Quelles ruptures cette tension pourrait

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DIGITAL 3.0 / PRISE
FICHE "TENSION FONDATRICE"
DOMAINE : ENTREPRISE ET MARCHES
TENSION  REACTIVITE / PROACTIVITE
De quoi s'agit-il ?
Le numérique est historiquement associé à un mouvement d'accélération des rythmes
économiques et sociaux, ainsi que d'augmentation des volumes et des flux d'information
et d'échanges. Cette tendance concerne les technologies numériques elles-mêmes (la "loi
de Moore", par exemple relie directement vitesse, volumes d'information et efficience
économique), comme les systèmes économiques et sociaux auxquels elles s'appliquent.
Ces mouvements répondent à des besoins et des aspirations qui ne datent pas du
numérique. La rapidité, l'agilité, la réactivité, sont (du moins dans les cultures
occidentales) connotés positivement. L'abondance d'information est associée à la
connaissance, à la transparence, à l'avancement des connaissances, au choix, à la
démocratie. Dans le domaine du service, l'attente est une des principales causes de
mécontentement. Dans le domaine économique, la vitesse et la circulation de
l'information accélèrent l'innovation, permettent de réduire les stocks tout en
personnalisant la production ("juste à temps"). En politique, une opinion publique de plus
en plus mondiale du fait de la synchronicité de l'information, attend de ses dirigeants des
réponses rapides aux crises qui, elles aussi, se propagent plus rapidement – voire,
d'intervenir avant les crises, de les prévoir et d'en prévenir les effets. Dans ce contexte,
l'information, son abondance, sa circulation, constitue de ce point de vue à la fois l'outil
de la prévision et de la décision, et celui du contrôle citoyen.
Mais l'accélération et l'afflux d'informations se heurtent à des limites qui invitent
à la recherche, tâtonnante mais active, de nouvelles voies :
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Limites systémiques : dans un contexte de mondialisation, impossibilité de piloter
les grands systèmes, entrainement et enchaînement des catastrophes (cf. Paul Virilio)
– les marchés financiers, numérisés depuis longtemps, ne faisant peut-être que
préfigurer d'autres enchaînements encore plus dommageables ;
Limites quotidiennes, à l'échelle des individus et des organisations : stress,
désordre des temps, "dictature de l'urgence", "infobésité", pollution informationnelle,
voire perte de certaines habilités intellectuelles… Une autre série d'aspirations se
refait jour, à la réflexivité, au "travail bien fait", à l'attention à soi et aux autres, à la
plénitude des expériences, au regard à long terme, au calme, à la séparation des
sphères publique et privée… Ce mouvement concerne aussi bien les individus
(recherche d'un équilibre de vie, d'un sens à leur travail…) que les entreprises
(inquiétudes croissantes vis-à-vis de l'infobésité, du stress des salariés, du courttermisme…) et les sociétés (mouvement "slow", passant de l'individuel – "slow food"
– au collectif – "slow city").
La recherche de nouveaux équilibres, forcément dynamiques, entre ces deux pôles,
commence à peine et tâtonne encore entre les niveaux individuel, organisationnel et
sociétal : outils de filtrage ou ruses pour les individus, programmes "life-work balance"
ou "journées sans mail" dans les entreprises, bureaux des temps ou effacement des
consommations électriques au niveau d'une collectivité, les initiatives se multiplient sans
avoir encore trouvé de référentiel.
Quelques exemples emblématiques
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Les aspirations déçues pour un télétravail au service d'un meilleur équilibre de vie.
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Les programmes "Life-Work Balance" des pays anglo-saxons (et leurs critiques).
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Les "20% de Google" : chaque salarié peut consacrer un jour par semaine à un
projet auquel il tient mais qui ne fait pas partie de sa fiche de poste.
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Quel rôle le numérique joue-t-il ?
Le numérique n'est pas la seule cause de l'accélération et de la surabondance
d'information, il en est également symptôme, catalyseur, accélérateur – et s'inscrit dans
une longue lignée d'évolutions techniques qui vont dans le même sens. On peut
cependant penser qu'il parachève le mouvement, par l'instantanéité des communications
(dans un périmètre d'usages et de configurations bien plus étendu que celui que la
télévision concernait), l'annulation du coût de reproduction des "contenus", l'abaissement
des barrières à la production et la diffusion de nouvelles informations.
Tout en s'inscrivant clairement du côté de l'accélération, le numérique laisse aussi la
place aux tendances inverses : la diversité des moyens de communication est utilisée
pour gérer (parfois de manière très fine) différents degrés de disponibilité et de
synchronicité auprès de différents cercles relationnels ; le "podcasting" et la
consommation à la demande permettent une consommation asynchrone des médias
(même si cela correspond également à la tendance du "où je veux, quand je veux") ; en
emportant sur soi de plus en plus d'informations et de contenus, on cherche aussi à
donner une substance aux temps "intersticiels" (ceux des transports par exemple) ou
encore, à recréer autour de soi un environnement familier propice au retrait. Dans un
autre domaine, les technologies de "pattern recognition", de traitement de grands
volumes de données, de visualisation, cherchent à extraire du bouillonnement quotidien
des "formes", des lois, que les méthodes scientifiques traditionnelles ne savaient pas
repérer…
Enfin, les réponses recherchées à l'excès de vitesse et la surinformation ont souvent une
dimension technologique : servicielle ("coaching numérique"), technicienne (paramétrage
de sa visibilité, hiérarchisation des messages prioritaires et non prioritaires…),
méthodologique (outils – souvent logiciels – de time management), militante (boîtiers
brouilleurs de mobiles ou "TV-B-Gone")… Même les mouvements en faveur d'une
agriculture de proximité utilisent, par exemple, les réseaux sociaux pour fédérer
producteurs et consommateurs.
Quelles ruptures cette tension pourrait-elle produire ?
Dans le management, l'organisation, le travail
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"Tous intermittents !" Le modèle d'emploi durable et mono-employeur casse définitivement. Chacun achète et vend ses compétences sur des marchés de court terme.
"Du calme !" L'innovation "slow" prend de l'importance dans de nombreux secteurs,
en mariant innovations managériales, sociales et techniques
"Explosion de l'accidentologie informatique" : face à l'augmentation du nombre et de
l'étendue des "accidents" informatiques, les entreprises et la société s'organisent pour
devenir moins dépendants de l'informatique.
Dans l'innovation
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"'Effet Napster' sur la propriété industrielle et commerciale" : L'interconnexion des
consommateurs comme des innovateurs, la circulation de l'information, rendent
impossible (voire parfois illégitime) la protection des marques, modèles, brevets
"Innovation éthique" : L'innovation "pour l'innovation" est en position d'accusée. On
la somme de se focaliser sur les besoins collectifs et la réponse aux crises.
Sur les marchés
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"L'Etat hors jeu" : Ruiné, délégitimé, l'Etat cède la place aux entreprises et aux
"innovateurs sociaux" pour assurer un très grand nombre de ses missions historiques.
"Le numérique au service d'une relocalisation et d'une démassification de la
production" : La numérisation des processus facilite un rapprochement entre
production et consommation qui transforme les circuits et les produits eux-mêmes.
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Quelques sources
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"L’impact des technologies de l’information et de la communication sur les conditions
de travail", rapport du Centre d’analyse stratégique et de la Direction générale du
travail, à paraître en septembre 2011
Nicholas Carr, The Shallows: What the Internet Is Doing to Our Brains, W.W.Norton,
2011
Jean-Louis Servan-Schreiber, Trop vite !, Albin Michel, 2010
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