ST. MICHAEL’S HOSPITAL Cardiologie UNIVERSITY OF TORONTO RAPPORT DE LA DIVISION DE CARDIOLOGIE S T. M I C H A E L ’ S H O S P I T A L , U N I V E R S I T É D E T O R O N T O Actualités scientifiques MC 4 5 E S E S S I O N S C I E N T I F I Q U E D E L’ A C C , D U 2 4 A U 2 7 M A R S 1 9 9 6 , O R L A N D O , F L O R I D E Réexamen de l’innocuité et l’efficacité des inhibiteurs des canaux calciques réducteurs de la fréquence cardiaque Présenté par : WILLIAM E. BODEN, M.D. Rédigé et présenté par : Shaun Goodman, M.D. Les résultats de méta-analyses et d’études cas-témoins récentes et ceux qui la réduisent (le diltiazem ou le vérapamil). portent à croire que l’administration des inhibiteurs des canaux Boden et ses collègues1 ont mené une analyse a posteriori calciques d’action brève, particulièrement les dihydropyridines, des données regroupées qui sont issues de trois essais randomisés, à des sous-groupes de patients souffrant d’hypertension et menés auprès de 5 677 patients ayant subi un infarctus du myo- d’ischémie aurait un effet nocif. Ces préoccupations concernant carde (IM), qui comparaient un inhibiteur des canaux calciques l’innocuité et l’efficacité de ces médicaments ont créé un climat réducteur de la fréquence cardiaque à un placebo. La population d’incertitude chez les médecins traitants; elles ont semé la à l’étude incluait tous les patients qui avaient participé aux premier2 confusion et suscité des craintes chez des milliers de Canadiens et second3 essais Danish Verapamil Infarction Trial (DAVIT I : qui prennent ces médicaments pour traiter l’hypertension ou la n = 1 436; DAVIT II : n = 1 775) et à l’essai Multicentre Diltiazem maladie cardiaque ischémique dont ils sont atteints. Post Infarction Trial4 (MDPIT: n = 2 466)4. Les critères d’admis- Lors de la présentation d'un résumé1 au cours de la 45e ses- sibilité à ces trois essais étaient semblables : être un homme ou sion scientifique annuelle de l’American College of Cardiology une femme de moins de 75 ans et avoir subi un infarctus du (27 mars 1996), le D r William Boden a critiqué les études cas-té- myocarde confirmé par le dosage des enzymes cardiaques. Au moins qui discréditent l’utilisation des inhibiteurs des canaux cours de l’essai DAVIT I2, le traitement au vérapamil a été calciques, parce que celles-ci étaient rétrospectives et non rando- administré d’abord par voie intraveineuse (0,1 mg/kg), puis par misées. De plus, il a souligné que la plupart des méta-analyses voie orale (120 mg t.i.d.), dans les 6 à 24 heures suivant la ont utilisé des données regroupées sur des inhibiteurs des survenue de l’IM, et a été poursuivi pendant une période allant canaux calciques ayant des effets pharmacologiques opposés; jusqu’à six mois. Dans l’essai DAVIT II3, le traitement au ceux qui accroissent la fréquence cardiaque (les dihydropyridines) vérapamil per os (120 mg t.i.d.) a été amorcé dans les 8 à 14 Division de cardiologie Luigi Casella, M.D. Robert J. Chisholm, M.D. Paul Dorian, M.D. Michael R. Freeman, M.D. Shaun Goodman, M.D. Robert J. Howard, M.D. Anatoly Langer, M.D. Gordon W. Moe, M.D. Juan Carlos Monge, M.D. Duncan J. Stewart, M.D. (chef) David Newman, M.D. Bradley H. Strauss, M.D. Trevor I. Robinson, M.D. Kenneth R. Watson, M.D. St. Michael’s Hospital, 30 Bond St., Toronto, Ontario M5B 1W8 Télécopieur : (416) 864-5336 Les opinions exprimées sont exclusivement celles des membres de la division. Publié grâce à des subventions sans restrictions. jours après l’IM et a été poursuivi pendant une période allant jusqu’à 18 mois (moyenne: 16 mois). Dans l’essai MDPIT4, le traite- Mort cardiaque ou récidive d’infarctus en % (p=0,04) ment au diltiazem (60 mg q.i.d.) a été amorcé per os dans les 3 à placebo 30 15 jours après l’IM et a été poursuivi pendant une période allant jusqu’à 52 mois (moyenne: 25 mois). La période moyenne de suivi 27% inhibiteur Ca++ réducteur de la FC 25 21% pour l’analyse des données regroupées était de 550 ± 376 jours 20 (environ 18 mois). Noter que l’usage de bêta-bloquants était interdit dans les essais DAVIT I et DAVIT II. Par contraste, 52 % 15 des patients de l’essai MDPIT ont pris des bêta-bloquants oraux. 10 Les taux combinés des événements cardiaques (mort cardiaque ou récidive d’infarctus) étaient de 18% dans le groupe inhibiteur 5 des canaux calciques réducteur de la fréquence cardiaque, comparativement à 20 % dans le groupe placebo. Cette diffé- 0 Figure 3 Patients présentant des antécédents d’hypertension rence absolue de 2 % (relative de 10 %) est associée à une valeur Dans une deuxième analyse, Boden et ses collègues ont de P bilatérale de 0,018 (voir figure 1). La courbe actuarielle de survie exempte d’événements cardiaques est présentée à la figure 2. comparé des patients avec (n = 1 325) et sans (n = 4352) antécédents d’hypertension. Les patients avec antécédents d’hyper- Mort cardiaque ou récidive d’IM en % (p=0,18)† tension (figure 3) qui avaient subi un IM et à qui l’on avait administré des inhibiteurs des canaux calciques réducteurs de la 30 placebo 25 inhibiteur Ca++ réducteur de la FC 20 % 20 18 % fréquence cardiaque présentaient un taux d’événements cardiaques nettement moindre que ceux à qui l’on avait administré un placebo (21% c 27%, p=0,004). En revanche, il n’y avait aucune différence dans les taux de mortalité cardiaque 15 ou de récidive d’infarctus parmi les patients sans antécédents d’hypertension qui avaient subi un IM. 10 582 2,849 5 515 2,827 Le Dr Boden a conclu que l’utilisation des inhibiteurs des canaux calciques réducteurs de la fréquence cardiaque comme prophylaxie secondaire, suite à un IM, n’était pas associée à un 0 † Comparaison Kaplan-Meyer; test de Wilcoxon généralisé taux accru d’événements cardiaques à long terme. En fait, Figure 1 comparé à un placebo, le diltiazem ou le vérapamil a été associé Courbe actuarielle de survie à une réduction absolue globale de 2 % (relative de 10 %) des événements cardiaques (mort cardiaque et récidive d’infarctus non mortelle). Cependant, le Dr Boden semble indiquer que cette réduction statistiquement significative du taux global des inhibiteur Ca++ (n=2,827) événements cardiaques était symbolique et qu’il ne fallait pas en placebo (n=2,849) faire une interprétation abusive, car il s’agissait d’une analyse a posteriori. Cette analyse de données regroupées met en relief l’impor- Mois tance de bien distinguer les inhibiteurs des canaux calciques qui Figure 2 Cardiologie Actualités scientifiques augmentent la fréquence cardiaque de ceux qui la réduisent5. signification quasi statistique, le Dr Yusuf laisse croire que les Elle confirme aussi les résultats d’une méta-analyse qui a démontré résultats de ce type de méta-analyse cumulative (dans laquelle que le diltiazem et le vérapamil permettaient de réduire le risque les données sont regroupées chaque fois que les résultats d’un de récidive d’infarctus non mortel (risque relatif = 0,79, intervalle essai sont connus) doivent être interprétés avec circonspection, de confiance à 95 %; 0,67 à 0,94) sans aucun effet indésirable à moins que l’évidence ne soit criante. Il a souligné le rôle établi sur la mortalité6. Les avantages sont particulièrement notables des bêta-bloquants dans la prévention secondaire et a suggéré chez les patients ne souffrant pas d’insuffisance cardiaque ou de qu’une étude définitive d’un inhibiteur des canaux calciques dysfonction ventriculaire gauche grave (fraction d’éjection < 40%). réducteur de la fréquence cardiaque, menée auprès d’un échan- En outre, le diltiazem (et peut-être aussi le vérapamil) semble tillon suffisant, serait nécessaire pour démontrer de façon probante réduire le risque d’événements cardiaques de 25 à 35 %7-8, chez une réduction cliniquement significative du risque d’événements les patients ayant subi un infarctus incomplet. Par conséquent, il cardiaques (mort et récidive d’infarctus non mortel). semble sage de retenir que les inhibiteurs des canaux calciques ne sont pas tous égaux10. Deux essais prospectifs sur l’innocuité et l’efficacité du diltiazem à action prolongée étudieront la question plus en Un autre rapport décrivant les résultats de l’essai CRIS (Calcium profondeur. Actuellement, l’étude INTERCEPT13 (Incomplete Antagonist Reinfarction Italian Study) a été publié récemment Infarction Trial of European Research Collaborators Evaluating dans l’American Journal of Cardiology11. Dans cet essai multi- Prognosis Post Thrombolysis) recrute des sujets qui ont subi un centrique, mené à double insu, avec répartition aléatoire et seul IM aigu non compliqué (sans insuffisance cardiaque ou comparaison avec un placebo, pour évaluer l’effet du vérapamil dysfonction ventriculaire gauche), de 36 à 96 heures avant administré après un infarctus du myocarde, 531 patients ont été d’avoir reçu un traitement thrombolytique. Cette étude multi- répartis aléatoirement pour recevoir du vérapamil à action centrique, à double insu, randomisée et contre placebo compare prolongée (360 mg/j) et 542 autres pour recevoir un placebo, de le diltiazem à action prolongée (300 mg/j) administré avec de 7 à 21 jours (13,8 en moyenne) après l’IM. L’essai CRIS a été l’aspirine (160 mg/j) à l’aspirine administrée seule, chez un peu mené entre 1985 et 1987 auprès de patients âgés de 30 à 75 ans moins de 1 000 patients. L’objectif principal de cette étude est (âge moyen de 56 ans) sans antécédents d’insuffisance cardiaque d’évaluer l’effet de ces deux traitements sur la morbi-mortalité grave. Au cours de la période moyenne de suivi de 23,5 mois, clinique à six mois (mort cardiaque, récidive d’infarctus non 5,5 % des patients sont décédés. Il n’y avait aucune différence mortel et ischémie réfractaire médicale combinées). Une dans les taux de mortalité totale (5,6 % c 5,4 %) et de mort deuxième étude, l’étude PROTECT (Prospective Reinfarction cardiaque (4,0 % c 4,1 %) entre les groupes vérapamil et placebo. Outcomes in the Thrombolytic Era Cardizem CD Trial), les Le groupe vérapamil avait un taux de récidive d’infarctus non auteurs devraient commencer à recruter des patients qui ont significatif (7,3 % c 9,0 %) et présentait un risque bien moindre subi un infarctus incomplet non compliqué. Cette étude de souffrir d’angine durant la période de suivi (18,8 % c 24,3 %, canadienne, randomisée, à double insu, comparera l’innocuité et p < 0,05). l’efficacité du diltiazem à action prolongée à celles de l’aténolol, Dans un éditorial connexe12, le Dr Salim Yusuf a combiné les tous deux administrés de 24 à 96 heures après la survenue de résultats de l’essai CRIS aux données des essais DAVIT I et l’IM chez un peu moins de 8 000 sujets. Elle évaluera DAVIT II. Parmi les 4 284 patients issus des 3 essais, le taux principalement leurs effets sur la mort cardiaque et la récidive global de mortalité et de récidive d’infarctus non mortel était d’infarctus non mortelle. inférieur dans le groupe vérapamil, comparativement au groupe placebo (15,1 % c 17,2 %; risque relatif de 0,86 %; intervalle de confiance à 95 %; 0,73 à 1,01). Bien que ces données aient une Cardiologie Actualités scientifiques Références 11 Boden WE, Messerli FH, Hansen JF, Schechtman KB. Heart 19. Boden WE. Meta-analysis in clinical trials reporting: has a rate-lowering calcium channel blockers (diltiazem, verapamil) tool become a weapon? [éditorial]. Am J Cardiol 1992; 69: do not adversely affect long-term cardiac death or non-fatal 681-686. infarction in post-infarction patients: data pooled from 3 10. Messerli FH, Weiner DA. Are all calcium antagonists equally randomized, placebo-controlled clinical trials of 5,677 effective for reducing reinfarction rate? [éditorial]. Am J patients [résumé]. J Am Coll Cardiol 1996; 27:319A. Cardiol 1993; 72:818-820. 12. The Danish Study Group on Verapamil in Myocardial 11. Rengo F, Carbonin P, Pahor M, DeCaprio L, Bernabei R, Infarction. Verapamil in acute myocardial infarction. Eur Ferrara N, Carosella L, Acanfora D, Parlati S, Vitale D et les Heart J 1984; 5:516-528. chercheurs de CRIS. A controlled trial of verapamil in 13. The Danish Study Group on Verapamil in Myocardial patients after acute myocardial infarction: results of the Infarction. Effect of verapamil on mortality and major events Calcium Antagonist Reinfarction Italian Study (CRIS). Am J after acute myocardial infarction (the Danish Verapamil Cardiol 1996; 77:365-369. Infarction Trial II - DAVIT II). Am J Cardiol 1990; 66:779-785. 12. Yusuf S. Verapamil following uncomplicated myocardial 14. The Multicenter Diltiazem Postinfarction Trial Research Group. infarction: promising, but not proven. Am J Cardiol 1996; 77: The effect of diltiazem on mortality and reinfarction after myocardial infarction. N Engl J Med 1988; 319:385-392. 321-422. 13. Boden WE, Scheldewaert R, Walters EG, Whitehead A, 15. Held PH, Yusuf S. Effects of beta-blockers and calcium Coltart DJ, Santoni JP, Belgrave G, Starkey IR: Design of a channel blockers in acute myocardial infarction. Eur Heart J placebo-controlled clinical trial of long-acting diltiazem and 1993; 14:18-25. aspirin versus aspirin alone in patients receiving throm- 16. Yusuf S, Held P, Furberg C. Update of effects of calcium bolysis with a first acute myocardial infarction. Au nom des antagonists in myocardial infarction or angina in light of the auteurs de l’étude INTERCEPT (Incomplete Infarction Trial second Danish Verapamil Infarction Trial (DAVIT II) and of European Research Collaborators Evaluating Prognosis other recent studies. Am J Cardiol 1991; 67:1295-1297. Post-Thrombolysis) (diltiazem). Am J Cardiol 1995;75: 17. Boden WE. Management of non-Q-wave myocardial 1120-1123 infarction: role of diltiazem versus beta-blocker therapy [revue]. J Cardiovasc Pharm 1990; 16; suppl. 6:S55-60. 18. Boden WE, Krone RJ, Kleiger RE et coll. Diltiazem reduces long-term cardiac event rate after non-Q wave infarction; Multicenter Diltiazem Postinfarction Trial (MDPIT). Circulation 1988; 319:11-96. ©1996 Division de cardiologie, St. Michael’s Hospital, Université de Toronto, seule responsable du contenu de cette publication. Édition : Snell Communication Médicale Inc. avec la collaboration de la Division de cardiologie, St. Michael’s Hospital, Université de Toronto. Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Tout recours à un traitement thérapeutique, décrit ou mentionné lors des Actualités scientifiques – Cardiologie, doit être conforme aux renseignements d’ordonnance au Canada. Snell Communication Médicale Inc. se consacre à l’avancement de l’éducation médicale continue de niveau supérieur. 120-05-F