représentants de Gestion FÉRIQUE ? Ne sont-ils pas partie prenante de l’industrie des services financiers ? Sont-ils les seuls à être de petits poissons rouges ? » Gilles Sinclair rappelle que les planificateurs financiers ne vendent pas de produits. Ils proposent des conseils, formulent des recommandations. « La vente de produits financiers relève d’une tout autre catégorie de permis », note-t-il. Il espère que les planificateurs financiers au service de Gestion FÉRIQUE travaillent avec éthique. « Comment peuvent-ils se prétendre neutres s’ils ne recommandent que les fonds FÉRIQUE ? Que feront-ils s’ils se rendent compte que les fonds communs d’autres sociétés sont meilleurs que les leurs pour un client donné ? » Se disant « peu fier » de cette publicité, il souligne que le premier conseil qu’on inculque aux professionnels des services financiers, c’est « de ne jamais bâtir sa réputation au détriment des autres ». C’est d’ailleurs ce que les codes de déontologie de la Chambre stipulent. À l’article 14 du règlement sur la déontologie dans les discipline de valeurs mobilières, il est écrit: «Les activités professionnelles du représentant doivent être menées de manière responsable avec respect, intégrité et compétence». Aussi, à l’article 32 du code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière, on y lit: «Le représentant ne doit pas dénigrer, dévaloriser ou discréditer un autre représentant, un cabinet, une société autonome, un assureur ou une institution financière.» mars 2008 27 www.conseiller.ca Une publicité insulte les conseillers Encore une fois, les conseillers devront relever leurs manches. « Cette publicité est honteuse. Elle dénigre le réseau de distribution dans son entier et l’intégrité de tous les conseillers. Après Norbourg, Mount Real et Triglobal, nous n’avions vraiment pas besoin de ça », tonne André Gagnon, représentant en épargne collective, conseiller en sécurité financière et conseiller en assurances collectives. En exercice depuis une dizaine d’années, André Gagnon est un conseiller indépendant rattaché aux cabinets Mica Capital, à Québec : il s’apprêtait à envoyer son formulaire de plainte. « Il faut mettre fin à ces attaques qui viennent de toutes parts. » Il pense notamment à l’enquête du groupe Option consommateurs, « menée de manière non professionnelle et qui s’est ramassée dans tous les médias ». Le magazine Protégez-vous continue toujours d’utiliser la première page du numéro conspué dans sa campagne d’abonnement, malgré le désaveu de l’AMF. André Gagnon estime que toute la société sort perdante de ce genre de pratique. Selon lui, les consommateurs, mal informés à propos du travail des professionnels de l’industrie des services financiers, se tournent vers les grandes institutions financières pour s’y procurer des CPG et autres produits apparemment sans risque. « Ce faisant, les clients se pénalisent eux-mêmes, car leurs portefeuilles sont mal équilibrés. » La planification financière de leur retraite, par exemple, est loin d’être optimale. Ils risquent de manquer d’argent durant leurs vieux jours et de réclamer l’aide de l’État (par le programme du Supplément de revenu garanti, entre autres) pour boucler leurs fins de mois. « Quand on voit les efforts que déploient les conseillers pour répondre aux besoins de leurs clients, j’aurais honte d’être à la place de Gestion FÉRIQUE. » Rejointe aux bureaux de l’organisme à but non-lucratif, la directrice du marketing de Gestion FÉRIQUE, Manon Duhamel, ne voit pas les choses du même œil. L’encart inséré dans le journal Les Affaires et dans plusieurs autres journaux à travers le Québec (elle a refusé de dévoiler le tirage) à la fin janvier est, selon elle, un appel à la prudence et visait surtout les responsables de scandales financiers « à la Vincent Lacroix ». « La plupart des gens (épargnants) comprennent de quoi on parle et font le lien en général. On ne peut nier que ça existe. Pris dans son ensemble, c’est une métaphore qui veut dire : ‘on fait attention à ceux qui ne veulent pas que le bien des investisseurs’, commence-t-elle. On ne ciblait pas les conseillers en particulier. Si cela a été perçu ainsi par certaines personnes, ce n’était pas l’objectif que nous visions. Est-ce que le texte aurait pu être plus nuancé ? Je vous l’accorde ! » admet enfin Mme Duhamel. La directrice du marketing de Gestion FÉRIQUE insiste pour dire que la campagne ne fait pas de généralisation, mais met seulement les gens en garde contre ceux qui ne sont pas honnêtes « …et il y en a, vous ne pouvez nier ça ! », souligne-telle. Toujours selon Mme Duhamel, cette campagne élaborée à l’interne qui a été produite pour la première fois en janvier 2007, a eu le mérite d’initier le dialogue entre les conseillers et les clients au sujet de la rémunération. Plusieurs épargnants auraient confié à Gestion FÉRIQUE ne pas être au courant que leur conseiller actuel touchait des commissions pour ses conseils en placement. « On déplore que des conseillers se sentent visés, mais dites-le (aux clients) : ‘Nous, on n’est pas comme ça…’ », conseille-t-elle. Mme Duhamel conclut en faisant remarquer que la campagne ne fait qu’expliquer que les trois planificateurs financiers de Gestion FÉRIQUE sont salariés et, donc, entièrement objectifs. « Si vous travaillez dans le domaine, vous savez très bien qu’il y en a qui sont drivés par les commissions et qui ne donnent pas les conseils auxquels le client devrait s’attendre. On ne dit pas que c’est l’ensemble de l’industrie, mais on dit que ça existe. On dit aux gens de faire attention, c’est tout », renchérit Mme Duhamel. « C’est une industrie basée sur la confiance, et nous sommes un organisme à but non lucratif, nos conseillers sont à salaire, notre conseil d’administration est bénévole. Nous, on ne travaille pas pour les profits, on travaille pour vous (le client). Tout le monde sait que dans l’industrie, il y a des frais cachés (en parlant du rendement), chez nous il n’y en a pas », laisse-t-elle tomber. n.d.l.r. : Au moment d’aller sous presse, Mme Duhamel a communiqué à Objectif Conseiller que la dite campagne avait été retirée de leur site. Elle a présenté ses excuses au nom de Gestion Férique à ceux qui ont été offensés par le texte de cette publicité. www.conseiller.ca objectif conseiller 28