philosophiques et initiatiques, respectivement portées par les traditions
pythagoriciennes et orphiques. Platon, par exemple, en héritier de Pythagore,
recommande le dialogue silencieux de l’âme avec elle-même, et, plus encore,
suggère à diverses reprises la valeur ultime des expériences initiatiques
7, dont il ne rend compte que par métaphores. Plotin, dans leur sillage, vise la
contemplation de l’Un et témoigne de ses propres extases. On sait que Pythagore
se consacrait de longues heures au ciel nocturne, autant pour des raisons
mystiques que rationnelles. Il faisait de l’astronomie, et mathématisait les astres.
En liaison avec l’astronomie, il mathématisait également les rapports musicaux.
Mais il composait et pratiquait la musique, il contemplait l’harmonie des astres et
des sphères.
Il est intéressant de noter comment musique et silence se trouvaient
intimement liés chez les pythagoriciens, participant du processus initiatique.
Avant la promenade, le réveil en commun se déroulait parfois sous influence
musicale. De même le soir, après la lecture et les libations, l’endormissement était
guidé par le chant du maître : « Le soir, lorsque ses compagnons se préparaient au
sommeil, il les débarrassait des soucis du jour et du tumulte et il purifiait leur
esprit agité, en leur donnant un sommeil paisible, plein de beaux rêves,
quelquefois de songes prophétiques. Lorsqu’ils se levaient, il les débarrassait de
leur torpeur nocturne, de leur faiblesse et de l’engourdissement de la nuit au
moyen de certains chants et mélodies particuliers, exécutés sans accompagnement
sur la lyre ou à la voix » (Jamblique, 1996 : 36-37). Mais plus encore, la musique
avait une fonction thérapeutique. Les premiers « médecins de l’âme », étaient non
seulement philosophes, mais aussi musiciens, méditants, diététiciens. Ils étaient
médecins du corps et de l’âme, sans aucune distinction entre les deux.
Végétarisme, repas légers, exercices corporels et activités sportives, hygiène,
bains et libations, promenades, s’associaient aux exercices de silence, de joie,
d’amitié, à l’application assidue de règles et de préceptes, tournés vers la
méditation des enseignements philosophiques. Pythagore considérait qu’on
commence à prendre soin des hommes par la sensation, et en premier lieu par la
musique : « Il faisait commencer l’éducation par la musique, par certaines
mélodies et rythmes, grâce auxquels il produisait des guérisons dans le caractère
et dans les passions des hommes, ramenait l’harmonie entre les facultés de l’âme,
comme elles étaient à l’origine, et inventait des moyens de chasser les maladies
du corps et de l’âme. Et par Zeus, voici qui mérite par-dessus tout d’être
remarqué : pour ses disciples, il ordonnait et harmonisait ce qu’on appelait des
arrangements et des traitements […] ramenant chacun de ces états à la vertu
correspondante grâce à des mélodies adaptées, comme au moyen de quelque
médicament salvateur soigneusement mélangé » (Ibid. : 36). Il avait bien entendu
étudié la musique, comme tous les jeunes gens instruits de la Grèce antique. Mais
c’est par l’écoute de la nature qu’il avait élaboré un savoir musical très singulier.
L’audition musicale trouvait son prolongement initiatique dans l’écoute de
l’harmonie des sphères. Il y a là un saut philosophique conduisant à la sagesse et à
l’« autarcie ». Le sage n’a plus besoin de discours, ni de la manifestation sonore
des harmonies. Il trouve en lui-même son logos, et, en bon « physicien », étudie à
la source même de la nature, sur le mode de l’écoute : « À lui-même, en revanche,
il n’appliquait pas la même méthode, au moyen d’instruments ou par la voix,
mais, mettant à profit une supériorité divine indicible et difficile à comprendre, il
7 Voir notamment les développements sur la vision du Bien dans le livre VII de la République, ou sur l’initiation
au beau par Diotime dans le Banquet.