Problématique transversale : Ecosystème alimentaire, Biodiversité et Santé
Mots clefs :
Microbiodiversité, transfert génétique horizontal, OGM, immunité, probiotiques, fermentation, santé
Au sujet de la microbiodiversité
Pr Jean-Michel PANOFF Microbiologiste Université de Caen France
http://www.criigen.org/content/view/55/105/
Résumé : la microbiodiversité est considérable mais mal connue. Les microorganismes représentent un pool
génétique important et étant donné les possibilités de transferts génétiques horizontaux dans l’ensemble du
monde vivant, il conviendrait d’être prudent dans la consommation de produits issus du génie génétique.
La microbiodiversité est peu connue étant donné qu’elle est extrêmement vaste.
Au sein de celle-ci existe une grande diversigénétique appréciable à travers l'analyse de l'arbre
phylogénétique universel "sans racine" qui a é construit à partir de l’étude de séquences
génétiques. Il est divisé en trois domaines - archées, eubactéries et eucaryotes - qui se rejoignent au
niveau de LUCA (Last Universal Common Ancestor), dernier ancêtre commun des organismes
cellulaires.
La diversité des plantes et des animaux est faible au regard de la microbiodiversité. Les
microorganismes prédominent dans le monde vivant puisqu’ils comprennent non seulement les
Archées, les Eubactéries, mais aussi de nombreuses espèces d’eucaryotes microscopiques (micro-
algues, micro-mycètes, protozoaires).
L’arbre phylogénétique élaboré
par Hugenholtz (1998) illustre
l’importance des bactéries dans
le monde vivant.
Phylogénie des Eubactéries
La taille des triangles
représentant les phylums est
proportionnelle à leur diversité
taxonomique. En sombre sont
représentés les phylums dont
les représentants ne sont pas
cultivés et qui ne sont connus
que par l’intermédiaire de leurs
séquences génétiques
identifiées par des sondes.
LUCA
Archées
Eucaryotes
Eubactéries
Arbre phylogénétique
universel d’après Lecointre
et Le Guyader 2001
La quantité de bactérie ("la majorité invisible ") est estimée, sur notre planète à plus de 1030 cellules
correspondant à une biomasse d'environ 1017 g.
L'estimation du nombre d'espèces bactériennes sur terre est comprise entre 109 et 1012 dont moins
de 104 sont incluses dans une nomenclature officielle. Ce caractère très superficiel de notre
connaissance de la microbiodiversité en général, se retrouve en particulier dans l'étude du tube
digestif de l'homme. En effet, 70% des 1014 bactéries qui composent le microbiote intestinal, ne sont
pas cultivables in vitro et compose un pertoire de gènes au moins 100 fois supérieur au génome
humain.
Comment définir l’espèce en microbiologie ?
Pour la majeure partie des macro-organismes la reproduction qui est sexuée permet de définir les
espèces. Les microorganismes se reproduisent par division binaire et donc ce mode de finition des
espèces ne convient pas en ce qui les concerne.
L’espèce est alors définie en fonction de ses gènes, de son phénotype, et de l’écosystème auquel elle
appartient. La spéciation se fait quand il y a changement d’écosystème.
L’acquisition d’innovations chez les bactéries se fait par transfert génétique latéral.
Les transferts génétiques horizontaux
Ils sont bien connus chez les bactéries et permettent l’acquisition de nouveaux phénotypes adaptés
aux environnements.
Des bactéries à la culture de cellules humaines, en passant par les champignons et les plantes, une
grande diversité de transferts génétiques horizontaux - naturels ou artificiels, expérimentaux ou
déduits des analyses de séquences génétiques - a été décrite.
Par conséquent, la biodiversité non caractérisée - particulièrement en microbiologie - associée à
l'universalité du phénomène de transfert génétique horizontal, conduit à considérer que la
dissémination d'ADN à partir des OGM dans les environnements biologiques, y compris dans
l'alimentation et le sol, est clairement incontrôlée et prévisible.
Dans l'état actuel des connaissances, la consommation de produits issus du génie génétique reste
donc très discutable.
“Genomics and the bacterial species problem”
Doolittle et Papke (2006)
La ligne bleue marque la spéciation et les flèches rouges montrent les
recombinaisons des génomes par transfert horizontal.
Ecosystèmes alimentaires complexes : des micro-organismes pour protéger des micro-
organismes ?
Dr Nathalie DESMASURES
Microbiologiste Unité des Microorganismes d’intérêt Laitier et Alimentaire Université de Caen France
Résumé : Il est possible d’améliorer la conservation des aliments et d’éviter le développement des pathogènes
en maintenant la microflore naturelle ou bien en utilisant des souches de bactéries protectrices. L’effet
protecteur de ces souches n’est pas encore bien élucidé.
L’environnement peut être source de divers microorganismes potentiellement pathogènes
transmissibles à l’homme ou à l’animal par le biais des aliments (zoonoses). En Europe et aux Etats-
Unis, les principaux pathogènes d’origine alimentaire recensés sont des bactéries, il s’agit des
Campylobacter thermophiles (chez les poulets notamment), des Salmonella (œufs, porc poulets), des
Escherichia coli VTEC (bovins, ovins, végétaux, eaux contaminées) et de Listeria monocytogenes
(produits de la pêche et laitiers, charcuterie).
Ces bactéries sont psychrotrophes (se développent à des températures inférieures à 7°C) et leur
émergence est favorisée par la réfrigération empêchant le développement d’une flore non
pathogène compétitive.
Différentes stratégies ont été mises en œuvre le long de la chaîne alimentaire pour lutter contre la
contamination par ces organismes :
- par assainissement en amont au stade de la production primaire (pre-harvest strategy),
- par application de traitements technologiques au niveau des matières premières
(traitements physiques, chimiques, microbiologiques)
- par une « stabilisation » de la flore microbienne des produits finis, à travers le maintien de la
chaîne du froid.
Parmi les traitements technologiques, il y a ceux contre les microorganismes (voir ci-dessous), puis il
y a ceux avec les microorganismes faisant intervenir des microorganismes compétiteurs non
pathogènes qui limitent la contamination par les pathogènes. Ces traitements correspondent au
maintien de la microflore banale, aux procédés de fermentation et à l’addition de cultures
protectrices (PCs).
De nombreux exemples peuvent illustrer l’utilisation des PCs. Il s’agit de souches bien identifiées,
généralement de bactéries lactiques, incorporées dans les produits alimentaires elles vont alors
constituer la microflore dominante. Elles peuvent être ajoutées à divers aliments crus (viandes, laits,
œufs) ou transformés (plats cuisinés, soupes, poissons fumés) et engendrer l’inhibition de divers
microorganismes pathogènes.
Les traitements des aliments à l’aide des microorganismes
1) Maîtrise de la microflore banale
De nombreux aliments frais sont contaminés par la Listeria monocytogenes présente dans
l’environnement.
Son biotope naturel est le sol, elle se développe en saprophyte sur des végétaux en
décomposition.
Des études ont montré par exemple, que des poivrons étaient protégés par la microflore naturelle de
carottes.
2) Les cultures protectrices
Il existe de nombreuses bactéries protectrices, elles appartiennent aux genres Lactococcus,
Enterococcus, Lactobacillus, Pedioccoccus, Carnobacterium qui sont des bactéries lactiques. Elles
permettent de lutter contre les indésirables qui appartiennent aux genres Listeria, Salmonella, et
Pseudomonas.
Ce procédé a par exemple été démontré sur le saumon fumé, (Richard et al. Unide Recherche
Qualité Microbiologique et Aromatique des Aliments, ENITIAA Nantes France) Carnobactérium
divergens produirait une bactériocine active contre Listeria monocytogenes et protègerait le saumon
fumé contre la prolifération de celle-ci.
3) Les fermentations
Dans le cas des aliments fermentés, la complexité des écosystèmes alimentaires tend à s’accroître,
notamment lorsque ce sont des matières premières crues qui font l’objet de la fermentation.
Par exemple, diverses études ont mis en évidence que la diversité microbienne recensée dans des
fromages au lait cru (fromages à croûte morgée, maroilles livarot etc.) est plus importante que celle
de fromages au lait pasteurisé. En parallèle, il a été montré que la proportion d’échantillons positifs
pour Listeria monocytogenes parmi des fromages européens au lait cru était de 1,6 à 10 fois moins
importante que celle obtenue parmi des fromages au lait pasteurisé.
La morge est un écosystème complexe qui empêcherait le développement de la Listeria, mais
comment ?
Diverses hypothèses ont été mises en avant pour expliquer cette différence. En effet, diverses
substances d’origine biologique sont actives sur Listeria monocytogenes. Mais la présence de
souche(s) productrice(s) de bactériocine(s) ou de diverses substances inhibitrices (acides organiques,
dioxyde de carbone, peroxyde d’hydrogène) ne peut pas à elle seule expliquer les niveaux
d’inhibition rencontrés. L’effet qualifié de « barrière » exercé par la microflore naturelle semble être
plus complexe :
- Il y aurait inhibition des microorganismes indésirables par compétition pour les nutriments,
le dioxygène, l’espace…..
- Un mécanisme de régulation de l’expression des gènes bactériens (quorum sensing) pourrait
aussi expliquer les inhibitions des pathogènes. Il repose sur la capacité des bactéries à
communiquer par des signaux chimiques.
S’il est maintenant admis que la biodiversité microbienne de certains aliments protège ces derniers
du développement de bactéries pathogènes, le rôle des interactions microbiennes dans cette activité
inhibitrice reste à préciser et les mécanismes conduisant aux phénomènes d’inhibition ne sont pas
élucidés.
Un autre aspect de l’intérêt d’une microflore diversifiée dans l’alimentation est à l’étude, en liaison
avec « l’hypothèse de l’hygiène » selon laquelle un environnement trop aseptisé augmenterait le
risque de pathologies d’origine immunitaire. L’exposition à des microorganismes non pathogènes
« éduquerait » le système immunitaire.
Conclusion :
Il est donc nécessaire de mieux comprendre les interactions microbiennes, il est important de
maintenir la diversité le long de « la chaîne alimentaire » pour exercer l’effet barrière contre les
pathogènes mais aussi, probablement, pour l’éducation du système immunitaire.
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