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Introduction : Biographie
En novembre 1888, deux mois avant que commence pour lui
la longue nuit de la folie, Nietzsche rédige une sorte
d’autoportrait, sous le titre Ecce Homo (« Voici l’homme »), le
sous-titre étant Comment on devient ce qu’on est. La formule
« devenir ce qu’on est » revient souvent chez Nietzsche, pour
qui elle représente le chef-d’œuvre de l’amour de soi : ignorer sa
tâche propre, la négliger pour suivre des chemins de traverse,
lui permettre ainsi de mûrir secrètement, et pouvoir enfin
mettre à son service des facultés auxiliaires variées, qu’on
n’aurait pas eu l’idée de cultiver si l’on était resté obnubilé par
soi. En tant que philosophe, Nietzsche a fait sa devise de la for-
mule de Pindare, « Deviens ce que tu es », et non de la formule
de Socrate, « Connais-toi toi-même ».
Dans l’œuvre de Nietzsche, les chemins de traverse n’ont pas
manqué, avant qu’apparaisse la tâche dominante qui a rendu
nécessaires tous ces détours. Cette tâche, Nietzsche la nomme
transvaluation de toutes les valeurs : destruction des valeurs
qui ont eu cours jusqu’ici parmi les hommes, et création de
nouvelles valeurs, par une inversion du principe de
l’évaluation ; transmutation de valeurs négatives, hostiles à la
vie, en valeurs affirmatives, exaltant la vie. C’est dans cette
tâche que Nietzsche, en 1888, estime être « lui-même ». C’est
par rapport à elle qu’il juge, rétrospectivement, la façon dont il
est devenu ce qu’il était.
Friedrich Wilhelm Nietzsche naît le 15 octobre 1844, au
presbytère de Rœcken, en Saxe prussienne. Son père est pasteur
luthérien et fils de pasteur ; sa mère vient également d’une fa-
mille de pasteurs. Être « délicat, bienveillant et morbide », le
père de Nietzsche meurt à 36 ans : dans Ecce Homo, Nietzsche
évoque cette figure paternelle comme une sorte de fatalité in-
time, l’origine de l’état maladif dans lequel il a vécu le plus sou-
vent (maux de tête et d’estomac, troubles oculaires, difficultés
de parole), l’origine également de cette absence de ressentiment