Bonnes pratiques chirurgicales – Cancer du Poumon - Médecine factuelle
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AVANT-PROPOS
La médecine factuelle répond à un objectif déjà ancien de la médecine : celui de se fonder comme une
science. Il s’agit avant tout d’une démarche qui consiste à formuler la bonne question en fonction de la
situation clinique, rechercher les articles de la littérature scientifique susceptibles d’y répondre,
sélectionner ceux dont la méthodologie et les résultats sont valides, avec pour dessein d’introduire ces
nouvelles données dans la pratique. La médecine factuelle, paradigme émergent de la fin du XXe
siècle, conteste l’édifice conceptuel du paradigme précédent (l’intuition, l’expérience clinique non
systématique et le raisonnement physiopathologique) comme base suffisante pour la prise de décision
clinique, et exige l’audition de la preuve issue des recherches cliniques [1].
Qu’on les aime ou qu’on les déteste, les termes « médecine factuelle » ou « médecine fondée sur les
preuves » font maintenant partie intégrante de notre quotidien médical, scientifique et pédagogique.
C’est devenu une matière à part entière, enseignée, et utilisée pour l’évaluation des futurs médecins.
Pour autant, persistent bon nombre d’idées préconçues ou d’incompréhensions, entretenues par le
« faux ami » issu d’une traduction inappropriée du terme anglo-saxon : evidence-based medicine ne
veut pas dire médecine fondée sur les évidences, mais sur les preuves. L'évidence s’impose à l’esprit
avec une certitude absolue, alors que la preuve établit la réalité d’un fait, la vérité d’une affirmation. Le
phénomène est récent et n’échappe pas à un effet de mode. L’interrogation de la base de données
PUBMED permet de trouver la toute première citation du terme evidence-based medicine en 1992 avec
deux références. La même interrogation pour l’année 1993 en trouve 6, puis 12 en 1994, puis 77 en
1995, et telle une épidémie foudroyante 1093 références en 1998, 1957 en 2000, 4044 en 2006, mais
seulement 1707 pour le premier semestre de 2007 qui annonce peut-être la décrue.
La médecine était déjà fondée sur les preuves bien avant l’avènement des premières études
randomisées, apparues dès la fin des années 1940. La nature de la preuve était alors différente,
principalement issue d’études physiopathologiques et/ou observationnelles, singulièrement en chirurgie
où l’essentiel des connaissances reposait, et repose encore, sur l’interprétation correcte d’études de
cohorte. Du point de vue du méthodologiste, le niveau de preuve de ce type d’études ne vaut guère. La
maintenant célèbre analogie du parachute est utile [2]. En suivant implacablement la « logique » de
l’analyse méthodique et critique de la littérature, on doit conclure qu’en l’absence de données issues
d’études contrôlées, la démonstration de son efficacité n’a qu’un médiocre niveau de preuve. En effet,
les sauts en altitude sans parachute ne sont pas constamment mortels, puisque de rares survivants ont
été rapportés. Par ailleurs, l’utilisation des parachutes est associée à un nombre substantiel d’accidents
iatrogènes, et donc le « traitement » n’est pas sans risque. Enfin, l’observation d’un très grand nombre
de survivants sans séquelles dans la cohorte des parachutistes en comparaison aux dégâts constatés
dans celle des sujets se précipitant dans le vide sans parachute pourrait être expliquée par un biais de
sélection. Il est en effet manifeste que les deux populations ne sont pas homogènes, avec dans le
premier cas une population plutôt jeune, sportive et en bonne santé, et dans l’autre des sujets chez qui
une fréquence élevée de pathologies psychiatriques est constatée. Nous saisissons aisément toute
l’absurdité de ces conclusions et admettons donc pour la pratique l’évidence « sans preuve » du
bénéfice de l’utilisation du parachute.
Bon nombre de connaissances en chirurgie peuvent être vues de cette manière. Aucun essai n’a été
construit pour remettre en question les principes fondamentaux de l’appendicectomie, du remplacement
valvulaire aortique, ou de la prothèse de hanche. Dans ces exemples, il existe un lien
physiopathologique clair et logique entre l’affection causale et le principe de son traitement chirurgical.
En outre, l’amplitude du bénéfice est considérable, et la relation de causalité évidente pour
l’observateur le plus Candide, à commencer par le malade lui-même. Le chirurgien le plus convaincu
reconnaîtra sans difficulté que le bénéfice de la chirurgie du cancer du poumon ne peut être assimilé à
celui du parachute. Force est de constater que l’intérêt de cette chirurgie repose sur un discret niveau
de preuve. En effet, rien ne démontre ni ne conteste formellement son bénéfice thérapeutique. Les