La tarification des biens informationnels

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La tari…cation des biens informationnels
Marc Bourreau, Télécom Paris
http://egsh.enst.fr/p2internet/
Cours Economie d’Internet, Université Paris 2, octobre 2005
Introduction
Internet, et plus généralement, les technologies de l’information et de la communication (TIC), ont modi…é la structure de coût de certains biens, les "biens
informationnels".
Un bien "informationnel" : un bien dont la composante "informationnelle"
(transformable en bits d’information) représente une part importante de la
"valeur".
- Les coûts marginaux de reproduction et de di¤usion des biens informationnels
sont devenus, avec le développement, quasiment nuls.
- Les coûts …xes (de création en particulier) ont tendance à diminuer, mais
restent importants, au regard des coûts variables.
Concurrence entre biens informationnels
Un message central dans Shapiro et Varian ("Information Rules") : étant
donnée cette structure de coût (forts coûts …xes, coûts variables quasiment
nuls), la concurrence en prix est à éviter absolument.
Ils font ensuite une liste de "recettes" pour diminuer l’intensité de la concurrence (stratégie de domination par les coûts, stratégie de di¤érenciation,
création de switching costs, protection de la propriété intellectuelle).
Puis, une fois la concurrence éliminée, ils montrent comment on peut tarifer
e¢ cacement face à une telle structure de coût : discrimination par les prix,
bundling, etc.
C’est le cadre de base de beaucoup de modèles qui étudient la tari…cation des
biens informationnels : forts coûts …xes, coûts variables négligeables, situation
de monopole.
Autres caractéristiques
Les biens informationnels se caractérisent aussi souvent (mais pas toujours!)
par :
- la présence d’e¤ets réseaux : exemple de nombreux logiciels ;
- leur nature de "bien d’expérience" : exemple des biens culturels ;
- leur nature de "bien complexe" : exemple des logiciels ou des ordinateurs.
- etc... (une seule ou plusieurs consommations...)
Ces propriétés vont in‡uencer les tari…cations optimales ! Il n’y aura donc
pas "un" modèle de tari…cation, mais "des" modèles, adaptés au type de bien
informationnel étudié.
Quelques éléments descriptifs
La tari…cation des biens informationnels est caractérisée par la coexistence entre
une o¤re "gratuite" (ou plus exactement, un prix égal au coût marginal - nul)
et une o¤re "payante".
O¤re gratuite : beaucoup de services sur Internet (mail, hébergement, messagerie instantanée, ...), des logiciels (freeware), des contenus (presse), etc. +
piratage.
O¤re payante : depuis 2001-2002, beaucoup de fournisseurs de services ou de
contenus cherchent à faire payer leurs contenus ou services. Exemples :
- Yahoo est passé d’un modèle publicitaire "pur" à un modèle mixte gratuit-payant. Yahoo
dénombrait 4,9 millions de clients payants au 31/12/2003 avec un ARPU de 5$ par mois (les
revenus issus du payant représentent 25% des revenus totaux).
- Nombreuses volte-face des journaux en ligne.
Quelques chi¤res
Une association américaine, l’Online Publishers Association (OPA) réalise des
études annuelles sur la consomattion de contenu payant sur Internet. Selon
l’OPA, en 2003:
- 1 internaute sur 10 environ avait acheté du contenu en ligne au premier
trimestre ;
- les dépenses totales représentaient 1,56 G$ (+19%/2002) ;
- les trois catégories principales étaient "personals & dating", "business content" et "entertainment & lifestyle" ;
- les abonnements représentaient 89% des paiements ; l’abonnement moyen
était de 11$ et le paiement à l’acte moyen de 22$.
Tari…cation des biens informationnels
Plusieurs "modèles" de tari…cation :
- la discrimination par les prix
- la tari…cation en présence d’e¤ets d’externalité
- le "modèle publicitaire"
- la tari…cation des biens informationnels d’expérience
- le piratage
La tari…cation en présence d’externalités
Question : Le piratage peut-il être un béné…ce en présence d’externalités de
consommation ?
Toute une littérature, centrée souvent sur l’industrie du logiciel (voir, entre
autres : Conner and Rumelt (1991), Shy and Thisse (1999), Peitz (2004), et
le survey de Peitz and Waelbroeck (2003)).
Ici : (une version personnelle du) modèle de Amit Gayer et Oz Shy (2004) :
tout dépend de la possibilité de discriminer ou non les consommateurs.
Le modèle
2 consommateurs de logiciels : un consommateur "standard" et un consommateur "orienté support". Le consommateur "orienté support" a une disposition
à payer pour le support, pas le consommateur "standard".
Un consommateur peut acheter le logiciel au prix p ou se procurer une copie
pirate en dépensant un coût c (=piratage) ; la copie a une qualité
1. Copie
parfaite ("numérique") : = 1. Copie dégradée ("analogique") : < 1.
On note n le nombre de consommateurs à l’équilibre. Il y a des externalités de
consommation, i.e., l’utilité d’un consommateur donnée est croissante en n.
Utilité des consommateurs
Utilité nette du consommateur "standard" :
U standard =
8
>
< nV
p
n V
>
: 0
s’il achète le bien
c s’il se procure une copie
sinon
Utilité nette du consommateur "orienté support" :
U support =
8
>
< n (V + S )
n V
>
: 0
c
p s’il achète le bien
s’il se procure une copie
sinon
Résultats
Si le vendeur ne peut pas discriminer par les prix : si le support a su¤isamment de valeur (S > 3V ), le pro…t du vendeur peut augmenter lorsque
augmente et/ou c diminue (e¤et +: augmentation du nombre d’utilisateurs,
e¤et -: contraintes d’incitation plus di¢ ciles à respecter).
Si le vendeur peut discriminer par les prix : le vendeur vend deux versions
de son bien, une orientée support (à prix haut) et une version de base (à prix
bas). L’amélioration des technologies de copies ( augmente et/ou c diminue)
est alors toujours néfaste.
Modèles médias
Question : est-ce que la publicité diminue le prix de vente d’un bien ou d’un
service informationnel ?
Littérature sur les médias : travaux de Gabszewicz, Laussel et Sonnac ; Anderson et Coates ; Nilssen et Sorgard ; etc.
Un modèle simple : Jean Gabszewicz, Didier Laussel et Nathalie Sonnac (2005,
Econ. Letters) : la réponse dépend de l’attitude des consommateurs vis-à-vis
de la publicité.
Le modèle (de "two-sided market")
- Une "plateforme" : un monopole vend un journal au prix p et consacre une
proportion d de son journal à la publicité (double source de revenus)
- Des "lecteurs" : caractérisée par une disposition à payer t répartie uniformément sur [0,1] ; une proportion est publiphobe, les autres sont publiphiles.
L’intensité de la préférence (+ ou -) pour la publicité est notée . Utilité =
1 t
d : utilité dépend de la demande sur le marché de la publicité.
- Des "publicitaires" : caractérisés par leur disposition à payer pour une
publicité ; Utilité( ) = D où D est la demande des lecteurs pour le journal.
Résultats
Si les consommateurs sont plutôt publiphiles : le prix de vente du journal
peut être plus faible (si (1 2 ) < 1=2) ou plus fort (sinon) que sans
publicité.
Si les consommateurs sont plutôt publiphobes : le prix de vente du journal
est toujours plus faible ; si (2
1), alors pas de publicité dans le journal.
Tari…cation des biens d’expérience
Question : quelle proportion de son produit ou de son service un fournisseur
de biens informationnels doit-il proposer pour signaler sa qualité ?
Littérature sur les biens d’expérience : Nelson (1970, 1974), Milgrom et Roberts
(1986), Kihlstrom et Riordan (1984), etc.
Littérature sur les shareware : Gaudel (2003).
Modèle de Bourreau et Lethiais
Marc Bourreau et Virginie Lethiais (2004) : intuitivement, plus on o¤re une
grande partie du bien gratuitement, plus le consommateur peut évaluer la qualité du bien ; par contre, ceci peut diminuer la disposition à payer pour la partie
restante du bien.
Message principal du papier : les deux e¤ets vont en fait dans le même sens,
pour des raisons di¤érentes :
- la version gratuite signale la qualité lorsqu’elle utilisée (e¤et "direct"),
- le fait que proposer une version gratuite est un coût plus élevé pour un
fournisseur de qualité haute que de qualité basse lui permet de se distinguer
("séparer") d’un fournisseur de qualité basse (e¤et "signal").
Le modèle
Un fournisseur propose un bien informationnel au prix p et peut mettre une
partie
de son bien en "version d’essai" gratuite (par exemple : quelques
chapitres d’un livre, quelques titres d’un CD, quelques fonctionnalités d’un
logiciel, etc.).
Les consommateurs sont caractérisés par leur goût pour la qualité ; est
réparti uniformément sur [0,1]. Un consommateur de type a une utilité qx
s’il consomme une proportion x d’un bien de qualité q .
Problématique "bien d’expérience"
Les consommateurs sont incertains sur la qualité du bien informationnel ; leur
"a priori" est qu’il est de qualité "basse" (qL) avec probabilité et de qualité
"haute"(qH > qL) avec probabilité 1
.
Ils peuvent acquérir de l’information sur la qualité du bien en consommant la
version gratuite. La probabilité de recevoir un signal qui donne la vraie qualité
du bien est notée . On suppose que croît avec la taille
de la version
gratuite ; (0) = 0 et (1) = 1. Pas de coût associé à la consommation de la
version gratuite.
Les consommateurs aussi acquérir de l’information en observant la stratégie
( ; p) du vendeur (équilibre Bayésien parfait).
Le jeu
1. La nature détermine le type du vendeur, "qualité basse" ou "qualité haute".
2. Le vendeur choisit la taille
de sa version gratuite et le prix p du bien.
3. Les consommateurs observent et p, révisent leurs croyances, et choisissent de consommer ou non la version gratuite. S’ils consomment la version
gratuite, ils reçoivent un signal avec une probabilité .
4. Finalement, chaque consommateur décide d’acheter ou non le bien.
Résultats
Information parfaite : pas de version gratuite (puisqu’on est en information
parfaite!).
Une in…nité d’équilibres séparateurs : un vendeur de qualité basse ne propose
pas de version gratuite, alors qu’un vendeur de qualité haute propose toujours
une version gratuite.
Une in…nité d’équilibres mélangeants : tous les types de vendeurs proposent
une version gratuite.
Conclusions
D’autres modèles de tari…cation des biens informationnels :
- littérature sur la discrimination par les prix et, en particulier, le "versioning"
- littérature sur le bundling
- littérature l’impact des outils informationnels sur la tari…cation
Beaucoup de modèles se concentrent sur une situation de monopole. Que se
passe-t-il lorsqu’il y a de la concurrence ? Résolutions délicates...
L’économie des produits dérivés
Lorsqu’à partir d’un même contenu, il existe plusieurs sources de revenus liées,
on peut vouloir vendre à très bas prix certains produits pour augmenter les
revenus issus d’autres produits :
- problématique dans les two-sided markets: le business-model doit-il pencher
à gauche ou à droite ?
- mais pas seulement : les spectateurs d’un …lm sont de futurs acheteurs de
produits dérivés...
Références
Bourreau, Marc et Virginie Lethiais, 2004, Pricing Information Goods: Free vs.
Pay Content, à paraître dans Economics of Internet, Eric Brousseau et Nicolas
Curien (eds), Cambridge University Press.
Gabszewicz, Jean, Didier Laussel et Nathalie Sonnac, 2005, Does advertising
lower the price of newspapers to consumers? A theoretical appraisal, Economic
Letters, 87, 127-134.
Gayer, Amit et Oz Shy, 2004, Copyright Enforcement in the Digital Era, à
paraître dans IfoStuden.
Shapiro, Carl et Hal Varian, 1998, Information Rules, Harvard Business School
Press.
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