Journal Identification = IPE Article Identification = 1131 Date: December 20, 2013 Time: 3:40 pm
Apport des méthodes d’apprentissage automatique dans la prédiction de la transition vers la psychose : quels enjeux
pour le patient et le psychiatre ?
la substance blanche de la grise, on procède ensuite à une
réduction du nombre de voxels (après acquisition, le volume
cérébral est représenté par un cube de 1012 points, cette
opération permet une simplification du traitement des don-
nées), la dernière étape comporte une analyse statistique
qui identifie les voxels impliqués dans les différences entre
sujets.
Dans le cadre de la schizophrénie, cette méthode per-
met une détection de différences neuroanatomiques très
complexes et très fines qui se situent dans des régions très
hétérogènes (et qui seraient impossibles à déterminer par
une analyse humaine des images) [2].
Prédire mieux que l’expert humain :
une réalité ?
Il suffit alors d’associer à l’imagerie une technique de
calcul reposant sur une procédure d’apprentissage : à par-
tir de données connues a priori elle développe des règles
pour la classification de nouvelles données. On apprend
à la machine à reconnaître un diagnostic, ensuite elle
détermine les caractéristiques neuro-anatomiques liées à
ce diagnostic, et secondairement lorsqu’on lui présente un
nouveau sujet, elle va être capable en théorie de dire à quelle
catégorie de sujet appartient.
Plusieurs équipes ont exploré l’intérêt de ces techniques
dans la prédiction de la transition vers la psychose : des
sujets sains ont été comparés à des patients à haut risque
pour déterminer quelles associations d’anomalies morpho-
logiques étaient prédictives de la transition vers la psychose
[2]. Le repérage de différences entre les différents sujets
à permis de constituer une base de donnée et après quatre
ans d’évolution, les diagnostics (transition/absence de tran-
sition) complétaient cette base : à l’aide d’une technique
d’apprentissage supervisé, on pouvait déterminer une règle
de prédiction de la transition reposant sur des critères neu-
troanatomiques (phase d’apprentissage) [10].
Dans la phase de test, on présentait des nouveaux sujets
à risque et on demandait à la machine de prédire qui allait
faire un premier épisode psychotique. La validité des tests
repose sur l’exactitude de la prédiction, mais aussi sur leur
sensibilité et spécificité : les sujets témoins ont été bien
classés dans 90 % des cas (ils ne sont pas schizophrènes, ni à
risque) ; les sujets à haut risque ayant fait une transition dans
88 % des cas et enfin les sujets à haut risque sans transition
étaient discriminés dans 86 % des cas (« ce sujet ne fera
pas de transition »). Ainsi, sans connaître le diagnostic, ni
les caractéristiques cliniques du sujet, l’ordinateur prédisait
dans plus de huit cas sur dix la survenue d’un épisode ou non
(pour comparaison, l’expert humain prédit cette transition
dans un cas sur deux) [9, 10].
Pour limiter les biais liésà«uneffetdecentre » et aug-
menter la puissance de leur base d’exemples, ces mêmes
auteurs ont complétés ces données à l’aide d’une étude mul-
ticentrique (82 sujets UHR et 167 témoins) qui a confirmé la
pertinence des données neuroanatomiques déjà identifiées
pour prédire la transition [12].
Les apprentissages automatiques permettent de dis-
criminer des critères anatomiques qui informent sur le
risque de psychose chez les patients à risque et qui leur
sont spécifiques. L’utilisation moins probabiliste des anti-
psychotiques et des interventions non pharmacologiques
précoces sont alors envisageables.
Mais comme toute avancée, elle interpelle nos pratiques
et nous interroge au niveau éthique en cas d’utilisation
détournée de ces méthodes : en effet, certaines études
cherchent des marqueurs de prédiction de passage à l’acte
ou permettent de trouver la tendance politique d’un sujet.
Quelle conséquences sur notre
pratique : entre réflexe de rejet
et nécessité d’adaptation
On sait désormais qu’on ne peut pas penser les inno-
vations techniques de manière pertinente sans intégrer une
réflexion sur les pratiques des différents usagers qui vont
accéder à ces nouveautés. Les chercheurs du Centre de
sociologie de l’innovation de l’école des mines ont bien
montré, depuis les années 1990, que les « scripts » élaborés
par les techniciens, lorsqu’ils élaborent les modes d’emploi
de leurs nouveaux produits, ne rejoignent pas aussi aisé-
ment qu’ils l’imaginent les attentes et les pratiques des
usagers [1, 11]. Ce genre de question est incontournable
lorsqu’on s’intéresse à la manière dont les avancées scien-
tifiques sont traduites en innovations techniques aussi bien
dans le domaine de la médecine que dans celui des tech-
niques de communication. On sait qu’il existe de nombreux
obstacles et qu’il faut conduire un travail social spécifique
pour parvenir à transformer un projet technoscientifique en
objet de pratiques quotidiennes.
Pour y réfléchir dans le cadre de l’évolution des pra-
tiques de neuropsychiatrie, on peut partir des résultats de
deux enquêtes sociologiques. La première, menée pour le
Ministère des affaires sociales dans les années 1990, est un
long travail sur les pratiques de consommation des alloca-
taires d’aides sociales et l’autre, réalisée au début des années
2000 pour un organisme professionnel d’encadrement des
professions de santé, visait à mieux comprendre les inter-
actions entre les psychiatres hospitaliers et libéraux.
De la première enquête, on pourrait retenir une simple
expression assez typique d’un allocataire du RSA déclarant
lors d’un entretien. Alors qu’il venait de raconter au socio-
logue comment une série de ruptures s’étaient enchaînées
dans sa vie professionnelle et familiale en le menant à une
expulsion de son logement, il ajoute « ...et pan, j’ai fait une
dépression ! ». C’est le statut logique de ce « et pan » qu’il
faut interroger. Alcoolisme, pertes successives d’emplois,
poursuites judiciaires pour violence, séparation et expulsion
L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 89, N◦10 - DÉCEMBRE 2013 815
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