Université de lausanne
Faculté des Lettres - Section de philosophie
Cours de philosophie générale 2008-2009
Professeur : R. Célis
Assistante : S. Burri
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Introduction à la philosophie générale et systématique
La question de la révolte : Nietzsche, Marx, Camus
Introduction
Ce qui est mis radicalement en question à partir du moment où l’on considère la révolte comme un
sentiment tout à fait paradoxal, c’est l’inadéquation fondamentale entre la liberté et l’inhibition de l’action.
Dans la révolte, l’homme ne peut trouver de solution à cette inadéquation. D’une certaine manière, le
fossé, l’abîme se creuse et la riposte n’est plus possible. Il s’agit de voir que ce qui est mis en cause dans la
révolte, c’est la désirabilité de l’existence. Autrement dit, comment concevoir que la vie d’un mortel – avec
toutes ses souffrances, ses doutes et ses difficultés – soit, par-dessus tout, désirable.
La désirabilité de la vie
La désirabilité de la vie n’est pas quelque chose d’évident et pourtant, c’est précisément ce désir qui
pourrait rendre à cette dernière son intensité. Il s’agit de comprendre que si on se posait authentiquement
la question du sens de la vie (le « wozu ? » nietzschéen), les choses arrêteraient de fonctionner telles
qu’elles fonctionne à présent. Il s’agirait, toujours selon le mot de Nietzsche, d’arrêter la roue du temps,
d’arrêter la part statique du temps. Autrement dit, pour Nietzsche, la tâche du philosophe consiste à
arrêter ce flux temporel. Mais pourquoi faudrait-il l’arrêter ? Précisément parce qu’il s’agit d’habiter
proprement le temps et non de le traverser. Il s’agit de vivre dans un présent qui ne serait pas absent et
d’éprouver la dilatation du temps.
Nietzsche relève le problème de la morale comme perversion de la spiritualité. La morale, dans
notre monde moderne devient une religion des devoirs. Mais en quoi consiste au juste cette morale ? Il
s’agit d’une morale ou religion des très petits devoir qui ne laisse aucune place à de grands objectifs. Il
s’agit d’une petite morale qui incite à voir comme démesuré le fait de devenir ce que l’on n’est. Ce
véritable désir – devenir ce que l’on est – est alors remplacé par une quantité de petits devoirs quotidiens.
D’où le culte, dans notre monde moderne, du travail, de la productivité et de la performance. Nos héros
ne sont dès lors plus des personnalités impressionnantes mais ceux qui ont conquis quelques grades
sociaux. Nos héros sont désormais ceux qui gagnent en privilégiant la quantité à la qualité. Cette morale-là
est, selon Nietzsche, devenue religieuse. Il s’agit, dans sa version calviniste de remplir avec soin les
obligations sans se poser de grandes questions, sans se demander si ces obligations ont un sens pour nous.
La parabole de la Sainte cruauté
Au paragraphe 73 de l’ouvrage de Nietzsche Le gai savoir, se trouve la parabole suivante :
« Sainte cruauté. – Un saint vit venir à lui un homme qui portait un nouveau-né. « Que
dois-je faire de cet enfant ? demanda ce dernier, il est misérable, mal venu et n’a pas assez
de vie pour mourir. » - « Tue-le », s’écria le saint d’une voix terrible, « tue-le et tiens-le
pendant trois jours et trois nuits dans tes bras, afin que tu t’en souviennes : - de la sorte tu
n’engendreras jamais plus d’enfant, si ce n’est pour toi le temps d’engendrer. » - Lorsque
l’homme eut entendu ces paroles, il s’en alla déçu ; et beaucoup blâmèrent le saint pour
avoir conseillé une action cruelle, comme de tuer l’enfant. « Mais n’est-il pas plus cruel de
le laisser vivre ? » dit le saint. »1
1 Friedrich Nietzsche, Le gai savoir, trad. Pierre Klossowski, Folio essais, Ed. Gallimard, Paris, 1982.