Cancer du sein et traitement hormonal substitutif : mythe et réalité

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Cancer du sein et traitement hormonal substitutif : mythe et réalité
Cancer du sein et traitement hormonal substitutif : mythe et réalité
Equipe E3N – INSERM U 52
- Villejuif -
F. Clavel-Chapelon, A. Fournier
Résumé
De nombreuses enquêtes épidémiologiques ont été réalisées pour étudier l’effet des traitements hormonaux substitutifs (THS) sur le risque de cancer du sein. L’enjeu est, en effet, considérable puisque 30 % des françaises ménopausées de plus de 60 ans reçoivent ce type de traitement. En 1997, une méta-analyse a rassemblé 90 % des données épidémiologiques représentant
près de 53 000 cas de cancer du sein. Depuis, 10 000 autres cas ont été rapportés dans une
dizaine d’études. Dans l’ensemble, on peut conclure que le risque de cancer du sein est modérément plus élevé chez les utilisatrices d’un THS. Ce risque augmente avec la durée du traitement,
diminue à l’arrêt du traitement et disparaît presque complètement quelques années après l’arrêt.
Par ailleurs, il semble que l’association d’oestrogènes et de progestatifs augmente ce risque par
rapport aux seuls oestrogènes.
Ces résultats ont besoin d’être confirmés et d’autres enquêtes sont en cours d’exploitation. Pour le moment, le risque modéré mis en évidence ne justifie pas que les cliniciens prescripteurs
modifient leur pratique.
Ménopause / Cancer du sein / Traitement hormonal substitutif / Oestrogènes / Progestatifs
ð La littérature épidémiologique
pose, à l’heure actuelle, beaucoup de
questions sur le lien entre traitement
hormonal substitutif et cancer du sein.
Il semble important de rappeler
qu’en France, 10 millions de femmes
sont actuellement ménopausées, ce
qui représente le tiers de la population féminine. En 2050, ce sera la
moitié des femmes françaises qui
seront ménopausées. Ce problème
concerne donc une énorme population.
A l’heure actuelle, parmi les femmes
qui ont moins de 60 ans, plus de 30
% prennent un traitement hormonal
substitutif.
Je rappelle que le traitement hormo-
nal de la ménopause utilisé pour compenser les symptômes de la carence
oestrogénique est constitué d’oestrogènes seuls lorsque la personne a
subi une hystérectomie et, du fait des
risques possibles sur l’augmentation
du cancer de l’endomètre, de l’association d’oestrogènes et de progestatifs chez les femmes qui n’ont pas eu
d’hystérectomie.
Correspondance : Docteur Françoise Clavel-Chaperon
Equipe E3N– INSERM U 521 - Rue Camille Desmoulins – 94800 Villejuif
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Médecine Nucléaire -
Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2003 - vol.27 - n°1
F. Clavel-Chapelon, A. Fournier
On se pose vraiment des questions
sur l’innocuité de ce type de traitement et on se rend compte que la
balance bénéfice/ risque à long terme
est difficile à évaluer.
De nombreux facteurs interviennent
dans le risque de cancer du sein : système hormonal, puberté précoce, âge
tardif à la première grossesse, ménopause tardive, faible nombre d’enfants.
Egalement, des concentrations sanguines élevées d’oestrogènes après le
diagnostic de cancer du sein aggraveraient vraisemblablement le pronostic.
Ainsi, l’étude de la relation entre cancer du sein et traitement substitutif
fera appel à la fois aux enquêtes
épidémiologiques et aux essais d’intervention.
Enquêtes épidémiolog
iques
épidémiologiques
La méta-analyse d’Oxford publiée en
1997 regroupait 90 % des données
épidémiologiques de l’époque, même très anciennes. Elle a permis de
faire le point sur la question à partir
de 15 études de cohortes et de 36
études cas-témoins mettant en jeu un
nombre impressionnant de cas de
cancers du sein invasifs (53 000) avec
au moins autant de témoins.
Les résultats montrent une augmentation du risque de cancer du sein
avec la durée d’utilisation d’un THS
(traitement hormonal substitutif).
On a aussi constaté que le risque est
plus grand chez les femmes qui sont
en cours de traitement par rapport à
celles qui l’ont arrêté. Il semble donc
que l’augmentation de risque est liée
à une utilisation récente, ce qui peut
suggérer un biais de dépistage, les
femmes en cours de traitement consultant régulièrement le gynécologue.
L’étude a aussi montré que l’augmentation du risque pendant l’utilisation
du THS ou dans les cinq ans après
l’arrêt concernait surtout le risque
de cancer du sein localisé. Si on considère un premier groupe de cancers
du sein localisés sans envahissement
ganglionnaire et un deuxième groupe
avec envahissement ganglionnaire,
Médecine Nucléaire -
c’est essentiellement dans le premier
groupe qu’il y a eu augmentation du
risque de cancer du sein avec la durée du THS.
Depuis cette méta-analyse, une dizaine d’enquêtes de cohortes et une
dizaine d’enquêtes cas-témoins ont
été publiées. Les risques vont globalement dans le même sens que dans
la méta-analyse précédente et montrent, de plus, une augmentation du
risque de cancer du sein supérieure
chez les femmes qui utilisent une
association oestrogènes-progestatifs
par rapport aux oestrogènes seuls.
Des éléments nouveaux ont été apportés par l’essai WHI "Women’s
Health Initiative", mené aux Etats-Unis
sur plus de 16 000 femmes ménopausées, non hystérectomisées. Cet essai,
randomisé en double aveugle, compare une association d’oestrogènes
d’origine équine et d’acétate de médroxyprogestérone à un placebo.
La surprise de la publication de juillet
2002 fut l’arrêt prématuré de l’essai
après 5,2 ans alors qu’il était prévu
de suivre ces femmes pendant 8 ans.
La cause en était à la fois une augmentation du risque de maladie cardiovasculaire et aussi une augmentation
du risque de cancer du sein par rapport au placebo, risque de 1,26, tout
juste significatif.
On a également observé dans cette
étude que les femmes qui avaient
reçu un THS avant d’entrer dans
l’étude avaient un facteur de risque
aggravé. On note que l’augmentation
de risque est indépendante des antécédents familiaux de cancers du sein.
L’essai HERS utilise une association
œstrogène-progestatif donnée en prévention secondaire de maladies coronariennes chez des femmes qui
avaient déjà fait un évènement coronarien.. Les résultats vont dans le
même sens que l’essai WHI. L’essai
HERS comparant 35 cas de cancers du
sein à 13 cas du groupe placebo a mis
en évidence une augmentation non
significative du risque de cancer du
sein de 1,38. Dans une seconde partie de l’analyse, (HERS-2), la comparaison de 15 cancers du sein dans le
groupe traitement hormonal contre
14 dans le groupe placebo a donné
un risque relatif de 1,08. En regroupant les deux essais (HERS-1 + HERS2 ), le risque relatif est de 1,27, non
significatif mais qui va dans le même
sens que l’essai WHI.
L’essai WEST utilise des oestrogènes
seuls versus placebo. (5 cas de cancer dans chaque groupe). Le risque
relatif est de 1,00.
Ainsi, globalement, on a l’impression
que l’association oestrogènes + progestatif augmente le risque de cancer
du sein davantage que les traitements
oestrogéniques seuls.
Tous ces résultats sont difficiles à
analyser. Les associations médicamenteuses utilisées aux Etats-Unis et en
Angleterre sont différentes de celles
utilisées en France. On doit prendre
en compte à la fois les bénéfices à
court terme et les évènements indésirables survenus (V. Béral, Lancet
2002 ). Parmi les effets bénéfiques, on
note une diminution des cancers
colorectaux, une diminution des évènements ostéoporotiques (moins de
fractures du col du fémur).
L’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSPS )
attire l’attention de tous les médecins
prescripteurs sur des recommandations générales, nécessité d’un interrogatoire, d’un bilan clinique et biologique pour rechercher les contreindications et les facteurs de risque,
avant toute prescription
Signalons, pour terminer, une grande
étude épidémiologique effectuée
auprès des femmes de la MGEN,
l’étude E3N. Depuis 1990, on a suivi
l’état de santé de 100 000 femmes
dont 55 000 ménopausées. On dispose d’informations complètes sur la
prise de médicaments hormonaux
substitutifs à la ménopause. Ces femmes nées entre 1925 et 1950, de toute
la France, sont suivies tous les deux
ans avec enquête complète sur leur
état de santé, cancer éventuel, pathologie cardio-vasculaire, diabète, ostéoporose etc. Les résultats sont en cours
d’analyse et donneront lieu à publication prochaine.
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Cancer du sein et traitement hormonal substitutif : mythe et réalité
Breast cancer and substitutive hormonal treatment : myth and reality
Many epidemiologic investigations were carried out to study the effect of substitutive hormonal treatments (THS) on breast cancer risk. The challenge is, indeed, relevant since 30 % of
menopausal Frenchwomen older than 60 years receive such a treatment. In 1997, meta-analyzes
gathered 90 % of the epidemiologic data representing nearly 53000 cases of breast cancer.
Thereafter, 10 000 other cases were reported in ten studies. As a whole, it can be concluded that
breast cancer risk is moderately higher in the THS users. This risk increases with treatment
duration, decreases with treatment stopping and disappears almost completely a few years later.
In addition, it seems that the association of oestrogens and progestatives increases the risk compared
to oestrogens alone. These results need to be confirmed and other studies are under analysis. At
the moment, the highlighted moderate risk does not justify that the clinician prescribers modify
their practice.
Menopause / Breast cancer / Replacement hormonal therapy / Oestrogens / Progestatives
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