
AUX  CONFINS  DU  SILENCE 
  Seigneur, tu fais les origines à ta propre image. À chacun de tes commencements, tu 
dis et tu parles.  
 Lorsque les hommes se pensent dans le temps de l’origine du monde, ils évoquent et 
conversent, au rythme de leurs découvertes, au sujet du big-bang, d’une déflagration 
lointaine ou d’une explosion indéfinissable. 
 La parole ou le bruit ? La raison ou l’instinct ? Le sens ou l’absurde ? Chacun fait le 
début et le départ à sa propre image. 
 Au commencement était le Verbe (Gn 1,1 ; Jn 1,1). Et le Verbe révèle. Il  dit : Lumière. 
Quelle étonnante destinée que la nôtre,  pour  être  appelé  à  partager  l’avenir  de  ta 
Lumière, qui commence toujours par n’être pas reçue ! 
 (Gn 3,6 ; Ex 32 ; Lc 2,7 ; Jn 1,5). 
 
 Homme de douleur, je me suis engagé sur un chemin de détresse où ta Parole m’a 
conduit d’une façon imprévisible. Elle m’a creusé là où je ne l’imaginais pas. Depuis 
plus de dix ans, j’ai donné à entendre un langage singulier sur la nuit de la foi et la 
révolte  contre  Dieu.  Les  débuts  laborieux  et  désolés  avec  quelques  psaumes  ont 
provoqué un réel effroi chez mes amis. Ils ne pouvaient pas comprendre quel cœur 
brûlait au fond de moi, et moi, je ne savais pas l’expliquer.   
 
 Emmuré comme Lazare (Jn 11,38), j’étais devenu moi-même mon propre tombeau, 
sur le mode de l’enterrement fondamental de moi-même. Tu m’as appelé à sortir de 
ma nuit profonde, et à venir dehors (1 R 19 11 ; Jn 11,43), pour créer les conditions de ta 
venue et de ta présence à l’intérieur de mon cœur, aussi, pour ouvrir une nouvelle 
étape de vie avec ta Parole et me mettre en liberté.  
 
 Pendant plusieurs années, je n’ai parlé qu’à Toi seul comme si le monde n’existait 
pas. Pour me changer au plus intérieur, tu m’as accordé la grâce du désespoir. 
 Jeté  dans la profondeur  de ma  désolation,  enfermé dans la cellule  de  ma  prison 
intérieure, mon cœur se troublait et se déchirait. Il se perdait dans un désert envahi 
par des ronciers de l’ombre.  
 
 Par ce chemin paradoxal, je ne savais pas encore que Tu me faisais entrer dans la 
maison du Père, d’où surgit ta Parole dans son commencement. Dans l’inconnu de ta 
présence, avec mes doutes sur ton existence, Tu  m’as éclairé dans le vide de ma 
condition fragile. En secret, Tu es devenu mon éclaireur. Tu m’as rendu capable de 
tomber dans les abîmes inexplorés de ma destinée, pour me faire sortir de la nuit de 
mes obscurités et ne jamais plus y retourner. Au plus intime de moi-même, Tu m’as 
appelé à discerner, dans l’obscurité qui était la mienne, le rayon singulier qui  reliait 
ma vie à la tienne. Tu m’as donné à le découvrir pour me rapprocher de ta présence, 
et me conduire dans ta voie d’éternité, afin de me relier de nouveau aux autres.  
 
 Comme Job, j’ai voulu engager un débat contre Toi. En restant silencieux, Tu m’as 
fait plonger dans un silence nocturne. Je me  suis  épuisé  à te  chercher,  mon  cœur  
autant que mes yeux. Puis, j’ai cherché un débat en face à face avec Toi. Avec le 
temps, mon silence semblait plus habité. Tu voulais me donner à vivre un échange 
intime en ton Cœur  pour une paix et une joie profonde. 
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