Dossier thématique
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La Lettre du Psychiatre - Vol. III - n° 9 - novembre-décembre 2007
de mon degré de déception. Néanmoins, ce bouleversement des
croyances pourra varier d’une personne à l’autre. De même, si
on appliquait au fonctionnement cérébral ce raisonnement, il
est peu probable qu’un changement significatif du nombre de
neurotransmetteurs dans une partie du cerveau n’influence pas
d’autres parties et, ce faisant, ne modifie les pensées.
Aujourd’hui, certains auteurs avancent l’hypothèse que l’ap-
proche la plus à même de faire le lien entre les différents méca-
nismes issus des théories comportementalistes et physiologiques
serait l’approche psychodynamique. Il n’est pas ici question
d’affirmer la suprématie d’un cadre de référence sur un autre,
mais de souligner une potentielle perméabilité théorique de
l’approche psychodynamique, qui pourrait intégrer les contribu-
tions des deux autres approches au sein d’une même nosologie
multifactorielle.
Avant toute chose, cette hypothèse nécessite la prise en compte
commune de présupposés fondamentaux propres à chacune
des approches :
Le cadre de référence psychodynamique est en accord sur
quelques points avec les deux autres cadres : cette approche
admet volontiers le rôle des pensées et des processus du cerveau
dans les comportements humains pathologiques. Néanmoins,
les théories comportementalistes et neurophysiologiques n’intè-
grent pas dans leurs présupposés le rôle des conflits psychiques
inconscients dans les troubles mentaux au même titre que celui
des pensées et des neurotransmetteurs ;
Les approches cognitives et biologiques font appel à la noso-
logie psychodynamique à la condition que celle-ci admette l’in-
fluence autonome de la génétique, qui prédispose une personne
à développer une maladie mentale plutôt qu’une autre.
Ces conflits de frontière sont en partie excessifs car Freud disait
déjà que la névrose était déterminée par l’hérédité, d’une part, et
par l’environnement, d’autre part. Les recherches sur la dépres-
sion menées en psychologie expérimentale confortent cette
vision. Elles commencent avec les travaux de J. Bowlby, qui
conclut de ses études sur la séparation précoce que la dépression
doit être envisagée sous le versant de sa fréquence dans la famille,
mais aussi en fonction des expériences de perte ou de choc dans
la vie du patient (2). Les cliniciens psychodynamiques se doivent
de voir ces facteurs comme des contributions à la formation des
besoins, des attentes et des désirs inconscients.
Nous tenterons de déterminer, dans ce qui suit, les modalités
selon lesquelles les facteurs psychiques établissent un lien entre
les pensées et l’esprit, ainsi que les différents aspects par lesquels
les facteurs neurophysiologiques mettent en rapport les niveaux
spécifiques de neurotransmetteurs et l’esprit. Nous examinerons
également la façon dont les facteurs inconscients opèrent une
liaison entre l’expérience consciente et le comportement.
IRRATIONNEL, PÉREMPTOIRE ET SPONTANÉ
Examinons l’apport de l’approche psychodynamique tant
diagnostique que thérapeutique en prenant l’exemple de la
phobie des araignées, cette symptomatologie irrationnelle
dans laquelle la peur et le comportement n’ont pas de liens
directs avec la dangerosité de l’animal. Malgré cette prise de
conscience, les patients ne peuvent contrôler leur peur et redou-
tent l’émergence d’une crise importante d’anxiété en présence
d’une araignée. L’apparition du symptôme n’est pas le résultat
d’une décision volontaire, mais a lieu de façon spontanée et non
désirée consciemment. Le ressenti est intense, s’imposant de
façon irrationnelle, péremptoire et spontanée.
L’expérience psychanalytique propose une approche de cette irra-
tionalité. Elle indique qu’elle se manifeste et se comprend grâce à
l’accès à la teneur des rêves. Considérés comme un phénomène
normal malgré leur caractère irrationnel et spontané et leurs
apparitions péremptoires plusieurs fois dans la nuit, les rêves
pourraient entraîner des comportements pathologiques dans la
mesure où l’inhibition de l’expression motrice est absente. Freud
rattachait la dynamique inconsciente mise en évidence par les
rêves aux processus primaires, et cette conscience cognitive (dans
notre exemple, la peur en dépit de soi) au préconscient1.
Une autre caractéristique de l’approche psychopathologique
résulte du fait qu’elle envisage les symptômes actuels dans un
continuum au sein duquel il convient d’intégrer les éléments
irrationnels, péremptoires et spontanés. Certains auteurs ont
postulé que l’étendue de la pathologie serait corrélée à son degré
d’irrationalité et de spontanéité et à son caractère plus ou moins
péremptoire, témoignant ainsi de la force de la dynamique incons-
ciente échappant au contrôle inhibitoire et affectant les pensées,
les actions et les sentiments de manière irrationnelle. Dans cette
perspective, le traitement médicamenteux, s’il ne modifiait en
rien les processus à l’œuvre, interviendrait sur le passage à l’acte
comportemental. Le film A Beautiful Mind en fournit une inté-
ressante illustration. Le héros, paranoïaque, bien que toujours
délirant après son traitement médicamenteux, n’exprime plus le
besoin d’agir, de passer à l’acte. Ses pensées hallucinatoires ont
perdu significativement de leur caractère péremptoire et peuvent
être contenues et ignorées de façon consciente.
Malgré cette amélioration comportementale, le thérapeute iden-
tifie ainsi une dynamique et des conflits inconscients, et tente
de les intégrer dans un registre transférentiel via sa relation au
patient. Rejoué dans le transfert, le conflit psychique perd de
sa force ; comme le héros de A Beautiful Mind, qui continue de
ressentir des tendances à agir comme avant, mais qui se trouve
à même de pouvoir se contrôler.
La théorie psychodynamique avance que le degré et le type d’in-
hibition sont essentiels à la compréhension du fonctionnement
du cerveau. Il est intéressant de noter à ce sujet un principe
fondamental du fonctionnement neuronal : le système nerveux
ne peut fonctionner sans un processus d’inhibition, mais il ne
le peut pas non plus sans un processus d’excitation. Certains
auteurs, anciens mais aussi contemporains, considèrent la maladie
mentale comme résultant d’une faille dans le système inhibitoire.
La personne souffrant de troubles compulsifs ne peut pas, par
exemple, s’empêcher de se laver constamment les mains.
1 Freud S. Contribution à la conception des aphasies : une étude critique. Paris : PUF, 1987.