
III 
L’autre cible de l’éternel retour est bien évidemment l’espoir né des Lumières, d’un progrès continu 
de la raison vers une aube radieuse de l’humanité réconciliée. 
Le  faux  athéisme  induit  par  la  croyance  dans  la  toute  puissance  de  la  science  entraîne  l’espoir  de 
soumettre  l’ensemble  de  la  réalité,  y  compris  et  surtout  la  réalité  morale  et  politique,  à  des  lois 
rationnelles. La transformation de la morale et de la politique en « phénomènes » régis par des lois 
qu’il suffirait de formuler exactement pour contrôler la réalité, ce positivisme scientiste, donc, a pour 
corollaire  l’égalitarisme  et  le  socialisme  dont  la  face  cachée  est  la  dépendance  à  l’égard  de  l’Etat 
sommé d’être parfait pour mieux tout administrer. 
Nietzsche voit très clairement le lien qui s’établit ainsi de manière perverse entre une radicalisation de 
l’esprit égalitariste et la tyrannie menaçante d’un Etat ou d’hommes providentiels clamant de réaliser 
sur Terre le Royaume : «  la démocratisation de l’Europe est en même temps, et sans qu’on le veuille, 
une école des tyrans. » (Par-delà Bien et Mal, §242). 
Cela ne signifie pas néanmoins que l’idée de justice n’ait trouvé chez Nietzsche aucun écho ; bien au 
contraire, il y a selon lui, « une espèce toute différente de génie, celui de la justice, et je ne peux du 
tout  me  résoudre  à  l’estimer  inférieur  à  quelqu’autre  forme  de  génie  que  ce  soit,  philosophique, 
politique ou artistique. » (Humain, trop humain, I, §636) ; ce qui anime ce génie-là, c’est une passion 
que Nietzsche dit être nouvelle : LA PROBITE. 
Cette passion a la particularité de s’allier sans heurt avec l’idée d’éternel retour puisqu’elle s’exerce à 
l’encontre d’elle-même dès qu’elle menace de se faire vertu (Par-delà Bien et Mal, §227). La probité 
est en effet, passion première puisque, à moins d’y préférer la « mauvaise foi », elle s’exerce d’abord 
envers  nous-mêmes  avant  de  s’exercer  à  l’égard  des  autres ;  même  la  simulation  intentionnelle 
primitive repose sur la probité envers soi.