L’Afrique centrale face à la convoitise des puissances Etanislas NGODI L’Afrique centrale face à la convoitise des puissances De la conférence de Berlin à la Crise de la région des Grands Lacs Du même auteur Milicianisation et engagement politique au Congo Brazzaville, Paris, l’Harmattan, 2006. Pétrole et géopolitique en Afrique Centrale, Paris, l’Harmattan, 2008. Enjeu électoral et recomposition politique au Congo Brazzaville, Paris, l’Harmattan, 2009. © L’HARMATTAN, 2010 5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-12022-8 EAN: 9782296120228 Ce livre est dédié à tous mes grands parents et autres défunts. Que Daniel Ngodi, décédé, le 19 août 2007, trouve ici le fruit de l’admiration de son fils. Papa, paix à ton âme. Une pensée toute particulière à mon très cher grand frère, le commandant Jean Claude Paddy décédé, le 12 mars 2010, pour son engagement à la recherche sur la paix en Afrique centrale. Grand, tu nous manqueras à jamais. Remerciements Je tiens à remercier tous ceux qui ont apporté des contributions à l'amélioration de ce travail. D’abord, le professeur Sylvain Makosso Makosso, qui m’a encadré en année de maîtrise au département d’Histoire de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de l’Université Marien Ngouabi de Brazzaville, entre 2001 et 2003. C’est, grâce à ses conseils que mon premier travail scientifique intitulé « L’Afrique centrale et les antagonismes mondiaux (1955-1975) », fut soutenu sous sa direction en 2003. Ensuite, le professeur Abraham Ndinga Mbo, qui a dirigé mon travail d’obtention du Diplôme d’Etudes Approfondies en 2004 sur le thème : « Ressources géostratégiques et rivalités des puissances en Afrique centrale : de la Deuxième guerre mondiale à la crise des Grands Lacs ». Ses conseils et son soutien moral ont favorisé mon dynamisme et mon engouement à finaliser ce projet d’écriture scientifique. Enfin, je tiens à remercier tous les amis et collègues qui ont participé à l’aboutissement de cette réflexion. Tous mes remerciements aux personnes anonymes qui nous ont facilité le travail de collecte de données de terrain. Grâce à vous, mon rêve s'est en partie réalisé. Je suis redevable aux collègues de l’Interdisciplinaire groupe de Recherche sur l’Afrique contemporaine (IGRAC) pour leurs conseils et critiques. Il s’agit de Joseph Gamandzori, Joachim Emmanuel Goma Thethet, Jean Félix Yekoka, Jean Pierre Missié, Laurent Gankama, Marcel Nguimbi, Marcel Ipari, Auguste Nsonsissa et Raïssa Koutouma. Introduction Depuis la conférence de Berlin en 1885, la compétition à outrance pour le contrôle et la sécurisation des matières premières stratégiques de l’Afrique centrale a placé la région au centre des enjeux mondiaux. Les rivalités des puissances occidentales, régionales et locales ont pris des formes diverses, notamment par factions civiles interposées, surarmées, luttant à mort, par le biais des réseaux mafieux, d’entreprises multinationales, les chiens de garde des intérêts des uns et des autres. Certains analystes ne manquent pas de noter que l’Afrique centrale en tant que projet géopolitique remonte de la fin du XIXe siècle, période coïncidant avec « la course aux clochers » qui atteignit son paroxysme avec la Conférence de Berlin.1 Questions de recherche Ecrire sur l’histoire immédiate de l’Afrique centrale apparait comme un risque que la plupart des historiens et politologues n’osent pas prendre, en raison des contradictions et de la sensibilité des sujets à traiter. En choisissant de mener ce projet, il s’agissait pour nous, d’éclairer l’opinion sur les enjeux au centre de la convoitise en Afrique centrale. L’histoire a montré que depuis le XVe siècle, l’Afrique centrale a intéressé l’Occident : la traite négrière, les explorations et le partage de l’Afrique, les deux guerres mondiales, la colonisation, la guerre froide et la postbipolarité. Cette région est sans nul doute devenue une terre de violence, de risques, de constellation de conjonctures critiques et de prédilection des puissances.2 1 Nkum A Ndumbe, A. Hitler voulait l’Afrique. Le projet du 3e Reich sur le continent africain. Paris, l’Harmattan, 1980. -Mbokolo, E, L’Afrique au XXe siècle. Le continent convoité, Paris, Montréal, Etudes vivantes, 1980. 2 Ngodi, E, « Puissances régionales et recompositions internes en Afrique centrale » in Enjeux n°22 janvier- mars 2005, pp12-15. 7 L’évolution du contexte géopolitique régional depuis la conférence de Berlin met en lumière, les véritables enjeux des convoitises et des luttes hégémoniques des puissances du monde. Le régionalisme conflictuel devait atteindre son paroxysme avec la banalisation des frontières et l’exploitation des opportunités; la logique de défrontiérisation faisant ainsi intervenir de nombreux acteurs. Sur la base des différents enjeux, à la fois économiques, stratégiques et géopolitiques, la région de l’Afrique centrale est devenue du coup, le théâtre des conflits meurtriers, l’espace des rivalités, nécessitant les interventions extérieures. L’Afrique centrale comme espace géopolitique et stratégique Dans un monde marqué par des fluctuations multiples et des mutations plurielles (politiques, économiques, stratégiques, sociaux), l’Afrique centrale apparaît de plus en plus comme un espace géopolitique et géostratégique où la configuration de la balance de puissance tient compte des visées hégémoniques d’acteurs étatiques ou pro-étatique, tant internes qu’externes. Elle est située en position médiane au sein de l’Afrique, notamment le point de jonction entre la mer (le golfe de Guinée et l’Atlantique centre-oriental) et les espaces lacustres oscillant entre zones équatoriales et zones sahéliennes. Les perspectives stratégiques développées par les Etats de la sous-région d’Afrique centrale ont souvent été compliquées par les projections de puissances extraafricaines (Etats-Unis, pays de l’Union Européenne, Japon, Chine) et des puissances régionales africaines (Angola, Rwanda, Ouganda, Libye, Afrique du Sud, Nigeria). Il est clair aujourd’hui que l’Afrique centrale a toujours été, une région au centre des convoitises et des stratégies d’influences diverses de la part des puissances, aux ambitions énormes. La pluralité des acteurs dans les rivalités en Afrique centrale pour le contrôle des ressources géostratégiques permet de distinguer quatre types de puissances, notamment les anciennes puissances coloniales (France, Belgique, Portugal, Espagne et Angleterre), les superpuissances de la guerre froide (Etats-Unis, URSS), les puissances occidentales (Japon, Canada, Chine, Allemagne) et les puissances régionales africaines susmentionnées. 8 Logiques de puissance et d’hégémonie en Afrique centrale L’Afrique centrale révèle des constructions stratégiques et politiques multiples. La question majeure des pôles de puissance met en scène plusieurs enjeux. Dans toutes les sociétés humaines, la volonté de puissance est une constante qui résulte des circonstances extérieures modifiables, concevables et réalisables, autour de la rareté, de la prospérité et de l’hétérogénéité sociale. Dans ce contexte, la notion de puissance impose la lutte pour le leadership régional ou l’hégémonie mondiale. Elle dépend aussi des capacités militaires, des potentialités économiques, des atouts géopolitiques et des compétences relationnelles. Les moyens utilisés relèvent du domaine militaire (incursion, implication, soutien logistique), diplomatique (soutien politique, médiation), financier (aide, prêt, dons, soutien technique) et économique (sociétés écrans, réseaux mafieux, firmes et multinationales). Il sera question de mettre en relief, les aspects liés à la convoitise de l’Afrique centrale, durant la période dite d’expansion impérialiste et du partage du continent noir ; la participation de l’Afrique centrale dans les deux guerres mondiales et la confrontation est-ouest et enfin les enjeux de la post-bipolarité en Afrique centrale. Le vide laissé par les puissances impérialistes du XVe siècle a été remplacé par des Etats en quête de profits à tirer dans l’ère de la mondialisation. L’effondrement de la bipolarité a entrainé de nombreuses restructurations des positions stratégiques et géopolitiques dans la sous-région. Les turbulences liées à la solidarité concurrentielle entre les puissances ont eu pour enjeu la maîtrise et le contrôle stratégique des matières premières, par des potentialités internes. Les axes géostratégiques se sont redessinés en fonction des nombreuses interventions extérieures. Les conflits armés traduisaient ainsi les ambitions de conquête des espaces vitaux, des zones tampons et des « territoires protégés ». 9 Puissances en compétition et en contradiction en Afrique centrale Le présent ouvrage couvre la période allant de la conférence de Berlin (1885) et du partage de l’Afrique centrale à la crise dans le Région des Grands Lacs et la mort de Laurent Désiré Kabila en République Démocratique du Congo en 2001. Les cent seize (116) années de l’histoire conflictuelle de l’Afrique centrale sont surtout analysées sous l’angle des rivalités et de la convoitise des puissances. Le travail peut ainsi être divisé en quatre périodes : -La première période est celle qui part de 1885 à 1889. Elle est surtout marquée par les luttes entre les puissances impérialistes pour la conquête des espaces et le partage de l’Afrique. Deux types de puissances s’affrontent dans la région. Il s’agit des vieilles puissances coloniales (Portugal, France et Angleterre) et les jeunes impérialismes dont l’appétit se manifeste de plus en plus pour l’Afrique dans la deuxième moitié du XIXe siècle (Allemagne, Belgique). Les enjeux des rivalités divergent d’une puissance à une autre. Si le Portugal, au nom de « droits historiques »3 revendique les territoires de l’ancien royaume Kongo et de l’Angola, la France quant à elle, s’intéresse aux territoires situés entre l’estuaire gabonais et l’embouchure du Congo. L’intervention de la Belgique se limite à l’Etat Indépendant du Congo(EIC), fondé par le Roi Léopold II en 1878. Les explorations impérialistes avaient fini par provoquer un véritable engrenage, dont l’effet fut le partage de l’Afrique centrale, entre les trois puissances coloniales (Portugal, France et Belgique). Après la conférence de Berlin, chaque puissance cherchera à assurer au maximum la sécurité de ses positions coloniales et entamer le processus de mise en valeur des colonies acquises. -La deuxième période est celle qui concerne les deux guerres mondiales, entre 1914 et 1945. Elle est surtout dominée par l’engagement des colonies de l’Afrique centrale aux côtés des puissances coloniales. L’effort de guerre, l’effondrement de la puissance allemande, la montée en puissance des Etats-Unis et de l’URSS et enfin l’affirmation du Tiers-Monde vont avoir une 3 Ces droits historiques remontent au XVe siècle, à l’époque où Diego Cao avait découvert l’embouchure du Congo. 10 influence considérable dans le déclenchement du processus de décolonisation dans la sous- région d’Afrique centrale. -La troisième période est celle dite de la guerre froide qui part de 1947 à 1989. Cette période dite de la confrontation Est-Ouest a fait de l’Afrique centrale, une zone de convoitises entre les différentes superpuissances (Etats-Unis et URSS). Le contrôle des matières premières stratégiques, la surveillance des satellites et cantonnements importants (stockage matériel, carburants), le contrôle des routes maritimes et l’installation des bases navales devinrent les enjeux stratégiques de la guerre froide.4 **Sur le plan géostratégique, l’Afrique centrale apparut comme une zone périphérique faite d’enjeux secondaires dans la stratégie des deux Grands. La position charnière de la région, au carrefour d’autres confluents permettait à Washington de contrecarrer les ambitions soviétiques dans la Corne de l’Afrique et l’Afrique australe et s’assurer des points d’appui le long des côtes africaines. **Sur le plan politique, le monde bipolaire a aussi été marqué par les ingérences diverses et interventions militaires directes et indirectes dans les conflits de la sous-région (Congo Belge, 1960; Angola, 1975). La profondeur géostratégique de l’Afrique centrale, mise en évidence pendant la deuxième guerre mondiale, a fait de la sous-région, un enjeu que chacun des camps qui composaient la bipolarité voulait gagner à tout prix. La bipolarité n’a pas permis d’une autonomie des lignes stratégiques au sein du continent africain. C’est dans ce contexte que les installations aériennes et terrestres de la base Kamina au Katanga (Congo belge) allaient servir de dispositif de l’OTAN en Afrique centrale et de structure d’accueil des éléments des forces rapides américaines, en cas de raids. Les installations qui répondaient aux impératifs de la guerre froide, impliquaient les puissances coloniales. -La dernière période dite de la post-bipolarité part de 1991 à 2001. Elle est surtout marquée par des mutations politiques et géopolitiques. L’émergence des puissances régionales apparaît ainsi comme la conséquence logique. La recomposition de l’Afrique médiane à travers la nouvelle rivalité franco-américaine a été au centre des manœuvres multiples, camouflées dans les 4 M. Aicardi, La politique africaine des Etats-Unis, Paris, Economica, 1987, pp.139-161. 11 interventions extérieures dans les conflits armés (Région des Grands Lacs, Congo, Angola). A travers les différentes périodes de l’histoire, succinctement présentées, l’Afrique centrale a été au centre des convoitises des puissances. Réécrire l’histoire de cette période parait certes complexe, mais importante pour éclairer les enjeux des rivalités actuelles dans la sous- région d’Afrique centrale, théâtre du grand jeu des puissances. Il est à noter que le destin de l’Afrique centrale a toujours été scellé à l’extérieur, pour l’essentiel. En raison du contexte marqué par la confusion, la désinformation, l’emballement des événements, des passions, la complexité des enjeux et l’actualité du sujet, cet ouvrage risque d’être mal interprété par son caractère, limitatif dans le temps et dans l’espace et de l’intérêt accordé à l’histoire stratégique, plutôt que politique de l’Afrique centrale. Les questions soulevées par la présente réflexion se limitent aux aspects suivants : Pourquoi l’Afrique centrale demeure t-elle l’enjeu des convoitises des puissances depuis la Conférence de Berlin ? Quelles sont les mutations géopolitiques et stratégiques en cours dans la sous-région de l’Afrique centrale ? L’Afrique centrale peut-elle être considérée comme un nouveau théâtre du Grand jeu des puissances ? Qui convoite l’Afrique centrale ? Comment se manifestent les rivalités des puissances ? Toutes ces questions ont déjà été débattues par les spécialistes. A chaque période, la conjoncture de crises s’accompagne des changements en profondeurs des stratégies de positionnement. Ce qui invite le chercheur à un renouvellement de la recherche et des analyses. En engageant la réflexion sur les enjeux géopolitiques et stratégiques de l’Afrique centrale, il s’agira d’approfondir nos analyses afin de permettre une lisibilité rigoureuse des questions au centre des convoitises ou rivalités. 12 1 Poussée impérialiste et rivalités en Afrique Centrale L'Afrique centrale présente dans la plupart des analyses des spécialistes des sciences sociales, une topographie éclatée. Certains analystes décèlent des dynamiques de régionalisation très contradictoires qui redistribuent les logiques de puissance, de recompositions territoriales et de construction des espaces.5 D’autres par contre, mettent en avant les trajectoires historiques, pour mieux appréhender les situations critiques de la domination impérialiste et la réplication panafricaine du projet colonial.6 Ce chapitre présente les enjeux historiques du XIXe siècle. Enjeu des rivalités des puissances et géopolitique coloniale L’Afrique centrale en tant qu’entité géopolitique est une construction coloniale qui présente des traits géographiques et humains fortement variés. Depuis la traite des esclaves en passant par la période coloniale, jusqu’aux décennies de la guerre froide, les grandes puissances avaient jeté leur dévolu sur les ressources naturelles et les enjeux géopolitiques que cette partie du continent africain représentaient. Pour mieux circonscrire les enjeux des rivalités coloniales en Afrique centrale, un regard des prémices de la conférence de Berlin de 1885 s’impose. L’accent sera mis sur l’hégémonisme allemand et les convoitises de l’Afrique centrale et les enjeux des explorations coloniales dans les rivalités des puissances. 5 Elikia Mbokolo, L’Afrique au XXe siècle. Le continent convoité. Paris/Montréal, Etudes vivantes, 1980, pp.137-160. 6 N’Kum A Ndumbe III, Hitler voulait l’Afrique. Le projet du 3e Reich sur le continent africain, Paris, l’Harmattan, 1980. 13 Hégémonisme allemand et convoitises de l’Afrique centrale Dès la fin du XIXe siècle, l’irruption de l’Afrique centrale en tant que projet géopolitique marque l’apogée de l’expansionnisme européen. Le rêve du chancelier allemand Bismarck de réactualiser le projet « Mittelafrica » ou « Empire centre africain » se fit au grand jour. Ce projet, hostile à l’entreprise coloniale au nom d’une certaine satisfaction que procurait la réalisation de l’unité allemande, répondait en partie à la stratégie coloniale allemande. L’analyse faite par N’Kum A Ndumbe semble circonscrire la Mittelafrica allemande au-delà des espaces territoriaux qui deviendront plus tard l’Afrique Equatoriale Française (AEF), le Congo belge, le Nigeria et le Kamerun.7 Cette confusion de la délimitation de l’Afrique centrale est éclairée par D. Birmingham et P. Martin qui font de l’Afrique centrale, l’une des régions les plus larges du monde tropical allant du Malawi au Mozambique à l’Est et aux Républiques insulaires de Sao-Tomé et de Guinée Equatoriale à l’Ouest. L’Afrique centrale comprend alors pour ces auteurs, le grand Bassin du Congo, les territoires côtiers du Sud Atlantique, les savanes du nord Cameroun et la République Centrafricaine, les plateaux du Sud Angola et du Zimbabwe.8 L’imposture allemande à étendre la zone d’influence répondait à la dynamique d’occupation des espaces nécessaires au Mittelafrica. Napoléon en définissant la stratégie comme l’art de se servir du temps et de l’espace apportait au projet de Bismarck, une donnée importante de la géopolitique coloniale. La notion de stratégie est devenue un terme carrefour9 dans l’engagement des Etats à étendre des ambitions hégémoniques. L’évocation des questions de stratégie permet de comprendre les visées expansionnistes de l’Allemagne, qui entendait employer les forces politiques, économiques et militaires pour conquérir le continent noir. 7 N’Kum A Ndumbe III, Hitler voulait l’Afrique. Le projet du 3e Reich sur le continent africain, Paris, l’Harmattan, 1980. 8 D. Birmingham et P. Martin, History of Central Africa, Tome 1, New York Longman, Inc., 1983. 9 Lucien P., Des stratégies nucléaires, Paris, Complexe, 1988. 14 Explorations coloniales et rivalité des puissances en Afrique centrale Les mutations internationales s’accompagnent d’une révision des statuts des régions et des territoires qui ne sont en réalité que des constructions politiques qui doivent satisfaire les projets hégémoniques des puissances. D’où les stratégies de déploiement de multiples logiques de domination politique et économique ou de capitalisation des avantages géostratégiques des Etats. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’intérieur du continent africain reste inconnu des Européens. Les seules informations y référant sont soient celles que rapportaient les voyageurs et les géographes arabes, soient celles rapportées par les sources grecques et romaines. C’est pour améliorer les connaissances sur l’hydrographie que l’Europe envoie des missions d’explorations. La curiosité scientifique, la recherche des débouchés et des matières premières et la lutte contre l’esclavage motivent les premières expéditions pacifiques, puis avec l’impérialisme, la volonté de l’Europe de conquérir des espaces. Ambitions de puissances et explorations en Afrique centrale La grande ruée des puissances impérialistes ne va se déclencher qu’après 1880. L’exploration se fait de plus en plus par équipe et prend très vite une allure des caravanes et d’expéditions militaires. D’abord installés sur les côtes, les Européens commencent à s’intéresser à l’intérieur du continent. Il en résulta de graves rivalités apaisées seulement par le partage des territoires. Deux types de puissances s’affrontent: les anciennes puissances coloniales, par ordre d’ancienneté, le Portugal, la France et l’Angleterre et les jeunes impérialismes allemand et belge dont l’appétit se manifeste à la fin du XIXe siècle.10 A partir de 1815, l’Angleterre fait du Bassin du Congo, le nouvel axe géopolitique et stratégique des rivalités impérialistes. 10 Mutamba Makombo, Le Congo belge, 1940-1960, Paris, EHESS, 1978 ; Michel Merlier, Le Congo de la colonisation belge à l’indépendance. Paris, Maspero, 1962 ; Korinman, M., Quand l’Allemagne pensait le monde. Grandeur et décadence d’une géopolitique, Paris, Fayard, 1990. 15 L’affaiblissement du Royaume Kongo et la décomposition de l’autorité royale permettent aux puissances impérialistes de mener des croisades avec autant d’ardeur. Les transformations du commerce atlantique furent l’occasion de révisions déchirantes. Les Anglais, concurrents permanent des Français s’installent dans trois régions. Au Cameroun, la présence de l’Angleterre était la conséquence logique de son implantation progressive dans le delta du Niger et dans le sud du Nigeria. Pour avoir acquis le monopole commercial sur la Gambie, les Anglais avaient contribué à l’élimination de la traite des noirs, en signant des traités avec les chefs traditionnels dont les rois Bell et Akwa entre 1856 et 1858. La côte de l’Afrique centrale apparaissait comme une partie de l’empire informel que les Anglais se constituèrent au XIXe siècle. La pénétration anglaise en Afrique centrale se fit à partir du Cap et de l’Afrique australe dont l’Angleterre s’assurait progressivement le contrôle, avec l’appui du missionnaire David Livingstone. Les grandes explorations britanniques se déroulent surtout en Afrique orientale et australe. En 1857, deux officiers anglais Burton et Speke partent de Zanzibar à la source du Nil. Ils découvrent sur leur parcours le Lac Tanganyika. Burton étant malade, Speke repart en 1860, cette fois-ci accompagné de Grant. Les deux longent le Lac Victoria à l’Ouest, voient le Nil et descendent le fleuve jusqu’en Egypte. Le Nil est le deuxième fleuve exploré par les Européens après le Niger. Cette région avait été explorée par David Livingstone dès 1846. Il a été au cœur de la découverte des chutes victoria avant de mourir en 1873 à Lualaba, cours inférieur du Congo. Le Portugal, au nom des droits historiques qu’il faisait remonter au XVe siècle (découverte de l’embouchure du Congo en 1482 par Diego Cao) revendiquait les immenses territoires de l’ancien Royaume Kongo et de l’Angola. Sa présence centrée autour des villes portuaires de Luanda et de Benguela se limitait à une étroite bande côtière. L’expansion territoriale, d’ailleurs très limitée ne commença qu’à partir de 1830. Les avances impérialistes portugaises permirent l’occupation de la zone comprise entre Bonoto et Kalanje entre 1848 et 1852. Le Portugal occupa le port d’Ambriz en 1855 et la ville de Sao Salvador en 1862. Pour réussir les expéditions militaires, les Portugais avaient pris l’habitude de recruter la « guerra preta » (armée noire), formée 16 de combattants africains encadrés par des blancs, officiers de l’armée régulière et des mercenaires.11 Les Portugais après avoir piétiné l’Angola lancèrent quelques grandes expéditions vers le cœur du continent. Ils réussirent d’établir une liaison directe entre les deux côtes du continent, celle de l’océan Atlantique et celle de l’océan Indien, à partir du Mozambique et le Cap Vert. La France, pour sa part, s’intéressa aux territoires situés entre l’estuaire gabonais et l’embouchure du Congo. En 1839, les chefs traditionnels du Gabon (Roi Dénis Rapontchombo, Quaben) signent avec les officiers français dont le capitaine Bouet Willaumez des traités de cession de souveraineté. La France qui avait peur d’être devancée par les Anglais au Gabon décida de prendre possession de l’estuaire et de construire sur la rive droite, un comptoir fortifié, Fort-D’Aumal. Dès 1849, les Français transforment le Gabon en une colonie et sur le modèle de Free Town en Sierra Leone, ils fondent Libreville.12 La France chercha à acquérir des territoires situés au sud de l’estuaire du Gabon, puis l’embouchure du Congo. Elle établit des comptoirs à Loango et à Cabinda.13 La poussée impérialiste dans le Bassin du Congo La présence européenne en Afrique centrale se transforme à partir de la fin du XIXe siècle en rivalités de puissances. Les mutations économiques nées de la révolution industrielle eurent des répercussions énormes sur la conquête des territoires. Les trois vieilles puissances coloniales engagées en Afrique centrale affirment des ambitions nouvelles dans le Bassin du Congo, nouvel enjeu des rivalités européennes. 11 G.T. Bender, Angola, Under the Portuguese. The myth and reality, Londres, 1978. 12 Voir Meteghe Nnah, Domination coloniale au Gabon : la résistance d’un peuple 1839-1960, T.1, les combattants de premières heures (1839-1920), Paris, l’Harmattan 1981. 13 Coquery Vidrovitch, C., Le Congo au temps des compagnies concessionnaires 1898-1930, Paris, Mouton, 1972. 17 Le Portugal, constatant que personne ne prenait au sérieux ses prétendus droits historiques chercha tantôt des accommodements avec les autres puissances sur les frontières de leurs zones d’influence respectives, tantôt une occupation effective des territoires dont le Cabinda. L’Angleterre qui s’était jusque là contentée de son « Empire informel » se rallia à l’idée d’annexion territoriale sous la pression des missionnaires et quelques hommes d’affaire. La France à travers la popularité de Pierre Savorgnan de Brazza s’engagea dans la lutte. Premier constat, le Bassin du Congo devint un espace géopolitique d’importance capitale dans les rivalités européennes. Les explorateurs joueront un rôle clé dans l’occupation et la mise en œuvre des territoires. De 1879 à 1882, l’intervention de la Belgique en Afrique centrale est motivée au départ par l’œuvre personnelle du roi Léopold II et de ses conseillers. En décembre 1875, il manifesta ses intentions en proposant une aide financière à l’explorateur anglais, Cameron, puis à Stanley. Henri Mouton Stanley qui venait de préconiser, la pénétration africaine par la route de l’Ouest, en partant par l’ancien port de Boma fut coopté par Léopold II en 1878, avec pour mission « d’occuper des territoires ». Mais Stanley, recruté à cette fin, connaissait les intentions du Roi et sa détermination à ne pas ‘’laisser échapper une bonne occasion de se procurer une part dans ce magnifique gâteau africain’’. C’est dans ce contexte que partit la mission d’exploration de Stanley en 1879. Les bâtiments des marines de guerre français et portugais qui surveillaient les côtes du Congo laissèrent passer les membres de la mission puisqu’ils représentaient l’AIA et non pas une puissance particulière. Une course de vitesse s’engagea alors entre Brazza, pour le compte de la France, et Stanley, pour celui de Léopold II. En janvier 1879, Stanley arrive Zanzibar, explore le Lac Victoria et Tanganyika. Il descend le bassin du fleuve Congo, le remonte jusqu’au Pool, où il est surpris par le drapeau français. Il installe des stations du comité du Haut Congo à Vivi, Isanguila, Manianga et Léopoldville. Du Stanley Pool, il descend à pied jusqu’à Boma pour des raisons de santé. Il décide de repartir en Europe. Pierre Savorgnan de Brazza, italien d’origine, devenu officier de la marine française se lança dans la conquête du Bassin du Congo en 1879. Après l’échec de sa première expédition dans 18 la région, De Brazza attire l’attention du gouvernement français sur l’importance politique et économique de la zone pivot comprise entre le Gabon et la côte portugaise. Le 27 décembre 1879, De Brazza commence sa deuxième mission. Il longe l’Ogooué jusqu’à la Mpassa, traverse les territoires Bateke, où il décide de rencontrer le chef traditionnel Makoko avec qui, il signe le 10 septembre 1880, un traité de cession territorial. Par ce traité, Makoko cède à De Brazza, une portion de territoire de NcounaMfoa sur la rive droite du fleuve Congo. A l’insu de Stanley, il résolut de dissoudre le Comité d’étude du Haut Congo et de le remplacer par l’Association Internationale du Congo(AIC). Contrairement au comité, l’AIC avait pouvoir d’occuper des territoires. Stanley n’en fut informé qu’à son retour en 1882. De Brazza fit hisser le pavillon tricolore français sur la rive droite du fleuve Congo. Reparti en France. Il revint en 1882 avec le traité conclu plus tôt avec Makoko en septembre 1880. En avril 1883, De Brazza qui venait d’être nommé commissaire de la République dans l’Ouest- africain, entreprend une troisième mission d’occupation du Bassin du Congo. Il entend ainsi consolider et étendre les possessions françaises faites par un officier français Cordier qui était parvenu sous la preuve d’intimidation à faire signer le traité du 12 mars 1883 avec le roi de Loango et les chefs traditionnels de Pointe-Noire, le 21 juin 1883. Brazza assure la liaison entre la côte de Loango et le Ncouna sur le Pool à travers la voie du Kouilou-Niari et crée de nouveaux postes de l’exploration française dans le nord Congo. Les initiatives de Léopold II dans le bassin du Congo ont provoqué un véritable engrenage entre les trois vieilles puissances coloniales (Portugal, Angleterre, France) et les deux nouveaux impérialismes des rivalités des puissances en Afrique centrale. La Conférence de Berlin (15 novembre 1884- 26 février 1885) et le partage de l’Afrique La conférence de Berlin a eu pour effet d’ancrer, le continent africain dans l’orbite stratégique de l’Europe. Elle a généré une profonde balkanisation territoriale de l’Afrique, par une série d’actes juridiques qui mettent de côté les rivalités intrinsèques de l’Afrique, pour ne privilégier que les intérêts économiques et 19 stratégiques des Européens. Cette conférence reste un point d’appui pour expliquer les rivalités des puissances en Afrique centrale. Pour mieux circonscrire notre réflexion, il sera question de présenter les causes de la conférence, le déroulement et enfin les décisions de cette rencontre. Les causes de la conférence Les rivalités territoriales entre la France, la Belgique et le Portugal dans le Bassin du Congo, sont le mobile majeur, plusieurs éléments justifient ainsi ces rivalités. Après l’occupation de la côte de Loango par la France, en 1883, Léopold II s’efforçait de faire reconnaître le pavillon de l’AIC comme pavillon d’Etat : il obtint l’accord des Etats-Unis, le 22 avril 1884. Les divergences qui vont découler de cette occupation entraînent la palabre de Mfoa entre Brazza et l’AIC. Pendant que la France et la Belgique disputent le Bassin du Congo, Le Portugal soutenu par l’Angleterre, réclame ses droits de contrôle de l’embouchure du Congo et les côtes congolaises. Le traité anglo-portugais du 26 février 1884 reconnaît les prétentions du Portugal sur les deux rives du fleuve Congo. Le Portugal obtint du gouvernement de Londres, la reconnaissance de sa souveraineté sur les deux rives de l’estuaire du Congo et sur le littoral de la côte atlantique. Cette reconnaissance va susciter des protestations de l’AIC et de la France. Ce traité servira de politique pour Léopold II qui essayera de faire reconnaître son projet de création d’un Etat indépendant du Congo, au sein du quel tous les Etats devaient faire librement leur commerce. Persuadé par cette révélation, le gouvernement britannique finira par dénoncer cet accord pendant que le Portugal et la Belgique étaient en négociation à Paris. Le chancelier allemand qui entendait jouer un rôle important en Europe, mais aussi en Afrique prit position dans la lutte des possessions coloniales à partir de 1884. Pour faire face à la menace anglaise, Léopold II trouve une alliée dans la France, exploitant ainsi les jalousies et les rivalités franco-anglaises en Afrique. La bataille pour l’Afrique Australie acquise entre la GrandeBretagne et l’Allemagne s’était focalisée sur l’Afrique centrale. En effet, jusqu’en 1884, date à laquelle le chancelier Bismarck se 20