« LA RESPONSABILITE MEDICALE DU FAIT D’AUTRUI » Christophe RADE Professeur à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV Vice-Président de l’Université Montesquieu-Bordeaux IV INTRODUCTION La responsabilité médicale ne constituait pas, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi française du 4 mars 2002 relative aux droits des patients, une branche autonome du droit de la responsabilité civile, même si sa spécificité était toutefois nettement affirmée. Depuis la réforme intervenue en 2002, il est possible de soutenir qu’elle a acquis une marge certaine d’autonomie. Qu’on la considère ou non comme réellement autonome, la particularité de la responsabilité médicale tient tout d’abord à l’objet même de l’activité concernée ; le corps humain est en effet un sujet d’attention qui échappe partiellement à toute certitude, les produits de l’activité médicale, si avancée soit-elle sur un plan scientifique et technique, ne pouvant être à coup sur garantis contre l’aléa. La particularité de la matière tient aussi à la nature même des dommages dont il est réclamé réparation ; s’il n’est pas exclu de rencontrer des préjudices matériels ou économiques, l’essentiel des préjudices constatés est corporel. Or l’intégrité physique des personnes est le sujet de toutes les attentions, du législateur comme du juge. Il faut d’ailleurs tout de suite signaler l’intrusion constante du droit dans la médecine au cours du vingtième siècle, notamment depuis la “découverte” de la nature contractuelle des relations entretenues par le patient avec son médecin dans l’arrêt Mercier du 20 mai 1936. La part du droit dans le règlement des différends médicaux a d’ailleurs trouvé dans la diversification et les progrès réalisés dans l’art de soigner un terreau des plus favorables. 57 La médecine française a évolué dans une double direction en insistant non seulement sur le développement du secteur libéral mais également en renforçant les moyens du secteur hospitalier. C’est surtout dans ce cadre hospitalier que se pose la question de la responsabilité médicale du fait d’autrui. Lorsqu’un patient entre en effet à l’hôpital, qu’il soit public ou privé, des rapports se nouent certes avec l’établissement mais également avec les praticiens chargés de réaliser les actes médicaux nécessités par son état. Dans ce contexte, les hôpitaux répondent naturellement des erreurs et des fautes commises par les praticiens et le personnel médical, posant ainsi le problème de la responsabilité des établissements du fait du personnel. Jusqu’à la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, la jurisprudence judiciaire et administrative avait développé un certain nombre de solutions visant à dégager le cadre de cette responsabilité du fait d’autrui et soulignant la différence de situation des patients selon qu’ils se trouvent au sein d’une clinique (privée) ou d’un hôpital (public). Ces jurisprudences ont été partiellement remises en cause par la loi du 4 mars 2002 qui dépasse le clivage traditionnel droit privé/droit public pour imposer des règles uniformes 1. L’entrée en vigueur de ce texte nous imposera donc, à chaque fois que cela s’avèrera nécessaire, de rappeler les solutions dégagées par la jurisprudence avant de présenter le dispositif issu de la loi nouvelle. La loi de 2002 réalise en premier lieu le souhait, maintes fois formulé d’une unification des règles juridiques applicables aux dommages médicaux 2. Soustraites à l’influence du Code civil et de la jurisprudence dont l’œuvre se trouve assez paradoxalement d’ailleurs tantôt consacrée, tantôt remise en cause, la loi pose de nouveaux principes applicables à toutes les victimes, quelles que soient les 1 2 Sur cette loi, notre étude « La réforme de la responsabilité médicale après la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé », Resp. civ. et assur. 2002, chron. 7. En ce sens notre chron. « L’harmonisation des jurisprudences judiciaires et administratives en matière de responsabilité médicale : réflexions sur la méthode », Resp. civ. et assur. 2000, chron. 17, et les réf. citées. 58 circonstances et les structures au sein desquelles elles sont soignées. De ce point de vue, la loi du 4 mars 2002 met un terme à l’inégalité de traitement entre victimes selon qu’elles relevaient du droit privé ou du droit public, ce qui constitue un premier motif de satisfaction. Le texte réalise en second lieu la conciliation du droit à réparation des victimes, exigence de valeur constitutionnelle, et la protection des acteurs de la santé qui supportaient jusque là seuls la montée en puissance du courant victimologiste. Cette double exigence éthique s’appuie sur une logique globale qui ne pourra qu’emporter l’adhésion puisqu’en même temps que se trouve réaffirmé le principe d’une responsabilité individuelle fondée principalement sur la faute, la loi du 4 mars 2002 offre aux victimes de dommages médicaux un régime de solidarité qui dépersonnalise la dette de réparation et leur assure la prise en charge effective de leur dommage. Une partie des solutions traditionnelles survivra soit dans le cadre tracé par le législateur, soit en marge de celui-ci dans la mesure où la loi ne s’applique pas à l’ensemble des dommages médicaux. Singulièrement, la loi du 4 mars 2002 s’est intéressée exclusivement aux rapports patients/établissements ou professionnels et n’a pas réglé la question des actions que les patients pourraient engager directement contre les salariés des établissements, ni la question, liée à la précédente, des recours exercés par ces établissements contre leurs salariés. Même si ces solutions ne pourront plus, selon nous, être fondées comme c’était le cas auparavant sur les règles propres au droit privé (contrat de soins) et public (situation institutionnelle du patient, usager du service public hospitalier), leur contenu ne devrait pas être finalement bouleversé, pour des raisons que nous évoquerons au fur et à mesure. Afin d’exposer les règles qui gouvernent la responsabilité du fait d’autrui en matière de responsabilité médicale, nous envisagerons dans un premier temps l’examen des règles relatives aux conditions de la responsabilité médicale du fait d’autrui avant de nous intéresser à son régime. 59 I – Les conditions de la responsabilité médicale du fait d’autrui Certaines conditions tiennent tout d’abord à la personne du responsable (A). D’autres tiennent à la personne de l’auteur du dommage (B). A – Les conditions tenant à la personne du responsable Il nous ici exposer la situation antérieure à la réforme avant d’envisager les conséquences de celle ci sur les solutions traditionnelles. 1) Situation antérieure à la loi du 4 mars 2002 Avant l’unification du droit de la responsabilité médicale, les solutions différaient selon que l’on se situait dans le secteur privé ou public. a – Situation en droit privé Depuis l’arrêt Mercier du 20 mai 1936, la responsabilité des médecins et des établissements privés était classiquement fondée sur l’existence d’un contrat médical. Ce fondement contractuel imposait à la victime d’invoquer les règles de la responsabilité contractuelle (C. civ., art. 1147 et s. du Code civil) et lui interdisait d’invoquer le bénéfice de la responsabilité extracontractuelle, en raison du principe dit du non-cumul des responsabilités. Il existe toutefois un certain nombre de situations dans lesquelles aucun contrat n’a pu être passé entre le patient et l’établissement ou le professionnel. Dans cette hypothèse là, l’action devait être engagée sur les règles de la responsabilité extracontractuelle. 2) Existence d’un contrat médical Pour déterminer la personne responsable, il faut distinguer selon que la victime est soignée par un professionnel exerçant à titre libéral ou par un établissement. 60 Lorsque la victime est soignée dans le cadre de la médecine ambulatoire, le contrat de soins est passé directement avec le professionnel libéral 3 et c’est lui qui sera responsable des dommages, même s’ils ont été causés par des personnes qu’il emploie. La situation peut se compliquer lorsque le patient est soigné dans un établissement de soins car le régime applicable dépendra de la nature du contrat qui unit les médecins à l’établissement. Si les médecins exercent au sein de l’établissement à titre salarié, le contrat de soins est passé avec l’établissement qui répondra des conséquences d’une faute médicale 4. Lorsqu’en revanche le patient aura été soigné dans une clinique par un médecin lié à cette dernière par un contrat d’exercice libéral, le patient passera en réalité deux contrats distincts. Le contrat de soins proprement dit sera conclu avec le praticien exerçant à titre libéral ; c’est donc ce dernier qui sera responsable de l’échec des actes médicaux entrepris. Mais parallèlement à ce premier contrat, la victime passera également une autre convention avec l’établissement qui répondra alors de la partie hôtelière du contrat mais également des soins courants pré et post opératoires. Cette juxtaposition de deux conventions pose un problème délicat d’articulation des responsabilités. Le médecin exerçant au sein de l’établissement à titre libéral utilise en effet la plupart du temps les services de personnel médical salarié de l’établissement, ce qui pose un problème lorsqu’un dommage a été causé précisément par ce personnel. Dans cette hypothèse, la jurisprudence procède à un certain nombre de distinctions fondées essentiellement sur un critère chronologique. S’agissant des actes de soins réalisés par le personnel médical avant 3 4 Cass. 1ère civ., 26 mai 1999 ; Clinique Victor Pauchet de Butler c./ Reitzaum : D. 1999, jur. p. 7198, note E. Savatier. Cass. 1ère civ., 4 juin 1991 ; Fondation Rotschield : JCP G. 1991, II, 21730, note J. SAVATIER. – Cass. 1ère civ., 26 mai 1999 ; Sté clinique Victor Pauchet de Butler : JCP G 1999, II, 10112, rapport P. Sargos ; RTD civ. 1999, p. 634, n° 6, obs. P. Jourdain ; D. 1999, somm. p. 386, obs. J. Pennnau. 61 l’opération, les dommages qui pourraient en résulter devront être réparés par l’établissement lui-même. Pendant l’opération, le personnel médical se trouve subordonné au médecin responsable de l’opération et tous les dommages qu’il pourrait causer engageront de plein droit la responsabilité contractuelle du professionnel. La solution a été dégagée s’agissant d’une infirmière posant une perfusion 5, d’un anesthésiste injectant du curare sous la responsabilité du chirurgien 6, de la sagefemme réalisant un accouchement dystocique sous la responsabilité d’un obstétricien 7, de la religieuse préposée du médecin 8 ou de l’aide soignante placée par la clinique sous son autorité le temps des soins 9. Lorsque des dommages auront été causés dans des soins post opératoires et pour tous les dommages qui pourraient résulter à l’occasion du séjour du patient dans la chambre, c’est la responsabilité de l’établissement qui devra être engagée. Un problème supplémentaire se pose lorsque interviennent, lors de l’opération, deux praticiens. Si l’un d’entre eux exerce à titre libéral et que l’autre exerce à titre de salarié, c’est bien entendu le professionnel exerçant à titre libéral qui répondra personnellement de l’échec des soins qu’il dispense ; les dommages causés par le médecin salarié relevant naturellement de la responsabilité de la clinique avec laquelle le patient a également contracté. Lorsqu’au cours d’une même opération deux professionnels libéraux interviennent simultanément, ce qui sera généralement le cas lorsque et le chirurgien et l’anesthésiste exercent au sein de la clinique à titre libéral, chaque professionnel est responsable de l’échec de sa propre 5 6 7 8 9 Paris, 21 avr. 1982, D. 1983, inf. rap., p. 497, obs. J. PENNEAU. Cass. 1ère civ., 18 oct. 1960 : JCP. G. 1960, II, 11846, note R. SAVATIER. CA Toulouse, 1ère chbre, 2 nov. 1999 ; Gaestel c/ Mollias Larrgeola : CJA 2000, n° 5513, obs. D. Krajeski. Cass. 1ère civ., 15 nov. 1955 : D. 1956, Jur. p. 113, note R. SAVATIER. Cass. 1ère civ., 13 mars 2001 ; Clinique la Roseraie et a. c/ M. Mourad El Goulli : Resp. civ. et assur. 2001, comm. 194 ; D. 2001, somm. p. 3085, obs. J. Penneau : gynécologue exerçant dans la clinique en libéral. 62 part du contrat et il n’est pas rare que les deux praticiens soient reconnus responsables in solidum du dommage causé à la victime en cas de fautes cumulées 10. Le chirurgien répondra des fautes qu’il a commises dans l’exercice de son art et l’anesthésiste sera responsable de tous les dommages liés à l’anesthésie. On pourra se demander alors si le chef d’équipe, c’est-à-dire le chirurgien, pourrait répondre des dommages causés par l’anesthésiste, qu’il exerce à titre libéral ou à titre salarié. En principe, l’indépendance dont jouit chaque professionnel dans l’exercice de son art interdit qu’un médecin puisse être considéré comme responsable des dommages causés par un autre médecin. En d’autres termes, la jurisprudence ne consacre pas de responsabilité du chirurgien du fait des dommages causés par l’anesthésiste 11. Si ce dernier exerce à titre libéral, il sera personnellement responsable de ses actes 12 ; s’il exerce à titre de salarié, c’est la clinique qui répondra des dommages causés par l’anesthésiste aux patients. Toutefois, il est toujours possible d’engager la responsabilité du chirurgien pour faute prouvée. La faute consistera généralement soit à avoir mal choisi l’anesthésiste –sans avoir vérifié au préalable son expérience, sa réputation ou ses aptitudes 13-, soit à avoir laissé opérer un autre praticien qu’il savait ne pas être capable d’assumer l’opération 14. 10 11 12 13 14 Cass. 1re civ., 10 janv. 1990 : Bull. civ. I, n° 10 (prescription d’un produit allergisant) ; CA Pau, 5 févr. 1997 : RTD sanit. et soc. 1997, p. 842, n° 19 (incompatibilité de médicaments associés) ; CA Riom, 13 févr. 1997 : RTD sanit. et soc. 1997, p. 842, n° 20 (cumul de négligences ayant conduit au décès du patient en état de choc septique) ; Cass. 1re civ., 28 oct. 1997 ; Poggiolini : D. 1998, IR p. 6 (le chirurgien n’avait pas signalé à l’anesthésiste la myopie dont souffrait son patient et qui, augmentant l’allongement du globe oculaire, accroissait les risques que comportait une anesthésie locale par injection rétrobulbaire). Cass. 1ère civ., 13 déc. 1989 : Juris-data n° 004570. Cass. soc., 19 nov. 1981 : JCP G 1982, IV, p. 52 ; CA Douai, 4 oct. 1972 : JCP G. 1974, IV, p. 56. Cass. 1ère civ., 25 mai 1987 : D. 1987, somm. p. 420, obs. J. PENNEAU. CA Paris, 1er déc. 1995 : JCP G 1997, II, 22760, note H. VRAY (chirurgiendentiste qui avait laissé croire à sa patiente que son jeune remplaçant pouvait réaliser, sans problème, et en un temps très court, une reconstitution prothétique importante alors que les clichés pris laissaient prévoir des difficultés). 63 2) Situation en l’absence de contrat médical L’absence de contrat médical peut résulter de différentes situations : patient hospitalisé et qui ne pouvait connaître l’identité du médecin libéral destiné à le soigner (dans cette hypothèse, le contrat est passé avec la clinique, mais pas avec ce praticien) 15 ; médecin psychiatre signant un certificat d’internement sans examiner le patient 16 ; annulation du contrat de soins 17 ; dommage étranger à l’exécution du contrat de soins ou intervenu après expiration du contrat de soins 18. La jurisprudence tend à étendre la qualification de contrat de soins, notamment s’agissant de patients hospitalisés inconscients 19. En l’absence de contrat, la responsabilité de l’établissement ou du praticien devra être recherchée sur le fondement de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil, imposant au commettant de répondre des dommages causés par le préposé dans les fonctions auxquelles il l’a employé. On sait depuis 1992 que la Cour de cassation admet qu’un établissement, ou qu’une personne morale de droit privé, puisse répondre comme commettant des dommages causés par un médecin 20. On pourrait se demander également s’il serait possible de fonder la responsabilité du fait d’autrui sur l’article 1384, alinéa 1er, du Code 15 16 17 18 19 20 Cass. 1ère civ., 20 févr. 1979 : Bull. civ. I, n° 68. Caen, 19 oct. 1989 : Juris-data n° 052578 (en l’occurrence le médecin s’était trompé en estimant qu’une jeune handicapée mentale avait subi des violences sexuelles et qu’elle n’était plus vierge, ce qui a entraîné la transformation d’une accusation d’attentat à la pudeur en viol). - CA Paris, 1re ch., sect. B, 5 juill. 2001, Ville d'Aix-en-Provence c/ Granata : Juris-Data n° 2001-153935. TGI Bobigny, 15 déc. 1976 : D. 1977, Jur. p. 245, note Ph. Le Tourneau (illicéité pour violation de la législation sur l’IVG envers les étrangers). Cass. 2è. civ., 30 juin 1976 : Bull. civ. II, n° 220 (explosion d’ampoules 8 ans après que le médecin les eut remises au patient). Cass. civ., 7 janv. 1940 : Gaz. Pal. 1941, 1, p. 203. Cass. crim., 5 mars 1992 : JCP G. 1993, II, 22013, note F. CHABAS ; RTD civ. 1993, p. 137, obs. P. JOURDAIN (contrat passé entre la Croix-Rouge et un médecin anesthésiste réanimateur pour remplacer un titulaire pendant une période de vacances - erreur de manipulation rendant le patient infirme). 64 civil, en application de la jurisprudence Blieck 21. On ne note qu’une seule application de cette jurisprudence en matière de responsabilité médicale 22. b – Situation en droit public Il faut rappeler ici que la jurisprudence administrative ne reconnaît nullement l’existence d’un contrat passé par le patient et l’hôpital public. Le patient, considéré comme un usager du service public hospitalier, se trouve en effet placé dans une situation statutaire. Par application de la jurisprudence Pelletier, dégagée en 1873 par le Tribunal des conflits, c’est l’hôpital qui répond des fautes commises dans le cadre de l’exécution du service par son personnel. C’est ici l’application de la théorie de la faute de service qui permet à la victime d’agir en responsabilité pour faute devant l’établissement 23. Ce n’est que dans l’hypothèse très exceptionnelle d’une faute personnelle détachable du service qu’une action en responsabilité civile peut être exercée directement par les patients contre les personnes travaillant au sein de l’hôpital public, et ce devant les juridictions judiciaires. Dans l’hypothèse de faute commise concomitamment par le professionnel et l’hôpital public ou dans l’hypothèse d’une faute commise par le professionnel mais qui aurait un lien avec le service (soit un lien temporel soit un lien matériel), la victime dispose d’une action contre l’hôpital tenu d’indemniser solidairement les dommages causés par le médecin. 21 22 23 Sur cette jurisprudence, notre étude « Responsabilité du fait d’autrui. Principe général », J.-Cl. Responsabilité civile, Fasc. 140. CA Orléans, 25 juin 1996 ; Cie d’Assurances Zurich c/ Krezel : Juris-Data n° 044670 ; JCP G 1997, I, 4070, n° 24, obs. G. Viney (clinique psychiatrique responsable du fait des dommages causés par un malade hébergé et soigné depuis plus d’un an). Sur cette jurisprudence, C. Guettier, « Droit de la responsabilité et des contrats », par Ph. Le Tourneau et L. Cadiet, Dalloz action, 2002/2003, sp. n° 155 et s. 65 3 ) Situation issue de la loi du 4 mars 2002 L’article L. 1142-1, I, al. 1er, du Code de la santé publique subordonne désormais la mise en cause de la responsabilité d’un établissement ou d’un professionnel de santé (et donc la compétence de l’assureur de responsabilité) à la preuve d’une faute, sans autre précision, et non à la preuve d’une faute commise personnellement par l’établissement ou le professionnel considéré. Cette absence de correspondance nécessaire entre la faute et le responsable était une nécessité absolue s’agissant de la responsabilité des personnes morales. Sauf à exiger une faute commise par les organes de ces dernières, aucune autre solution n’était envisageable car ce sont bien les personnels de ces établissements qui exécutent les actes médicaux pour le compte de leur employeur, mais sans le représenter au sens juridique du terme. Cette affirmation entraîne nécessairement des conséquences sur la responsabilité des professionnels de santé exerçant à titre libéral puisque ces derniers seront responsables lorsqu’ils auront commis une faute personnelle mais également lorsque de telles fautes auront été commises par leurs préposés. La jurisprudence relative à ce qu’on a pu très improprement qualifier de « responsabilité contractuelle du fait d’autrui » n’est donc pas remise en cause par la loi nouvelle et les solutions classiques continueront de s’appliquer, même sur un nouveau fondement. B – Conditions tenant à la personne de l’auteur du dommage La première condition tient à l’existence d’un lien de subordination. La seconde tient à l’existence d’un fait dommageable causé par la personne subordonnée. 1 ) L’existence d’un lien de subordination Pour que la responsabilité du fait d’autrui en matière de responsabilité médicale puisse être engagée, la victime devra prouver l’existence d’une faute commise dans l’exécution du contrat de soin. Cette faute devra avoir été commise soit par le professionnel exerçant à titre libéral, soit par le personnel subordonné chargé de l’exécution du 66 contrat, cette faute engageant alors directement la responsabilité de l’établissement qui l’ emploie. En l’absence de contrat de soins, on rappellera que l’action de la victime devait être fondée sur l’article 1384, alinéa 5, du Code civil. Pour que la responsabilité de l’établissement soit engagée, la victime devra donc prouver que la personne qui lui a causé le dommage agissait dans le cadre d’un rapport de subordination. Ce sera systématiquement le cas lorsque les médecins ou le personnel de l’hôpital sont des salariés de l’établissement, puisque dans cette hypothèse l’existence même d’un lien de subordination se trouve présumée en raison de l’existence d’un contrat de travail. Toutefois, cette présomption n’est qu’une présomption du fait de l’homme et l’établissement pourra chercher à s’exonérer en prouvant l’existence d’un abus de fonction, c’est-à-dire en prouvant qu’au moment des faits l’auteur du fait dommageable a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions 24. Par ailleurs, on rappellera que la jurisprudence ajoute désormais une condition supplémentaire tenant au comportement de la victime, celle-ci doit avoir plus valablement croire que le salarié agissait dans le cadre de ses fonctions 25. Ces solutions ne devraient pas être remises en cause par la loi du 4 mars 2002 qui laisse subsister ces hypothèses sans s’y être véritablement intéressé. 2) L’existence d’un fait dommageable Lorsqu’il existait un contrat de soins passé par le patient avec l’établissement, ce dernier doit simplement prouver l’existence d’une faute commise dans l’exécution du contrat de soins. Il importe peu, dès lors, que cette faute ait été commise par le responsable ou par l’un de ses 24 25 Définition de l’abus de fonction depuis Cass ass. plén. 19 mai 1988 : D. 1988, Jur. p. 513, note C. LARROUMET ; RTD civ. 1989, p. 89, obs. P. JOURDAIN. Cass. civ. 2è. 11 juin 1992 : Bull. civ. II, n° 164 ; JCP G. 1992, I, 3625, obs. G. VINEY. 67 préposés. La solution ne diffère pas lorsqu’on se situe en dehors du champ contractuel. La loi du 4 mars 2002 n’a pas modifié les termes du débat puisqu’elle s’est contentée, sous les réserves déjà évoquées, de réaffirmer le principe d’une responsabilité fondée sur la faute. Après avoir examiné les conditions de la responsabilité médicale du fait d’autrui, intéressons-nous désormais à la mise en œuvre de cette responsabilité du fait d’autrui en matière médicale. II - La mise en œuvre de la responsabilité médicale du fait d’autrui Nous examinerons successivement les droits de la victime (A) avant de nous intéresser aux droits du débiteur (B). A – Les droits de la victime Commençons par rappeler la situation antérieure à la réforme avant d’examiner cette dernière. 1) Situation antérieure à la loi du 4 mars 2002 Traditionnellement, la jurisprudence admettait que la victime dispose d’une double action sur le terrain contractuel contre l’établissement avec lequel elle a contracté et sur le terrain délictuel contre les praticiens qui l’ont soigné même lorsqu’il se trouve en situation de subordination. Cette jurisprudence a été remise en cause par l’arrêt Costedoat intervenu le 25 février 2000. Depuis cette date, on sait en effet que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui a agi sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant » 26. En d’autres termes, et par analogie avec la situation statutaire du fonctionnaire, le préposé qui se contente d’exécuter les 26 Cass. Ass. Plén., 25 févr. 2000 : JCP G 2000, II, 10295, concl. R. Kessous, note M. Billiau ; JCP G 2000, I, 241, n° 16, obs. G. Viney ; D. 2000, Jur. p. 673, note P. Brun ; Ch. Radé, « Les limites de l’immunité civile du préposé », Resp. civ. et assur. 2000, chron. 22 ; RTD civ. 2000, p. 582, n° 5, obs. P. Jourdain. 68 ordres de son employeur n’est pas responsable personnellement de ses actes. La doctrine se divise sur l’explication de cette solution : pour certains auteurs, la jurisprudence consacre une véritable immunité de responsabilité au bénéfice du salarié 27 ; pour d’autres – dont nous sommes, l’explication de cette immunité est à rechercher dans l’article 1383 du Code civil, parce que le salarié ordinaire placé en situation de subordination pourrait commettre naturellement des imprudences ou des négligences, ce comportement ne pourrait pas être consécutif d’une faute puisqu’une telle négligence pourrait être commise par le bon père de famille. A contrario, ce préposé pourrait demeurer personnellement responsable de ses actes en cas de faute intentionnelle puisqu’on admet généralement qu’en aucune circonstance, le bon père de famille n’est autorisé à commettre de faute intentionnelle. Cette explication de l’arrêt Costedoat fondé sur l’article 1382 et 1383 du Code civil semble avoir été consacrée par la Cour de cassation dans l’arrêt Cousin rendu le 14 décembre 2001 28. Dans cet arrêt qui ne concernait pas directement la responsabilité médicale, un préposé a été reconnu personnellement responsable de ses actes après avoir été condamné au pénal pour avoir commis une infraction intentionnelle. Deux précisions doivent toutefois ici être apportées. Tout d’abord, on relèvera que la jurisprudence semble extrêmement réticente pour faire bénéficier les médecins de la jurisprudence Costedoat, considérant ici l’indépendance dont jouit le médecin dans l’exercice de son art comme imposant de consacrer une responsabilité personnelle. Cette explication résulte non seulement des propositions faites par le Conseiller Doyen Pierre Sargos en 1999 29, mais également de deux décisions, l’une émanant du Tribunal des conflits dans une décision du 14 février 2000 30, l’autre d’un examen de la jurisprudence de la Première Chambre civile de 27 28 29 30 En ce sens les analyses de M. Billiau, préc. Cass. ass. plén., R., 14 déc. 2001 ; Cousin : BICC n° 551 du 1er mars 2002, conc. R. de Goutte ; Resp. civ. et assur. 2002, chron. 4, par H. Groutel ; JCP G 2002, II, 10026, note M. Billiau ; D. 2002, Jur. p. 1230, note J. Julien, somm. p. 1317, obs. D. Mazeaud. P. Sargos, concl. sous Cass. 1ère civ., 26 mai 1999 : JCP G 1999, II, 10112, n° 14. TC, 14 févr. 2000 : N° 2929, M. X... c/ Centre hospitalier régional de Nancy et a. 69 la Cour de cassation et notamment d’une décision intervenue le 9 avril 2002 qui montre la volonté affichée de la Cour de rendre systématiquement les médecins responsables personnellement de tous leurs faits et gestes, et ce qu’ils exercent à titre salarié ou libéral 31. Ce refus d’appliquer la jurisprudence Costedoat a été critiqué. Ces décisions se focalisent en effet sur le critère de l’indépendance technique du médecin alors que ces derniers doivent être traités comme tout salarié, l’entreprise, qui profite de leur activité, devant logiquement assumer les risques qui sont liés à cette même activité 32. 2) Situation issue de la loi du 4 mars 2002 La loi du 4 mars 2002 ne nous livre aucune indication sur l’action que la victime pourrait diriger directement contre les salariés d’un établissement. L’article L. 1141-1 du Code de la santé publique vise simplement les professionnels visés par le livre IV du Code, sans plus de précisions. La question est alors de savoir si, en l’absence d’indication dans la loi, la jurisprudence admettant classiquement l’action directe de la victime contre le salarié lorsqu’il est médecin, reste en vigueur. La réponse à cette question s’impose si l’on considère la jurisprudence de la Cour de cassation qui refuse au médecin le bénéfice de l’immunité conférée aux salariés en général. Dans ces conditions, il apparaît que les médecins demeureront personnellement responsables de leurs actes. Cette solution risque de poser un problème dans la mesure où la loi n’impose l’assurance de responsabilité civile qu’aux professionnels de santé exerçant à titre libéral (CSP, art. L. 1142-2). Le risque est donc de voir des actions menées contre des médecins salariés non assurés. 31 32 Resp. civ. et assur. 2002, chron. Ch. Radé, n° 13. En ce sens notre chron. « Il faut sauver la jurisprudence Costedoat ! (à propos d’un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 9 avril 2002 », Resp. civ. et assur. 2002, chron. 13. ; S. Porchy-Simon, « Regard critique sur la responsabilité civile de l’établissement de santé privé du fait du médecin », Mélange Lambert, Dalloz, 2002, p. 361 s. 70 B – Les droits du débiteur Ici encore les solutions antérieures et postérieures à la réforme devront être exposées. 1) Situation antérieure à la loi du 4 mars 2002 Il convient en premier de rappeler ici les dispositions de l’article L. 121-12 du Code des assurances. Ce texte interdit en effet à l’assureur du responsable d’exercer toute action récursoire contre les préposés de son assuré, sauf intention malveillante de leur part. Lorsque le dommage aura été indemnisé par l’assureur, aucune action récursoire ne sera donc possible contre les salariés ou contre les agents publics de l’hôpital. Ce n’est qu’en l’absence d’intervention de l’assureur de responsabilité que la question se pose. Jusqu’à l’arrêt Costedoat, rendu en assemblée plénière le 25 février 2000, on admettait que l’établissement subrogé dans les droits de la victime puisse se retourner contre son préposé lorsque ce dernier avait commis une faute. Depuis l’arrêt Costedoat du 25 février 2000, une telle action ne semble plus possible. La raison en est simple. La victime ne dispose plus d’un droit d’agir contre le préposé qui a agi dans le cadre de sa mission. Or, on sait que l’action récursoire de l’employeur se fonde sur la subrogation dans les droits de la victime. Puisque la victime ne dispose plus de droits contre le préposé, alors il faut admettre qu’il n’y a aucune action subrogatoire possible de la part de l’établissement. Toutefois, on rappellera que la jurisprudence ne semble pas décidée à appliquer la solution Costedoat aux médecins. Si l’on considère que les médecins restent responsables personnellement de leurs actes, y compris dans les rapports avec la victime, alors il faut admettre que l’action subrogatoire de l’établissement demeure possible. Rappelons toutefois que cette situation est en pratique extrêmement rare en raison de la présence quasi systématique d’un assureur de responsabilité au côté de l’hôpital. Cette conclusion doit d’ailleurs aujourd’hui être étendue en considération de la loi du 4 mars 2002. Cette loi a en effet imposé le 71 principe d’une assurance de responsabilité à tous les professionnels exerçant à titre libéral et à tous les établissements. Dans ces conditions, il sera en pratique exceptionnel que la victime s’adresse directement à un établissement et ne puisse pas s’adresser à l’assureur. On relèvera d’ailleurs qu’en cas d’échec de l’assureur de responsabilité, la victime disposera d’une action supplétive contre l’Office National d’Indemnisation. * * * Il n’est pas possible d’envisager une responsabilité médicale qui ne comporterait pas de responsabilité du fait d’autrui, car la médecine s’exerce presque toujours à plusieurs. Les solutions classiques dégagées par la jurisprudence ont été en partie simplifiée par l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 qui impose des réponses uniques aux questions qui se posent tant dans les cliniques privées que dans les hôpitaux publics. Tout n’a toutefois pas été réglé par la loi nouvelle et les tribunaux devront déterminer, pour l’essentiel, si les professionnels de santé salariés doivent être considérés comme des salariés ordinaires, et protégés comme tels, ou comme des praticiens libres dans l’exercice de leur art et responsables de tous leurs actes. C’est sans doute sur ce point très précis que des éclaircissements seront nécessaires dans les années à venir. 72