12 Intégrales à paramètres « La géométrie est l’art de raisonner juste sur des figures fausses. » René Descartes (1596 – 1650) Plan de cours I II III Domaine de définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . R Continuité sous le signe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . R Dérivabilité sous le signe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Z 1 1 4 f (x, t) dt où f : I × J → R. On appelle intégrale à paramètre une intégrale du type J Par commodité, nous noterons g la fonction définie par g(x) = Z f (x, t) dt. J On s’intéresse dans ce chapitre à la régularité de l’application g ainsi définie. I – Domaine de définition Z f (x, t) dt existe. Deux possibilités : Tout d’abord, x ∈ D g ⇐⇒ J • Si J est un segment et si t 7→ f (x, t) est continue alors l’intégrale est bien définie. • Si J n’est pas Z un segment et si t 7→ f (x, t) est continue , il s’agit d’étudier la convergence de l’intégrale f (x, t) dt. impropre J Les résultats suivants feront leur apparition dans le prochain chapitre, nous les admettrons pour le moment. • Si f : (x, t) 7→ f (x, t) est continue sur I × J alors x 7→ f (x, t) est continue sur I Pour tout t ∈ J et t 7→ f (x, t) est continue sur J Pour tout x ∈ I. xy . • La réciproque est fausse comme le montre l’exemple : (x, y) 7→ 2 x + y2 Exercice 1 Déterminer le domaine de définition des fonctions suivantes : Z +∞ −t Z1 e dt g1 : x 7→ dt ; g2 : x 7→ ; 2 2 t+x 0 0 t +x II – Continuité sous le signe Z 1 g3 : x 7→ 0 t2 dt +x R Exercice 2 Z +∞ Montrer que la fonction x 7→ xe−x t dt n’est pas continue sur R+ . 0 Ce dernier exemple montre bien qu’il n’y a aucune raison que la fonction g soit continue malgré la continuité de f par rapport à x. –1– CHAPITRE 12. INTÉGRALES À PARAMÈTRES 1 – Théorème de continuité Z On a g(x) = f (x, t) dt. Quelles hypothèses sur f sont suffisantes pour s’assurer de la continuité de f ? J Théorème 12.1 : Continuité sous le signe R Soient I et J deux intervalles de R et f une fonction réelle ou complexe définie sur I × J telle que : • Pour tout t ∈ J, x 7→ f (x, t) est continue sur I. • Pour tout x ∈ I, t 7→ f (x, t) est continue sur J. • Il existe ϕ : J → R+ continue et intégrable sur J telle que : ∀(x, t) ∈ I × J, | f (x, t)| ¶ ϕ(t) (hypothèse de domination) Z f (x, t) dt est définie et continue sur I. Alors g : x 7→ J • ϕ(t) ne doit en aucun cas dépendre de x ! • C’est un théorème d’interversion de limites : Z f (x, t) dt = lim g(x) = g(x 0 ) = lim x→x 0 x→x 0 J Z f (x 0 , t) dt = J Z lim f (x, t) dt J x→x 0 Remarquons que l’existence de l’intégrale découle de l’hypothèse de domination. Exemple Z +∞ e−t sin(x t) dt. Montrer que g est continue sur R et calculer lim g(x). Soit g : x 7→ x→0 0 • D g = R car l’intégrale est absolument convergente. • Ici, I = R et J = R+ . x 7→ e−t sin(x t) est continue sur R et t 7→ e−t sin(x t) est continue sur R+ . ∀(x, t) ∈ I × J, | f (x, t)| ¶ e−t = ϕ(t) avec ϕ intégrable sur J. On en déduite que g est continue sur R. Z +∞ • g(x) −−→ g(0) = x→0 0 dt = 0. 0 2 – Extension du théorème Dans certains cas, il n’est pas possible de « dominer » la fonction f sur l’intervalle I tout entier. On peut cependant se contenter de vérifier l’hypothèse de domination sur tout segment K inclus dans I, le théorème précédent s’applique encore. Théorème 12.2 : Continuité sous le signe R - extension Soient I et J deux intervalles de R et f une fonction réelle ou complexe définie sur I × J telle que : • Pour tout t ∈ J, x 7→ f (x, t) est continue sur I. • Pour tout x ∈ I, t 7→ f (x, t) est continue sur J. • Pour tout segment K ⊂ I, il existe ϕK : J → R+ continue et intégrable sur J telle que : ∀(x, t) ∈ K × J, | f (x, t)| ¶ ϕK (t) (hypothèse de domination) Z f (x, t) dt est définie et continue sur I. Alors g : x 7→ J –2– Mickaël PROST Lycée Chaptal – PT* Exemple La fonction Γ d’Euler est définie par Γ (x) = Z +∞ e−t t x−1 . 0 Ê Montrer que Γ est définie sur ]0, +∞[. t 7→ e−t t x−1 est continue sur ]0, +∞[. Problèmes en 0 et en +∞. 1 −t x−1 En +∞, e t = o 2 . En 0, e−t t x−1 ∼ t x−1 intégrable ssi 1 − x < 1 i.e. x > 0. t Donc Γ est définie sur ]0, +∞[. Ë Montrer que Γ est continue sur ]0, +∞[. R Utilisation du théorème de continuité sous le signe : x 7→ e−t t x−1 est continue sur R∗+ . t 7→ e−t t x−1 est continue et intégrable sur R∗+ . Impossible d’avoir une domination dur I tout entier : −t Si t < 1 et x − 1 > −1 alors (x − 1) ln t < − ln t donc t x−1 < t −1 et |e−t t x−1 | < e t Cette dernière majoration est optimale mais cette quantité n’est pas intégrable. Dominons f sur [a, b] où (a, b) ∈ R∗+ avec a < b. ¨ a−1 t si t ¶ 1 . Si x ∈ [a, b] alors a − 1 ¶ x − 1 ¶ b − 1. Ainsi, t x−1 ¶ t b−1 si t ¾ 1 ¨ −t a−1 e t si t < 1 . ϕ est bien intégrable sur R∗+ . Posons alors ϕ(t) = −t b−1 e t si t ¾ 1 Donc Γ est continue sur ]0, +∞[. 3 – Cas particulier d’une intégrale sur un segment Lorsque que l’intervalle d’intégration est un segment, sous hypothèse de continuité de f , la fonction g est automatiquement continue. Admettons là encore un résultat du prochain chapitre : si f : (x, t) 7→ f (x, t) est continue sur [c, d] × [a, b] (fermé borné de R2 ) alors f est bornée, i.e. : ∃M ¾ 0 ∀(x, t) ∈ [c, d] × [a, b] | f (x, t)| ¶ M Théorème 12.3 Soit f : (x, t) 7→ f (x, t) continue sur I × [a, b] avec I intervalle quelconque. Z b f (x, t) dt est définie et continue sur I. Alors g : x 7→ a Ce théorème doit être redémontré avant chaque utilisation. Démonstration • f continue sur I × [a, b] donc continue par rapport à t et par rapport à x. • t 7→ f (x, t) est continue sur le segment [a, b] donc intégrable. • L’hypothèse de domination est vérifiée au moins sur tout segment [c, d] ⊂ I : ∀(x, t) ∈ [c, d] × [a, b] | f (x, t)| ¶ Mc,d = ϕ[c,d] Exercice 3 Z 1 cos(x t) dt est continue sur R. 2 0 1+ t Z 1/n n cos t Ë En déduire lim un avec un = dt. n→+∞ 1 + n2 t 2 0 Ê Montrer que x 7→ –3– CHAPITRE 12. INTÉGRALES À PARAMÈTRES III – Dérivabilité sous le signe R Théorème 12.4 : Dérivabilité sous le signe R Soient I et J deux intervalles de R et f une fonction réelle ou complexe définie sur I × J telle que : • Pour tout t ∈ J, x 7→ f (x, t) est de classe C 1 sur I. ∂f • Pour tout x ∈ I, t 7→ f (x, t) est intégrable et t 7→ (x, t) est continue sur J. ∂x • Il existe ϕ : J → R+ continue et intégrable sur J telle que : ∂ f (x, t) ¶ ϕ(t) ∀(x, t) ∈ I × J, ∂x Z f (x, t) dt est de classe C 1 sur I et Alors g : x 7→ J 0 g (x) = ∀x ∈ I Z J ∂f (x, t) dt ∂x ∂f et non pas f . ∂x • C’est encore un théorème d’interversion de limites. • L’hypothèse de domination porte sur • On peut se contenter d’une domination sur tout segment inclus dans I. Exemple Z +∞ Soit g : x 7→ e−t sin(x t) dt. g est définie et continue sur R. 0 Montrer que g est dérivable sur R et calculer g 0 . ∂f On peut appliquer le théorème précédent car est continue par rapport à chacune de ses variables, ∂x l’intégrabilité de t 7→ f (x, t) a déjà été justifié et enfin, + ∂ f ∀(x, t) ∈ R × R (x, t) ¶ te−t ∂x donc l’hypothèse de domination est vérifiée. Z +∞ g est donc dérivable sur R et g 0 (x) = te−t cos(x t) dt. 0 Comme dans le paragraphe précédent, si J est un segment, l’hypothèse de domination est automatiquement ∂f est continue sur [c, d] × [a, b] donc bornée. vérifiée car ∂x Exercice 4 Z +∞ Montrer que g : x 7→ e−t sin(x t) dt est de classe C ∞ sur R. 0 Exemple Retour à la fonction Γ définie par Γ (x) = Z +∞ 0 e−t t x−1 dt. DΓ = R∗+ Ê Montrer que Γ est dérivable sur R∗+ et calculer Γ 0 . ∂f ∂kf ∀(x, t) ∈ (R∗+ )2 (x, t) = ln te−t t x−1 et même (x, t) = lnk te−t t x−1 . k ∂x ∂x –4– Mickaël PROST Lycée Chaptal – PT* ∂f (x, t) est continue sur R∗+ . ∂x • t 7→ f (x, t) est continue et intégrable sur R∗+ (déjà vu) et c’est le cas pour t 7→ ln te−t t x−1 . ∂f ∂f 1 ln t (x, t) = o 2 et en 0, (x, t) ∼ 1−x (intégrale de Bertrand) En effet, en +∞, ∂x t ∂x t ¨ ln te−t t a−1 si t < 1 . • Hypothèse de domination : Soit ϕ(t) = ln te−t t b−1 si t ¾ 1 ∂ f ∀(x, t) ∈ [a, b] × R∗+ , (x, t) ¶ ϕ(t) avec ϕ intégrable sur R∗+ . (intégrale de Bertrand) ∂x Z +∞ • x 7→ Donc Γ est dérivable sur R∗+ et Γ 0 (x) = ln te−t t x−1 dt. 0 Ë Généralisation : Γ est de classe C ∞ sur R∗+ en utilisant le même principe de domination. –5–