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LA SEMAINE JURIDIQUE - ÉDITION GÉNÉRALE - N° 14 - 3 AVRIL 2017
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 Seins  versus  Saints 
  Les femen, féministes aux seins 
nus,  étendards  de  leur  liberté 
d’expression, ont fait une nou-
velle  fois  parler  d’elles  dans 
les  prétoires.  Cette  fois,  l’une 
d’elles  comparaissait  devant  la  cour 
d’appel de Paris pour avoir, dans l’église 
de la Madeleine, exhibé sa poitrine nue, 
laquelle  portait  les  inscriptions  «  344 
e  
salope  »  (en  référence  au  manifeste  des  343  initié 
naguère  par  des  féministes  pro-avortement),  puis 
mimé l’avortement de l’embryon de Jésus, en dépo-
sant devant l’autel un morceau de foie sanguinolent 
censé représenter un fœtus. Parce qu’il n’appréciait 
sans doute que modérément cette scène impie, pour-
tant d’une indiscutable subtilité, le maître de chapelle 
avait fermement prié la donzelle aux seins nus et la 
cohorte de journalistes qui l’avaient opportunément 
accompagnée de quitter les lieux. 
 Devant  la  cour,  pour  contester  l’existence  d’un 
délit  d’exhibition  sexuelle,  la  prévenue  soutenait, 
d’abord, que puisque ses seins ne constituaient pas 
des parties sexuelles de son corps, l’élément matériel 
du délit n’était pas caractérisé. La cour n’a pas pris au 
sérieux cette ingénieuse argumentation, relevant au 
passage que la militante aux seins nus avait affi rmé 
à l’audience que le fait de toucher ses seins sans son 
consentement constituait une agression sexuelle, ce 
qui la constituait en « fl agrant délit » d’incohérence... 
 C’est surtout sa liberté d’expression que la femen 
brandissait pour convaincre la cour. Les poursuites à 
son encontre auraient pour objet de lui interdire d’ex-
primer ses opinions politiques, en utilisant ses seins 
nus comme une arme destinée à protester contre les 
positions anti-avortement de l’Église catholique. Au 
fond, ladite Église, en agissant en justice, la contrain-
drait fi nalement au silence ou plutôt à 
cacher ses seins que ses fi dèles ne sau-
raient voir et, ainsi, porterait atteinte à 
sa  liberté  d’expression.  Une  variété  de 
recours bâillon, en somme… 
 La  cour  d’appel  de  Paris,  dans  son 
arrêt du 15 février 2017, qui fait l’objet 
d’un  pourvoi,  n’a  pas  succombé  à  la 
tentation d’une liberté d’expression qui 
constituerait un sauf-conduit pour exhiber des seins 
dans  les  lieux  saints.  Elle  a  répliqué  à  la  prévenue, 
qui aimait se promener seins nus, que les poursuites 
engagées contre elle ne visaient pas à la priver de sa 
liberté d’expression, mais seulement à réprimer une 
exhibition sexuelle dans un lieu de culte et à proté-
ger la sensibilité religieuse des fi dèles visés par cette 
scène. Aussi, retenir à sa charge le délit d’exhibition 
sexuelle  n’était-il  en  rien  liberticide,  car  exercer  sa 
liberté  d’expression  tous  seins  dehors  dans  un  lieu 
saint avait eu pour effet de porter atteinte à la liberté 
de penser d’autrui et, d’une façon générale, à la liber-
té religieuse. 
 En  somme  la  liberté  d’expression  s’arrête  là  où 
commence la liberté religieuse, sitôt franchie la porte 
d’un lieu de culte.  
 À  supposer  même  qu’on  partage  la  cause  que 
ces femmes défendent et que l’on regrette, donc, les 
positions de l’Église catholique en matière d’avorte-
ment, on éprouve néanmoins quelques diffi cultés à 
comprendre  les  modalités  de  leur  lutte.  Comment 
des militantes féministes peuvent-elles concilier leur 
noble  combat  pour  la  liberté  des  femmes  et  l’ins-
trumentalisation de leurs corps, dont l’industrie du 
sexe et de la publicité font leur miel, en les exploitant 
comme de vulgaires choses au mépris de leur liberté ? 
J’ai un peu de mal à suivre…   
Q
 Denis   Mazeaud  
« En somme la liberté d’expression s’arrête là où commence la liberté 
religieuse... »