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NIETZSCHE
du père, la famille était de pasteurs luthériens. Le
père, délicat et cultivé, pasteur lui-même, meurt
dès 1849 (ramollissement cérébral, encéphalite ou
apoplexie). Nietzsche est élevé à Naumburg, dans
un milieu féminin, avec sa soeur cadette Élisabeth.
Il est l'enfant prodige ; on garde ses dissertations,
ses essais de composition musicale. Il fait ses études
à Pforta, puis à Biffin et à Leipzig. Il choisit la philo-
logie contre la théologie. Mais déjà la philosophie le
hante, avec l'image de Schopenhauer, penseur soli-
taire, « penseur privé
n.
Les travaux philologiques
de Nietzsche (Théognis, Simonide, Diogène-Laërce)
le font nommer dès 1869 professeur de philologie à
Bâle.
Commence l'intimité avec Wagner, qu'il avait
rencontré à Leipzig, et qui habitait Tribschen, près
de Lucerne. Comme dit Nietzsche : parmi les plus
beaux jours de ma vie. Wagner a presque soixante
ans ; Cosima, à peine trente. Cosima est la fille de
Liszt ; pour Wagner, elle a quitté le musicien Hans
von Bülow. Ses amis l'appellent parfois Ariane, et
suggèrent les égalités Bülow-Thésée, Wagner-Dio-
nysos. Nietzsche rencontre ici un schème affectif,
qui est déjà le sien et qu'il s'appropriera de mieux en
mieux. Ces beaux jours ne sont pas sans troubles :
tantôt il a l'impression désagréable que Wagner se
sert de lui, et lui emprunte sa propre conception
du tragique ; tantôt l'impression délicieuse que,
avec l'aide de Cosima, il va porter Wagner jusqu'à
des vérités que celui-ci n'aurait pas découvertes
tout seul.
Son professorat l'a fait citoyen suisse. Il est ambu-
lancier pendant la guerre de 70. Il y perd ses derniers
LA VIE
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« fard aux s : un certain nationalisme, une certaine
sympathie pour Bismarck et la Prusse. Il ne peut
plus supporter l'identification de la culture et de
l'Etat, ni croire que la victoire des armes soit un
signe pour la culture. Son mépris de l'Allemagne
apparaît déjà, son incapacité de vivre parmi le:,
Allemands. Chez Nietzsche, l'abandon des vieilles
croyances ne forme pas une crise (ce qui fait crise
ou rupture, c'est plutôt l'inspiration, la révélation
d'une Idée nouvelle). Ses problèmes ne sont pas
d'abandon. Nous n'avons aucune raison de suspecter
les déclarations
d'Ecce Homo,
quand Nietzsche dit
que, déjà en matière religieuse et malgré l'hérédité,
l'athéisme lui fut naturel, instinctif. Mais Nietzsche
s'enfonce dans h. solitude. En 1871, il écrit
La Nais-
sance de la Tragédie,
où le vrai Nietzsche perce sous
les masques de Wagner et, de Schopenhauer : le livre
est mal accueilli par les philologues. Nietzsche
s'éprouve comme l'Intempestif, et découvre l'in-
compatibilité du penseur privé et du professeur
public. Dans la quatrième
Considération intempestive,
Wagner à Bayreuth » p 875), les réserves sur Wagner
deviennent explicites. Et l'inauguration de Bayreuth,
l'atmosphère de kermesse qu'il y 'rouve, les cortèges
officiels, les discours, la présence du vieil empereur
l'écoeurent. Devant ce qui leur semble des c:iange-
ments de Nietzsche, ses ai lis s'étonne-nt. Nietzsche
s'intéresse de plus en plus aux sciences positives, à la
physique, à la biologie, à la médecine. Sa santé même
a disparu ; il vit dans les maux de tête et d'estomac,
les troubles oculaires, les difficultés de parole. Il
renonce à enseigner. « La maladie me délivra lente-
ment : elle m'épargna toute rupture, toute démarche