Symptômes et qualité de vie dans le reflux gastro

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Éditorial
Symptômes et qualité
de vie dans le reflux gastroœsophagien : pourquoi et
comment les mesurer ?
Stanislas Bruley des Varannes, Jean Paul Galmiche
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
Institut des Maladies de l’Appareil Digestif, Hépato-Gastroentérologie
et Assistance Nutritionnelle, Hôtel-Dieu, 44093 Nantes cedex
<[email protected]>
doi: 10.1684/hpg.2007.0031
E
n France, le reflux gastro-œsophagien (RGO) est une pathologie
fréquente puisqu’il concerne au moins de façon hebdomadaire
10 % de la population adulte [1-3]. En réalité, ce chiffre est
vraisemblablement sous-estimé car il ne correspond qu’au RGO dans sa
forme typique (pyrosis, régurgitations) ; en fait, l’expression du RGO est
plus large, avec des manifestations digestives parfois au second plan,
voire absentes [4-10]. Associée à cette expression clinique multiforme,
l’absence de lésions endoscopiques chez plus d’un malade sur deux
(reflux à endoscopie normale ou non erosive reflux disease (NERD) [11]
contribue encore à rendre le diagnostic de RGO difficile. Pourtant, malgré
le développement de nombreuses échelles d’évaluation des symptômes
et/ou de la qualité de vie dans le RGO (lire Thierry Piche, p. 11-9), il n’y
a toujours pas d’échelle d’évaluation des symptômes unanimement adoptée par la communauté médicale. Cette absence tient aux nombreuses
difficultés pour établir une telle échelle d’évaluation des symptômes, et
notamment à l’absence de « gold standard » pour le diagnostic de la
maladie, à la variété des objectifs poursuivis (épidémiologique, diagnostique, réponse thérapeutique, qualité de vie), aux différents contextes
d’utilisation (pratique quotidienne, essais thérapeutiques), à l’expression
de la maladie sous forme de symptômes et signes peu spécifiques et au
caractère intermittent et variable des symptômes au cours du temps.
Jusqu’à maintenant la majorité des études ont utilisé le pyrosis comme
symptôme, à la fois pour le diagnostic compte tenu de sa spécificité, et
aussi pour le suivi en raison de son évolution franche sous traitement
antisécrétoire qui en fait un paramètre clinique sensible pour évaluer une
réponse thérapeutique. En réalité, la plupart des patients ont aussi
d’autres symptômes ou plaintes qui peuvent également évoluer sous
traitement, mais éventuellement de façon différente [9, 10]. Pour cette
raison, le calcul de scores symptomatiques globaux est parfois proposé,
mais ces scores sont alors moins sensibles pour déterminer un effet lié aux
traitements. Il est aussi parfois proposé d’utiliser la plainte ou le symptôme
dominant, mais en restant habituellement centré sur les symptômes spécifiques et principalement le pyrosis ou les régurgitations. Ces approches, si
elles ont l’intérêt d’assurer une relative homogénéité des patients inclus
dans les études, ne sont pas adaptées à l’ensemble des malades vus en
pratique quotidienne ; en particulier, elles ne permettent pas d’évaluer la
réponse thérapeutique appropriée pour un malade donné. En effet, à
l’échelon individuel, il semble surtout important de prendre en compte la
notion de satisfaction du patient ou de « soulagement satisfaisant » plus
Hépato-Gastro, vol. 14, n°1, janvier-février 2007
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Éditorial
Tableau 1. Caractéristiques d’une échelle idéale pour le suivi
des symptômes des patients ayant un RGO.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017.
• Sensibilité
• Prise en compte de la fréquence et de l’intensité des symptômes
typiques et atypiques
• Caractère multidimensionnel (prise en compte de toutes les
dimensions symptomatiques des patients)
• Robustesse pour les paramètres psychométriques (fiabilité,
validité, réactivité)
• Sensibilité au changement sur de brèves périodes (réactivité
temporelle)
• Auto-administration possible
• Utilisation de termes imagés compréhensibles par tous
• Facilité d’utilisation
• Faible coût
• Possibilité d’usage quotidien (pour évaluation pendant et après
un traitement)
• Validation dans différentes langues pour une utilisation
internationale
que la disparition d’un symptôme donné [12, 13]. Les
échelles de qualité de vie permettent cependant
d’approcher de façon globale l’effet d’une intervention
[14], mais de façon déconnectée de l’évaluation des
symptômes. L’ensemble de ces insuffisances ont fait
conclure, lors d’une récente réunion d’experts, à la
nécessité de développer un programme de recherche
afin de disposer d’outils d’évaluation de l’ensemble
des symptômes présents chez un malade atteint de
RGO [15]. Cette nécessité est aussi d’ordre administratif et économique, les autorités européennes, émettant face à des pathologies répandues et coûteuses de
plus en plus de recommmandations (guidelines), afin
de définir de façon plus rigoureuse les paramètres de
jugement des traitements et partant de leur utilisation
future en pratique clinique [16].
Les caractéristiques générales d’une échelle idéale
pour le suivi des symptômes des patients ayant un RGO
sont résumées dans le tableau 1 [17]. Ces caractéristiques permettent de définir un cadre robuste pour la
constitution d’une telle échelle.
L’échelle doit permettre le suivi des symptômes des
patients, aussi bien ceux ayant des lésions endoscopiques (conditions diagnostiques de certitude) que ceux
sans lésions endoscopiques. Dans une échelle de suivi,
le diagnostic est considéré établi ; ainsi dans le couple
sensibilité–spécificité, l’objectif à privilégier est alors la
sensibilité pour détecter les changements de symptômes. La recherche d’une sensibilité élevée, associée au
caractère intermittent de la symptomatologie du RGO,
impose une fréquence d’échantillonnage élevée,
même si en pratique il est difficile d’envisager des
évaluations pluriquotidiennes.
L’intérêt de l’auto-administration du questionnaire est,
d’une part, d’assurer cet échantillonnage plus fin des
mesures et aussi d’assurer une mesure par le patient
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lui-même. Ainsi, même si cette donnée n’est pas fermement établie dans le RGO, il a été montré que dans
plusieurs pathologies (insuffisance veineuse chronique
et intestin irritable), l’intensité de la symptomatologie
était plus sous-estimée lorsqu’elle était évaluée par le
médecin généraliste que si elle l’était par le patient
[18].
Les performances psychométriques d’une échelle de
suivi doivent être élevées, et notamment la fiabilité de
l’échelle qui traduira sa stabilité ou sa reproductibilité
même en condition de mesures répétées. La validité de
l’échelle traduit le degré avec lequel l’échelle mesure
ce qu’elle doit mesurer. Elle s’évalue par les corrélations entre les scores mesurés et d’autres paramètres
évaluables, comme par exemple la pression de repos
du SIO, l’exposition acide de l’œsophage, des scores
de qualité de vie. La réactivité traduit l’aptitude de
l’échelle à détecter des changements modestes de la
symptomatologie, et ce dans les délais les plus courts
possibles (ce qui dépend à nouveau de la fréquence
d’échantillonnage).
Le développement d’une échelle de suivi des symptômes chez les malades ayant un RGO est donc un travail
particulièrement lourd, et jusqu’à maintenant aucune
des échelles proposées ne permettait de satisfaire
l’ensemble des caractéristiques identifiées dans le
tableau 1.
La mise au point selon une approche originale (CTT) de
l’échelle ReQuest™ semble remplir la plupart de ces
caractéristiques. L’échelle ReQuest™ a été développée
en mettant dans un modèle mathématique tous les
symptômes qui peuvent être présents chez les malades
ayant un RGO. Les données concernant cette nouvelle
échelle ont été revues et détaillées par des membres du
consortium CRITERE, et font l’objet de l’article publié
dans ce numéro par Philippe Ducrotté et Frank Zerbib.
Nous espérons qu’elle fournira ainsi l’accès à ce nouvel outil et son utilisation pour les futures études consacrées au RGO, notamment dans sa forme non érosive.
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