ARTICLE Progrès en Urologie (1998), 8, 487-491 DE REVUE Information du patient et responsabilité médicale Yves CHARTIER Agrégé des Facultés de droit, Conseiller à la Cour de Cassation mation qui pèse sur le médecin a cependant une justification plus large. Faut-il rappeler que les rapports entre le médecin et son patient sont de nature contractuelle, ce que la Cour de cassation énonce depuis le célèbre arrêt Mercier du 20 mai 1936 [2]. Or, par une évolution lente mais continue, la jurisprudence a mis à la charge de certains contractants une obligation générale d’information, qu’elle soit qualifiée d’obligation de renseignement ou de conseil [3]. Ce mouvement s’explique, dans le droit de la consommation, par la faiblesse du consommateur par rapport à son partenaire. Laissant de côté ce droit, encore que, dans une certaine mesure, le patient est un consommateur, il faut ici plutôt se placer sur un autre terrain, à savoir l’obligation particulière de renseignement qui pèse sur tout professionnel. Le professionnel, en effet, est celui qui sait. C’est précisément en raison de sa science que le client l’a choisi: il lui appartient donc, car lui seul peut le faire, de l’éclairer sur les conséquences des actes qu’il va accomplir, des traitements qu’il se propose de prescrire. RESUME Le devoir d’information envers son client, qui pèse sur tout médecin, devoir dont la méconnaissance est source de responsabilité, peut être essentiellement envisagé sous les quatre angles suivants : - un devoir d’information : pourquoi? - un devoir d’information : quel devoir? - un devoir d’information : comment? - un devoir d’information : pour qui? Mots clés : Information, responsabilité médicale, déontologie, risque médical. Progrès en Urologie (1998), 8, 487-491. UN DEVOIR D’INFORMATION : POURQUOI? A cet égard, le devoir d’information du médecin n’est pas d’une nature différente de celui qui pèse sur les autres professions intellectuelles, comme par exemple sur celle d’avocat. Et qu’il suffise ici de citer un arrêt de la 1ère Chambre civile du 29 avril 1997 [4], par lequel il a été jugé, à la suite de ce qui a été decidé pour les médecins, «que l’avocat est tenu d’une obligation particulière d’information et de conseil vis-à-vis de son client et qu’il lui importe de prouver qu’il a exécuté cette obligation». La réponse appelle deux explications : l’une, de caractère déontologique; l’autre qui relève, plus largement, du droit des contrats. L’obligation déontologique résulte d’abord de l’article 35 du Code de déontologie médicale, selon lequel : «le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. «Devoir, par conséquent, qui oblige à une information reçue, comprise par celui à qui elle s’adresse. D’autres textes abordent le sujet, spécialement les articles 41 pour les interventions mutilantes, et 64 sur lesquels je reviendrai. Devoir de même nature que celui qui pèse sur les autres professionnels, mais, faut-il ajouter néanmoins, devoir d’une intensité particulière parce que l’acte médical concerne le corps humain, touche à la vie. C’est en ce sens qu’il a été jugé, par un arrêt du 28 janvier 1942 [5], «que, comme tout chirurgien, le chirurgien d’un service hospitalier est tenu, sauf cas de force majeure, d’obtenir le consentement du malade avant de pratiquer une operation dont il apprécie, en pleine indépendance, sous sa responsabilité, l’utilité, la nature et les risques; qu’en violant cette obligation, imposée par le respect de la personne humaine, il commet une atteinte grave aux droits du malade, un manquement à ses devoirs proprement médicaux...» La place qu’occupe un Code de déontologie dans les sources du droit est discutée en doctrine. Mais la Cour de cassation a donné sur ce point une réponse dénuée de toute équivoque. Par un arrêt du 18 mars 1997 [1], elle a en effet jugé «que la méconnaissance des dispositions du Code de déontologie médicale peut être invoquée par une partie à l’appui d’une action en dommages-intérêts contre un médecin, et qu’il n’appartient qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire de se prononcer sur une telle action, à laquelle l’exercice d’une action disciplinaire ne peut faire obstacle». Au-delà de cet aspect déontologique, le devoir d’infor- Communication présentée lors de la 2ème journée d’urologie du groupe Necker, 7 mars 1998, Paris. Manuscrit reçu : mai 1998, accepté : mai 1998. Adresse pour correspondance : Dr. E. Chartier-Kastler, Service d’Urologie, Hôpital de la Pitié, 83, Boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris. 487 Y. Chartier, Progrès en Urologie (1998), 8, 487-491 UN DEVOIR D’INFORMATION : QUEL DEVOIR? Ce devoir, on l’a vu, est défini par le Code de déontologie. Il est heureux que la Cour de cassation, afin de ne pas laisser croire à une quelconque divergence d’appréciation, se soit inspirée des mêmes termes. Par un arrêt du 14 octobre 1997 [6], la 1ère Chambre civile a en effet jugé «...que le médecin a la charge de prouver qu’il a bien donné à son patient une information loya le, claire et appropriée sur les risques des investigations ou soins qu’il lui propose de façon à lui permettre d’y donner un consentement ou un refus éclairé». Il faut cependant mettre à part les cas d’urgence et de danger immédiat, qui revêtent les caractéristiques de la force majeure. Il est évident qu’il y a des hypothèses où il est impossible d’informer le malade. Le devoir d’information peut se télescoper avec l’obligation de porter assistance à une personne en danger. Ce devoir, me semble-t-il, suppose d’avoir un certain temps, qui, dans des circonstances particulières, peut faire défaut. Sous cette réserve, le devoir d’information - qui peut d’ailleurs éventuellement s’exercer envers le représentant de la personne concernée, ainsi dans le cas d’un mineur - revêt trois aspects qui se dégagent de la lecture même de l’article 35 précité : - d’abord, le patient doit être informé sur son état, c’est-à-dire sur son état présent et l’évolution prévi sible de cet état. - ensuite, il doit l’être sur les investigations et les soins proposés, ce qui suppose, en matière chirurgicale, une explication sur la nature de l’opération projetée, et les conséquences normales de cette opération. Et c’est ici que doit être cité l’article 41 du Code de déontologie médicale, selon lequel «aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de l’intéressé et sans son consentement». Plus généralement, par un arrêt du 19 mars 1997 [7], la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation a jugé «qu’il résulte de l’article 16-3 du Code civil que nul ne peut être contraint, hors les cas prévus par la loi, de subir une intervention chirurgicale». une force toute spéciale lorsque l’opération, ou les investigations, voire les soins, n’ont pas un caractère de nécessité. C’est ce qui explique qu’il ait été jugé que, en matière de chirurgie esthétique, «le chirurgien est tenu d’une obligation d’information particulièrement rigoureuse à l’égard de son client qu’il ne doit pas exposer à un risque sans proportion avec les avantages escomptés» [8]. 2ème observation : de cette première remarque, il ne résulte pas pour autant que là même où l’opération apparaît nécessaire aux yeux du praticien, le client puisse être laissé dans l’ignorance. Ce qu’on peut dire seulement ici, c’est qu’alors que dans le premier cas, la jurisprudence ne peut que tendre à refuser la moindre exception, il est ici imaginable que, compte tenu des particularités de tel ou tel cas d'espèce, le médecin puisse éviter de se voir tenu pour responsable, sinon d’un défaut d’information, du moins d’une information qui se révélerait insuffisante. On peut citer, en ce sens, de la jurisprudence ancienne. Ainsi, par un arrêt du 20 janvier 1987 [9], il a été jugé, à propos des risques inhérents à une intervention chirurgicale ou à une anesthésie, «que le praticien, quoique tenu de recueillir le consentement éclairé du malade, n’est pas obligé de (les) porter à sa connaissance s’ils sont de ceux qui ne se réalisent qu'exceptionnellement’’. Il reste cependant à savoir dans quelle mesure cette jurisprudence est toujours d’actualité : or, force est d’observer à cet égard que l’arrêt du 14 octobre 1997 ne fait pas de distinction selon les risques. Aussi bien, la plus extrême prudence s’impose-t-elle. Ce que je crois seulement, mais ce n’est qu’une opinion personnelle, c’est que les tribunaux seront toujours tiraillés entre deux considérations contraires. D’un côté, l’idée que le patient est en droit d’être informé, en toute hypothèse, de tout risque au moins grave, fût-il rare. De l’autre, celle que le patient ne doit pas être noyé sous le poids d’informations dont l’excès même leur retirerait toute portée, spécialement d’informations relatives à des risques à la fois exceptionnels et mineurs. Mais, la justice étant humaine, n’étant donc pas une science exacte, mon propre devoir d’information est d’encourager chacun à une prudence extrême. - enfin, et c’est ce qui fait le plus problème - on va d'ailleurs retrouver la question à propos de la preuve le patient doit être informé sur les risques encourus à l’occasion du traitement, des investigations, ou de l’opération qui lui sont proposés. Risques, ou si l’on préfère conséquences anormales, à distinguer des conséquences normalement prévisibles de ces «soins», entendus au sens large. 3ème observati on : des risques inhérents au t rait ement, i l convient de di stinguer ceux qui sont propres à la maladie elle-même. Le malade doit êt re éclai ré sur eux, ne serait-ce que pour lui permettre de comprendre l’enjeu des trai tements qui lui sont proposés. Autrement dit, i l faut que le patient soit en mesure de mettre en paral lèle ou, si l ’on préfère, en bal ance, les inconvénients éventuels des soins qui lui sont proposés, et ceux d’une at titude passive face à la maladie. Cette information sur les risques appelle elle-même plusieurs observations : 1ère observation : il est certain qu’elle s’impose avec 488 Y. Chartier, Progrès en Urologie (1998), 8, 487-491 réfléchissent. Pour m’en tenir à l’aspect purement juridique, je ferai deux remarques : UN DEVOIR D’INFORMATION : COMMENT? C’est ici rencontrer la question de la preuve que l’information a bien été donnée au patient. Le 25 février 1997 [10], il a été jugé «que le médecin est tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son patient et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation». - la première est i nspirée par l’arrêt précité du 14 octobre 1997. Il résulte en effet de cette décision que «la preuve de (l’)information peut être faite par tous moyens». Il s’agissait en l’espèce d’une femme qui, ne parvenant pas à avoir un deuxième enfant, s’était vu proposer une coelioscopie destinée à rechercher si elle ne présentait pas une étiologie ovarienne expliquant sa stérilité. Au cours de l’intervention, est survenue une embolie gazeuse mortelle par migrat ion du gaz d’insufflation dans les vaisseaux cérébraux. Le mari et l’enfant ont été déboutés de leur action engagée pour un défaut d’information sur le risque encouru. La Cour de cassation, pour rejeter le pourvoi formé contre l ’arrêt d’appel qui avait refusé de faire droit à la demande, a jugé que la cour d’appel, avait souverainement «constaté qu’il résult ait des pièces produites que (la victi me), qui exerçait la profession de laborantine t itulaire dans le centre hospital ier où avait lieu la coelioscopie, avait eu divers entretiens avec son médecin, pri s sa déci sion après un temps de réflexion très long et manifesté de l’hésit ation et de l’anxiété avant l'opération». Ainsi, a considéré la Cour de cassation, y avait-il là un ensemble de présomptions au sens de l’article 1353 du Code civi l, qui démontrait que la gynécologue avait informé sa patiente. Cet arrêt a fait, à juste titre, beaucoup de bruit. Il opère en effet un revirement de la jurisprudence. Par un important arrêt, du 29 mai 1951 [11], la Cour de cassation avait jugé que c’était au patient qu’il incombait de rapporter la preuve que le chi rurgien avait manqué à son obligation contractuelle d’obtenir au préalable son assentiment - lequel suppose bien entendu que l’information ait été donnée. Cette jurisprudence a été suivie pendant près d’un demi-siècle [12], malgré les réserves qu’elle avait, dès l ’origine, suscitées. Par rapport à elle, l’arrêt du 25 février 1997 opère une inversion de l a charge de la preuve. Désormais, c’est au praticien, lorsque ce point est contesté, de prouver qu’il a bien informé le client. Selon l’article 1315 du Code civil, «celui qui réclame l’exécution d’une obli gation doit la prouver». Se fondant sur ce texte, la 1ère Chambre civi le en a déduit, non sans une logique certaine, que «celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obli gation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cet te obligation». Que, en l’occurrence, la preuve de l’information ait été considérée comme ayant été suffisamment rapportée, relève d’une appréciation subjective, et, sur ce point, l’arrêt n’a pas fait l’unanimité [l4]. Qu’il ait été admis que la preuve pouvait être faite par tous moyens, est en revanche à l’abri de toute critique : la solution est juridiquement impeccable, puisque, en droit français, la preuve d'un fait - en l'occurrence le fait de l'information - est libre. A la suite de cet arrêt, une opinion doctrinale [13] a été avancée, qui voudrait que, par une nouvelle évolution de la jurisprudence, la charge de la preuve incombât aux deux parties, le juge se faisant une opinion au vu des éléments apportés par chacune d’elles. Mais je ne pense pas, pour ma part, qu’il faille s’attendre à un autre changement. La règle selon laquelle la charge de la preuve de l’information incombe au praticien me semble au contraire solidement assise, non seulement parce qu’elle est parfaitement fondée en droit, mais aussi parce qu’elle répond à la tendance générale, déjà évoquée, à apprécier les obligations qui pèsent sur les professionnels avec une plus grande rigueur. On doit au surplus avoir la franchise de dire que le système antérieur avait pour résultat de rendre très difficile l’action des victimes : il leur fallait en effet établir une preuve négative de l’absence d’information par leur médecin; or, une preuve négative est le plus souvent impossible. Mais, et c'est ma seconde remarque, malgré cet arrêt, je suis personnellement convaincu que la prudence voudrait que le praticien fasse signer par son patient un document établissant qu'il était pleinement informé, ce qui suppose donc de lui fournir des indications précises. Certes, la relation médecin-client y perd-elle une partie du climat de confiance qui doit naturellement exister entre eux, non pas dans un sens, mais dans les deux sens. La tranquillité des médecins me semble cependant être à ce prix. J'ajouterai d'ailleurs que le recours aux présomptions semble s'expliquer, au moins en partie, par 1'idée que, jusqu'à l'arrêt de 1997, les médecins n'avaient pas les mêmes raisons de se préconstituer une preuve : or, la jurisprudence aura, pendant des années, à connaître d'accidents antérieurs à cette époque. Mais, au fil des temps, sinon le principe, du moins l'appréciation des preuves non écrites, risque de se durcir. Mais reste alors à déterminer la nature des précautions que doit prendre le praticien pour pouvoir, le moment venu, en cas de litige, prouver qu’il avait, au moment voulu, satisfait à son devoir d’information. Le sujet relève pour une large part des instances professionnelles, et je crois savoir que toutes les autorités de la profession médicale, l’Ordre des médecins en tête, y 489 Y. Chartier, Progrès en Urologie (1998), 8, 487-491 UN DEVOIR D’INFORMATION : A LA CHARGE DE QUI? REFERENCES 1. Cass., 1ère civ., Bull. civ., I, n 99, p. 65. 2. D, 1936, 1, 88, concl. Matter. La question peut surprendre : le devoi r d'informat ion du médecin lui est en effet personnel. Ell e s'explique cependant par la fait que, dès lors qu'il s'agi t de choses sérieuses, le médeci n est rarement un homme seul. 3. M. Fabre-Magnan, L'obligation d'information dans les contrats.G.D.J., 1972. 4. Bull. civ., I, n 132, p. 88. V. aussi, pour un notaire : Cass., 1ère civ., 25 juin 1991, Bull. civ., I, n 212, p. 139. 5. Cass. Reg., 28 janv. 1942, DC, 1942, p. 63. Elle est très largement réglée par l'article 64 du Code de déontologie médicale. Celui-ci énonce en effet que "lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou au traitement d'un malade, ils doivent se tenir mutuellement informés; chacun des praticiens assume ses responsabilités personnelles et veille à l'information du malade". Le devoir d'information prend donc ici une plus ample dimension, puisqu'il doit s'exercer non seulement envers le patient, mais aussi envers les confrères qui ont à lui prodiguer des soins. 6. JCP, éd. G., I, 22942, rapport Sargos. 7. Bull. civ., II, n° 86, p. 48. 8. Cass., 1ère civ., 22 sept. 1981, Bull. civ., I, n° 268, p. 223. 9. Bull. Civ., I, n° 19, p. 14. 10. Cass., 1ère civ., Bull. civ., I, n 75, p. 49; RTD civ., 1997, p. 434, n. P. Jourdain. 11. Cass. civ., sect. civ., D, 1952, p. 53, n. R. Savatier; JCP, 1951, II, 6421, n. R. Perrot; RTD civ., 1951, p. 508, obs. H. et L. Mazeaud. 12. V. encore Cass., 1ère civ., 4 avr. 1995, Bull. civ., I, n 154, p. 114. La jurisprudence s'est toujours prononcée dans le même sens. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle eu à connaître du cas d'un enfant atteint d'une paraplégie à la suite d'une aortographie exécutée par un radiologiste conformément à la prescription du médecin de l'enfant. Par un arrêt du 29 mai 1984 [15], elle a approuvé la cour d'appel d'avoir jugé que "le radiologue... n'était pas tenu par les prescriptions de son confrère, qu'il disposait, de par sa qualité et ses fonctions, d'un droit de contrôle sur la prescription et avait également l'obligation d'éclairer les parents du malade sur les risques de l'intervention qu'il devait pratiquer". En l'occurrence, les deux médecins ont ainsi été jugés responsables, et condamnés solidairement. L'arrêt du 14 octobre 1997 énonce de son côté que "le devoir d'information pèse aussi bien sur le médecin prescripteur que sur celui qui réalise la prescription". 13. G. Viney, JCP, 1997, I, 4068, n° 10. 14. V. obs. G. Viney, préc. L'auteur écrit que "à vrai dire, on peut s'étonner que des preuves aussi légères aient eté jugées déterminantes...". 15. Bull. civ., I, n 178, p. 151. Commentaire de B. Glorion, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins La notion d’information envers nos malades a évolué en fonction de deux facteurs essentiels : le progrès scientifique et l’évo lution des mentalités au sein de notre société. Le progrès scientifique a modifié profondément la relation du médecin avec son malade. Avant la révolution thérapeutique, le médecin avait peu de choses à dire, la révélation d’un diagnostic bien souvent incertain, un programme thérapeutique limité par des connaissances qui correspondaient aux «données actuelles de la scien ce». Le dialogue se limitait souvent à de bonnes paroles plus empreintes de compassion que d’information. La confiance et le respect pour le médecin ne laissaient que peu de place aux reproches et aux réclamations. L'information donnée par chaque intervenant doit-elle être identique? Sans doute faut-il tenir compte de ce qu'il incombe à chacun, en fonction de sa compétence propre, de donner l'information qu'il est en mesure de fournir. Ce qui veut dire que, pour une opération, il y aura au moins deux informations distinctes: celle qui est inhérente au risque opératoire, et celle qui tient à l'anesthésie. Mais on peut aussi concevoir que la même information soit à la charge de deux personnes différentes : c’est le cas, comme on vient de le voir, de l’examen qui est ordonné par l’un et exécuté par l’autre. Et il est, me semble-t-il, difficile de considérer que le chirurgien puisse ignorer les risques inhérents à l’anesthésie. Le médecin, détenteur du savoir et conscient de son pouvoir, considérait facilement que son patient n’était pas en mesure de recevoir une information et il n’attribuait pas une grande importance à son consentement. Cette époque que l’on a volontiers appelée celle du pouvoir médical est révolue. Beaucoup de médecins n’ont pas perçu ce changement radical des mentalités et n’ont pas compris cette émergence des reproches et des procès. Ce devoir d’information n’apparaissait pas comme une nécessité, et celle-ci restait fragmentaire, rapide, parfois inexpliquée. Conscient de cette obligation et des conditions de sa réalisation, l’Ordre des Médecins a introduit dans la dernière version du Code de Déontologie, des précisions et des affirmations qui sont un des fondements essentiels de la relation médecin/patient. Cette obligation déontologique, trop souvent méconnue, est reprise abondamment dans les arrêts de la Cour de Cassation qu en soulignent avec précision les modalités et l’importance. On retrouve ici encore, la principale difficulté du sujet : édicter des règles générales dans une matière qui, au-delà du droit et de la médecine, relève des sciences humaines, et d’abord de la psychologie. Il n’est donc pas douteux que le renversement de la charge de la 490 Y. Chartier, Progrès en Urologie (1998), 8, 487-491 preuve de cette information est non seulement une modalité juridique relevant du Code Civil, mais aussi une façon de rappeler qu’elle est intégrée dans la réalisation complète de l’acte médical. nuancée, mais surtout loyale et sincère, suffisante pour que le patient, qui est en état de le faire, puisse formuler, en toute connaissance de cause, son consentement. Dans l’état actuel de la réflexion et compte tenu des jugements formulés par la Cour de Cassation, on ne peut s’opposer à la rédaction d’un document écrit, mais il ne faut pas se dissimuler que la pratique médicale s’oriente alors vers un formalisme excessif et surtout contraire à la qualité de la relation humaine qui est l’essence même de notre profession. C’est la raison pour laquelle nous restons très réservés sur le développement de cette modalité nouvelle. Il importe alors, pour nous médecins, non seulement de réaliser cette information nécessaire au consentement du patient, mais aussi d’en apporter la preuve. Bien que la relation du médecin avec son patient soit d’ordre contractuel, il a toujours été admis que ce contrat est un contrat tacite qui impose des engagements qui relèvent pour le médecin de sa responsabilité. Commentaire de A. Haertig, Service d’Urologie, Hôpital de la Pitié, Paris, France. Pour apporter la preuve de cette information, il n’est possible de justifier de cette démarche que devant témoin, par présomption ou par un document écrit. Certes, en terme de droit, la troisième modalité est celle qui a reçu l’aval de la plupart des juristes car la plus simple, la moins contestable et la plus valable. Cet article écrit par un éminent Professeur de Droit et Haut Conseiller à la Cour de Cassation, rappelle de façon claire et concise les quatre devoirs d’information qui s’imposent désormais aux médecins comme ils s’imposaient déjà aux expertscomptables, géomètres, garagistes... Cette démarche, qui se conçoit dans la plupart des relations contractuelles entre un prestataire de service et un usager, introduit dans cette relation avec le patient une dimension formelle contraire à la conception humaine, intuitive, très personnalisée qui consacre la rencontre librement consentie du patient qui choisit son médecin. En effet, si le code de déontologie exprimait ce devoir d’information, la haute juridiction, assimilant le médecin à un prestataire de service et le patient à un consommateur, reconnait ce devoir d’information comme étant de nature particulière, lié au caractère même de la maladie. C’est la raison pour laquelle il nous semble que pour conserver une dimension humaniste à cette relation, il faut insister pour qu’elle soit basée, avant tout, sur la confiance. Si ce devoir est maintenant connu du corps médical, l’auteur précise comment, pour les magistrats, cette information doit être comprise dans l’administration de la preuve. Une information bien faite, réalisée dans des conditions parfaitement identifiables où l’un et l’autre se souvienne du jour du lieu; une information répétée, commentée, ne s’oublie pas et fait partie de ce moment important pour le patient où lui sont fournis tous les éléments de la décision qu’il devra prendre avec son médecin. L’auteur recommande la signature par le patient d’un document établissant qu’il est pleinement informé, mais là encore magistrat ou avocat se garde bien de traiter du contenu de cette information: quelle est la hiérarchie des complications à donner au patient? Ce contrat de confiance ne sera renforcé et plus solide que par le simple échange, au bas d’un document écrit, d’une signature attestant qu’une information a été donnée. Patient information and medical responsibility. ____________________ SUMMARY Quant à son contenu, il doit répondre aux critères formulés dans le Code de Déontologie : information «loyale, claire et appror piée à l’état du patient». The duty of every physician to inform his patient, the failure of which can engage his responsibility, can be essentially conside red from the following four angles : Toute tentative d’information exhuastive est vaine et la démarche prescrite dans les arrêts de la Cour de Cassation ne concerne pas l’exhaustivité mais plutôt le caractère grave et exceptionnel. - a duty to inform : why? - a duty to inform : what duty? - a duty to inform : how? - a duty to inform : for whom? Key-words : Information, medical responsibility, professional ethics, medical risk. Ceci est un argument de plus pour que cette information soit ____________________ 491