Grande santé et bonne santé : ontologie et art chez Nietzsche

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Grande santé et bonne santé : ontologie et art chez Nietzsche.
Il est connu que Nietzsche eut une mauvaise santé. Sans jamais être gravement malade,
il était victime de maux quotidiens assez douloureux. Cette quotidienneté de la douleur,
irrémédiablement, influença et sa pensée, et son œuvre entière. Mais au lieu de
percevoir cette douleur perpétuelle comme un obstacle à son travail et son
émancipation, Nietzsche la conçu, ontologiquement, comme une force à traiter. La
douleur n’est plus un handicap, mais une force vive comme réel en soi. C’est là une des
plus belles formes de la Transmutation de toutes les valeurs.
On évitera de voir dans cette transmutation de la douleur l’effectuation
phénoménologique d’un vécu. La douleur nietzschéenne n’est pas une douleur
personnelle. Bien plutôt, elle est une douleur singulière : elle est plus que la douleur
d’un seul et moins qu’une douleur universelle. Cette douleur est celle de quelques-uns.
La douleur singulière est celle de Dionysos, quand la douleur universelle est celle du
Crucifié. Là est probablement la plus grande définition du tragique : sentir, adopter et
métamorphoser la douleur singulière, en faire une force vive. Dionysos et Zarathoustra
sont des êtres souffrants, dont la douleur est la condition de leur bonhomie. Etre traversé
par la souffrance mais ne pas se laisser prendre par elle, la transmuer, la travestir. Lui
faire donner ce qu’elle contient de dynamisme est le programme nietzschéen de la Wille
zu macht. Ce dynamisme, ainsi extrait de la douleur, est ce que Nietzsche appellera La
grande santé.
La grande santé est aristocratique dans la force qu’elle déploie par la souffrance. Le
ressentiment, la haine de soi et de l’Autre, ne proviennent que d’une douleur mal
maîtrisée, subie, et obsédante. Le nihilisme n’est que la douleur d’un monde qui ne sait
rien transmuer, qui ne sait que subir. Le nihilisme n’est que la morale de l’esclave de la
douleur. La bonne santé est alors ce que recherche le nihiliste, et il retient sa vie entière
dans cette quête. Il ne crée pas, n’agit pas, ne transmute rien. Il centre sa vie sur la
bonne santé, elle est une absence de douleur. La seule chose qui compte est une
abnégation du corps dans les forces qu’il peut développer : la bonne santé du nihiliste
contre la grande santé dionysiaque.
L’aristocrate est donc essentiellement créateur. Son art consiste en la transformation du
monde par une douleur ressentie, douleur comme condition de La grande santé.
L’artiste est donc celui qui comprend la douleur, en lui et dans le monde. Artiste
tragique, il transmute cette douleur en un dynamisme souverain qui est la force même
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de l’art. Ainsi, la philosophie nietzschéenne établit une ontologie entre la souffrance du
corps dans sa réalité et l’art qu’elle peut faire naître. Nietzsche transforme sa condition
de sujet souffrant en une souffrance du monde comme dynamisme d’un art souverain.
Les larmes de Dionysos sont la matière de l’art de l’avenir que seul l’aristocrate peut
ressentir. C’est en cela qu’il est créateur, c’est par cela qu’il peut créer un art.
L’ontologie nietzschéenne a pour but un art nouveau, par la transmutation de toutes les
douleurs ressenties comme expressions de l’être, et bien par-delà lui.
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