Vendredi 19 octobre 2007 A quoi sert la philosophie? A rien, aurait répondu V. Jankélévitch. Peut-être en effet que la philosophie n'est pas un instrument, un moyen au service d'une fin qui lui serait extérieure et supérieure. Peut-être que dans l'activité philosophique moyen et fin se confondent ou que la philosophie a sa finalité en elle-même. Mais alors, si la finalité de la philosophie réside dans son essence même, la question "à quoi sert la philosophie?" devient "qu'est-ce que la philosophie?" La philosophie est-elle l'étude des doctrines des philosophes? La philosophie est-elle l'amour de la sagesse?… Textes de référence: 1) Descartes, Règles pour la direction de l'esprit 2) Nietzsche, Par delà le bien et le mal Vendredi 19 octobre 2007 A quoi bon philosopher? Il faut lire les ouvrages des Anciens, parce qu'il est pour nous d'un immense profit de pouvoir tirer parti des efforts d'un si grand nombre de personnes […]. Mais alors même qu'ils seraient tous francs et sans détours, qu'ils ne nous assèneraient jamais une chose douteuse comme si elle était vraie et qu'ils exposeraient toutes choses avec une entière bonne foi, nous ne saurions jamais lequel il faudrait croire, puisqu'il n'y a presque rien qui n'ait été dit par l'un et dont le contraire n'ait été affirmé par quelque autre. Et il ne serait d'aucun profit de compter les voix pour suivre l'opinion qui a le plus de répondants: car, lorsqu'il s'agit d'une question difficile, il est plus vraisemblable qu'il s'en soit trouvé peu, et non beaucoup, pour découvrir la vérité à son sujet. Mais quand bien même ils seraient tous d'accord, leur enseignement ne serait pas encore suffisant: car jamais, par exemple, nous ne deviendrons mathématiciens, même en connaissant par cœur toutes les démonstrations des autres, si notre esprit n'est pas en même temps capable de résoudre n'importe quel problème; et nous ne deviendrons jamais philosophes, si nous avons lu tous les raisonnements de Platon et d'Aristote et que nous sommes incapables de porter un jugement assuré sur les sujets qu'ils nous proposent. Descartes, Règles pour la direction de l'esprit. Il me semble de plus en plus que le philosophe, étant nécessairement l'homme de demain ou d'après-demain, s'est de tout temps trouvé en contradiction avec le présent; il a toujours eu pour ennemi l'idéal du jour. Tous ces extraordinaires pionniers de l'humanité qu'on appelle des philosophes et qui eux-mêmes ont rarement cru être les amis de la sagesse mais plutôt des fous déplaisants et de dangereuses énigmes, se sont toujours assigné une tâche dure, involontaire, inéluctable, mais dont ils ont fini par découvrir la grandeur, celle d'être la mauvaise conscience de leur temps. […] En présence d'un monde d'"idées modernes" qui voudrait confiner chacun de nous dans son coin et dans sa "spécialité", le philosophe, s'il en est encore de nos jours, se sentirait contraint de faire consister la grandeur de l'homme et la notion même de la "grandeur" dans l'étendue et la diversité des facultés, dans la totalité, qui réunit des traits multiples; il déterminerait même la valeur et le rang d'un chacun d'après l'ampleur qu'il saurait donner à sa responsabilité. Aujourd'hui la vertu et le goût du jour affaiblissent et diluent le vouloir, rien n'est plus à la mode que la débilité du vouloir. Nietzsche, Par-delà le bien et le mal, § 212.