neuro-mémo Neuro-Mémo Les traitements de fond antimigraineux S. Romatet* U n traitement de fond de la migraine a pour objectif principal de réduire la fréquence des crises et par là même de diminuer la consommation des médicaments de crise ; il peut apporter également d’autres bénéfices, comme la réduction de l’intensité et de la sévérité des crises, une moindre sensibilité aux facteurs déclenchants. On le propose généralement aux patients présentant au moins trois crises mensuelles, parfois moins si les crises sont sévères, avec un retentissement important sur la qualité de vie. Cependant, chez certains patients ayant une excellente réponse aux traitements de crise, sans effet indésirable et sans abus de prise, on peut se passer du traitement de fond, même si la fréquence des crises est importante. Il faut bien expliquer aux patients qu’il s’agit d’un traitement quotidien, prescrit pour plusieurs mois dont l’efficacité est conditionnée par l’observance. En dehors des traitements médicamenteux, on peut également proposer des techniques non médicamenteuses. * Consultation migraine, hôpital de la Salpêtrière, Paris et Saint-Germain-en-Laye. Act. Méd. Int. - Neurologie (1) n° 5, octobre 2000 Ce qu’il faut garder en mémoire Les médicaments De nombreuses molécules existent ; les médicaments majeurs sont ceux dont l’efficacité a été démontrée contre placebo dans au moins deux essais thérapeutiques contrôlés de qualité satisfaisante : ce sont certains bêtabloquants, les antisérotoninergiques (pizotifène, oxétorone, méthysergide), l’amitriptyline (hors AMM), la flunarizine, les AINS et le valproate de sodium (hors AMM). D’autres molécules peuvent être utilisées en traitement de fond, mais leur efficacité est moins bien étayée. Il n’y a pas d’essai comparatif ayant démontré la supériorité d’une molécule par rapport aux autres. Les bêtabloquants Cinq bêtabloquants (sans activité sympathomimétique intrinsèque) ont montré leur efficacité dans le traitement de fond de la migraine : – le propranolol (Avlocardyl ® 40 à 240 mg/jour ; CTJ : 1, 50 F environ) ; – le métoprolol (Lopressor® et Séloken® 100 à 200 mg/jour, CTJ : 1 à 2 F ; le Séloken® coûte moins cher) ; – le timolol (Timacor® 10 à 20 mg/jour), l’aténolol (Ténormine® 100 mg/jour) ; – le nadolol (Corgard® 80 à 240 mg/jour). Seuls le propanolol et le métoprolol ont l’AMM dans la migraine. Effets secondaires : ● fréquents : asthénie, mauvaise tolérance à l’effort ; ● rares : insomnie, cauchemars, impuissance, dépression. Les antisérotoninergiques – le pizotifène (Sanmigran®) 2 à 4 cp/jour ; CTJ : 2, 72 F à 5, 44 F ; – l’oxétorone (Nocertone®) 2 cp/jour ; CTJ : 1,38 F ; – le méthysergide (Désernil®) 2 à 3 cp/jour ; CTJ : 3, 78 F à 5, 67 F. Les principaux effets indésirables sont la somnolence et surtout la prise de poids pour le 182 Sanmigran®, la somnolence et rarement une diarrhée rebelle pour la Nocertone®, des nausées, des vertiges, une insomnie pour le Désernil® ; exceptionnellement, celui-ci (qui est un dérivé de l’ergot de seigle) peut occasionner ergotisme et fibrose rétropéritonéale régressive à l’arrêt du traitement et qu’il faut prévenir en interrompant le traitement 1 mois tous les 4 à 6 mois ; en cas de nécessité de poursuite du traitement sur plus d’un an, il convient de vérifier la fonction rénale ainsi que l’échographie rénale ; ses contre-indications sont l’hypertension artérielle, l’insuffisance coronaire, hépatique ou rénale, l’ulcère gastrique et les artériopathies périphériques. La flunarizine (Sibélium® 1cp/jour ; CTJ : 2, 27 F.) C’est un inhibiteur calcique ; ses principaux effets secondaires sont la somnolence et la prise de poids ; rarement ce traitement peut induire dépression ou syndrome extra-pyramidal. L’amitryptiline (Laroxyl® ; CTJ : 50c à 1, 50 F – Élavil® ; CTJ : 1 à 4 F.) C’est un tricyclique efficace dans la migraine à petites doses (< 50 mg/jour) ; les effets secondaires sont la somnolence, la sécheresse de bouche et la prise de poids ; on ne l’utilisera pas en cas de glaucome ou d’adénome prostatique. Cette molécule est particulièrement recommandée chez les migraineux qui associent migraines et céphalées de tension. Sa prescription est hors AMM dans la migraine (mais a l’indication “algies rebelles”). Les AINS C’est surtout le naproxène (Naprosyne®, Apranax® 1 000 mg/jour ; CTJ : 3, 50 F à 4, 50 F) qui a été le mieux étudié ; les effets secondaires sont d’ordre digestif, et il peut diminuer l’efficacité du stérilet. Cette prescription n’a pas l’AMM dans le traitement de fond de la migraine. Le valproate de sodium (Dépakine® 500 à 1 000 mg/jour ; CTJ : 3, 37 F à 6, 74 F.) neuro-mémo Neuro-Mémo C’est une prescription hors AMM, mais son efficacité antimigraineuse a été démontrée récemment. Principal effet secondaire : nausées, mais aussi plus rarement prise de poids, tremblements, somnolence et perte de cheveux ; la surveillance du bilan hépatique s’impose. Les autres molécules – La dihydroergotamine (DHE Sandoz® 30 gouttes/jour ou 3cp/jour ; CTJ : 3 F en cp – Ikaran® 2cp/jour ; CTJ : 4 F – Séglor® 2cp/jour ; CTJ : 4 F – Tamik® 2cp/jour ; CTJ : < 2 F). Elle est largement utilisée en pratique courante et très bien tolérée, mais son efficacité n’a pas été clairement démontrée ; elle a l’AMM dans le traitement de fond des migraines. – L’indoramine (Vidora® 25 à 75 mg/jour ; CTJ : 2, 48 F à 3, 72 F). C’est un alphabloquant, antihistaminique et faiblement antisérotoninergique ; ses principaux effets secondaires sont la somnolence, la congestion nasale, la bouche sèche, les troubles de l’éjaculation ; elle a l’AMM dans la migraine. – En pratique, on utilise en première intention un antimigraineux “majeur” surtout bêtabloquant ou antisérotoninergique. – On ne prescrit qu’une seule molécule ; rien ne prouve que les associations de molécules aient une meilleure efficacité, et l’on augmente le risque d’effets secondaires. Cependant, chez les migraineux qui associent de vraies crises à des céphalées de tension, l’association d’un traitement de fond et d’amitriptyline est judicieuse. Stratégie thérapeutique Modalités de prescription – Le médicament choisi doit être instauré à doses très progressives afin d’éviter les effets secondaires. – Si la tolérance est bonne, il est capital de prescrire les traitements à des doses correctes sous peine d’inefficacité (par exemple, les bêtabloquants). – L’efficacité du traitement doit être évaluée au bout de 3 mois, grâce à la tenue d’un carnet de crise qui permettra de juger objectivement l’impact du traitement sur la fréquence des crises. – Si le traitement est efficace, il sera poursuivi pour une durée totale de traitement d’au moins 6 mois, plutôt 12, voire 18 mois. L’expérience prouve qu’un traitement de fond bien observé et suffisamment longtemps peut être arrêté progressivement au bout d’un certain temps sans reprise des crises ; s’il est arrêté trop précocement, les crises reviennent et la réintroduction du traitement préalablement efficace donne de moins bons résultats. – En cas d’inefficacité ou de mauvaise tolérance du traitement, on “essaie” une autre molécule. Il faut bien expliquer au patient qu’on ne peut pas procéder autrement que par tâtonnements successifs jusqu’à ce que l’on trouve la bonne combinaison traitement de crise/traitement de fond. La première démarche est la suppression des facteurs déclenchants autant que possible : facteurs alimentaires, couchers tardifs ou grasse matinée, etc. Les traitements non médicamenteux Choix de la molécule – Il repose sur la connaissance des contreindications et des effets secondaires, sur les pathologies associées du patient. On peut les proposer en association avec les thérapeutiques médicamenteuses ; il s’agit essentiellement de la relaxation avec biofeedback, de l’acupuncture ou de l’homéopathie. Mécanisme d’action des traitements de fond Il reste très mal connu ; on pense qu’il est lié à l’antagonisme des récepteurs 5HT2, à la modulation de l’extravasation des protéines plasmatiques et de l’activité centrale des catécholamines, aux effets stabilisateurs de membrane au niveau de canaux voltage-dépendants. 183 Cas particuliers L’enfant Lorsqu’un traitement de fond s’avère nécessaire, on peut utiliser la DHE, le propranolol (2 à 4 mg/kg/jour), le pizotifène, la flunarizine (1/2 cp/jour), l’amitriptyline (10 à 20 mg/jour ; en fait, seule la flunarizine a l’AMM chez l’enfant ; il faut dans tous les cas éviter d’induire une somnolence et privilégier la prise en charge non médicamenteuse. La femme enceinte Le traitement de fond est rarement nécessaire durant la grossesse du fait de la fréquente amélioration spontanée de la maladie migraineuse pendant cette période. Si celui-ci est indispensable, il n’y a pas de traitement standard et il vaut mieux privilégier les thérapeutiques non médicamenteuses à cause du risque de tératogénicité des antimigraineux ; les bêtabloquants peuvent être éventuellement prescrits si besoin. Conclusion Beaucoup de molécules existent donc dans le traitement de fond de la migraine constituant un arsenal thérapeutique varié permettant d’améliorer la maladie migraineuse chez la grande majorité des migraineux Références 1. Bousser MG, Massiou H. Traitement de la migraine. Med Ther 1995 ; 1 : 79-88. 2. Lance JW. Treatment of migraine. Lancet 1992 ; 339 : 1207-9. 3. Massiou H, Bousser MG. Céphalées et migraine. In : M Tournaire (Ed). Mises à jour en gynécologie et obstétrique. Paris : Vigot, 1995 : 325-52. 4. La migraine. 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