L’art a plus de valeur que la vérité
M. Kessler
Au philosophe le réel et à l’artiste l’imaginaire.
Il semblerait que le philosophe doive se contenter de décrire le monde dans sa vérité tandis que
l’artiste devrait créer une réalité originale qui n’imite pas la nature. Mais Nietzsche fait figure
problématique dans cette dichotomie.
On lui a souvent reproché le caractère chaotique de son discours et les contradictions de ses thèses,
appréhendant sa pensée comme un jeu poétique talentueux mais dépourvu de logique. Finalement,
c’est dans la revue des années 1930 de Georges Bataille : Acéphale, que Nietzsche est intronisé
philosophe-artiste, mais cette représentation a encore le défaut d’obscurcir l’aspect rationnel de sa
pensée.
Il convient, pour bien saisir la pensée nietzschéenne, de placer la question de la culture et de la
civilisation en son centre. C’est pourquoi le surhomme est d’abord un philosophe et un artiste, c’est-à-
dire un destructeur et un créateur.
« La question que je pose ici n’est pas de savoir ce qui doit prendre la relève de l’humanité dans la
succession des êtres (car l’homme est une fin), mais bien quel type d’hommes il faut élever, il faut
vouloir, comme le plus riche en valeurs supérieures, le plus digne de vivre, le plus assuré d’un avenir.
Ce type d’hommes d’une valeur supérieure s’est déjà bien souvent présenté, mais à titre de hasard
heureux, à titre d’exception, jamais parce que voulu. Au contraire, c’est lui qu’on a justement le plus
redouté, il était jusqu’ici presque la chose redoutable en soi ; –et cette crainte a fait qu’on a voulu,
dressé, obtenu le type contraire : l’animal domestique, l’animal de troupeau, l’homme animal malade,
– le chrétien…» L’antéchrist, §3.
Assumer pleinement sa finitude et acquiescer sans réserve au caractère tragique de l’existence sont les
deux caractéristiques principales du surhomme. En ce sens, le surhomme assure la relève de Dieu. Son
créateur étant mort, c’est-à-dire la croyance en Dieu tombée en désuétude, l’individu contemporain
doit ou bien s’abîmer dans le gouffre d’un nihilisme synonyme d’absurdité et de mort ou bien prendre
la relève du créateur en redéfinissant l’essence de l’homme comme artistique. Une telle essence ne
peut être elle-même qu’une création et non pas une réalité inscrite dans son être.
« L’homme est l’animal dont le caractère propre n’est pas encore fixé. » Par-delà Bien et Mal, §62
Avec Nietzsche, l’essence de l’homme accède à la reconnaissance de son caractère historial. C’est dire
que l’homme ne répond à aucune nature éternelle. Il est conçu comme un être en devenir perpétuel.