Étude REMINDER : un pas vers le blocage précoce des effets des

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Étude REMINDER : un pas vers
le blocage précoce des effets
des minéralo­corticoïdes dans l’infarctus
du myocarde ?
REMINDER trial: a step toward the early blockade of
mineralocorticoides’ effects in myocardial infarction?
“
L’
Farzin Beygui*,
Gilles
Montalescot**
* Service de cardiologie,
hôpital Côte-de-Nacre,
Caen ; Inserm UMRS 937,
Institut de cardiologie, Paris.
** Département de
c­ ardiologie, GH La Pitié-­
Salpêtrière, Inserm UMRS 937,
Institut de cardiologie, Paris.
aldostérone est le médiateur final du système rénineangiotensine-aldostérone. Il exerce des effets délétères
cardiovasculaires directs et indirects, par des mécanismes
endo-, para- et autocrines, passant par des voies génomiques ou non
génomiques. Ces effets sont particulièrement importants à la phase aiguë
de l’infarctus du myocarde, lors de laquelle l’aldostérone est associée à la
survenue d’une fibrose extensive, de remodelage ventriculaire, d’arythmies
ventriculaires et de mortalité. Le bénéfice du blocage des récepteurs des
minéralocorticoïdes (MR) dans les contextes de l’insuffisance cardiaque
chronique (1, 2) ou de l’insuffisance cardiaque postinfarctus récent (3)
en plus du traitement par les inhibiteurs de l’enzyme de conversion
a été largement démontré en termes de mortalité, mortalité subite et
aggravation de l’insuffisance cardiaque. Or, des études récentes ont
montré que les taux d’aldostérone élevés à la phase aiguë de l’infarctus
du myocarde sont associés à la mortalité et aux arythmies ventriculaires,
indépendamment de l’existence ou non de signes d’insuffisance cardiaque (4),
soulevant l’hypothèse du bénéfice d’un blocage précoce des MR dans
l’infarctus du myocarde, y compris en dehors de l’insuffisance cardiaque.
Cette hypothèse vient d’être étudiée dans l’étude randomisée contre
placebo REMINDER, dont les résultats ont été présentés au dernier
congrès de l’American College of Cardiology à San Francisco (5).
L’étude a inclus 1 012 sujets admis pour un infarctus du myocarde avec
sus-décalage du segment ST dans les 24 heures suivant le début des
symptômes, après une analyse de rééchantillonnage (600 patients prévus
au départ). Les patients ayant des signes d’insuffisance cardiaque, une
dysfonction ventriculaire gauche ou une insuffisance rénale étaient exclus
de l’étude.
Les patients recevaient, de façon randomisée, éplérénone 25-50 mg ou
le placebo de celle-ci en plus du traitement habituel. Le critère principal
d’évaluation était un critère composite clinicobiologique associant la
mortalité cardiovasculaire, l’hospitalisation pour insuffisance cardiaque,
la survenue d’une fibrillation ventriculaire ou d’une tachycardie ventriculaire
soutenue, une fraction d’éjection < 40 % ou des taux de B-type natriuretic
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peptid (BNP) ou NT-proBNP élevés plus d’un mois après la
randomisation. L’hypothèse ayant été vérifiée de façon positive dans une
population à haut risque (3), la population cible était par définition à faible
risque, justifiant l’introduction des critères de substitution que constituent
le taux de BNP et la fraction d’éjection.
Après 10,5 mois de suivi, l’étude était positive, le taux de survenue
du critère principal d’évaluation étant significativement plus élevé
dans le groupe placebo que dans le groupe éplérénone (29,6 % versus
18,4 %, HR = 0,57 [0,44-0,74], p < 0,0001). Néanmoins, bien que les taux
de mortalité cardiovasculaire (HR = 0,52 [0,05-5,99]), de nouvelle
hospitalisation (HR = 0,56 [0,20-1,54]) et d’arythmies ventriculaires soient
numériquement plus élevés dans le groupe placebo, le bénéfice n’était
significatif que grâce au critère BNP (25,9 % versus 16 %, p < 0,0002).
Par ailleurs, les taux d’hyperkaliémie comparables entre les 2 groupes
et des taux d’hypokaliémie significativement plus faibles dans le groupe
éplérénone démontrent sa très bonne tolérance dans cette population.
1. Pitt B, Zannad F, Remme WJ
et al. The effect of spironolactone on morbidity and mortality in patients with severe
heart failure. Randomized
aldactone evaluation study
investigators. N Engl J Med
1999;341(10):709-17.
2. Pitt B, Remme W, Zannad F
et al ; Eplerenone Post-Acute
Myocardial Infarction Heart
Failure Efficacy and Survival
Study Investigators. Eplerenone, a selective aldosterone
blocker, in patients with left
ventricular dysfunction after
myocardial infarction. N Engl J
Med 2003;348(14):1309-21.
3. Zannad F, McMurray JJ, Krum
H et al ; EMPHASIS-HF study
group. Eplerenone in patients
with systolic heart failure and
mild symptoms. N Engl J Med
2011;364(1):11-21.
4. Beygui F, Collet JP, Benoliel
JJ et al. High plasma aldosterone levels on admission
are associated with death
in patients presenting with
acute ST-elevation ­myocardial
infarction. Circulation
2006;114(24):2604-10.
5. Montalescot G et al.
REMINDER trial. For the
REMINDER investigators.
Hotline 3. American College of
Cardiology 2013.
6. Beygui F, Vicaut E, Ecollan P
et al. Rationale for an early
aldosterone blockade in acute
myocardial infarction and
design of the ALBATROSS trial.
Am Heart J 2010;160(4):642-8.
REMINDER est sans aucun doute une étude positive sur le critère
principal du jugement, montrant la solidité de l’hypothèse de départ
et la sécurité de l’éplérénone, ce qui pourrait avoir comme conséquence
une amélioration du taux de prescription de cette classe, très largement
sous-prescrite, dans les indications déjà validées. Néanmoins, ses
conséquences en pratique dans l’infarctus non compliqué risquent de
rester limitées en raison de l’absence d’effet significatif démontré sur
les critères de morbimortalité. La valeur pronostique des taux élevés de
BNP, signant une insuffisance cardiaque infraclinique, est bien démontrée
après un infarctus du myocarde, mais le fait qu’il n’y ait pas d’effet
significatif parallèle sur les critères cliniques et échocardiographique peut
brouiller quelque peu le message. Un suivi à long terme pourrait montrer
un bénéfice clinique, mais la probabilité de voir un jour une telle étude est
faible, en raison des coûts supplémentaires que cela engendrerait pour le
promoteur. La raison principale de cette limite est sans doute les très
faibles taux d’événements, en particulier une mortalité quasi nulle dans les
2 groupes (0,2 %). La sélection des patients n’est que partiellement liée aux
critères de non-inclusion éliminant les sujets les plus à risque. Elle est
aussi liée à la sélection des patients par les investigateurs. Le délai moyen
d’introduction du traitement après le symptôme est plus proche de
24 que de 12 heures, excluant la mortalité des premières heures et
réduisant les risques d’arythmies et de mort subite dans la population
incluse et, par conséquent, l’effet de l’éplérénone sur ce critère. De même,
les patients inclus le sont après la reperfusion, excluant de fait ceux ne
bénéficiant pas de ce facteur majeur de bon pronostic dans les délais
recommandés. Dans cette population à très faible risque, un suivi
de 12 mois est probablement insuffisant pour démontrer un bénéfice
clinique. Ces résultats, bien que positifs, montrent de façon plus générale
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la difficulté qu’il y a actuellement à démontrer l’efficacité clinique
des médicaments dans une population bien traitée et à faible risque.
L’étude REMINDER, présentée 60 ans après la découverte
de l’aldostérone et 55 ans après celle du premier inhibiteur des MR,
marque le regain d’intérêt pour ces “vieilles” molécules délaissées
par l’industrie au profit d’autres molécules agissant sur la même voie,
telles que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, les antagonistes
des récepteurs de l’angiotensine et, plus récemment, ceux des récepteurs
de la rénine et les inhibiteurs de l’aldostérone-synthase en cours
de développement. La découverte des MR dans des tissus aussi variés
que l’endothélium, le myocarde, le système nerveux central et celle
de leur activation possible par les glucocorticoïdes mettent ces récepteurs,
plus encore que l’aldostérone elle-même, au centre de l’effet physiologique
et physiopathologique de celle-ci.
F . Beygui déclare avoir des liens
d’intérêts avec les laboratoires
Pfizer, Lilly, Daiichi Sankyo,
AstraZeneca, Servier (honoraires
de présentation, consultant,
bourses de recherche).
L’étude randomisée académique multicentrique ALBATROSS (6)
menée en France devrait bientôt s’achever. Celle-ci, fondée sur la même
hypothèse que REMINDER, avec des critères d’inclusion moins sélectifs,
une population plus importante (1 600 patients) et un critère d’évaluation
uniquement clinique, aura peut-être plus de chances de montrer un
bénéfice en termes de morbimortalité. En attendant les résultats
d’ALBATROSS, REMINDER représente très clairement un “petit” pas vers
le blocage précoce des MR à la phase aiguë de l’infarctus du myocarde.
L’avenir très proche permettra sans doute aux inhibiteurs des MR de jouer
un rôle plus central grâce aux résultats de plus de 150 études répertoriées
dans clinicaltrials.gov, en cours avec éplérénone ou soludactone, dans des
domaines aussi variés que l’hypertension artérielle, l’insuffisance rénale,
le diabète, les cardiopathies à fonction systolique préservée ou non
et les troubles des fonctions supérieures.
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