La Lettre du Pharmacologue - Volume 15 - n
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3 - mars 2001
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DOSSIER
CYP 3A4 in vitro (10), et sans interaction pharmacocinétique
avec le flunitrazépam, ce qui rend peu vraisemblable que l’ac-
cumulation de benzodiazépines puisse expliquer les décès
constatés sous l’association BHD-benzodiazépines (11).
Excrétion
Quatre-vingt-dix pour cent de la dose administrée est éliminée
par voie biliaire, essentiellement sous forme de BU et NBU
glucuro-conjuguées ; les concentrations dans la bile sont très
supérieures aux concentrations plasmatiques. Après déconju-
gaison par la flore intestinale, la BU et la NBU libérées font
l’objet d’une recirculation entérohépatique. Une partie de la
dose administrée est également éliminée par voie rénale, sous
forme de métabolites glucuro-conjugués et, en moindre quan-
tité, de norbuprénorphine et de buprénorphine. La demi-vie
d’élimination terminale de la buprénorphine est de l’ordre de
20 à 25 heures.
Propriétés pharmacodynamiques
La buprénorphine présente une affinité variable pour les diffé-
rents types de récepteurs aux opioïdes endogènes et une acti-
vité intrinsèque différente sur chacun d’eux. L’affinité de la BU
pour les récepteurs µ,dont les ligands endogènes sont les enké-
phalines et la β-endorphine, est environ 2 000 fois supérieure
à celle de la morphine, pour laquelle elle est donc un compéti-
teur redoutable. De plus, la BU se dissocie très lentement de
ces récepteurs, avec une demi-vie de fixation de l’ordre de
40 minutes, contre quelques millisecondes pour la morphine,
ce qui lui confère des effets prolongés. Néanmoins, la BU n’est
qu’un agoniste partiel de ces récepteurs et son effet maximal
est inférieur à celui de la morphine, ce qui est désigné sous le
terme “d’effet plafond” (12). Par la stimulation de ces récep-
teurs µ,la buprénorphine possède des propriétés antalgiques,
euphorisantes, mais elle entraîne aussi une dépression respira-
toire. Son métabolite, la NBU, a une faible activité analgésique
intrinsèque sur les récepteurs µ(13) ; à très forte concentration
plasmatique chez l’animal, elle induit une dépression respira-
toire (14), probablement en stimulant les récepteurs µpulmo-
naires, mais les doses nécessaires sont sans commune mesure
avec celles résultant de l’administration de buprénorphine haut
dosage (BHD) chez l’homme.
Sur les récepteurs κ,dont les ligands endogènes sont les dynor-
phines, la buprénorphine possède des effets complexes : elle
est antagoniste des récepteurs κ2,qui sont responsables des
effets dysphoriques engendrés par d’autres opiacés, et elle est
agoniste des récepteurs κ1et κ3,ce qui renforce son activité
antalgique (15).
La buprénorphine a une faible affinité pour les récepteurs δ,
dont les ligands endogènes sont les enképhalines, ce qui se tra-
duit par l’absence de “flash” lors de l’administration.
En réponse à une stimulation prolongée par la BHD, il a été
montré chez l’animal une désensibilisation des récepteurs µ
dans le cortex frontal et occipital, dans le thalamus, l’hippo-
campe, le striatum et le tronc cérébral, ainsi qu’une surexpres-
sion des récepteurs κ1dans le cortex frontal, pariétal et occi-
pital, de même que dans le striatum (16). La désensibilisation
par phosphorylation des récepteurs µest toutefois minime par
rapport à celle induite par les agonistes complets de ces récep-
teurs (tels que l’étorphine) ou par la morphine (17).
MODALITÉS D’ADMINISTRATION
En France, la BHD (Subutex®) est disponible sous forme de
comprimés sublinguaux à 0,4 mg, 2 mg et 8 mg, et le schéma
d’administration recommandé est d’une prise par jour. Cette
prise unique quotidienne est justifiée par la durée d’action de
la buprénorphine au niveau cérébral, liée à la stabilité du com-
plexe buprénorphine-récepteurs, plus que par ses caractéris-
tiques pharmacocinétiques.
De nombreuses études étrangères, en particulier américaines,
ont même démontré la possibilité d’administrer des doses plus
importantes un jour sur deux, un jour sur trois, voire un jour
sur quatre (18).Ces études chez le volontaire, toujours en condi-
tion expérimentale, ont montré une augmentation de la concen-
tration plasmatique maximale de buprénorphine en fonction de
la dose unitaire, sans effets indésirables notables. La motiva-
tion de ces études est liée à l’hypothèse d’une dispensation de
la BHD en centres spécialisés aux États-Unis, encore à l’étude.
En effet, des administrations (et donc des visites au centre) plus
espacées signifieraient plus de capacité d’accueil dans ces
centres et plus de liberté pour le patient.
La BHD a même été testée dans des programmes de désin-
toxication, du fait des faibles syndromes de manque qu’elle
entraîne et de sa propriété à antagoniser partiellement les autres
opiacés (19). Une revue de la littérature a montré que toutes les
études ayant comparé l’efficacité de la buprénorphine et de la
clonidine dans les cures de sevrage en 10 jours ou moins
rapportaient un syndrome de manque moins sévère sous BU,
avec un taux de succès variant de 65 à 100 %, selon les critères
choisis (20).
EFFETS CLINIQUES DE LA BUPRÉNORPHINE
À faible dose, la BU est utilisée depuis près de 20 ans pour ses
propriétés analgésiques, dans plus de quarante pays. Son utili-
sation à forte dose depuis 1996 en France a permis de vérifier
son effet plafond sur les mesures subjectives et la dépression
respiratoire alors que, chez un individu donné, les concentra-
tions plasmatiques augmentent linéairement avec la dose. De
très fortes doses ont même pu être administrées lors d’études
cliniques chez l’homme, pratiquement sans effets indésirables.
En accord avec la lente dissociation de la buprénorphine et des
récepteurs µ,le phénomène de tolérance à la buprénorphine
semble de développement très lent, cliniquement peu signifi-
catif. De la même manière, les syndromes de sevrage à l’arrêt
du traitement sont tardifs et souvent d’intensité modérée. Enfin,
si la BHD n’induit pas de “flash” après administration sublin-
guale, du fait d’une faible affinité pour les récepteurs δ,mais
aussi d’une pénétration relativement lente dans le cerveau, il