UN DEVOIR D’INFORMATION :
A LA CHARGE DE QUI?
La question peut surprendre : le devoir d'information
du médecin lui est en effet personnel. Elle s'explique
cependant par la fait que, dès lors qu'il s'agit de
choses sérieuses, le médecin est rarement un homme
s e u l .
Elle est très largement réglée par l'article 64 du Code de
déontologie médicale. Celui-ci énonce en effet que
"lorsque plusieurs médecins collaborent à l'examen ou
au traitement d'un malade, ils doivent se tenir mutuelle-
ment informés; chacun des praticiens assume ses res-
ponsabilités personnelles et veille à l'information du
malade". Le devoir d'information prend donc ici une
plus ample dimension, puisqu'il doit s'exercer non seu-
lement envers le patient, mais aussi envers les confrères
qui ont à lui prodiguer des soins.
La jurisprudence s'est toujours prononcée dans le même
sens. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle eu à connaître
du cas d'un enfant atteint d'une paraplégie à la suite
d'une aortographie exécutée par un radiologiste confor-
mément à la prescription du médecin de l'enfant. Par un
arrêt du 29 mai 1984 [15], elle a approuvé la cour d'ap-
pel d'avoir jugé que "le radiologue... n'était pas tenu par
les prescriptions de son confrère, qu'il disposait, de par
sa qualité et ses fonctions, d'un droit de contrôle sur la
prescription et avait également l'obligation d'éclairer les
parents du malade sur les risques de l'intervention qu'il
devait pratiquer". En l'occurrence, les deux médecins
ont ainsi été jugés responsables, et condamnés solidai-
rement. L'arrêt du 14 octobre 1997 énonce de son côté
que "le devoir d'information pèse aussi bien sur le
médecin prescripteur que sur celui qui réalise la pres-
cription".
L'information donnée par chaque intervenant doit-elle
être identique? Sans doute faut-il tenir compte de ce
qu'il incombe à chacun, en fonction de sa compétence
propre, de donner l'information qu'il est en mesure de
fournir. Ce qui veut dire que, pour une opération, il y
aura au moins deux informations distinctes: celle qui
est inhérente au risque opératoire, et celle qui tient à
l'anesthésie. Mais on peut aussi concevoir que la même
information soit à la charge de deux personnes diffé-
rentes : c’est le cas, comme on vient de le voir, de
l’examen qui est ordonné par l’un et exécuté par
l’autre. Et il est, me semble-t-il, difficile de considérer
que le chirurgien puisse ignorer les risques inhérents à
l’anesthésie.
On retrouve ici encore, la principale difficulté du
sujet : édicter des règles générales dans une matière qui,
au-delà du droit et de la médecine, relève des sciences
humaines, et d’abord de la psychologie.
REFERENCES
1. Cass., 1ère civ., Bull. civ., I, n 99, p. 65.
2. D, 1936, 1, 88, concl. Matter.
3. M. Fabre-Magnan, L'obligation d'information dans les contrats.G.D.J.,
1 9 7 2 .
4. Bull. civ., I, n 132, p. 88. V. aussi, pour un notaire : Cass., 1ère civ.,
25 juin 1991, Bull. civ., I, n 212, p. 139.
5. Cass. Reg., 28 janv. 1942, DC, 1942, p. 63.
6. JCP, éd. G., I, 22942, rapport Sargos.
7. Bull. civ., II, n° 86, p. 48.
8. Cass., 1ère civ., 22 sept. 1981, Bull. civ., I, n° 268, p. 223.
9. Bull. Civ., I, n° 19, p. 14.
10. Cass., 1ère civ., Bull. civ., I, n 75, p. 49; RTD civ., 1997, p. 434, n.
P. Jourdain.
11. Cass. civ., sect. civ., D, 1952, p. 53, n. R. Savatier; JCP, 1951, II,
6421, n. R. Perrot; RTD civ., 1951, p. 508, obs. H. et L. Mazeaud.
12. V. encore Cass., 1ère civ., 4 avr. 1995, Bull. civ., I, n 154, p. 114.
13. G. Viney, JCP, 1997, I, 4068, n° 10.
14. V. obs. G. Viney, préc. L'auteur écrit que "à vrai dire, on peut s'éton-
ner que des preuves aussi légères aient eté jugées déterminantes...".
15. Bull. civ., I, n 178, p. 151.
Commentaire de B. Glorion, Président du Conseil National
de l’Ordre des Médecins
La notion d’information envers nos malades a évolué en fonc-
tion de deux facteurs essentiels : le progrès scientifique et l’évo -
lution des mentalités au sein de notre société. Le progrès scien-
tifique a modifié profondément la relation du médecin avec son
malade. Avant la révolution thérapeutique, le médecin avait peu
de choses à dire, la révélation d’un diagnostic bien souvent
incertain, un programme thérapeutique limité par des connais-
sances qui correspondaient aux «données actuelles de la scien -
ce». Le dialogue se limitait souvent à de bonnes paroles plus
empreintes de compassion que d’information. La confiance et le
respect pour le médecin ne laissaient que peu de place aux
reproches et aux réclamations.
Le médecin, détenteur du savoir et conscient de son pouvoir,
considérait facilement que son patient n’était pas en mesure de
recevoir une information et il n’attribuait pas une grande impor-
tance à son consentement. Cette époque que l’on a volontiers
appelée celle du pouvoir médical est révolue. Beaucoup de
médecins n’ont pas perçu ce changement radical des mentalités
et n’ont pas compris cette émergence des reproches et des pro-
cès. Ce devoir d’information n’apparaissait pas comme une
nécessité, et celle-ci restait fragmentaire, rapide, parfois inexpli-
quée.
Conscient de cette obligation et des conditions de sa réalisation,
l’Ordre des Médecins a introduit dans la dernière version du
Code de Déontologie, des précisions et des affirmations qui sont
un des fondements essentiels de la relation médecin/patient.
Cette obligation déontologique, trop souvent méconnue, est
reprise abondamment dans les arrêts de la Cour de Cassation qu
en soulignent avec précision les modalités et l’importance.
Il n’est donc pas douteux que le renversement de la charge de la
490
Y. Chartier, Progrès en Urologie (1998), 8, 487-491