mission civilisatrice » au développement : l`Empire britannique face

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Naima Maggetti
Assistante-doctorante UNIGE
Inscrite en thèse depuis juin 2014
Extrait du mémoire de pré-doctorat en cours de préparation
Historiales 2015
« I have not become the King’s First
Minister in order to preside over the
liquidation of the British Empire ». (W.
Churchill, 1942)
« (…) We need to show a new vision in our
colonial rule. In their view we must show
that we have a conception of common
citizenship and common ideals, which will
inspire the people of the colonial Empire as
well as ourselves. If it serves that end, it may
also serve to justify our position as Colonial
Power to the outside world, and to mitigate
some of the suspicion which now attaches to
it ». (Lord Hailey, 19421)
En 1939, au moment de l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale la GrandeBretagne fait face à de violentes critiques sur la moralité du colonialisme et sur l’échec
des récentes politiques visant au développement économique des colonies. Des
ouvrages et des pamphlets critiquant la « question coloniale »2 sont notamment publiés
au Royaume-Uni tandis que des révoltes et des grèves éclatent dans les Caraïbes et en
Afrique britanniques. La légitimité de l’Empire britannique3 est attaquée et remise en
question tant au niveau national qu’international. La fin de la Seconde Guerre mondiale
constitue ensuite un moment charnière dans la construction d’une justification à la
continuité de l’Empire britannique. Dans un nouveau contexte mondial dominé par les
Etats-Unis, puissance qui tient un discours anti-impérialiste, l’importance de donner une
image positive des colonies et des politiques coloniales est plus que jamais vitale dans le
processus de maintien de l’Empire. Cela passe à travers une série d’arguments
développés selon des modalités multiples et qui s’adressent à des destinataires
différents.
L’étude de la construction de la légitimité de la colonisation anglaise, ainsi que
les justifications qui sont mises en avant dans le cadre d’un nouveau discours colonial
mis en place et développé pendant et après la Seconde Guerre mondiale constituent
l’objet de ma thèse de doctorat. Durant cette période, l’autorité impériale doit trouver de
nouvelles justifications à sa politique, ce dont témoigne la mobilisation d’un nouvel
1
Lord Hailey, A Colonial Charter : address to the Annual Meeting of the Anti-Slavery and Aborigines
Protection Society, 28 May 1942, London : The Anti-Slavery and Aborigines Protection Society, 1942.
2
Une liste très riche mais non exhaustive, peut être trouvée dans Howe, Stephen, Anticolonialism in
British Politics. The left and the End of Empire, 1918-1964, Oxford : Clarendon Press, 1993, pp. 346-354.
3
L’Empire britannique se compose de colonies, protectorats et dominions indépendants (à ce moment :
Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Canada et Irlande) qui font partie du British
Commonwealth. Si pas explicité clairement dans le texte il faut prendre en considération l’Empire dans
son ensemble.
1 appareil argumentatif, présenté comme une nécessité au maintien de l’Empire colonial.
Il est ainsi indispensable non seulement de s’interroger sur le contenu des ces nouveaux
discours et les arguments mis en avant pour justifier le maintien de l’autorité coloniale
mais aussi, et surtout, sur les modalités et les destinataires de cette opération.
Les approches théoriques au sujet de la reformulation de l’autorité coloniale
britannique dans les années 1940 s’insèrent essentiellement dans deux grands courants.
Dans son livre Suke Wolton4 s’intéresse aux politiques et aux attitudes envers la race en
analysant le débat entre le Colonial Office et le département d’état étasunien, au sujet de
la reformulation de l’autorité coloniale britannique, pendant la Seconde Guerre
mondiale. Wolton s’appuie sur le matériel analysé par William R. Louis dans son livre
« Imperialism at Bay »5 mais l’interprète sous un angle différent. Si Louis dans son
travail analyse de manière extensive les relations diplomatiques anglo-américaines dans
la guerre et voit dans l’anti-impérialisme des Etats-Unis un intérêt caché d’étendre leur
influence aux dépens de l’Empire britannique, le cœur du travail de Wolton concerne le
changement de perception face à la supériorité raciale, qui était jusque là l’argument sur
lequel l’administration britannique s’appuyait pour justifier sa politique de domination
des populations coloniales.
L’approche choisie pour ma thèse est d’insérer l’analyse des nouvelles
justifications légitimant l’Empire dans un cadre plus large qui englobe les méthodes
employées ainsi que les destinataires de ces discours, tout en élargissant la chronologie
étudiée par Louis et Wolton, jusqu’au milieu des années 1950, quand l’indépendance
des colonies apparaît comme inévitable. Trois grandes thématiques sont centrales dans
l’établissement d’un nouveau discours colonial qui a pour but de légitimer l’Empire
dans une nouvelle conjoncture mondiale façonnée par la Seconde Guerre mondiale: le
welfare et le développement des colonies, la stabilité mondiale et le développement
constitutionnel des pays colonisés à travers le partnership. Ces arguments sont
mobilisés sur deux fronts : un front interne, composé par l’opinion publique anglaise, et
un front externe où sont distingués deux types d’aire géographique: les pays étrangers
ou « Foreign Countries »6 d’une part, et les colonies et le Commonwealth d’autre part.
Après avoir rappelé les enjeux tels qu’ils se posent à la Grande-Bretagne durant
la Seconde Guerre mondiale, nous étudierons la manière dont l’administration
britannique, en particulier le Colonial et le Foreign Office, a perçu les limites de la
politique coloniale. Ceci nous amènera à analyser la manière dont elle a répondu à cette
« crise » par la mise en place d’un appareil administratif chargé de trouver une solution
à ce qu’elle considérait comme les trois problèmes fondamentaux sur lesquels il fallait
agir : la vision négative de l’Empire véhiculée au niveau national et international, la
méconnaissance générale de la politique coloniale britannique au niveau international et
le désintérêt de l’opinion publique britannique.
4
Wolton, Suke, The Loss of White Prestige : Lord Hailey, the Colonial Office and the Politics of Race
and Empire in the Second World War, Basingstoke : Macmillan, 2000.
5
Louis, Wm. R., Imperialism at Bay 1941-1945 : The United States and the Decolonization of the British
Empire. Oxford : Clarendon Press, 1977.
6
Ce terme désigne plusieurs catégories de pays : les empires, les Etats-Unis et les pays anti-impérialistes,
en bref tous les pays qui ne sont pas des colonies britanniques et qui ne font pas partie du
Commonwealth.
2 Vision américaine et britannique de l’avenir des colonies après la Seconde Guerre
mondiale
La nécessité d’un changement de registre dans le discours colonial se présente
déjà dans les premières années de la guerre avec la mise en place d’une alliance avec les
Etats-Unis, puissance anti-impérialiste. En août 1941, lors d’une réunion dans le
Newfoundland au Canada, le président des Etats-Unis, Franklin D. Roosevelt et le
premier ministre britannique Winston Churchill signent l’Atlantic Charter. Cette
déclaration témoigne de la volonté anglo-américaine de contrer la propagande nazie et
rendre manifeste un certain nombre de principes communs sur lesquels baser leurs
politiques nationales.7 D’un point de vue de la politique coloniale cette charte présente
un article, le troisième, dont l’interprétation va se révéler une source de problèmes pour
le Colonial Office et le gouvernement britannique :
« Third, they respect the right of all peoples to choose the form of government under
which they will live ; and they wish to see sovereign rights and self government
restored to those who have been forcibly deprived of them »8.
Le principe d’autodétermination des peuples contenu dans cet article se révèle un
facteur de gêne pour l’administration britannique qui depuis la deuxième moitié des
années 1930 doit faire face à un mécontentement grandissant envers sa politique
coloniale. Quelques semaines après son retour du Canada, dans une intervention au
parlement britannique, Churchill revient sur le contenu de la charte en précisant que la
formulation du troisième article, ainsi que des autres, concernait seulement les pays dont
la souveraineté avait été dérobée par la conquête nazie et non ceux sous domination
britannique qui étaient soumis à un processus d’évolution constitutionnelle progressive.9
L’explication donnée par Churchill met en évidence une vision divergente entre les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne à l’égard du futur des colonies : la méfiance du
gouvernement américain envers l’impérialisme anglais dont le discours se nourrit du
principe d’autodétermination des peuples est confrontée à la politique du gradualisme
britannique. La situation épineuse d’avant guerre et la constitution de la charte
atlantique concourent à créer une forte pression sur le gouvernement britannique et le
Colonial Office au sujet de leur politique coloniale.
La redéfinition des relations entre l’Empire et les colonies
La volonté de contrer l’influence de l’Atlantic Charter amène le Colonial Office à
se pencher sur la possibilité de créer une charte au sujet des colonies. Dans un discours
adressé à la réunion annuelle de l’Anti-Slavery and Aborigines Protection Society en
mai 1942, Lord Hailey10, conseiller du Colonial Office et représentant britannique à la
Commission des Mandats de la Société des Nations depuis 1936, revient sur cette idée
et s’exprime d’abord sur les deux fondements de la politique coloniale britannique: les
7
The Atlantic Charter, 14 August 1941, in Porter, A. N. and Stockwell, A. J. (eds.), British Imperial
Policy and Decolonization 1938-64, 1 vol., Basingstoke: Macmillan, 1987, pp. 101-102.
8
Ibid., p. 101. 9
The Atlantic Charter : Extract from a Speech by the Prime Minister in the House of Commons, 9
September 1941. Hansard Parliamentary Debates, vol. 372, cols 67-9, in Porter, A. N. and Stockwell, A.
J. (eds.), British Imperial Policy and Decolonization 1938-64, 1 vol., Basingstoke: Macmillan, 1987, pp.
103-105. 10
Pour une vision globale de la vie et carrière de Lord Hailey voir la biographie écrite par John Cell :
Hailey, A Study in British Imperialism, 1872-1969, Cambridge : Cambridge University Press, 1992.
3 notions de trusteeship, qui implique que le gouvernement colonial œuvre au seul intérêt
du peuple assujetti, et de self-government :
« The conception of trusteeship was, as I have already said, largely built up on the
teaching of that humanitarian school with which the early Anti-Slavery and
Aborigines Protection Societies were so closely associated. There can be no question
of the genuine character of that sentiment among the more enlightened
respresentatives of public opinion nor of the influence which it had exerted on the
course of colonial administration. (…) The second of the principles which I have
described as making up the sum to our declared colonial policy – the affirmation of
the determination to assist the colonies to attain self-government »11.
L’exposé des deux principes guidant la politique coloniale ainsi que les critiques qui en
découlent, servent à Hailey pour introduire la nécessité de reformuler ces principes et de
donner une nouvelle image à la domination coloniale. Cette nouvelle conception devait
servir à créer un esprit communautaire à l’intérieur des colonies ainsi qu’à justifier le
maintien de l’Empire et à modérer les critiques. Les innovations proposées par Hailey
concernent deux aspects précis : un rôle central de l’état dans la promotion du welfare
state et l’amélioration du niveau de vie dans les colonies, et l’introduction de la notion
de partnership dans la structuration des rapports entre le gouvernement de Londres et
les territoires sous administration coloniale :
« (…) I should, in the first place, prefer to see our relations restated, not as those of
trustees and wards, but as those of senior and junior partners, on terms which
recognize that the latter must as of right acquire an increasing share in the control of
our common undertaking. I would prefer, again, again to see our obligations to the
colonial peoples stated not as those of trustees, but as those incumbent on the
modern state in regard to the improvement of the social services and the standards of
living in its own domestic backward areas »12.
La notion de partnership est interprétée par Hailey non comme une rupture par rapport à
la notion de trusteeship mais comme une étape supplémentaire dans la collaboration
entre Britanniques et peuples colonisés ce qui implique une participation plus
importante de ces derniers dans le processus qui amènera à l’indépendance de leurs
pays.
Malgré les difficultés posées par le contexte international, la possibilité
d’accorder l’indépendance aux colonies n’est pas prise en considération ni au niveau du
gouvernement ni au niveau du Colonial Office. Il se révèle donc nécessaire de mettre en
place une stratégie pour sauver le colonialisme. Le fond du Foreign Office FO 930/514
qui concerne la publicité au sujet de l’Empire et du British Commonwealth et qui date
de 1946 offre un aperçu intéressant de l’état de l’image de la Grande-Bretagne à la fin
de la Seconde Guerre mondiale. L’analyse d’une sélection de documents contenus dans
ce fond permet d’éclairer plusieurs aspects concernant le type de critiques formulées et
les différents moyens mis en œuvre pour améliorer l’image de l’empire, surtout à
l’échelle internationale.
11
Lord Hailey, A Colonial Charter : address to the Annual Meeting of the Anti-Slavery and Aborigines
Protection Society, 28 May 1942, London : The Anti-Slavery and Aborigines Protection Society, 1942,
pp. 4-5.
12
Ibid., p. 6.
4 Justifier l’Empire : arguments, destinataires et méthodes
En 1940, le Ministère de l’information13 met en place le Colonial Office Public
Relations Department responsable de la publicité et de la propagande concernant les
colonies en Grande-Bretagne et à l’étranger. Pendant la guerre, ce département poursuit
un double objectif : approvisionner les colonies avec de la documentation de
propagande sur la guerre en cours d’une part, et d’autre part informer l’opinion publique
anglaise et des pays alliés et neutres sur les politiques et les affaires coloniales.14 Avec
l’approche de la fin de la guerre, un rapport qui concerne le travail du Ministère de
l’information en relation avec l’empire colonial est rédigé et permet d’établir une série
de considérations sur la nécessité de poursuivre le travail d’information et de
propagande en temps de paix.15 Le thème central de ce rapport concerne le rôle et les
tâches que le ministère devra exercer dans la période d’après-guerre, qui passe d’abord
par un état des lieux de la situation. Au début du rapport, un paragraphe est dédié aux
résultats paradoxaux obtenus dans les colonies par les politiques d’information et de
propagande mises en place par le ministère pendant la guerre :
« (…) Often for the first time in their history, the most modern features of radio,
films, photographs and press services, to mention but a few items, have been
introduced into Colonies thus creating new habits and an ever increasing demand for
the wonders of the « modern » world. Many parts of the Colonial Empire are
awakening from an age-long sleep, and unsatisfied demands for enlightment and
guidance, and failure to meet these demands which the Ministry has so largely
created, will have the most serious repercussions »16.
Cet extrait pose le cadre problématique du contexte colonial d’après guerre et met en
évidence la nécessité pour la politique coloniale de répondre aux demandes formulées
dans les territoires coloniaux. D’après ce rapport, un des problèmes majeurs posés après
1945 et celui de la projection du leadership de la Grande-Bretagne en tant que puissance
mondiale. Il était donc nécessaire de mettre en place une campagne d’information
intensive pour renforcer le leadership britannique dans les domaines de l’idéalisme, de
l’avancement social, de l’industrie, des compétences scientifiques et techniques au
niveau international et surtout dans les colonies, où l’attrait pour l’idéologie soviétique
et la prospérité américaine était particulièrement fort.
L’autre aspect problématique qui se lie étroitement au premier concerne les
critiques envers l’Empire colonial qui d’après les rédacteurs du rapport avaient pour but
de saper le prestige britannique :
« Friendly critics at home and abroad are watching our Colonial policy with eagle
eyes, and there are not lacking malicious enemies willing to use the British Colonial
Empire as part of a campaign to undermine British prestige. The former type of critic
is welcome and must be satisfied by reasoned explanations, but the latter must be
attacked with vigour or them may do untold harm to international relations in general
and Anglo-American friendship in particular. Thus, a very important post-war task
13
Le Ministry of Information est mis en place le 5 septembre 1939 et est chargé de trois fonctions :
censure de la presse, publicité à l’intérieur de la Grande-Bretagne et dans les pays alliés ou neutres.
14
« Confidential. Colonial Office Public Relations », CO 875/5/6
15
« The Ministry of Information and its work in relation to the British Colonial Empire », INF 1/945
(date absente).
16
Ibid.
5 will be to explain the Colonial Empire to peoples at home and abroad and to ensure
that campaigns designed to undermine British prestige are countered promptly and
efficiently »17.
Dans cet extrait, il est intéressant de remarquer des notions qui seront récurrentes dans
le discours sur le maintien de l’Empire colonial : le prestige britannique, la relation
anglo-américaine et le besoin d’expliquer les politiques coloniales au niveau national et
international. Dans les conclusions du rapport, la nécessité de projeter une certaine
image de la Grande-Bretagne et de l’Empire dans les colonies, ainsi que les
accomplissements de la politique coloniale dans le reste du monde est réitérée une
nouvelle fois. A cela s’ajoute la volonté de dénoncer les calomnies et le portrait jugé
tendancieux fait par les pays alliés au sujet des colonies.
Nécessité de renforcer le contrôle de l’information
Dans une perspective de renforcement du contrôle de l’information, le 30
septembre 1946, le Central Office of Information 18 organise une conférence interdépartementale pour parler de la coordination de la publicité sur tous les aspects
concernant l’Empire19. Les deux points à l’ordre du jour sont la discussion sur les
futures fonctions de la section de l’Empire Information Service (E.I.S) et la création
d’un comité, l’Empire Publicity Committee (E.P.C)20, qui aura le rôle de coordonner,
superviser et orienter son travail, et qui sera composée par des fonctionnaires issus de
plusieurs départements du gouvernement britannique. L’innovation majeure comportée
par la création de ce comité consiste dans l’élargissement de la publicité concernant
l’Empire au-delà des frontières du Royaume-Uni. La tâche principale de l’Empire
Information Service consiste dans la production et dissémination de matériel informatif
sur des sujets liés à l’Empire qui est par la suite distribué à l’intérieur du Royaume-Uni
dans les écoles et à différentes associations des bénévoles qui s’occupent d’organiser
des activités publiques pour mieux informer la population sur les politiques impériales.
Lors de la conférence, il est décidé que l’E.I.S continuera à préparer les textes des
livres, des pamphlets, des articles de journaux et aussi de la documentation pour les
départements de renseignements au sein du Foreign, Colonial, India et Burma Offices.21
L’autre aspect important des fonctions de l’E.I.S sera de poursuivre son rôle d’indiquer
les thématiques, les régions et les intervenants pour les conférences de vulgarisation ?
organisées par le Royal Institute of International Affairs, l’Imperial Institute et le Royal
Empire Society.
Afin de mieux répondre aux critiques formulées à l’égard de l’Empire depuis la
fin de la guerre, en novembre 1946 Mr. Littlejohn Cook, représentant du Foreign Office
17
« The Ministry of Information and its work in relation to the British Colonial Empire », INF 1/945
(date absente).
18
Le Central Office of Information est crée en mars 1946 en substitution de l’ancien Ministry of
Information qui avait formellement cessé d’exister à la fin de la Deuxième guerre mondiale.
19
« Publicity about the Empire within the United Kingdom and Overseas, 30th September 1946 », FO
930/514. A cette conférence sont présents : Mr. Brock (India Office), Mr. Lees (Treasury), Dr. Mansergh
(Dominions Office), Mr. Sabine et Mr. Evans (Colonial Office), Mr. Woodburn, Mr. Sendall, Mr.
Crossley, Mr. Gore et Mr. Frost (Central Office of Information).
20
Le comité sera composé par : Mr. Frost et Hon. Gore (Central Office of Information), Mr. Brock et Mr.
Cranberry (India and Burma Office), Mr. Lees (Treasury), Dr. Mansergh et Hon. Hope (Dominions
Office), Mr. Evans (Colonial Office), Mr. Littlejohn-Cook (Foreign Office).
21
Quelques exemples de pamphlets et journaux : The Commonwealth Leaflets ; Empire Pamphlets for the
Colonies ; Children’s Newspaper ; The English speaking World ; The Cadet Journal ; etc.
6 qui siège à l’Empire Publicity Sub-Committee, est chargé de récolter les informations
concernant les attaques à l’égard de la politique coloniale et de produire un
mémorandum destiné au gouvernement. Celui-ci servira comme base à la création d’une
stratégie de publicité positive à propos de l’Empire. Alan Dudley, responsable du
bureau des renseignements pour la politique étrangère, envoie une note aux différents
chefs des départements géographiques qui composent le Foreign Office 22 en leur
demandant de répondre à une série de questions :
« (a) In what countries the Empire or our Imperial Policy is being attacked ?; (b) By
whom ? (e.g. Home government, political parties, other foreign Governments,
etc.) ; (c) On what subjects ? »23.
Le rapport final issu de cette enquête permet d’avoir une vue d’ensemble de l’ampleur
de la propagande négative qui existe à l’égard de l’Empire britannique et qui, d’après les
rédacteurs du rapport ne tient pas compte de la bonne volonté des politiques coloniales.
Les attaques dirigées contre la Grande-Bretagne en tant que puissance impériale sont
formulées par presque toutes les grandes puissances, les pays alliés y compris. Plus
spécifiquement, ces pays ont été regroupés selon quatre catégories :
1. « imperial powers who fear that our policy of guiding subject peoples
towards self-government may have repercussions in their own territoires.
2. By those powers (and their sympathisers) who desire geographical expansion
at the expense of the Empire.
3. By powers who desire to expand economically in British Empire markets.
4. Propaganda issued by the Communist parties of all countries on any
subject »24.
La première catégorie est composée par les Empires français, portugais et néerlandais
qui craignent que la politique britannique qui vise à l’auto-détermination des colonies
puisse affaiblir leur position dans les territoires qu’ils dominent. La deuxième catégorie
concerne les pays qui ont des revendications territoriales tels que le Guatemala et le
Mexique par rapport à l’Honduras britannique, l’Argentine envers les îles Malouines et
l’Italie, suite à la perte de son empire colonial (Somalie italienne, Ethiopie, Érythrée,
Lybie et Albanie). A ces revendications s’ajoute la propagande menée en ExtrêmeOrient, en particulier en Chine, en Indochine française, au Siam et dans les Indes
Néerlandaises contre l’impérialisme occidental. D’après le rapport du Far East
Information Department envoyé à Dudley, la critique envers l’impérialisme existe dans
tous les pays de l’Extrême-Orient25. La brève victoire japonaise pendant la Seconde
Guerre mondiale constitue un des facteurs qui a contribué à démontrer que les
Asiatiques pouvaient battre les occidentaux à leur propre jeu et à changer leur point de
vue sur l’impérialisme, considéré non plus comme un phénomène redoutable mais
comme une politique méprisable. En ce qui concerne le fond, la critique majeure porte
sur la domination raciale exercée par les colonisateurs. Cette critique a permis de miner
les fondations de la supériorité de la domination occidentale et de renforcer l’idée
22
American Information Department, East European Information Department, Far East Information
Department, Latin American Information Department, Middle East Information Department, West
European Information Department.
23
« FO Minute by A.A Dudley, 23rd November 1946 », FO 930/514.
24
« Memorandum by the Foreign Office on propaganda directed against the British Commonwealth »,
27th November 1946 », FO 930/514.
25
« Minute from J. Pilcher to A. Dudley, 25th September 1946 », FO 930/514.
7 qu’elle n’est pas nécessaire. D’après le fonctionnaire qui a rédigé le rapport, les
critiques contre l’Empire britannique sont formulées par les gouvernements ou par des
partis politiques essentiellement en fonction de leurs politiques (exemple de la Chine et
la question d’Hong Kong). Il est intéressant de remarquer que la critique antiimpérialiste est soutenue et alimentée par les Etats-Unis et par l’Union Soviétique. La
description de la troisième catégorie vise essentiellement les Etats-Unis, dont on
dénonce la volonté de saper le prestige britannique afin de s’emparer du marché
économique colonial. Cet aspect ainsi que les autres motivations sont résumées par
Dudley dans un memorandum écrit le 8 novembre 1946 :
« In America and to a very large degree in other countries, anti-imperialism and
dislike of the words « Empire » and « Colonies » and criticisms of British actions in
respect of the Empire are symptoms of a disease rather than the disease itself. In
America they are the outgrowth of history, and also of « special interests » of a
commercial and or other kind, based on rivalry with Britain. (…) The criticism is
often self-interested and the Empire provides a convenient stick to beat a dog. The
criticism therefore constantly changes its subject matter and point of attack »26.
D’après l’American Information Department, l’anti-impérialisme américain est dû
premièrement à une série d’« influences » antibritanniques non-spécifiées, mais où le
passé colonial des Etats-Unis joue un rôle prépondérant. La politique anti-impérialiste
menée par le gouvernement américain est quand même victime d’une certaine
ambiguïté qui se traduit dans la reconnaissance du rôle de l’Empire britannique dans la
stabilité mondiale et la peur qu’une perte d’influence des Britanniques puisse ouvrir la
porte à un chaos au niveau politique et économique, en particulier dans le domaine du
commerce international. La dernière catégorie concerne la propagande communiste, qui
émane surtout des pays du bloc soviétique et des différents partis communistes présents
dans tous les pays. À la base de cette propagande, on retrouve la critique marxiste de
l’impérialisme avec l’idée que la Grande-Bretagne maintient l’Empire exclusivement
pour en tirer un profit économique au détriment des populations coloniales. Cette
théorie appuie la thèse soutenue par le gouvernement britannique et ses ministères de la
méconnaissance générale du fondement des politiques impériales.
Les modalités de la propagande britannique
La réunion du Cabinet Committe on Overseas Information Service du 14
novembre 1946 fait le point sur l’incompréhension existante au sujet du Commonwealth
et de l’Empire colonial aussi bien à l’intérieur de la Grande-Bretagne qu’à l’étranger et
offre le point de vue des secrétaires d’Etat pour les colonies, les dominions et l’Inde.27
Le Lord Président du Conseil, président de la séance propose que ce problème soit
abordé à partir de trois perspectives :
26
« A. Dudley minute on the memorandum by the Lord President of the Council, 8th November 1946 »,
FO 930/514.
27
« Cabinet Committee on Overseas Information Service, 14th November 1946 », FO 930/514. Sont
présents : Hon. Herbert Morrison (Lord President of the Council), Hon. Viscount Addison (Secretary of
State for Dominions Affairs), Hon. Arthur Creech Jones (Secretary of State for Colonies), Hon. Lord
Pethick-Lawrence (Secretary of State for India), Mr. W.G Hall (Financial Secretary to the Treasury),
Major C.P. Mayhew (Parliamentary Under-Secretary of State for Foreign Affairs), Mr. H. A. Marquand
(Secretary of Overseas Trade), Mr. F. Williams (PR Adviser to the Prime Minister), Mr. R. Fraser
(C.O.I).
8 1. « It was desirable to stimulate the interest and pride of the individual dominions
and Colonies in the Commonwealth and Empire as a whole (…).
2. More should be done to inform people in this country about both the Dominions
and the Colonial Empire, in the latter case with special reference to the progressive
and constructive work which we were doing.
3. He imagined that the failure of many foreigners to understand the nature of the
Commonwealth and our policy of developing free institutions in the Colonial
Empire must be a considerable embarrassement to the Foreign Office, and that they
would be gratly helped if, through the right kind of publicity, the
misunderstandings could be countered »28.
Ces propositions sont appuyées par le secrétaire d’Etat pour les Dominions qui est
d’accord sur l’ignorance supposée qui entoure tous les sujets concernant l’Empire.
Surtout, il fait part de ses préoccupations par rapport à l’idée persistante à l’étranger que
les territoires sous domination coloniale sont des régions exploitées à l’avantage unique
des Britanniques et que le mot « empire » n’a plus lieu d’exister. Cette constatation
démontre que le programme de développement économique et social des colonies n’est
pas suffisamment connu ou pas pris en considération. L’intervention de Arthur CreechJones, secrétaire d’Etat pour les Colonies, permet d’aborder le problème lié aux effets
de l’ignorance envers le Commonwealth et l’Empire mais surtout envers les politiques
coloniales. Un des problèmes majeurs affronté par le Colonial Office dans le cadre de
ses relations publiques concerne la propagation de reportages inexactes dans la presse
britannique au sujet des colonies et encore plus grave dans la presse coloniale. Cela
consiste un enjeu relevant car le système éducatif mis en place dans les colonies a
favorisé un accès majeur de la population à la presse écrite. D’après Creech-Jones, cette
situation contribue lourdement à compliquer le travail des gouvernements coloniaux. La
solution serait donc d’améliorer la qualité des reportages et d’étendre la publicité à une
large échelle, ce qui est aussi envisagé par Williams, le conseiller du Premier Ministre
en matière de relations publiques. Il souhaite aussi la participation du British Council,
institution qui a pour but de promouvoir l’image de la Grande-Bretagne à l’étranger
ainsi que les liens culturels et commerciaux avec d’autres pays. L’intervention de
Creech-Jones est aussi intéressante car il fait aussi le lien entre les opinions négatives
formulées au niveau international et la prise de conscience politique dans les colonies
pour introduire de manière claire la nécessité de procéder à un changement dans la
politique coloniale :
« The repercussions of foreign opinion regarding Colonial policy cannot be ignored
in our international relationships nor can government carry on in the Colonies as in
earlier days because of the rapid growth of political consciousness among the
Colonial peoples. »29.
À l’issue de la réunion et suite aux considérations exprimées lors de la discussion, le
Lord du Conseil demande la préparation urgente d’un plan d’action détaillé au sujet de
la publicité concernant l’Empire qui devrait ensuite être soumis au gouvernement.
À la lumière des arguments mis en avant lors de la réunion du Cabinet Committee
on Overseas Information Service, les objectifs, la stratégie et les méthodes imaginés
pour promouvoir l’Empire sont explicités dans une lettre du 5 décembre 1946 écrite par
« Cabinet Committee on Overseas Information Service, 14th November 1946 », FO 930/514. « Publicity about the British Commonwealth and Empire : Memorandum by the Secretary of State for
the Colonies, 13th November 1946 », FO 930/514.
28
29
9 Dudley à l’attention de R. Frost du Central Office of Information.30 L’analyse part de la
constatation que le manque de connaissance et de compréhension à l’égard de l’Empire
et du Commonwealth existe aussi bien en Grande-Bretagne qu’à l’étranger mais pour
des raisons différentes. En ce qui concerne la Grande-Bretagne, d’après Dudley, cette
ignorance serait attribuable à une insuffisance d’information et à une absence d’intérêt
pour la responsabilité britannique envers son Empire. En revanche, à l’étranger
l’aversion pour l’Empire résulterait d’une antipathie historique envers la GrandeBretagne et ses politiques impériales.
Etant donnée la diversité des raisons expliquant l’ignorance de l’opinion publique
par rapport aux politiques impériales, tant au niveau national qu’international,
l’administration coloniale définit différents objectifs et différentes méthodes pour y
remédier. Au niveau national, l’objectif est de combler l’ignorance et l’apathie de
l’opinion publique afin qu’elle puisse prendre au sérieux les responsabilités de la
Grande-Bretagne envers ses colonies. Dans cette bataille, l’éducation dans les écoles
jouera un rôle essentiel dans la formation des jeunes générations. Le Ministère de
l’éducation sera chargé d’insérer dans le cursus scolaire des cours ou des activités
destinés à améliorer la connaissance et réduire le désintérêt pour l’Empire. L’intérêt du
reste de la population devrait être réveillé par une multiplication des discours des
membres du gouvernement et des messages radio-télévisés, consacrés aux affaires
impériales. Le résultat visé serait donc d’obtenir une compréhension globale et
homogène de l’Empire au niveau de l’opinion publique britannique. Au niveau
international, l’objectif poursuivi est de lutter contre les incompréhensions et les erreurs
d’interprétation, alimentées par l’ignorance ou par une véritable campagne de
dénigrement des autres puissances destinée à empêcher la réalisation des objectifs du
gouvernement britannique. Etant donné la différence de nature des critiques adressées31,
la stratégie mise en place doit être diversifiée et se concentrer sur les aspects de la
politique impériale qui touchent tel pays et telle population :
« We can thus hope to raise the prestige of the Empire not by creating a complete
understanding of it, but by ensuring that particular developments in the news are
properly explained and emphasized. (…) Our publicity abroad must therefore be
greately diversified as to subject matter, though everywhere it should emphasize the
strenght of the Empire as a factor in world affairs »32.
En ce qui concerne la forme de la publicité prévue pour l’étranger, Dudley
suggère de se concentrer sur des moyens d’information qui ont un impact rapide, par
exemple à travers les journaux ou la radio, et qui montrent que les politiques impériales
ou l’existence de l’Empire tout court ont un impact positif sur un peuple ou un pays
déterminé. Pour atteindre ce but Dudley insiste sur l’amélioration de la qualité des
informations à donner et sur un matériel qui soit source d’inspiration et d’enthousiasme.
On retrouve le même aspect dans un mémorandum qui précède de quelques jours la
lettre de Dudley et où est mise en avant la visite des leaders indiens à Londres (datant de
la même semaine du mémorandum) comme exemple de publicité positive, car elle
permet de faire remarquer que le gouvernement fait tout ce qui est possible pour amener
30
« Letter from A. Dudley (FO) to R. Frost (CIO), 5th December 1946 », FO 930/514.
« Memorandum by the Foreign Office on propaganda directed against the British Commonwealth »,
27th November 1946 », FO 930/514.
32
« Letter from A. Dudley (FO) to R. Frost (CIO), 5th December 1946 », FO 930/514. 31
10 l’Inde à l’auto-détermination.33 Il est intéressant de constater que dans ce même rapport
on souligne que l’objectif final de la publicité est celui de montrer aux pays étrangers
que l’Empire a une influence positive non seulement sur les populations coloniales mais
aussi sur le reste du monde en tant que puissance stabilisatrice.
33
« Memorandum about the Empire in Foreign Countries, Memorandum by the Foreign Office, 2th
December 1946 », FO 930/514.
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