Vision américaine et britannique de l’avenir des colonies après la Seconde Guerre
mondiale
La nécessité d’un changement de registre dans le discours colonial se présente
déjà dans les premières années de la guerre avec la mise en place d’une alliance avec les
Etats-Unis, puissance anti-impérialiste. En août 1941, lors d’une réunion dans le
Newfoundland au Canada, le président des Etats-Unis, Franklin D. Roosevelt et le
premier ministre britannique Winston Churchill signent l’Atlantic Charter. Cette
déclaration témoigne de la volonté anglo-américaine de contrer la propagande nazie et
rendre manifeste un certain nombre de principes communs sur lesquels baser leurs
politiques nationales.7 D’un point de vue de la politique coloniale cette charte présente
un article, le troisième, dont l’interprétation va se révéler une source de problèmes pour
le Colonial Office et le gouvernement britannique :
« Third, they respect the right of all peoples to choose the form of government under
which they will live ; and they wish to see sovereign rights and self government
restored to those who have been forcibly deprived of them »8.
Le principe d’autodétermination des peuples contenu dans cet article se révèle un
facteur de gêne pour l’administration britannique qui depuis la deuxième moitié des
années 1930 doit faire face à un mécontentement grandissant envers sa politique
coloniale. Quelques semaines après son retour du Canada, dans une intervention au
parlement britannique, Churchill revient sur le contenu de la charte en précisant que la
formulation du troisième article, ainsi que des autres, concernait seulement les pays dont
la souveraineté avait été dérobée par la conquête nazie et non ceux sous domination
britannique qui étaient soumis à un processus d’évolution constitutionnelle progressive.9
L’explication donnée par Churchill met en évidence une vision divergente entre les
Etats-Unis et la Grande-Bretagne à l’égard du futur des colonies : la méfiance du
gouvernement américain envers l’impérialisme anglais dont le discours se nourrit du
principe d’autodétermination des peuples est confrontée à la politique du gradualisme
britannique. La situation épineuse d’avant guerre et la constitution de la charte
atlantique concourent à créer une forte pression sur le gouvernement britannique et le
Colonial Office au sujet de leur politique coloniale.
La redéfinition des relations entre l’Empire et les colonies
La volonté de contrer l’influence de l’Atlantic Charter amène le Colonial Office à
se pencher sur la possibilité de créer une charte au sujet des colonies. Dans un discours
adressé à la réunion annuelle de l’Anti-Slavery and Aborigines Protection Society en
mai 1942, Lord Hailey10, conseiller du Colonial Office et représentant britannique à la
Commission des Mandats de la Société des Nations depuis 1936, revient sur cette idée
et s’exprime d’abord sur les deux fondements de la politique coloniale britannique: les
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7 The Atlantic Charter, 14 August 1941, in Porter, A. N. and Stockwell, A. J. (eds.), British Imperial
Policy and Decolonization 1938-64, 1 vol., Basingstoke: Macmillan, 1987, pp. 101-102.
8 Ibid., p. 101.!
9 The Atlantic Charter : Extract from a Speech by the Prime Minister in the House of Commons, 9
September 1941. Hansard Parliamentary Debates, vol. 372, cols 67-9, in Porter, A. N. and Stockwell, A.
J. (eds.), British Imperial Policy and Decolonization 1938-64, 1 vol., Basingstoke: Macmillan, 1987, pp.
103-105.!
10 Pour une vision globale de la vie et carrière de Lord Hailey voir la biographie écrite par John Cell :
Hailey, A Study in British Imperialism, 1872-1969, Cambridge : Cambridge University Press, 1992.