Nietzsche : un inactuel qui parle encore

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Nietzsche : un inactuel qui parle encore
Paul Valadier*
MŒURS et références morales ont été tellement bouleversées en
plus d’un siècle qu’on peut légitimement se demander s’il est encore
besoin d’user du marteau de la critique, comme le fit Nietzsche à la
fin du XIXe siècle, pour ébranler nos certitudes morales. Lui qui a
voulu essentiellement être un affirmateur (Nur ein Jasagender sein)
n’a-t-il pas été vaincu ou débordé par ses propos négatifs ? N’a-t-il
donc pas été submergé par le nihilisme qu’il annonçait, non sans
effroi d’ailleurs ?
Et pourtant, il se pourrait bien que cet inactuel (Unzeitgemäss)
comme il se voulait aussi, nous parle encore. On ne retiendra ici que
quelques éléments de sa pensée qui peuvent nous éclairer sur la
situation éthique de notre temps. Et l’on partira surtout de sa
Généalogie de la morale1, ouvrage sans doute le plus sombre et le
plus impitoyable que le philosophe de Sils-Maria ait écrit.
Lectures de la volonté
Lorsque Nietzsche décrit le nihilisme comme la dévalorisation
des valeurs les plus hautes, il ne veut pas dire que nous soyons sans
valeurs de référence aucunes. Nous aspirons toujours à la liberté,
nous cherchons à instaurer la justice. Ces valeurs restent des références dont en réalité nul ne peut se passer. Encore faut-il savoir
ce qu’on met sous ces termes. Ici intervient l’idée de généalogie : que
* Directeur de la revue Archives de philosophie.
1. Nietzsche, Généalogie de la morale, Paris, Le livre de poche, 2000.
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Mars-avril 2014
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