DOSSIER Hépatite B : fibrose, cancer et traitements Impact du VHB sur la mortalité en France et dans le monde Impact of HBV on mortality in France and in the world X. Causse* L * Service d’hépato-gastroentérologie et d’oncologie digestive, CHR d’Orléans. a mortalité due à l’infection par le virus de l’hépatite B (VHB) est beaucoup moins liée aux formes fulminantes, rares en l’absence de co-infection par le VHD et accessibles à la transplantation hépatique, qu’à la persistance de l’infection virale et à l’évolution vers la cirrhose hépatique et le carcinome hépatocellulaire (CHC). Des études longitudinales de patients infectés par le VHB non traités ont montré une incidence cumulée de cirrhose 5 ans après le diagnostic, de 8 à 20 %. Le risque de constitution d’une cirrhose hépatique et sa vitesse de progression sont accélérés par les co-infections par le VHC, le VHD ou le virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Pour les patients avec cirrhose compensée non traités, l’incidence cumulée de décompensation est de 20 % à 5 ans. La probabilité de survie des patients non traités présentant une cirrhose décompensée est évaluée entre 14 et 35 % à 5 ans. L’incidence annuelle du CHC chez les patients atteints d’une cirrhose virale B est de 2 à 5 %, avec d’importantes variations géographiques, sans doute liées à la précocité du contact avec le VHB d’une part, à des facteurs d’environnement d’autre part (consommation d’aflatoxines, d’alcool, de tabac, syndrome métabolique, etc.) [1-3]. L’étude REVEAL-HBV menée à Taïwan a montré que le risque de développer un CHC lié au VHB était fortement corrélé à la charge virale B, d’autant plus élevé que la charge virale était haute. Dans cette population, l’incidence annuelle du CHC chez les patients dont la virémie est inférieure à 2 000 UI/ ml n’est que de 0,06 % (4). Une étude complémentaire dans la même population de porteurs inactifs (anticorps anti-HBe positifs, ADN-VHB inférieur à 2 000 UI/ml) des génotypes B ou C du VHB montre toutefois un risque relatif de CHC 13,7 fois plus élevé 70 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 2 - mars-avril 2014 chez les porteurs dont l’AgHBs quantitatif est supérieur ou égal à 1 000 UI/ml par rapport à ceux dont l’antigénémie est inférieure à 1 000 Ul/ml (5). On estime qu’un tiers de la population mondiale, particulièrement en Asie du sud-est et en Afrique subsaharienne, présente des traces sérologiques de contact avec le VHB et que 350 à 400 millions de personnes sont porteuses chroniques de l’AgHBs. Ainsi, les cirrhoses décompensées et les CHC seraient responsables d’environ un million de décès liés au VHB chaque année dans le monde (1-3, 5). En France, la dernière enquête nationale sur la mortalité liée aux hépatites B et C a été réalisée en 20042005 auprès des médecins certificateurs. Elle avait permis d’estimer que 1 507 décès (IC95 : 640-2 373) étaient associés au VHB (AgHBs positif), correspondant à un taux de mortalité de 2,6 pour 100 000 (IC95 : 1,4-4,5), parmi lesquels 1 327 (88 %) ont été expertisés imputables au VHB, soit un taux de mortalité correspondant à 2,2 pour 100 000 (IC95 : 0,8-3,7). Le taux de décès est 2,5 fois plus élevé chez les hommes que chez les femmes, avec un âge moyen au décès de 65 ans. Le stade de la maladie au moment du décès est au moins une cirrhose dans 93 % des cas, et un CHC sur cirrhose dans 35 % des cas (6). On sait depuis (7) que la prévalence du VHB augmente en France et qu’elle est plus élevée dans les quarts nord-est et sud-est du pays et en Île-de-France, que dans la moitié ouest du pays. Les facteurs significativement associés dans cette enquête à la positivité des anticorps anti-HBc étaient : l’usage de drogues par voie intraveineuse, l’homosexualité, la précarité, un niveau d’éducation inférieur au baccalauréat, un séjour d’au moins 3 mois en milieu carcéral, un pays de naissance où la prévalence de l’AgHBs est supérieure à 2 %, le fait d’être un homme et d’être âgé de plus de 29 ans. Points forts » La mortalité liée au virus de l’hépatite B (VHB) est essentiellement la conséquence de la cirrhose et du carcinome hépatocellulaire. » Le risque de ces complications est plus élevé chez l’homme, il augmente avec la durée de l’infection, la charge virale, la consommation d’alcool et les co-infections virales. » L’augmentation de la prévalence du VHB en France majore ce risque, qui devrait être prévenu par la vaccination, encore très insuffisante, et par le dépistage et le traitement des hépatites actives. Il est désormais bien établi qu’un traitement antiviral B bien conduit limite le risque de complications de l’hépatite chronique virale B, notamment celui de survenue d’un CHC, et augmente significativement l’espérance de vie (8-10). Il est donc nécessaire de dépister les porteurs d’AgHBs, d’évaluer leur situation clinique, de traiter ceux qui peuvent espérer un bénéfice de survie, notamment les cirrhotiques (3), et de dépister par échographie les patients à risque de développer un CHC. Il est probable que ce dépistage sera de plus en plus orienté par les facteurs de risque exposés plus haut. Il est également nécessaire de dépister un contact ancien avec le VHB (AgHBs, anticorps anti-HBs, anticorps anti-HBc) avant chimiothérapie ou traitement immunosuppresseur, pour proposer une surveillance ou un traitement antiviral préemptif adapté à la sévérité de l’immunosuppression attendue (3). La meilleure prévention de la mortalité liée au VHB reste toutefois, comme l’ont montré nos collègues chinois, la vaccination, simple et très efficace, notamment sur le plan coût/bénéfice (11). Il faut donc espérer une amélioration de la couverture vaccinale en France, médiocre jusqu'à très récemment, avec les vaccins combinés et la simplification du calendrier. Pour les nourissons nés en 2009, la couverture contre le VHB restait inférieure à 60 %. Pour les adolescents et pré-adolescents, les enquêtes les plus récentes indiquent une couverture inférieure à 50 % (6). En conclusion, si la mortalité liée au VHB apparaissait relativement limitée en France dans l’enquête menée en 2004-2005, l’augmentation actuelle de la prévalence des porteurs d’AgHBs en métropole devrait inciter à améliorer drastiquement la couverture vaccinale des nourrissons − qui reste très insuffisante −, ainsi que le dépistage, sachant que le traitement des hépatites B actives et la transplantation des patients les plus affectés restent des solutions plus coûteuses pour diminuer la mortalité liée au VHB. ■ L’auteur déclare avoir des liens d’intérêts avec BMS et Gilead. Mots clés Virus de l’hépatite B Carcinome hépatocellulaire Cirrhose Mortalité Highlights » The mortality related to hepatits B virus is essentially due to liver cirrhosis and hepatocarcinoma. » The risk of such complications is higher among men and is increasing with the duration of exposure, the viral load, alcohol consumption and infection with other viruses. » The increase of the prevalence of HBV infection in France is increasing this risk and need to be prevented by the vaccination, now insufficient, and by the screening and the treatment of chronic active hepatitis. Keywords Hepatitis B virus Hepatocarcinoma Cirrhosis Mortality Références bibliographiques 1. McMahon BJ. The natural history of chronic hepatitis B virus infection. Semin Liver Dis 2004;24 Suppl 1:17-21. 2. Fattovich G, Bortolotti F, Donato F. Natural history of chronic hepatitis B: special emphasis on disease progression and prognostic factors. J Hepatol 2008;48(2):335-52. 3. 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Jeudi 5 & Vendredi 6 juin 2014 de L’ALBATROS Congrès International d’Addictologie 9. Sung JJ, Tsoi KK, Li KC et al. Meta-analysis: treatment of chronic hepatitis B infection reduces risk of hepato-cellular carcinoma. Aliment Pharmacol Ther 2008;28(9):1067-77. 10. Papatheoridis GV, Lampertico P, Manolakopoulos S, Lok A. Incidence of hepatocellular carcinoma in chronic hepatitis B patients receiving nucleos(t)ide therapy: a systematic review. J Hepatol 2010;53(2):348-56. 11. Sun Z, Chen T, Thorgeirsson SS et al. Dramatic reduction of liver cancer incidence in young adults: 28 year follow-up of etiological interventions in an endemic area of China. Carcinogenesis 2013;34(8):1800-5. ADDICTIONS : DE LA TRANSVERSALITÉ AUX PARTENARIATS Numéro de DPC : 15871400005 PARIS Inscription en ligne sur www.centredesaddictions.org Hôpital Paul Brousse Département de Psychiatrie et d’Addictologie - Villejuif La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVII - n° 2 - mars-avril 2014 | 71