Virus et cancers dossier thématique Infections virales et cancer du foie Viral infections and liver cancer Victor Virlogeux1, 2, Fabien Zoulim1, 3, Romain Parent1 d’hépatocarcinomes dans le monde. C’est le huitième cancer par ordre de prévalence. Il touche davantage les hommes, avec un âge moyen de diagnostic autour de 60 ans. Les hépatocarcinomes viroinduits, les plus fréquents, sont associés aux infections par le virus de l’hépatite B (VHB), associé ou non au virus de l’hépatite D (VHD), et par le virus de l’hépatite C (VHC). Les patients infectés par ces virus sont la plupart du temps asymptomatiques, bien que ceux-ci induisent, au niveau hépatique, inflammation et stress oxydatif, favorisant ainsi la progression de la fibrose. Ils entraînent également, par des mécanismes plus directs, de la mutagenèse insertionnelle ainsi que la transactivation de gènes contrôlant le cycle cellulaire dans le cas du VHB, de l’insulinorésistance et de la stéatose dans le cas du VHC et, point important, de la prolifération cellulaire du fait du renouvellement parenchymal sous pression immunitaire cytotoxique chronique. Tous ces facteurs favorisent la tumorigenèse. Le diagnostic précoce de l’hépatocarcinome reste difficile à mettre en place au niveau clinique, même si des combinaisons de biomarqueurs sériques de cette maladie sont en voie de développement. Les enjeux thérapeutiques actuels concernent les traitements à visée curative (hadronthérapie et traitements anti-angiogéniques) ainsi que la médecine personnalisée grâce au développement plus abouti d’une classification moléculaire des tumeurs hépatiques. Summary RÉSUMÉ »»Chaque année sont diagnostiqués 500 000 nouveaux cas Mots-clés : Carcinome hépatocellulaire − Hépatite B – Hépatite C − Inflammation − Oncogenèse virale. L 1. Inserm U1052, Lyon. 2. ENS de Lyon. 3. Service d’hépato-gastroentérologie, hôpital de la Croix-Rousse, Lyon. 86 Each year, 500,000 new cases of hepatocellular carcinoma are diagnosed worldwide. It is the eighth most common cancer. Men are more particularly afflicted by this disease, with a mean age at diagnosis of around 60. Most frequently, hepatocellular carcinomas are associated with, on the one hand, the hepatitis B virus (HBV) within or without a co-infection setting with the hepatitis delta virus (HDV) and, on the second hand, with hepatitis C virus (HCV) infection. Patients infected by one of these viruses are for the major part asymptomatic, although they display intrahepatic inflammation and oxidative stress leading to fibrosis. Moreover, these viruses enhance carcinogenesis susceptibility through direct mechanisms such as insertional mutagenesis and gene transactivation, which in turn modulate cell cycle progression for HBV, insulino-resistance and steatosis for HCV, and cell proliferation for both viruses, because of the necessary hepatocytic compensation of immune-mediated infected cells’ death. Although combinations of serum biomarkers for early liver cancer diagnosis are being progressively identified, clinical implementation is currently challenging. Hence, current therapeutic strategies focus also on curative treatments (hadrontherapy and antiangiogenic therapy) and on personalized medicine, in particular through the improvement of tumor classifications. Keywords : Hepatocellular carcinoma − Hepatitis B − Hepatitis C − Inflammation − Viral oncogenesis. e carcinome hépatocellulaire (CHC) est, selon le Centre international de la recherche sur le cancer, le cinquième cancer en termes de fréquence chez l’homme dans le monde (523 000 cas/an, soit 7,9 % des cancers) et le septième chez la femme (226 000 cas/ an, soit 6,5 % des cancers). La plupart des cancers du foie sont associés à une cirrhose (90 %), qui peut être induite par une infection chronique due au virus de l’hépatite B (VHB) ou C (VHC), mais également par l’alcool ou la stéatose hépatique non alcoolique. Le CHC est actuellement un problème majeur de santé publique dans les pays développés et dans les pays où l’infection au VHB/VHC est endémique. Les stratégies actuelles de recherche s’orientent principalement vers une prévention des risques de développement de cette maladie (vaccin contre le VHB, traitements à visée suppressive pour le VHB ou curative pour le VHC) et vers un diagnostic plus précoce du CHC, qui est très souvent décelé tardivement. Les traitements curatifs actuels (chimiothérapies non spécifiques ou ciblées) ne sont pas assez efficaces ; des taux de rechutes élevés sont en effet observés à la fin des traitements. Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2013 Infections virales et cancer du foie Épidémiologie des cancers associés aux infections et des cancers hépatiques Épidémiologie Les cancers du foie, une part majeure des 16 % de cancers attribués à des agents infectieux, sont présents en particulier dans les pays en voie de développement, en Chine et en Europe du Sud (85 %) : ✓✓ en Afrique subsaharienne et en Asie de l’Est (> 80 % des CHC dans le monde, avec 20 cas pour 100 000 personnes) ; ✓✓ en Europe du Sud (10 à 20 cas pour 100 000 personnes) ; ✓✓ en Amérique (Nord et Sud), en Europe du Nord et en Océanie (< 5 cas pour 100 000 personnes). L’âge moyen au diagnostic est de 55 à 59 ans en Chine et de 63 à 65 ans en Europe et en Amérique du Nord. Les CHC sont plus présents chez les hommes que chez les femmes (ratio > 3 en général) du fait de facteurs hormonaux et d’une plus grande proportion d’infections chroniques par le VHB/VHC (1). Origine des cancers du foie On distingue, parmi les cancers du foie, les cancers viro-induits et ceux qui ne le sont pas. ✓✓ Les cancers non viro-induits ont des origines assez diverses : maladie alcoolique du foie, stéatose hépatique non alcoolique, hémochromatose, déficit en α1-antitrypsine, hépatite auto-immune, porphyrie ou maladie de Wilson (2). Ils ne seront pas abordés plus en détails ici. ✓✓ Les cancers viro-induits sont liés aux infections par le VHB, associé ou non avec le virus de l’hépatite D (VHD), ou par le VHC. •• Le VHB infecte chroniquement 250 millions de personnes (5 % de la population mondiale), dont 75 % d’Asiatiques. Ces personnes présentent un risque de développer un CHC qui est 5 à 100 fois plus important que chez des individus sains 15 à 20 ans après l’infection. Les facteurs qui augmentent le risque de cancer du foie chez ces individus sont nombreux : – les facteurs démographiques comme le sexe, l’âge de l’individu, l’origine ethnique (le cancer du foie est plus fréquent chez les Asiatiques et les Africains), et les antécédents familiaux de CHC ; – les facteurs viraux, avec le taux élevé de réplication, le génotype (le génotype C en Asie et le D en Europe et en Amérique du Nord), la durée d’infection, l’existence d’une co-infection VHC/VIH/VHD, la présence d’une cirrhose ; – les facteurs environnementaux (aflatoxine, alcool et tabac) [1]. Les CHC peuvent également se développer en l’absence de cirrhose dans 30 à 40 % des cas [3]. •• Le VHD est présent chez 15 à 20 millions de personnes dans le monde. Il est uniquement présent chez des personnes co-infectées par le VHB (virus satellite) : l’entrée du VHD dans l’hépatocyte se fait grâce aux protéines d’enveloppe du VHB. Ce virus favorise fortement l’évolution vers la cirrhose, mais aucune relation directe n’a été montrée entre l’infection au VHD et une augmentation du risque de CHC (4-6). •• Le VHC est présent chez 180 millions de personnes (soit 5 % de la population mondiale). Le risque de développer un CHC chez ces individus est 15 à 20 fois plus important que chez des individus sains. De nombreux facteurs augmentent également le risque : le stade de fibrose hépatique, la virémie élevée, le sexe (le VHC est plus fréquent chez les hommes), le génotype (plus fréquent pour le génotype 1b), l’alcool, l’âge, le diabète et l’obésité (probablement du fait des processus de lipoperoxydation hépatocytaire). D’autres facteurs indépendants plus rares peuvent augmenter le risque de CHC : le polymorphisme TNFα-308 GG et certains variants de la glutathion S transférase (GST), GSTM1 et GSTT1, non protecteurs contre le stress oxydatif endogène (1). Traitements Il existe une diversité de traitements palliatifs ou curatifs du CHC. En relation avec la fonction hépatique et le stade du cancer, de nombreuses recommandations pour la sélection d’un traitement existent (tableau, p. 88). Le “Barcelona Clinic Liver Cancer” (BCLC guidelines) est le plus répandu (7) : il fait intervenir les caractéristiques du patient, le nombre et la taille des nodules, les symptômes de la maladie, et les fonctions hépatiques qui sont déterminées grâce au score de Child-Pugh. Ce score s’appuie sur 5 données cliniques (grade de l’encéphalopathie, ascite, bilirubinémie et albuminémie, taux de prothrombine) et permet, le cas échéant, de définir une cirrhose décompensée. Historique et caractéristiques générales du VHB Historique et caractéristiques structurales Le VHB a été découvert en 1963 par Baruch Blumberg, un généticien qui travaillait au Fox Chase Cancer Center à Philadelphie. Il reçu le prix Nobel de médecine en 1976 (9). L’hépatite B est un virus à ADN qui fait partie de la famille des hépadnavirus et comporte 8 génotypes différents (10). La particule virale est sphérique, ­composée Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2013 87 Virus et cancers dossier thématique Tableau. Les différents traitements du CHC. Stade du CHC Caractéristiques Traitements recommandés Précoce - Difficiles à déceler – Maladie asymptomatique, lésion < 2 cm de diamètre, sans métastase vasculaire ou distale – Injection percutanée d’éthanol (taux de survie de 41 % sur 5 ans) – Résection chirurgicale (taux de ­survie de 50 % sur 5 ans) – Transplantation (taux de survie de 75 % sur 5 ans). Critères d’éligibilité : le score de MELD (Model for End-Stage Liver Disease) ainsi que les critères de Milan – Ablation par radiofréquence (RFA). Le taux de rechute sur 5 ans est de 70 %. Intermédiaire – Cirrhose compensée asymptomatique – Pas d’invasion vasculaire, mais de larges lésions multifocales – Chimio-embolisation transartérielle (TACE) [taux de survie sur 2 ans de 20 à 25 %] : embolisation par billes coatées à la doxorubicine ou à l’épirubicine (8) – Radio-embolisation transartérielle (TARE) : technique qui fait intervenir des billes sur lesquelles sont fixés des ­composés émettant un rayonnement radio Avancé – Symptomatique – Invasion vasculaire – Chimiothérapie antiangiogénique par voie orale : le sorafénib Terminal – Patient en insuffisance hépatique – Vascularisation importante de la tumeur – Métastases – Aucun des traitements cités ici du fait du faible taux de survie sur 1 an (moins de 10 %). d’une bicouche lipidique associée à 3 glycoprotéines d’enveloppe, dont l’antigène (Ag) HBs, ainsi que d’un capside constituée de 240 copies d’une protéine unique appelée “core”. Le génome est composé d’ADN circulaire (3 200 nucléotides environ) double brin. Dans le sang, il existe 3 types de particules : les particules de Dane (particules virales complètes et infectieuses) et des sphères et tubules composés uniquement de l’Ag HBs. Il existe 4 cadres ouverts de lecture (P, C, S et X), qui codent pour des protéines virales différentes : ✓✓ les 3 protéines d’enveloppe HBs de 24 kDa, M de 34 kDa et L de 39 kDa (S) ; ✓✓ la protéine de capside p22c de 22 kDa et une protéine non structurale, HBe, de 17 kDa (C) ; ✓✓ l’ADN polymérase de 82 kDa (P), qui possède une activité de transcriptase inverse et RNAseH ; ✓✓ une protéine transactivatrice oncogénique (X), aux fonctions longuement débattues (11). Histoire naturelle du VHB Évolution de l’infection Dans 95 % des cas, les infections primaires chez les adultes sont éliminées. Dans les autres cas, on observe 88 tout d’abord une phase d’immunotolérance caractérisée par la présence de l’Ag HBs, de l’Ag HBe et de l’ADN viral dans le sang. Cette phase représente la période d’incubation consécutive à une infection aiguë qui dure de 2 à 4 semaines (les porteurs dits “immuno­ tolérants” sont en général infectés congénitalement, très virémiques, et n’évoluent que très lentement dans la maladie). Une phase immunoactive lui succède, avec une décroissance de l’ADN viral et une augmentation de la concentration en ALAT représentant ainsi la lyse des hépatocytes infectés grâce au système immunitaire. L’Ag HBe peut disparaître du sang spontanément à un moment donné et, quelques semaines plus tard, des anticorps anti-HBe apparaissent. Cette séroconversion HBe reflète l’évolution de la maladie vers l’état de “porteur inactif” avirémique (ADN viral qui diminue très fortement lors de cette période) et vers la guérison dans seulement 4 à 12 % des cas par an. Toutefois, une réactivation virale avec une augmentation spontanée de la quantité d’ADN viral et des ALAT peut apparaître. Ces épisodes peuvent être multiples et entraînent à chaque fois des dommages importants favorisant la fibrose. Certaines personnes éliminent l’Ag HBs spontanément et développent des anticorps anti-HBs, ce qui caractérise une guérison. Ce phénomène a lieu chez 1 à 2 % des individus par an dans les pays occidentaux. Le CHC se développe préférentiellement chez les patients en phase immunoactive au stade de cirrhose, mais peut aussi survenir chez des immunotolérants et chez des porteurs inactifs. La cirrhose se développe chez environ 20 % des malades chroniquement infectés (12). Carcinogenèse Le VHB présente la particularité de pouvoir s’intégrer directement dans le génome de l’hôte de façon aléatoire, ce qui se traduit par une instabilité du génome et de probables délétions et transpositions. Cette instabilité génétique est également favorisée par l’action de différentes protéines virales, protéine X et protéines de surface qui vont entraîner une activation de gènes cellulaires impliqués dans le cycle cellulaire mais aussi du stress oxydatif et une prolifération cellulaire (mécanismes détaillés dans la figure 1) [13]. Le VHB entraîne également une inflammation et une régénération hépatocytaire liée à la réaction du système immunitaire de l’hôte, événement associé à de nombreux cancers. On observe, en parallèle de cette réaction immunitaire, l’apparition d’hépatocytes par expansion clonale résistant à l’infection par le VHB (ils ne présentent pas d’antigènes viraux). Cette population d’hépatocytes mutants favorise le risque de développer un CHC (14). Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2013 Infections virales et cancer du foie Infection VHB Stress oxydatif : – Accumulation de protéines de surface du VHB Unfolded Protein Response Mutagenèse insertionnelle (85-90 % des CHC/VHB) : Immortalisation (h TERT) Prolifération (MAPK-1, cycline A) Viabilité cellulaire (TRAF-1) Inflammation : Transactivation de gènes cellulaires : Protéine X : Mécanisme de réparation de l’ADN Contrôle de l’apoptose induction transition G0-G1 Perturbation + Activation Cytokines prolifératives et fibrogéniques : IL-6, IL-10, TGF-β, EGF, VEGF Prolifération cellulaire : – Protéines de surface M et L + prolifération (cycline A) – Instabilité génomique – Mort cellulaire/ régénération – Dommages sur l’ADN Cirrhose (dans 60 à 70 % des cas) CHC Figure 1. Bases cellulaires et moléculaires d’induction du CHC par le VHB. Le virus de l’hépatite D est présent uniquement chez les personnes déjà infectées par le VHB. Ce virus enveloppé à petit ARN circulaire, sans lien phylogénétique clair avec aucun des virus pathogènes humains, favorise la progression de la fibrose et l’évolution vers un état cirrhotique, ce qui augmente indirectement le risque de développer un CHC (15). les protéines structurales (protéines de capside, glycoprotéines d’enveloppes E1/E2, viroporine p7) et les protéines non structurales (NS2, NS3, NS4A, NS4B, NS5A, NS5B) qui assurent les fonctions enzymatiques (protéase, polymérase, etc.) lors du cycle de réplication (11). Historique et caractéristiques générales du VHC Évolution de l’infection L’hépatite C est la cause majeure des maladies chroniques du foie, incluant la cirrhose et le CHC, responsables de la majorité des transplantations hépatiques dans les pays occidentaux, au Japon mais aussi en Égypte. Environ 75 à 85 % des personnes infectées développent une hépatite chronique et ses complications associées, dont le CHC, dans 5 à 10 % des cas. De nombreux facteurs accélèrent l’évolution vers la cirrhose (co-infection [VIH, VHB], alcool, résistance à l’insuline, stéatose, hémochromatose), qui constitue le facteur de risque majeur pour le développement du CHC. Historique et caractéristiques structurales Le virus a été identifié en 1989 grâce à des techniques de clonage moléculaire par l’équipe de Michael Houghton chez Chiron (16). Le virus de l’hépatite C (VHC) est un virus à ARN simple brin de polarité positive enveloppé appartenant à la famille des Flaviviridae et de 9 600 nucléotides. Il existe 6 génotypes différents. Le génome code pour une polyprotéine unique, d’environ 3 000 acides aminés. Celle-ci est clivée pour former au total 10 protéines distinctes : Histoire naturelle de l’hépatite C Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2013 89 Virus et cancers dossier Infection VHB thématique Stress oxydatif : – Core + Hsp60, p53, p73 et pRb ROS – NS5A : Homéostasie Ca2+ Activation des voies STAT-3, PI3K, et NF-κB Accumulation β-catérine Régulation transcriptionnelle p21 Insulinorésistance : – Core dégradation IRS-1 et 2 par SOC et PI3K/Akt/mTOR Inactivation d’IRS-1 par TGF-α et PI3K/Akt Inflammation : Stéatose : – Core Sécrétion de VLDL Accumulation d’acides gras Oxydation d’acides gras Perturbation – Inhibition + Activation Prolifération cellulaire : Core – inhibiteurs CDK et p21/Waf NS3A-NS5A : + p53 p21 effet antagoniste de la réponse immunitaire innée (via IRF-3 et NF-кB) – Instabilité génomique – Mort cellulaire/ régénération – Dommages sur l’ADN Cirrhose CHC Figure 2. Bases cellulaires et moléculaires d’induction du CHC par le VHC. Carcinogenèse Le développement d’un hépatocarcinome dans le cadre d’une hépatite C chronique fait intervenir de nombreux facteurs directs et indirects du fait de la non-intégration du génome viral. Certaines protéines du virus VHC auraient des effets oncogéniques et réguleraient les processus de mitose (protéine Core, NS5A et NS3A) [figure 2]. Le processus d’inflammation et de régénération lié à l’infection virale par le VHC contribue également au risque de développer un CHC (17). Caractéristiques des cancers du foie L’histoire naturelle de l’hépatocarcinome se divise en 3 grandes phases : une phase “moléculaire” (altérations du génome des cellules et transformation en cellules cancéreuses), une phase préclinique (tumeur détectable mais asymptomatique, ou trop petite pour être détectée) et une phase clinique symptomatique (hépatomégalie, ascite, jaunisse/ictère, et inconfort abdominal). De manière plus détaillée, on observe tout d’abord un nodule de plus de 2 cm, qui peut être histologiquement 90 détectable (hypervascularisé, pseudocapsule qui se forme autour de la tumeur) ou non (texture similaire à celle du tissu cirrhotique, hypovascularisé). Au cours de la croissance, la différenciation s’estompe, la vascularisation artérielle pour assurer l’apport en sang oxygéné prend le dessus sur la vascularisation portale, le risque de métastases intra- et extrahépatiques et d’invasions vasculaires augmente. Les études génomiques ont suggéré un développement en plusieurs étapes : des mutations caractéristiques ont pu être identifiées à chaque étape (lésion cirrhotique : Notch/Toll-like receptor, nodule dysplasique : Jak/STAT, CHC précoce : Myc). Cependant, étant donné la diversité génétique des CHC, des techniques de microarray permettent de déterminer des profils génétiques individuels, combinés aux paramètres cliniques du cancer et aux données anatomopathologiques de l’individu dans le but, à l’avenir, de personnaliser le traitement et le pronostic. Par ailleurs, l’origine des cellules cancéreuses est hétérogène : les hépatocytes aux différents stades de leur différenciation (cellule souche, précurseur, intermédiaire, mature) peuvent se transformer en cellules cancéreuses Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2013 Infections virales et cancer du foie avec des conséquences différentes sur le pronostic et l’évolution du cancer. Des progéniteurs endogènes évoluant vers les cellules souches cancéreuses (EpCAM+ et CD90+) sont définis par leurs capacités à s’autorenouveler, à se différencier ponctuellement et à initier la formation d’une tumeur. Les cellules souches sont la cible majeure à éradiquer lors des traitements. Elles sont associées préférentiellement au VHC et de mauvais pronostic (18). Les 2 principaux facteurs de dégénérescence en cellules cancéreuses sont : ✓✓ l’infection virale ; ✓✓ l’inflammation associée à l’infection virale. L’inflammation est associée à 3 processus majoritaires : la stéatose, le stress oxydatif et l’insulinorésistance (IR). La stéatose entraîne la production de ROS. Ces derniers engendrent le stress oxydatif qui induit des dommages sur l’ADN et une production de médiateurs cytotoxiques pro-inflammatoires et fibrinogènes. L’insulinorésistance et le stress oxydatif aggravent la stéatose en stimulant la synthèse lipidique, en augmentant le transfert d’acides gras dans le parenchyme hépatique et en inhibant la sécrétion des VLDL. Ces 3 processus provoquent une activation des cellules étoilées qui produisent des cytokines prolifératives et fibrogéniques et de la matrice extracellulaire. Le tissu fibreux hépatique engendré est composé de collagène de types I et III ainsi que de fibronectine et de laminine. L’activité de ces cellules est stimulée par les cellules de Kupffer et les hépatocytes par l’IL-6, l’IL-10, le TGF-β et l’EGF. L’évolution vers la fibrose constitue un facteur de risque de CHC, les hépatocytes ne pouvant se différencier normalement dans ce contexte (17). Sur le plan génétique, on observe des altérations dans les voies de signalisation au niveau des tumeurs : par exemple, l’activation de la voie Wnt/β-caténine, qui contrôle la prolifération cellulaire ; la synthèse d’ADN et la progression du cycle cellulaire (présente dans 50 % des CHC) ; les voies des facteurs de croissance comme l’Insulin Growth Factor, le TGF-β, le TGF-α/EGF ; les voies qui contrôlent le cycle cellulaire : p53 (spécifiquement pour le VHB) ; la voie du rétinoblastome ; la voie de l’IGF-2 (spécifiquement pour le VHC) [19]. Une analyse génomique sur 125 tumeurs effectuée par l’équipe de J. Zucman-Rossi a mis également en évidence des altérations récurrentes dans 4 gènes : ARID1A (remodelage de la chromatine), RPS6KA3 et NFE2L2, qui interviennent dans la régulation de la voie Wnt/β-caténine, du stress oxydatif métabolique et de la voie des MAPK, et IRF2 (gène suppresseur de tumeur) [20]. Des corrélations entre des marqueurs de polymorphismes (SNP) et la présence d’un CHC ont pu être mises en évidence : ces derniers sont impliqués dans la régulation du stress oxydatif (GST), dans le métabolisme du fer (gène HFE), dans la réponse immune et inflammatoire (IL-1β et TNFα), dans les mécanismes de réparation de l’ADN (MTHFR) et dans la régulation du cycle cellulaire (p53). L’analyse de ces SNP chez les patients pourrait permettre ainsi d’établir des scores cliniques de prédiction du risque (21). Par ailleurs, la sénescence des hépatocytes liée à l’inflammation entraîne une sécrétion de cytokines et de facteurs de croissance avec des effets pro- ou antitumoraux. De plus, ces hépatocytes sénescents peuvent être pré-malins et sont normalement éliminés par le système immunitaire adaptatif via les lymphocytes T CD4+. Chez la souris, une absence de contrôle du système immunitaire de ces hépatocytes peut entraîner le développement d’un hépatocarcinome murin (22). Par ailleurs, les niveaux d’expression de 5 gènes : HN1 (voie de signalisation des androgènes), RAN (voie de signalisation Ras/Raf/MAPK), RAMP3 (adrénoméduline), KRT19 (cellule souche) et TAF9 (régulation du cycle cellulaire), ont permis de définir un score qui est associé à un temps de survie plus ou moins long selon le résultat (positif ou négatif) dans 2 groupes de patients, le premier à Bordeaux (189 patients) et le second pour confirmer à Créteil (125 patients). En combinant la caractérisation tumorale définie par les critères de Barcelone (BCLC), les données sur l’invasion microvasculaire et les niveaux d’expression de ces 5 gènes, les temps de survie des patients après résection peuvent être déterminés précisément et être ainsi considérés comme robustes d’un point de vue statistique (23). Enfin, il existe des différences cliniques et pathologiques entre les CHC dus au VHB et les CHC dus au VHC : les patients atteints du VHB développent un CHC plus tôt, sur des tumeurs plus grosses, en l’absence de cirrhose, et 6 miARN (dont miR-25, miR-375 et let-7f) seraient fortement exprimés dans les CHC liés à l’HBV avec une spécificité de 96 % (24). Une comorbidité, une cirrhose et un âge avancé contribuent plus fortement au développement d’un CHC chez les patients infectés par le VHC que chez ceux atteints d’un VHB (25). Traitements Le cancer du foie est l’un des cancers les plus résistants aux chimiothérapies traditionnelles, comme la doxorubicine, à cause de l’expression de certains gènes codant pour des protéines d’efflux (MDR-1 et BCRP). La transition de perméabilité mitochondriale grâce à des pores (mPTP) pourrait jouer un rôle aussi dans la résistance multidrogue ainsi que certaines p-glycoprotéines associées à JNK 1, 2 et 3 (26). Les CHC sont très vascularisés du fait des facteurs de croissance (VEGF, TGF-β, etc.) produits dans un contexte Correspondances en Onco-Théranostic - Vol. II - n° 2 - avril-mai-juin 2013 91 Virus et cancers Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. thématique cirrhotique en particulier. Le sorafénib, molécule antiangiogénique, est très utilisé en chimiothérapie contre le CHC avancé : il inhibe les récepteurs aux facteurs de croissance de type VEGFR, PDGFR, c-kit, Flt-3. La radiothérapie (ablation par radiofréquence [RFA]) est également une méthode très couramment utilisée pour les CHC au stade précoce avec, malheureusement, un taux de rechute élevé sur 5 ans (tableau). La méthode chirurgicale par résection est très souvent pratiquée pour les tumeurs au stade précoce et, dans le cas où le patient nécessite une greffe, la transplantation est prioritaire. Les techniques d’embolisation (chimioembolisation transartérielle [TACE] et de radioembolisation transartérielle [TARE]) sont majoritairement utilisées pour les CHC aux stades intermédiaire et avancé (tableau). Elles ont pour objectif de cibler précisément les tissus atteints, afin d’offrir la possibilité d’augmenter la concentration de l’agent thérapeutique ou la dose de rayons, sans entraîner de toxicité directe pour l’individu. Il s’agit actuellement de diminuer la taille des billes utilisées qui permettent de fixer l’agent et de jouer le rôle de transporteur afin de s’approcher au plus près du centre de la tumeur, tout en évitant qu’elles ne se propagent dans la circulation systémique. De plus, les traitements anti-angiogéniques actuels par embolisation (TACE et TARE) stimulent parfois la rechute en induisant de l’hypoxie dans les tissus, facteur qui provoque la synthèse de molécules pro-angiogéniques. Des traitements qui associent une embolisation avec un traitement systémique (sorafénib), évitant ainsi les contre-effets dus à l’hypoxie, sont en cours de développement (27). Des anticorps monoclonaux, tel le bévacizumab contre le VEGF A, mais aussi d’autres inhibiteurs de tyrosine kinase comme le brivanib, sont actuellement en cours d’essais cliniques afin de remplacer probablement la chimiothérapie actuelle utilisant le sorafénib. Le diagnostic précoce du CHC par l’imagerie est crucial, étant donné les difficultés de traitement du CHC à un stade avancé. La meilleure stratégie actuelle de détection précoce est l’IRM hépatobiliaire en phase dynamique. L’imagerie reste toutefois, dans le cas du CHC, un problème qui nécessite de nombreux progrès (28). L’hadronthérapie est aussi une méthode de radiothérapie en cours de développement pour le traitement des cancers. Elle a pour objectif de détruire les cellules cancéreuses radiorésistantes et inopérables en les irradiant avec un faisceau de particules, de type hadrons, protons et ions carbone (29). Les thérapies actuelles semblent inactives sur les cellules souches cancéreuses, ce qui explique le taux de rechute élevé. Des études menées sur ce thème seront a priori indissociables de l’augmentation des taux de succès à long terme (30). Bien que les avancées thérapeutiques dans le domaine du CHC aient été substantielles, le taux de survie à 5 ans demeure de l’ordre de 20 %. Les traitements anti-angiogéniques, l’hadronthérapie et la médecine personnalisée fondée sur une classification fonctionnelle des tumeurs constituent les perspectives thérapeutiques les plus probables des années à venir. ■ Références 1. El-Serag HB. Epidemiology of viral hepatitis and hepatocel- 12. Tillmann HL. Antiviral therapy and resistance with hepatitis 2. El-Serag HB. Hepatocellular carcinoma. N Engl J Med 13. Chemin I, Zoulim F. Hepatitis B virus induced hepatocellular 2011;365(12):1118-27. carcinoma. Cancer Lett 2009;286(1):52-9. 3. Naugler WE, Schwartz JM. Hepatocellular carcinoma. Dis 14. Zoulim F, Mason WS. Reasons to consider earlier treatment Mon 2008;54(7):432-44. of chronic HBV infections. Gut 2012;61(3):333-6. 4. Yurdaydin C, Idilman R, Bozkaya H, Bozdayi AM. Natural 15. Ji J, Sundquist K, Sundquist J. A population-based study 5. 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