Repeupler la flore bactérienne

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LA PRESSE
MONTRÉAL
VENDREDI
22
OCTOBRE
A3
2004
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LA BATAILLE CONTRE C. DIFFICILE
PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE
L’hôpital Le Gardeur, à Lachenaie, a pris les mesures les plus sévères pour contrer la prolifération de la bactérie C. difficile. Ici, l’infirmière Antoinette Caron vient d’aider une patiente, M me Aline
Sauvageau, à se laver les mains.
Les probiotiques,
la recette de Le Gardeur
JUDITH LACHAPELLE
Une partie de la solution à la crise
de Clostridium difficile se trouveraitelle dans une petite capsule peu
coûteuse vendue sans ordonnance
au rayon des produits naturels ?
Tant les spécialistes que le ministère de la Santé semblent sceptiques.
Mais au centre hospitalier Le Gardeur, l’équipe médicale n’a pas attendu que de plus amples études
viennent confirmer l’efficacité des
probiotiques. Et aujourd’hui, les
résultats semblent parler d’eux-mêmes.
C’était en janvier dernier. Malgré
deux mois d’entretien ménager intensif et de lavage de mains minutieux, la bactérie C. difficile proliférait toujours de façon importante
entre les murs de l’ancien édifice
du centre hospitalier Le Gardeur. À
bout de ressources, l’équipe médicale s’est tournée vers des capsules
de probiotiques, administrées aux
patients sous antibiotiques (voir
autre texte). En un mois, les résultats ont dépassé les espérances.
« On a vu les résultats dès le mois
de février. Le nombre de cas sévères a chuté à zéro. Les cas totaux
ont diminué de 50 % à ce momentlà, pour atteindre aujourd’hui deux
cas pour 1000 admissions, soit
90 % de moins que durant l’éclosion. Des résultats jamais vus même avant l’éclosion », explique le
Dr Pierre Jean Maziade. De août
2003 à janvier 2004, il y a eu 10 décès liés à la bactérie. « Notre dernier décès remonte à la mi-janvier
2004. »
« Pour nous, il s’agit d’une mesure majeure, même s’il ne faut pas
nier l’effet des mesures d’hygiène
et de l’isolement des patients », dit
le Dr Maziade. Le déménagement
de l’hôpital dans des locaux plus
PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE
Un des principes de base : se laver les mains. C’est ce qu’a fait la famille Tremblay, de L’Assomption, en quittant
l’hôpital Le Gardeur hier.
modernes, en avril, a été bénéfique,
mais le Dr Maziade rappelle que
l’effet des probiotiques s’est fait
sentir tout de suite dans l’ancien
établissement vétuste.
Coût de l’opération probiotique :
10 000 $ par année, pour 300 lits.
« C’est pas une mesure très coûteuse », glisse le Dr Maziade. Avec
200 000 $ par année, le CH Le Gardeur finance l’ensemble des mesures d’hygiène et d’administration
de probiotiques nécessaires à la
lutte contre le C. difficile. « Et nous
avons évalué que nous avons épargné un million en frais d’hospitalisation liés aux infections nosocomiales », indique Doris Gagné,
conseillère en prévention des infections.
L’équipe du Dr Maziade a
transmis ses observations aux autorités. « C’est à elles de mettre en
place des mesures, rappelle le Dr
Maziade. Nous croyons que c’est
très efficace, je crois qu’il y a assez
de données actuellement pour le
faire dans l’ensemble des hôpitaux. »
Des recommandations bientôt ?
Dans ses bureaux lavallois, le président de Bio-K+ International,
Claude Chevalier, ronge son frein.
C’est lui qui fournit les probiotiques au CH Le Gardeur. Ses bacté-
ries ont également été étudiées
dans d’autres établissements. « À
Maisonneuve-Rosemont, certains
médecins ont dit que le nombre de
patients étudiés n’était pas assez
élevé pour conclure sur les effets...
Écoutez. Quand le monde crève et
qu’on a un produit qui marche,
même si on n’a pas fait 42 recherches, peut-être qu’on pourrait l’utiliser puisqu’il n’y a pas d’effet secondaire ni contre-indication ?
Ceux qui en ont pris s’en sont sortis, et les autres sont morts. »
Qu’attendent les autorités publiques ? Des recommandations précises du comité d’experts mandaté en
juin dernier. Le comité a déjà re-
commandé des mesures classiques
d’hygiène, rappelle le Dr Alain Poirier, directeur national de la santé
publique. « Pour ce qui est d’autres
idées, plus originales, les experts
nous reviendront là-dessus la semaine prochaine, dit-il. Est-ce
qu’ils vont nous recommander à
l’échelle de la province de donner
aux patients les fameuses petites
capsules ? On ne le sait pas encore. »
Les spécialistes consultés s’entendent généralement pour dire que
des études supplémentaires sont
nécessaires avant de généraliser
l’administration de probiotiques,
que ce soit ceux de Bio-K+ ou
d’autres. « Ce qu’on sait, c’est que
chez les patients très âgés présentant plusieurs facteurs de risques,
ça pourrait être avantageux, estime
Michel Savoie, pharmacien d’établissement. Il reste à déterminer à
qui on le donne. »
Car pour certains cancéreux, par
exemple, l’exposition à des bactéries,
bonnes ou mauvaises, peut poser un
problème, indique le Dr Ewa Sidorowicz, directrice des services professionnels à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont. « L’étude nous a semblé
prometteuse et c’est quelque chose
qu’on voudrait poursuivre. »
Claude Chevalier ne demande pas
mieux. « Si on veut faire un test sérieux, qu’on le mette dans une demidouzaine d’hôpitaux, je suis prêt à
fournir gratuitement le produit. Donnez-en à la moitié des patients, et
vous allez voir au bout de cinq ou six
jours ce qui se passe. »
COURRIEL
Pour joindre Judith Lachapelle
[email protected]
Avec la collaboration de Pascale Breton
et Nicolas Bérubé.
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Un principe simple
Repeupler la flore bactérienne
JUDITH LACHAPELLE
Le principe des probiotiques est
simple. Bonnes et mauvaises bactéries cohabitent en équilibre dans la
flore intestinale des personnes en
bonne santé. L’équilibre est brisé
lorsqu’une bactérie prend de la vigueur et supplante les autres : c’est
l’infection.
Lorsqu’un patient reçoit un anti-
biotique pour traiter une infection,
le médicament s’attaque à toutes
les bactéries, bonnes ou mauvaises.
À la fin du traitement, la bactérie
responsable de l’infection a peutêtre disparu, mais l’équilibre n’est
pas revenu pour autant.
La flore intestinale devient donc
un terrain facile à conquérir pour
toute bactérie qui aura l’occasion
d’y entrer, dont Clostridium difficile.
Ses toxines s’attaquent au côlon,
causant des diarrhées graves pouvant entraîner la mort si l’infection
n’est pas traitée à temps.
D’où l’idée de « repeupler » la flore intestinale de « bonnes » bactéries avant que les mauvaises prennent toute la place. L’utilisation des
probiotiques est plus répandue en
Europe et commence timidement à
être connue en Amérique. Au cen-
tre hospitalier Le Gardeur, depuis
janvier, tous les patients sous antibiotiques sont désormais traités
aux probiotiques.
Les vertus des probiotiques ne viennent pourtant pas d’être découvertes,
surtout chez les amateurs de produits
naturels qui les consomment sous
forme de yogourt. « Mais en science,
il faut toujours être prudent », dit le
Dr Maziade. Une équipe de l’hôpital
Maisonneuve-Rosemont a étudié, sur
un petit échantillon de patients, les
effets d’une souche de lactobacille
Acidophilus, commercialisée par la
compagnie de biotechnologie Bio-K+
International de Laval. Il s’agit du
produit utilisé au CH Le Gardeur.
Les résultats ont clairement montré
que les patients qui ont pris la bactérie ont été moins infectés par C. difficile et que leur temps d’hospitalisation
a été diminué. Malgré le petit échantillon, l’équipe médicale du CH Le
Gardeur a estimé que les résultats
étaient assez révélateurs. « On a décidé de traiter tous nos patients, dit le
Dr Maziade. On a constaté une diminution très forte des infections, au
point où on ne peut pas arrêter aujourd’hui d’utiliser les probiotiques. »
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