mission civilisatrice » au développement : l`Empire britannique face

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Naima Maggetti
Assistante-doctorante UNIGE
Inscrite en thèse depuis juin 2014
Extrait du mémoire de pré-doctorat en cours de préparation
Historiales 2015
« I have not become the King’s First
Minister in order to preside over the
liquidation of the British Empire ». (W.
Churchill, 1942)
« (…) We need to show a new vision in our
colonial rule. In their view we must show
that we have a conception of common
citizenship and common ideals, which will
inspire the people of the colonial Empire as
well as ourselves. If it serves that end, it may
also serve to justify our position as Colonial
Power to the outside world, and to mitigate
some of the suspicion which now attaches to
it ». (Lord Hailey, 19421)
En 1939, au moment de l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale la Grande-
Bretagne fait face à de violentes critiques sur la moralité du colonialisme et sur l’échec
des récentes politiques visant au développement économique des colonies. Des
ouvrages et des pamphlets critiquant la « question coloniale »2 sont notamment publiés
au Royaume-Uni tandis que des révoltes et des grèves éclatent dans les Caraïbes et en
Afrique britanniques. La légitimité de l’Empire britannique3 est attaquée et remise en
question tant au niveau national qu’international. La fin de la Seconde Guerre mondiale
constitue ensuite un moment charnière dans la construction d’une justification à la
continuité de l’Empire britannique. Dans un nouveau contexte mondial dominé par les
Etats-Unis, puissance qui tient un discours anti-impérialiste, l’importance de donner une
image positive des colonies et des politiques coloniales est plus que jamais vitale dans le
processus de maintien de l’Empire. Cela passe à travers une série d’arguments
développés selon des modalités multiples et qui s’adressent à des destinataires
différents.
L’étude de la construction de la légitimité de la colonisation anglaise, ainsi que
les justifications qui sont mises en avant dans le cadre d’un nouveau discours colonial
mis en place et développé pendant et après la Seconde Guerre mondiale constituent
l’objet de ma thèse de doctorat. Durant cette période, l’autorité impériale doit trouver de
nouvelles justifications à sa politique, ce dont témoigne la mobilisation d’un nouvel
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1 Lord Hailey, A Colonial Charter : address to the Annual Meeting of the Anti-Slavery and Aborigines
Protection Society, 28 May 1942, London : The Anti-Slavery and Aborigines Protection Society, 1942.
2 Une liste très riche mais non exhaustive, peut être trouvée dans Howe, Stephen, Anticolonialism in
British Politics. The left and the End of Empire, 1918-1964, Oxford : Clarendon Press, 1993, pp. 346-354.
3 L’Empire britannique se compose de colonies, protectorats et dominions indépendants ce moment :
Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud, Canada et Irlande) qui font partie du British
Commonwealth. Si pas explicité clairement dans le texte il faut prendre en considération l’Empire dans
son ensemble.
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appareil argumentatif, présenté comme une nécessité au maintien de l’Empire colonial.
Il est ainsi indispensable non seulement de s’interroger sur le contenu des ces nouveaux
discours et les arguments mis en avant pour justifier le maintien de l’autorité coloniale
mais aussi, et surtout, sur les modalités et les destinataires de cette opération.
Les approches théoriques au sujet de la reformulation de l’autorité coloniale
britannique dans les années 1940 s’insèrent essentiellement dans deux grands courants.
Dans son livre Suke Wolton4 s’intéresse aux politiques et aux attitudes envers la race en
analysant le débat entre le Colonial Office et le département d’état étasunien, au sujet de
la reformulation de l’autorité coloniale britannique, pendant la Seconde Guerre
mondiale. Wolton s’appuie sur le matériel analysé par William R. Louis dans son livre
« Imperialism at Bay »5 mais l’interprète sous un angle différent. Si Louis dans son
travail analyse de manière extensive les relations diplomatiques anglo-américaines dans
la guerre et voit dans l’anti-impérialisme des Etats-Unis un intérêt caché d’étendre leur
influence aux dépens de l’Empire britannique, le cœur du travail de Wolton concerne le
changement de perception face à la supériorité raciale, qui était jusque l’argument sur
lequel l’administration britannique s’appuyait pour justifier sa politique de domination
des populations coloniales.
L’approche choisie pour ma thèse est d’insérer l’analyse des nouvelles
justifications légitimant l’Empire dans un cadre plus large qui englobe les méthodes
employées ainsi que les destinataires de ces discours, tout en élargissant la chronologie
étudiée par Louis et Wolton, jusqu’au milieu des années 1950, quand l’indépendance
des colonies apparaît comme inévitable. Trois grandes thématiques sont centrales dans
l’établissement d’un nouveau discours colonial qui a pour but de légitimer l’Empire
dans une nouvelle conjoncture mondiale façonnée par la Seconde Guerre mondiale: le
welfare et le développement des colonies, la stabilité mondiale et le développement
constitutionnel des pays colonisés à travers le partnership. Ces arguments sont
mobilisés sur deux fronts : un front interne, composé par l’opinion publique anglaise, et
un front externe sont distingués deux types d’aire géographique: les pays étrangers
ou « Foreign Countries »6 d’une part, et les colonies et le Commonwealth d’autre part.
Après avoir rappelé les enjeux tels qu’ils se posent à la Grande-Bretagne durant
la Seconde Guerre mondiale, nous étudierons la manière dont l’administration
britannique, en particulier le Colonial et le Foreign Office, a perçu les limites de la
politique coloniale. Ceci nous amènera à analyser la manière dont elle a répondu à cette
« crise » par la mise en place d’un appareil administratif chargé de trouver une solution
à ce qu’elle considérait comme les trois problèmes fondamentaux sur lesquels il fallait
agir : la vision négative de l’Empire véhiculée au niveau national et international, la
méconnaissance générale de la politique coloniale britannique au niveau international et
le désintérêt de l’opinion publique britannique.
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4 Wolton, Suke, The Loss of White Prestige : Lord Hailey, the Colonial Office and the Politics of Race
and Empire in the Second World War, Basingstoke : Macmillan, 2000.
5 Louis, Wm. R., Imperialism at Bay 1941-1945 : The United States and the Decolonization of the British
Empire. Oxford : Clarendon Press, 1977.
6 Ce terme désigne plusieurs catégories de pays : les empires, les Etats-Unis et les pays anti-impérialistes,
en bref tous les pays qui ne sont pas des colonies britanniques et qui ne font pas partie du
Commonwealth.
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Vision américaine et britannique de l’avenir des colonies après la Seconde Guerre
mondiale
La nécessité d’un changement de registre dans le discours colonial se présente
déjà dans les premières années de la guerre avec la mise en place d’une alliance avec les
Etats-Unis, puissance anti-impérialiste. En août 1941, lors d’une réunion dans le
Newfoundland au Canada, le président des Etats-Unis, Franklin D. Roosevelt et le
premier ministre britannique Winston Churchill signent l’Atlantic Charter. Cette
déclaration témoigne de la volonté anglo-américaine de contrer la propagande nazie et
rendre manifeste un certain nombre de principes communs sur lesquels baser leurs
politiques nationales.7 D’un point de vue de la politique coloniale cette charte présente
un article, le troisième, dont l’interprétation va se révéler une source de problèmes pour
le Colonial Office et le gouvernement britannique :
« Third, they respect the right of all peoples to choose the form of government under
which they will live ; and they wish to see sovereign rights and self government
restored to those who have been forcibly deprived of them »8.
Le principe d’autodétermination des peuples contenu dans cet article se révèle un
facteur de gêne pour l’administration britannique qui depuis la deuxième moitié des
années 1930 doit faire face à un contentement grandissant envers sa politique
coloniale. Quelques semaines après son retour du Canada, dans une intervention au
parlement britannique, Churchill revient sur le contenu de la charte en précisant que la
formulation du troisième article, ainsi que des autres, concernait seulement les pays dont
la souveraineté avait été dérobée par la conquête nazie et non ceux sous domination
britannique qui étaient soumis à un processus d’évolution constitutionnelle progressive.9
L’explication donnée par Churchill met en évidence une vision divergente entre les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne à l’égard du futur des colonies : la méfiance du
gouvernement américain envers l’impérialisme anglais dont le discours se nourrit du
principe d’autodétermination des peuples est confrontée à la politique du gradualisme
britannique. La situation épineuse d’avant guerre et la constitution de la charte
atlantique concourent à créer une forte pression sur le gouvernement britannique et le
Colonial Office au sujet de leur politique coloniale.
La redéfinition des relations entre l’Empire et les colonies
La volonté de contrer l’influence de l’Atlantic Charter amène le Colonial Office à
se pencher sur la possibilité de créer une charte au sujet des colonies. Dans un discours
adressé à la réunion annuelle de l’Anti-Slavery and Aborigines Protection Society en
mai 1942, Lord Hailey10, conseiller du Colonial Office et représentant britannique à la
Commission des Mandats de la Société des Nations depuis 1936, revient sur cette idée
et s’exprime d’abord sur les deux fondements de la politique coloniale britannique: les
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7 The Atlantic Charter, 14 August 1941, in Porter, A. N. and Stockwell, A. J. (eds.), British Imperial
Policy and Decolonization 1938-64, 1 vol., Basingstoke: Macmillan, 1987, pp. 101-102.
8 Ibid., p. 101.!
9 The Atlantic Charter : Extract from a Speech by the Prime Minister in the House of Commons, 9
September 1941. Hansard Parliamentary Debates, vol. 372, cols 67-9, in Porter, A. N. and Stockwell, A.
J. (eds.), British Imperial Policy and Decolonization 1938-64, 1 vol., Basingstoke: Macmillan, 1987, pp.
103-105.!
10 Pour une vision globale de la vie et carrière de Lord Hailey voir la biographie écrite par John Cell :
Hailey, A Study in British Imperialism, 1872-1969, Cambridge : Cambridge University Press, 1992.
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notions de trusteeship, qui implique que le gouvernement colonial œuvre au seul intérêt
du peuple assujetti, et de self-government :
« The conception of trusteeship was, as I have already said, largely built up on the
teaching of that humanitarian school with which the early Anti-Slavery and
Aborigines Protection Societies were so closely associated. There can be no question
of the genuine character of that sentiment among the more enlightened
respresentatives of public opinion nor of the influence which it had exerted on the
course of colonial administration. (…) The second of the principles which I have
described as making up the sum to our declared colonial policy the affirmation of
the determination to assist the colonies to attain self-government »11.
L’exposé des deux principes guidant la politique coloniale ainsi que les critiques qui en
découlent, servent à Hailey pour introduire la nécessité de reformuler ces principes et de
donner une nouvelle image à la domination coloniale. Cette nouvelle conception devait
servir à créer un esprit communautaire à l’intérieur des colonies ainsi qu’à justifier le
maintien de l’Empire et à modérer les critiques. Les innovations proposées par Hailey
concernent deux aspects précis : un rôle central de l’état dans la promotion du welfare
state et l’amélioration du niveau de vie dans les colonies, et l’introduction de la notion
de partnership dans la structuration des rapports entre le gouvernement de Londres et
les territoires sous administration coloniale :
« (…) I should, in the first place, prefer to see our relations restated, not as those of
trustees and wards, but as those of senior and junior partners, on terms which
recognize that the latter must as of right acquire an increasing share in the control of
our common undertaking. I would prefer, again, again to see our obligations to the
colonial peoples stated not as those of trustees, but as those incumbent on the
modern state in regard to the improvement of the social services and the standards of
living in its own domestic backward areas »12.
La notion de partnership est interprétée par Hailey non comme une rupture par rapport à
la notion de trusteeship mais comme une étape supplémentaire dans la collaboration
entre Britanniques et peuples colonisés ce qui implique une participation plus
importante de ces derniers dans le processus qui amènera à l’indépendance de leurs
pays.
Malgré les difficultés posées par le contexte international, la possibilité
d’accorder l’indépendance aux colonies n’est pas prise en considération ni au niveau du
gouvernement ni au niveau du Colonial Office. Il se révèle donc nécessaire de mettre en
place une stratégie pour sauver le colonialisme. Le fond du Foreign Office FO 930/514
qui concerne la publicité au sujet de l’Empire et du British Commonwealth et qui date
de 1946 offre un aperçu intéressant de l’état de l’image de la Grande-Bretagne à la fin
de la Seconde Guerre mondiale. L’analyse d’une sélection de documents contenus dans
ce fond permet d’éclairer plusieurs aspects concernant le type de critiques formulées et
les différents moyens mis en œuvre pour améliorer l’image de l’empire, surtout à
l’échelle internationale.
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11 Lord Hailey, A Colonial Charter : address to the Annual Meeting of the Anti-Slavery and Aborigines
Protection Society, 28 May 1942, London : The Anti-Slavery and Aborigines Protection Society, 1942,
pp. 4-5.
12 Ibid., p. 6.
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Justifier l’Empire : arguments, destinataires et méthodes
En 1940, le Ministère de l’information13 met en place le Colonial Office Public
Relations Department responsable de la publicité et de la propagande concernant les
colonies en Grande-Bretagne et à l’étranger. Pendant la guerre, ce département poursuit
un double objectif : approvisionner les colonies avec de la documentation de
propagande sur la guerre en cours d’une part, et d’autre part informer l’opinion publique
anglaise et des pays alliés et neutres sur les politiques et les affaires coloniales.14 Avec
l’approche de la fin de la guerre, un rapport qui concerne le travail du Ministère de
l’information en relation avec l’empire colonial est rédigé et permet d’établir une série
de considérations sur la nécessité de poursuivre le travail d’information et de
propagande en temps de paix.15 Le thème central de ce rapport concerne le rôle et les
tâches que le ministère devra exercer dans la période d’après-guerre, qui passe d’abord
par un état des lieux de la situation. Au début du rapport, un paragraphe est dédié aux
résultats paradoxaux obtenus dans les colonies par les politiques d’information et de
propagande mises en place par le ministère pendant la guerre :
« (…) Often for the first time in their history, the most modern features of radio,
films, photographs and press services, to mention but a few items, have been
introduced into Colonies thus creating new habits and an ever increasing demand for
the wonders of the « modern » world. Many parts of the Colonial Empire are
awakening from an age-long sleep, and unsatisfied demands for enlightment and
guidance, and failure to meet these demands which the Ministry has so largely
created, will have the most serious repercussions »16.
Cet extrait pose le cadre problématique du contexte colonial d’après guerre et met en
évidence la nécessité pour la politique coloniale de répondre aux demandes formulées
dans les territoires coloniaux. D’après ce rapport, un des problèmes majeurs posés après
1945 et celui de la projection du leadership de la Grande-Bretagne en tant que puissance
mondiale. Il était donc nécessaire de mettre en place une campagne d’information
intensive pour renforcer le leadership britannique dans les domaines de l’idéalisme, de
l’avancement social, de l’industrie, des compétences scientifiques et techniques au
niveau international et surtout dans les colonies, l’attrait pour l’idéologie soviétique
et la prospérité américaine était particulièrement fort.
L’autre aspect problématique qui se lie étroitement au premier concerne les
critiques envers l’Empire colonial qui d’après les rédacteurs du rapport avaient pour but
de saper le prestige britannique :
« Friendly critics at home and abroad are watching our Colonial policy with eagle
eyes, and there are not lacking malicious enemies willing to use the British Colonial
Empire as part of a campaign to undermine British prestige. The former type of critic
is welcome and must be satisfied by reasoned explanations, but the latter must be
attacked with vigour or them may do untold harm to international relations in general
and Anglo-American friendship in particular. Thus, a very important post-war task
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13 Le Ministry of Information est mis en place le 5 septembre 1939 et est chargé de trois fonctions :
censure de la presse, publicité à l’intérieur de la Grande-Bretagne et dans les pays alliés ou neutres.
14 « Confidential. Colonial Office Public Relations », CO 875/5/6
15 « The Ministry of Information and its work in relation to the British Colonial Empire », INF 1/945
(date absente).
16 Ibid.
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