LE SOIN DES MALADES EN FIN DE VIE Déclaration commune juive-catholique Poursuivant le dialogue entre juifs et catholiques entamé depuis la déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II, la Commission pour les Relations avec les Autres Religions du Consistoire de Paris (CRAR) et le Service des Relations avec le Judaïsme du Diocèse de Paris (SRJ) ont constitué un groupe de réflexion sur les questions touchant à la fin de la vie humaine. Ce groupe s'est attaché à faire une lecture commune de la loi du 22 avril 2005, dite « Loi Leonetti », relative aux droits des malades et à la fin de vie. Ayant recueilli le résultat de ce travail, nous estimons utile d'apporter la contribution de ce groupe à la réflexion sur ce sujet qui touche une question essentielle: le respect de la vie humaine et l'attention que les bien portantsdoivent aux mourants ou à ceux qui sont gravement malades. souffrances intenses qui ne peuvent être soulagées autrement, et que l'éventuel effet secondaire d'abrègement de la vie ne soit en aucune façon recherché. L'objectif poursuivi en administrant ce traitement est alors uniquement de soulager de fortes souffrances, non pas d'accélérer la mort. Des « recommandations de bonne pratique médicale » destinées à vérifier que les conditions précédentes sont remplies ont déjà été formulées par des institutions compétentes. Il importe que ces recommandations soient régulièrement mises à jour, ratifiées par la Haute Autorité de Santé et observées dans la pratique. 5. Sans rien renier de nos convictions religieuses et du respect dû à toute vie humaine, il nous paraît juste, après les démarches requises, de ne pas entreprendre des traitements médicaux qui ne pourraient améliorer l'état de santé du malade, ou n'obtiendraient un maintien de la vie qu'au prix de contraintes ou de souffrances disproportionnées, ou dans une situation extrême. En ce sens, nous approuvons le principe général formulé par 1. Juifs et catholiques, nous reconnaissons le droit et le la loi: les actes médicaux « ne doivent pas être devoir de toute personne de prendre un soin raisonnable poursuivis par une obstination déraisonnable ». de sa santé et de sa vie, et le devoir corrélatif de la famille et des soignants de prodiguer à un malade les 6. Le fait de ne pas entreprendre (ou de ne pas maintenir), soins nécessaires, dans la mesure de leurs moyens ou pour un malade déterminé, tel ou tel traitement médical, des ressources mises à leur disposition par la société. ne dispense pas du devoir de continuer à prendre soin Le développement incessant des sciences médicales et de lui. Juifs et catholiques, nous jugeons qu'il est de la des moyens utilisés pour le diagnostic et le traitement plus haute importance de chercher le moyen et la des maladies rend cependant nécessaire de nos jours de manière les plus adéquats d'alimenter le malade, en s'interroger sur le devoir d'y recourir, sur les privilégiant dans toute la mesure du possible la voie circonstances qui légitiment l'abstention de certains de naturelle, et en ne recourant à des voies artificielles ces moyens, et, d'une manière générale, sur les soins qu'en cas de nécessité. dus aux malades parvenus au terme de leur vie. 2. Le commandement biblique: « Tu ne tueras pas » exige 7. Il apparaît clairement, dans nos traditions respectives, que l'apport d'eau et de nutriments destinés à entretenir de la famille et des soignants de ne pas chercher à hâter la vie répond à un besoin élémentaire du malade. la mort du malade, et des malades de ne pas attenter à L'alimentation et l'hydratation par la voie naturelle leurs jours, ni de demander l'aide d'autrui dans cet doivent donc toujours être maintenues aussi longtemps objectif. En nous appuyant sur ce commandement nous que possible. exprimons une opposition très ferme à toute forme En cas de véritable impossibilité, ou de risques de « d'assistance au suicide et à tout acte d'euthanasie, cellefausse route» mettant en danger la vie du malade, il ci étant comprise comme tout comportement, action ou convient de recourir à une voie artificielle. Seules des omission, dont l'objectif est de donner la mort à une raisons graves dûment reconnues (non assimilation des personne pour mettre ainsi fin à ses souffrances. nutriments par l'organisme, souffrance disproportionnée entraînée par l'apport de ceux-ci, mise en danger de la 3. Pour nous. la sollicitude due à nos frères et soeurs vie du malade du fait de risques d'infections ou de gravement malades ou même agonisants. « en phase régurgitation) peuvent conduire dans certains cas à avancée ou terminale d'une affection grave et incurable » limiter voire suspendre l'apport de nutriments. Une telle selon les termes de la loi, exige de s'employer à porter limitation ou abstention ne doit jamais devenir un remède à leurs souffrances. Tel est l'objectif majeur des moyen d'abréger la vie. soins palliatifs tels qu'ils sont officiellement définis. Nous ne pouvons donc que nous réjouir de ce que la loi Juifs et catholiques, nous jugeons donc que, en ce qui concerne l'apport de nutriments, la loi du 22 avril invite à les développer dans tous les hôpitaux et les présente une réelle ambiguïté. Il n'y est pas précisé que établissements médico-sociaux. pour les malades chroniques hors d'état d'exprimer leur volonté l'alimentation et l'hydratation par voie naturelle 4. L'article 2 de la loi du 22 avril 2005 prévoit ou artificielle doivent être maintenues, même lorsque la explicitement que le médecin applique « un traitement décision a été prise de limiter les traitements médicaux qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger la vie » proprement dits. Il convient que les instances lorsque c'est le seul moyen de « soulager la souffrance compétentes favorisent et garantissent cette d'une personne en phase avancée ou terminale d'une interprétation de la loi. affection grave et incurable ». Nous jugeons que le recours à un tel traitement est légitime à certaines conditions: qu'il y ait des raisons graves d'agir ainsi, des C'est à son attitude à l'égard des plus faibles, parmi lesquelles les personnes en fin de vie ont une place toute particulière, qu'une société manifeste son degré d'humanité. La véritable compassion ne peut se traduire par le fait de provoquer délibérément la mort d'autrui. Notre société, si sensible à la souffrance des personnes en fin de vie, se doit d'apporter à tous ceux qui en ont besoin les moyens d'accompagnement et de soins palliatifs qui respectent la vie humaine. Ce respect constitue l'un des fondements de toute civilisation qui se veut humaine. Paris, le 26 mars 2007 Mgr André VINGT-TROIS, Archevêque de Paris David MESSAS, Grand Rabbin de Paris ____________________________________________ http://www.espace-ethique.org/fr/editorial.php EUTHANASIE: LA NAUSÉE DES SOIGNANTS Pr Louis Puybasset Médecin anesthésiste-réanimateur, Groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP-HP Comment peut-on décemment proposer aux malades d’arrêter leur cœur pour soulager leur souffrance en ce début de XXIe siècle ? Comment cette revendication pourrait être portée par la patrie des droits de l’homme et des Lumières ? Comment un des grands partis politiques français a-t-il pu valider officiellement cette option d’un autre âge ? Pourquoi certains candidats à l’investiture suprême sont-ils rentrés dans une telle logique ? Nous, soignants, qui vivons dans notre quotidien la souffrance et la mort et qui avons fait de nos vies professionnelles un engagement de solidarité en avons la nausée. Légaliser l’euthanasie serait inutile car la loi du 22 avril 2005 relative au droits des malades en fin de vie apporte des réponses pour la résolution de la très grande majorité des difficultés rencontrées en fin de vie. Elle impartit aux médecins de respecter les choix de la personne malade et de l'informer des conséquences de ses décisions. En interdisant toute forme d'acharnement thérapeutique et en imposant une prise en charge de la souffrance tant psychique que physique par l'administration de soins et de traitements appropriés même au prix d'un raccourcissement de la durée de la vie - elle s’attaque aux vrais problèmes. En exigeant du corps soignant, pour le cas où le malade serait devenu incapable d’exprimer sa volonté, de prendre en compte ses souhaits exprimés dans ses « directives anticipées » ou par sa « personne de confiance », en imposant une décision collégiale, un second avis médical et la transparence de la décision ainsi que son inscription dans le dossier médical avec ses motifs, la loi institue une nouvelle forme d’éthique de la responsabilité médicale, tout en ne tombant pas dans le piège d’une procédure qui aurait culpabilisé les proches. Légaliser l’euthanasie serait dangereux pour différentes raisons. D’abord, un dispositif qui procurerait la force de la loi à l'un pour tuer l'autre, fûtce à sa demande, porte en lui-même des dérives inéluctables. L'examen de la situation des pays européens qui ont légalisé l'euthanasie met déjà largement en évidence ces dérives: mise à disposition de « kit euthanasie » en pharmacie et euthanasie de patients dépressifs en Belgique; suicide assisté de schizophrènes ou de patients victimes d’une erreur diagnostique et dérives mercantiles en Suisse; volonté d'élargir l'euthanasie aux patients « souffrants de la vie » et pratiques d’euthanasies en dehors de toute demande aux Pays-Bas. Pourquoi la France éviteraitelle ce que ces pays ne sont pas parvenus à contrôler ? Comment peut-on être assez naïf pour croire que des critères dits de « minutie » pourraient nous prémunir de ces dérives, surtout lorsque l’on sait que ces critères ne sont vérifiés qu’une fois que le patient est décédé, c'està-dire tragiquement trop tard. Banaliser le suicide représenterait ensuite une erreur magistrale sur le plan de l'histoire familiale qui façonne chacun d'entre nous. Cette erreur se payera dans une ou deux générations par une augmentation des suicides réussis chez les jeunes, tant sont puissants les phénomènes de répétition transgénérationnelle dans le psychisme humain. Ce débat accentue d’ailleurs immanquablement la charge morbide qui règne dans notre société. On peut sans doute en observer déjà les effets par la progression de 6 % du nombre des suicides réussis que l’on constate dans la tranche des 30-60 ans depuis 2001. Enfin, ces options renforcent la vulnérabilité des plus faibles et mettent en danger les valeurs les plus essentielles du soin. Pour finir, ce discours est probablement déjà obsolète. On peut dès maintenant faire l’hypothèse que les trois pays européens qui ont légalisé ou dépénalisé l’euthanasie sous une forme ou sous une autre feront marche arrière dans les dix ans qui viennent. On en sent déjà les prémisses dans le débat public aux Pays-Bas où l’on prend conscience des glissements progressifs qui s’opèrent depuis la mise en place de la loi. Comment a-t-on pu en arriver là ? Apporter une réponse à cette question n’est pas chose aisée. Pourquoi ce mouvement est-il né en Europe occidentale ? Pourquoi en revanche ces questions n’ont jamais été posées sous cette forme, ni des réponses aussi simplistes proposées dans d'autres cultures que la nôtre: en Amérique du Sud, en Asie ou dans le Maghreb par exemple ? Il faudrait aussi sans doute s’interroger sur les relations profondes, qui existent entre la revendication actuelle d’une légalisation de l’euthanasie et l’histoire génocidaire de l’Europe pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le fait que la première légalisation de l’euthanasie soit intervenue aux Pays-Bas et que 80 % des actes d’euthanasie pratiqués en Belgique le soient chez les Flamands n’est sûrement pas neutre. Ceci renvoie à la psychopathologie et à l’histoire des peuples, et justifierait l’engagement de recherches approfondies. Pour ce concerne notre expertise, on peut proposer la conjonction de trois phénomènes: la disparition quasi complète de la représentation de la mort de notre société, l’orchestration diabolique d’une instrumentalisation aux multiples visages et des arrières pensées économiques nauséabondes. Il ne fait plus bon mourir dans notre société. Mourir est devenu indécent. Mourir doit se passer dans un milieu confiné, à l’hôpital, dissimulé au regard de l’autre, comme si la mort devait être niée. La grande majorité des jeunes n’ont jamais vu un mort. La plupart des jeunes n’ont jamais accompagné un mourant. Les malades meurent souvent seuls dans l’anonymat de l’hôpital. Comment nos concitoyens peuvent-ils encore appréhender ce sujet difficile en de telles conditions ? Dans ce contexte, la proposition qu’il leur est fait de « zapper » cet épisode douloureux au plus vite leur apparaît sans doute comme une alternative crédible. Estce là vraiment un chemin de vie ? financés par ses partisans pour justifier la revendication euthanasique. Il ne faut pas demander aux Français s’ils veulent mourir sans souffrance. Qui ne répondrait pas « oui » à une telle question ? Il faut demander aux Français s’ils préfèrent mourir brutalement d’une injection létale, à l’heure qui conviendra le mieux à ceux qui restent, avec le risque que cette mort finisse pas leur être imposée ou s’ils préfèrent mourir tranquillement entourés des leurs et soulagés de leurs souffrances, à une heure qui n’est par essence déterminée par aucune considération pratique. Instrumentalisation de l’opinion publique quand la remise du Livre blanc de l’ADMD et la publication d’un manifeste ont été programmés quelques jours L’instrumentalisation aux multiples visages que l’on a avant le procès de Saint-Astier (à Périgueux), dont les évoquée saute aux yeux, même pour les observateurs les défenseurs de l’euthanasie voulaient faire une tribune et plus condescendants. Elle est le fait d’organismes qui a finalement tourné en fiasco médiatique pour eux. disposant de très importants moyens financiers. Une Fiasco car il a clairement mis en évidence que c’est la association comme l’Association pour le droit de détresse et la solitude des soignants, qui ont conduit à mourir dans la dignité France (ADMD) emploie 7 l’acte d’euthanasie faisant l’objet du délit pénal. Fiasco personnes à temps plein pour faire la promotion de ses aussi car ce procès d’assises a mis en exergue la thèses ! sagesse du jury populaire, représentant du peuple, ce peuple dont les défenseurs de l’euthanasie se réclament Instrumentalisation de la détresse des malades d’abord, et qui pourtant a fait le choix le plus équilibré que l’on puisque l’on cache une revendication qui a pour objet pouvait attendre. Instrumentalisation de l’opinion essentiel de créer un droit à la mort derrière une soit publique encore quand on présente la légalisation disant solution au problème de la souffrance. Cette comme la solution à la souffrance extrême, alors que forme d’instrumentalisation a été portée jusqu’à la tous ceux qui défendent cette option savent caricature par la « manipulation » dont Vincent pertinemment que l’injection létale, censée être Humbert et sa mère ont été les victimes. Comment ne salvatrice, n’est réalisée dans tous les pays qui ont pas tenir compte du témoignage de la mère de Vincent, légalisé ou dépénalisé l’euthanasie qu’après des délais publié par Le Parisien du 6 mars 2007, qui affirme que de rétraction d’une quinzaine de jours, incompatibles Jean Cohen, ancien président de l’ADMD, lui a donnée avec le traitement de cette même souffrance. des « conseils » lorsqu’elle était à Berck-sur-mer ? Médicalement, on s’interroge. Comment ce jeune Mensonge par omission, quand on oublie de parler ou homme, victime d’un traumatisme crânien sévère et même d’évoquer la misère de certains conflits familiaux ayant fait plusieurs mois de coma, porteur de séquelles et la petitesse de l’homme dans certaines circonstances. qui telles que décrites dans son livre ressemblent à un Omission fatale quand on ne dit pas que les actes atteinte motrice sévère et bilatérale d’origine centrale d’euthanasie créent invariablement des deuils associé à une cécité corticale, a-t-il pu écrire un livre qui pathologiques chez les survivants. Oubli tragique quand reprend tout des thèses de l’ADMD ? En pathologie personne n’évoque la détresse et les traumatismes que traumatique crânienne, ce type de séquelles est toujours ces actes d’euthanasie entraînent sur ceux qui les associé à une dysfonction cognitive plus ou moins pratiquent. Manipulation encore, quand on ne met pas sévère. Comment expliquer que ce livre ait été mis en en avant le fait que la loi du 22 avril 2005 aurait donné librairie le 25 septembre 2003, le lendemain de l’acte raison à Piergiorgio Welby en Italie ou plus récemment d’euthanasie pratiqué par sa mère, 3 ans jour pour jour à Inmaculada Echevarria en Espagne dans leur demande après son accident ? Pourquoi Vincent a-t-il toujours été d’arrêt du respirateur qui les maintenait en vie. présenté comme tétraplégique aux yeux du grand public Manipulation toujours, quand on fait croire au peuple alors qu’il n’a jamais eu de lésion médullaire ? qu’une loi légalisant l’euthanasie serait de nature à Comment ne pas penser, même avec la plus grande renforcer sa liberté, alors que dans la réalité, une telle loi bienveillance, qu’il n’y a pas eu là finalement dérivera inéluctablement, même avec les meilleures instrumentalisation d’une détresse ? Cette enquête garanties possibles, vers des euthanasies non choisies, aurait pu relever de la justice si la juge qui instruisait non demandées et qui seront utilisées comme vecteurs cette affaire en avait mieux compris les tenants et de régulation économique. aboutissants. Elle reste à faire et est maintenant du ressort du journalisme d’investigation car la vérité est Instrumentalisation de celles et de ceux qui en ont fait de due aux Français qui se sont fortement investis la légalisation de l’avortement leur combat quand la émotionnellement et à juste titre dans cette histoire stratégie délibérément choisie est de mettre en parallèle tragique. l’euthanasie et l’avortement. Ce sont deux domaines qui n’ont pourtant strictement rien à voir. Qui peut Instrumentalisation de l’opinion, lorsque l’on produit en décemment soutenir que la légalisation de l’euthanasie permanence des sondages falsifiés et de surcroit est un enjeu de santé publique comme l’étaient les conséquences des avortements clandestins avant 1974 ? Va-t-on avoir le culot de nous expliquer que le malmourir est du à l’absence de légalisation de l’euthanasie ? Va-t-on avoir l’indécence de nous affirmer que l’euthanasie est la solution à la solitude de la fin de la vie ? conduit au massacre de 75 000 handicapés sévères après le début de la guerre, a été coordonné et exécuté par des médecins zélés qui avaient fini par se croire investis d’une mission de purification raciale. Nous rappelons aussi que les procédures d’extermination massive par les gaz ont été mises au point par ces mêmes médecins avant de servir à la Solution Finale. Plus proche de notre époque, nous vous demandons de vous souvenir que la stérilisation forcée de femmes handicapées a été menée par des médecins Suédois jusqu’en 1976 ! Vous, comme nous, savez que nous agissons sur l’homme dans son intimité et que ceci nous donne des devoirs qui engagent le sens même de notre action. Instrumentalisation de la place du soignant, quand on veut lui faire réaliser l’injection létale. Mise en position d’abus de pouvoir potentiel évident, quand on veut, s’agissant d’une décision aussi radicale et irréversible, qu’il concentre entre ses mains toute la chaîne décisionnelle, du recueil du témoignage jusqu’à l’action elle-même. Ceci serait l’équivalent d’une justice où l’officier de police judiciaire, le juge d’instruction et le magistrat ne seraient qu’une seule et même personne. Aux adhérents de l’ADMD, nous demandons Qui voudrait d’une telle procédure ? d’approfondir leur réflexion s’agissant de leur soutien à cette association. Aux quelques irréductibles qui Aux politiques, nous demandons de garder la tête froide. revendiquent que la société leur fournisse les moyens Vous êtes en charge de fixer la norme sociale qui régit de se suicider, nous répétons que tuer n’est pas un acte la vie en société. La loi a pour vocation de poser des médical et n’en requiert aucune compétence. Allez règles générales et non de résoudre des situations jusqu’au bout de votre démarche et exigez de vos élus singulières, extrêmes et exceptionnelles. Vous ne qu’ils vous fournissent les pilules mortelles que vous pouvez ni ne devez vous substituer à l’intimité et à la revendiquez ! Pour la majorité silencieuse, qui redoute singularité de la relation médecin-malade. Vous ne plus que tout de mal mourir, nous recommandons devez pas légiférer à chaud, sous l’impulsion d’affaires d’obtenir un changement des statuts et des objectifs de aux fortes connotations émotives et affectives. Vous votre association ou de fuir ces dirigeants qui vous n’avez pas le droit, dans la position que vous occupez, trompent, lorsqu’ils revendiquent en votre nom un droit d’avoir la naïveté de penser que vous contrôlerez la à mourir. Ceci n’est pas votre combat. Ouvrez les yeux. pratique et l’usage d’une telle loi par des formulaires Exigez de votre association qu’elle milite pour administratifs dont on remplirait après coup les cases qu’ensemble nous puissions trouver un meilleur par « oui » ou par « non ». C’est bien mal connaître les ajustement de l’intensité des soins, pour qu’ensemble réalités humaines. Ne vous laissez pas abuser par ceux nous puissions développer une meilleure expertise du qui tentent de vous faire croire que cela fait moderne pronostic des pathologies neurologiques, pour que d’être pour la mise en place d’un suicide qu’ensemble nous puissions donner corps au concept légalement assisté. Quelle sera la réaction du corps de proportionnalité des soins, qui est l’enjeu médical le social, lorsqu’il sera devenu évident qu’il ne s’agissait plus important du monde occidental pour ce siècle qui finalement que d’organiser la distribution de pilules débute. mortifères ? Quelle serait votre propre réaction si cette ___________________________________________ procédure devait être organisée dans vos mairies ou dans vos permanences électorales plutôt que par MEURTRE COMPASSIONNEL l’intermédiaire des professionnels de santé ? Ne vous OU SOLIDARITÉ EN FIN DE VIE laissez pas abuser par la dictature de sondages Emmanuel Hirsch d’opinions manipulatoires. Directeur de l’Espace éthique Assistance publique-Hôpitaux de Paris, À nos concitoyens, nous disons qu’une loi légalisant professeur d’éthique médicale, Université Paris-Sud XI l’euthanasie irait contre la défense de leurs intérêts. Nous répétons qu’il s’agit d’un combat dogmatique L’évolution d’une maladie qui affecte l’autonomie de la d’arrière garde. Les enjeux modernes de la prise en personne, sa liberté même, les conditions de son charge de la fin de vie sont ceux de l’accompagnement devenir, peut susciter des réflexions fort et de la proportionnalité des soins. Nous affirmons que compréhensibles: certains estiment la mort anticipée ce n’est pas d’une nouvelle loi dont nous avons besoin plus acceptable qu’une vie éprouvée comme une défaite mais d’un changement de culture médicale qu’impose et une souffrance sans issue. La mort en deviendrait dorénavant la loi du 22 avril 2005. Nous affirmons que ainsi « préférable » à la persistance ou à la préservation jamais nous, soignants, ne vous abandonnerons au seuil d’une existence considérée, dès lors, dépourvue de la de votre vie. moindre signification. Aux médecins, nous recommandons de s’interroger sur la notion d’abus de pouvoir auquel notre profession est constamment exposée. Nous leur demandons de se souvenir des dérives tragiques que la médecine européenne a connues dans l’Allemagne Hitlérienne. Nous rappelons que le programme Aktion T4, qui a Il conviendrait d’être plus attentif à la complexité de ce qu’expriment les personnes sollicitant de notre part un suicide médicalement assisté, voire une euthanasie: une forme d’« assistance à la mort ». Ne nous demandentelles pas si nous leur reconnaissons toujours une place parmi nous, et si nous sommes encore disposés à leur témoigner considération, respect et solidarité sociale ? Ce que, dans trop de circonstances, on leur conteste. délicats et douloureux qui déjouent bien souvent les stratégies du soin. Les décisions touchent alors au degré supérieur de la fonction soignante. Dès lors que le projet d’un soin adéquat, mesuré, constamment ajusté dans le cadre d’une concertation, conforte la personne dans ses attentes, ses attachements et sa volonté, nul ne saurait désinvestir les intervenants du sens profond de leurs missions. Entre l'obstination thérapeutique, la neutralité indifférente ou le meurtre compassionnel, un champ de responsabilité s'impose aux professionnels de santé, seul conforme aux repères et principes qui légitiment leurs interventions. L’éthique du soin en fin de vie doit être assumée dans sa dimension d’exception. Les débats récurrents relatifs à l’euthanasie ne me semblent que rarement à la hauteur d’enjeux d’humanité. Ne pas délaisser la personne, ne pas l’abandonner à sa solitude dans le huis clos d’une confrontation à sa mort, sans la moindre ouverture, c’est affirmer que nous avons comme devoir de l’assister dans ses derniers instants parmi nous, conscients que leur valeur s’avère d’autant plus inestimable qu’ils sont comptés. Nous sommes personnellement responsables de ce temps à vivre et donc à respecter ensemble. Quand nos décisions concernent un être humain dans son existence, comment caractériser les libertés du point de Comment des soignants confrontés à une demande vue des responsabilités qu’elles engagent ? Comment sociale prenant la forme d'une revendication d'aide au respecter l’autonomie de l'autre quand un certain suicide, doivent-ils concevoir une question comme celle nombre de facteurs accentuent sa dépendance ? La de la valeur de la vie ? Qui est en mesure d'évaluer une liberté agit-elle encore dans une conscience intense de la existence à l'instant même où est éprouvé son plus mort prochaine ou de la mort désirée ? Qu’en est-il de grand péril ? Peut-on véritablement anticiper une l'indépendance ainsi visée, de la notion de choix dans décision et considérer comme relevant d'un droit, qu'une une revendication de la mort ? Que signifie un « droit à personne désignée obtempère à un choix de mort dans la mort » dans l'exigence d'un soin qui ne saurait que des circonstances où le suicide ne pourrait être s’y conformer ? directement pratiqué ? Qu’en est-il d’une revendication de la mort proclamée comme l’expression absolue de la Un soignant a-t-il la faculté de se refuser à ce qui lui est liberté ? Comment envisager une réponse compatible demandé - un acte de mort -, quand il est engagé dans avec le sens même de l'engagement soignant ? une relation dont l'achèvement peut correspondre, pour la personne malade, au respect de sa dernière volonté ? L'observation de l'usage et de l'interprétation des notions Il assume une responsabilité à la fois personnelle, de respect, dignité, et autonomie nous incite à la plus professionnelle et sociale qui lui confère l'obligation de grande prudence, voire à un surcroît de vigilance. Pour ramener constamment ses pratiques aux devoirs certains, le respect et la dignité engagent à revendiquer prescris à l'homme qui soigne. Cette rigueur même est le droit à la mort. Pour d'autres, au contraire, et selon garante de son autonomie et de celle des personnes qui des considérations fondées sur ces mêmes valeurs, rien s'en remettent à lui. Nos savoirs et nos éventuels ne doit se faire en dehors d'un cadre qui préserve les pouvoirs doivent être ramenés à l'expression et droits de la vie. La réduction de principes moraux à l'exercice de nos obligations humaines dans la décence, l'état d'arguments exploités à des fins idéologiques, le discernement, la prudence et la retenue. voire utilitaristes, constitue parfois une dérive inquiétante. Une telle évolution dans la controverse La prise en considération de l’autonomie impose d’être à masque ou dénature les véritables enjeux. Elle accentue l'écoute de la parole qui nous est adressée et d’y la détresse des plus vulnérables parmi nous, plus répondre, y compris lors d’une sollicitation d'assistance exposés que d’autres aux conséquences de nos à la mort exprimée à un moment donné. Cela ne veut en renoncements. aucun cas dire qu’il convienne d’accéder à cette demande, renonçant dès lors à mieux comprendre ce On comprend le besoin, exprimé par certaines personnes qui doit faire sens dans la réponse dont nous sommes malades, d'être reconnues dans leur liberté. Face à des redevables. Il est indispensable d’approfondir ce qui pouvoirs ressentis comme arbitraires et démesurés, elles motive cette revendication. Elle révèle trop souvent souhaitent rétablir un équilibre procédant l'échec de nos stratégies de vie, de notre capacité d'être nécessairement du droit de refuser des traitements l'ami, le proche dont l'autre éprouve encore le véritable et injustifiés, disproportionnés, parfois perçus dans leur irremplaçable besoin. inhumanité. À l’extrême, la personne peut se trouver acculée à ne plus solliciter du médecin que son La force et la valeur du soin tiennent dans la formulation assistance à la mort ! Les pratiques du soin sont alors d’une promesse: se focaliser moins sur la mort à venir remises en cause dans leurs fondements et que sur les conditions de la vie - fût-elle ténue et justifications, comme dans leurs procédures et finalités. incertaine - qui la précède toujours. Un signe ou un geste, un mot, un regard qui ne se détourne pas, L'engagement soignant ne peut, en effet, se comprendre repoussent la solitude quand le possible semble si que dans une relation d'accompagnement qui reconnaît diminué. Reconnaître la souffrance pour ce qu'elle est une valeur inconditionnelle au respect et à la dignité un cri d'existence -, accepter les mille et une formes de d'une existence. Il ne s'agit pas d'idéaliser les la dignité en ces circonstances, voilà simplement des circonstances ou de les ramener à des considérations actes de vie qui justifient d'eux-mêmes d'être "encore indues. Mais, au contraire, d'être conscient d'enjeux là". Se crée dès lors, d'humain à humain, une présence dans la sollicitude. Ainsi peuvent se concevoir, en d'autres situations et en d'autres drames, l'accompagnement des personnes et la confiance d'une relation. ___________________________________________ MOURIR DANS LA DIGNITÉ Dr Christophe Trivalle Gériatre, Hôpital Paul Brousse, AP-HP Une fois de plus, le débat sur la fin de vie est relancé en France. Une fois de plus ce débat, initié par les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté, vise à faire croire qu’il n’existe dans notre pays pas d’autre moyen de mourir dans la dignité que l’injection létale. Que face à un patient qui souffre ou dont l’agonie se prolonge, le seul traitement efficace est d’abréger sa vie. Effectivement, lorsque le patient est mort, il ne souffre plus ! Mais est-ce là le résultat d’une bonne pratique médicale ou d’un manque de savoir faire ? Est-ce la conséquence d’un manque de connaissances sur la prise en charge de la douleur, sur l’utilisation des traitements qui soulagent les différents symptômes qui peuvent apparaître à l’approche de la fin de vie, sur l’accompagnement du patient en train de mourir ? Parfois, le simple fait de tenir la main suffit à soulager le malade. Mais, en dehors des morts subites qui représentent un tiers des décès, accompagner un mourant prend du temps, beaucoup de temps. Et dans nos sociétés modernes où tout doit aller vite, il peut paraître à certains plus rapide, ou plus raisonnable, ou plus digne, d’abréger ces fins de vie qui se prolongent. D’autant plus que cet accompagnement est difficile, aussi bien pour les proches que pour les soignants, qu’il demande beaucoup de monde, beaucoup de temps et que finalement il coûte cher. Alors, en ces temps de déficit abyssal de la sécurité sociale, de mise en place de la tarification à l’activité, où moins le malade reste de temps à l’hôpital, plus il rapporte, il peut paraître à certains plus économique d’abréger ces hospitalisations qui se prolongent. Ce risque a d’ailleurs était relevé par le récent rapport de la Cour des comptes qui rappelle que « les durées moyennes de séjour en soins palliatifs peuvent être très longues ». Pourtant, il est possible en France de mourir dans la dignité sans avoir recours à l’euthanasie ni au suicide assisté. On dispose de nombreux antalgiques que l’on peut utiliser sans limitation de dose du moment qu’on les augmente progressivement en fonction de la douleur. On peut recourir à de nombreux traitements efficaces pour traiter les symptômes d’inconfort en fin de vie. De nombreux médecins et soignants sont formés au maniement des médicaments contre la douleur. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades en fin de vie complète plusieurs lois antérieures qui définissent clairement ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas. Tous ces éléments devraient favoriser une approche de la mort dans la dignité sans qu’il soit nécessaire de procéder à une injection de chlorure de potassium pour euthanasier une personne en fin de vie. Alors, pourquoi cette éternelle polémique ? Pourquoi ce manifeste paru dans le Nouvel Observateur du 8 mars 2007, dans lequel 2000 soignants reconnaissent pratiquer l’euthanasie ? Pourquoi certains réclament-ils une nouvelle loi ? Parce que pour l’instant, si nous disposons en France de toutes les thérapeutiques nécessaires et d’excellents textes de loi, il n’y a pas suffisamment de soignants formés, il n’y a pas assez d’équipes et de lits de soins palliatifs, il n’y a pas assez de personnel dans les services hospitaliers (en particulier gériatriques) et les maisons de retraite où ont lieu la majorité des décès. Il faut développer la formation des professionnels et l’information des citoyens. Une telle exigence requiert d’importants moyens. Il s’agit-là d’un choix de société. Quels moyens sommes-nous prêts à consacrer à une vie qui s’achève ? Une ampoule de potassium coûte 0,163 euros et une journée d’hospitalisation en soins palliatifs environ 970 euros… ___________________________________________