6 – Décisions Marketing n°72 Octobre-Décembre 2013
des années 2000 avec la proposition d’une nouvelle perspective, qui conjuguerait l’efficacité des
organisations et la recherche de bien-être collectif pour l’ensemble des acteurs du système, dans
une perspective passant d’une logique dominée par les biens (goods-dominant logics) à une
logique dominée par les services (service-dominant logic ou S-D logic), et une approche co-créa-
tive (Vargo et Lusch, 2004). Le marketing semble ainsi, en théorie ou sur le papier, se rapprocher
de l’ambition d’origine de White, avec la volonté d’associer toutes les parties prenantes, d’intégrer
des objectifs court termistes et de plus long terme, y compris éthiques (Abela et Murphy, 2008 ;
Ferrell et Ferrell, 2008). On peut parler d’une réelle résilience du marketing qui retrouve ses
valeurs d’origine, par-delà les crises (Pras, 2012). Mais cela repose sur des principes affichés,
voire sur une prise de conscience, et pas nécessairement sur les pratiques effectives . Celles-ci
sont vite rattrapées par les contraintes du court terme auxquelles les organisations sont soumises.
L’enjeu principal semble être aujourd’hui l’organisation et la gestion de tensions contradictoires
dans la société, sous la pression du temps, avec des mouvements antagonistes, mais non irrécon-
ciliables. Tout est une question de gestion du temps, de bon tempo et de synchronisation entre les
diverses priorités et actions de la part des divers acteurs.
Certains enjeux déjà mis en évidence
Dès 2005, à l’initiative du rédacteur en chef du Journal of Marketing, les académiques s’interro-
geaient sur la renaissance du marketing, les opportunités et impératifs pour améliorer la pensée
marketing, sa pratique et son infrastructure (Bolton , 2005). Ainsi, Stephen Brown (2005) insis-
tait sur la nécessité pour les académiques de prêter attention aux priorités des managers en pre-
nant en compte les autres fonctions, les exigences financières et les objectifs globaux de l’entre-
prise. De la même façon, Webster (2005) parlait de l’influence décroissante du rôle de la fonction
marketing au sein des entreprises. Pour Webster, en cherchant à affirmer le statut scientifique de
leur discipline et en mettant l’accent sur la méthodologie, les chercheurs en ont oublié d’analyser
l’influence (possible) du marketing à des niveaux stratégiques. Il faut enraciner le marketing et la
recherche en marketing dans la compréhension des organisations et de leurs enjeux et pas seule-
ment dans celle des marchés. C’est le même constat auquel arrive McAlister (2005) qui suggère
de réconcilier les deux tendances opposées et déséquilibrées des recherches en marketing, l’une
étant privilégiée par les académiques au détriment de l’autre : l’accent mis sur les « standards
de qualité » des recherches dans les meilleures revues ne doit pas faire oublier l’importance des
enjeux. Il faut se préoccuper en marketing de l’intégration entre tactiques, stratégie et culture
organisationnelle. Dans le même esprit, Wilkie (2005) considère que le processus académique
des meilleures revues aveugle la communauté académique, l’académisme étant privilégié par
rapport à la réflexion sur les problèmes de fond. Il est temps de surmonter la nouvelle myopie
du marketing (Sheth et Sisodia, 2005) en dépassant le court termisme, en pensant à d’autres
consommateurs que ceux directement rentables, et en intégrant les objectifs globaux de l’entre-
prise et de la société, y compris la lutte contre la pauvreté ou le maintien de la santé. Ce n’est qu’à
cette condition que les CMO (Chief Marketing Officers) peuvent retrouver un rôle effectif au sein
des organisations et influencer réellement les stratégies des entreprises (Kerin, 2005).
Face à ce constat quasiment unanime quant à la nécessaire renaissance des dimensions straté-
gique, organisationnelle et sociétale, une analyse des enjeux et perspectives du marketing en 2013
peut-elle apporter des éléments nouveaux ? Il semblerait que ces dernières années, les tensions se
soient exacerbées, en particulier sous la pression temporelle : avancement technologique (en par-
ticulier Internet, smartphones, vitesse de diffusion et du recueil d’information, en finance et en
marketing, avec la désintermédiation qui s’ensuit), changements de comportements et objectifs