Complications respiratoires des médicaments cardiovasculaires

MISE AU POINT
L
es médicaments cardiovasculaires, comme tous les
traitements, peuvent entraîner des manifestations
respiratoires variées et non spécifiques. Certaines
de ces manifestations sont classiques et bien connues, comme
la toux liée aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC)
ou le bronchospasme lié aux bêtabloquants, et l’arrêt du trai-
tement en fait facilement à la fois le diagnostic et le traite-
ment. Les atteintes médicamenteuses du parenchyme pul-
monaire constituent un cadre nosologique plus complexe,
d’une part par la présentation clinico-radiologique variée
(pneumopathie interstitielle, pneumonie organisée, épanche-
ments pleuraux, nodules, etc.), mais surtout parce que le dia-
gnostic ne peut aboutir qu’au terme d’une démarche rigou-
reuse qui aura permis d’éliminer d’autres diagnostics.
L’apparition de symptômes respiratoires chez un insuffisant
cardiaque fait souvent évoquer en premier lieu une décom-
pensation cardiaque (1). Cependant, la fréquence des effets
indésirables pulmonaires des médicaments cardiovasculaires
ne doit pas être méconnue.
TOUX
Les IEC sont les plus grands pourvoyeurs de toux iatrogénique.
Le mécanisme de cette toux est encore hypothétique, mais fait
probablement intervenir l’accumulation de bradykinines, média-
teurs normalement dégradés par l’enzyme de conversion de l’an-
giotensine (2). La toux survient chez 10 à 30 % des patients trai-
tés, quelles que soient la molécule et la dose utilisées. Elle est
plus fréquente chez les sujets traités pour insuffisance cardiaque
que chez ceux traités pour hypertension artérielle (HTA) (3),
ainsi que chez les femmes et chez les sujets porteurs de certains
promoteurs du gène du récepteur de la bradykinine ß2 (4). Typi-
quement, la toux est sèche, quinteuse, sans dyspnée, ni expec-
toration ni fièvre, et s’installe entre une semaine et 6 mois après
l’instauration du traitement (5). Les explorations fonctionnelles
respiratoires (EFR) et la radiographie sont normales. À l’arrêt
du traitement, la toux disparaît en moins de deux semaines ; elle
réapparaît pratiquement toujours après réintroduction du trai-
tement, même en cas de changement de molécule (6). Si le
traitement est maintenu, la toux peut parfois disparaître en 2 à
6 mois. Les différents traitements antitussifs sont généralement
peu efficaces. Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine
induisent beaucoup moins de toux (3 à 4 % des patients) (7)
et peuvent être une alternative en cas de toux induite par les
IEC (6).
La Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
22
Complications respiratoires
des médicaments cardiovasculaires
Respiratory complications of cardiovascular agents
C. Taillé, B. Crestani*
*Service de pneumologie, hôpital Bichat, Paris.
Devant toute manifestation respiratoire nouvelle chez
un patient prenant un traitement à visée cardiovasculaire,
une origine médicamenteuse doit être systématiquement
évoquée, après avoir éliminé principalement une infection
et une décompensation cardiaque.
Un même médicament peut avoir des effets indésirables
pulmonaires variés : pneumopathie, toux, épanchement
pleural, etc.
Aucun élément radiologique, biologique ou histolo-
gique n’est spécifique d’une pneumopathie médicamen-
teuse. Seule une démarche rigoureuse, incluant une anam-
nèse bien reconstituée, permettra de retenir le diagnostic.
L’amiodarone, de par son métabolisme, est particuliè-
rement toxique pour le poumon. Son utilisation doit être
prudente chez les sujets âgés et chez ceux dont la fonc-
tion respiratoire est altérée.
Mots-clés : Effet indésirable des médicaments - Bron-
chospasme - Toux - Toxicité pulmonaire - Amiodarone.
Keywords: Drug adverse event - Bronchospasm - Cough -
Lung toxicity - Amiodarone.
Points forts
La Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
23
MISE AU POINT
ASTHME ET BRONCHOPNEUMOPATHIE
CHRONIQUE OBSTRUCTIVE (BPCO) :
PEUT-ON INTRODUIRE UN TRAITEMENT
BÊTABLOQUANT SANS RISQUER
UN BRONCHOSPASME ?
Divers mécanismes peuvent conduire à un bronchospasme induit
par un médicament :
soit il entre dans le cadre d’une réaction anaphylactique, et il
s’agit alors d’un tableau aigu, souvent accompagné d’une hypo-
tension, d’une éruption cutanée ou d’un angio-œdème : c’est le
cas de l’amiodarone ou des IEC (8) ;
soit le bronchospasme est lié à une action pharmacologique
directe sur le muscle lisse bronchique, comme c’est le cas pour
les bêtabloquants. Les bêtabloquants inhibent l’action relaxante
des hormones adrénergiques sur le muscle lisse bronchique, qui
est médiée par les récepteurs ß2. L’effet bronchoconstricteur des
bêtabloquants existe quel que soit le mode d’administration du
médicament, y compris en collyre. Chez les sujets sains, les bêta-
bloquants peuvent entraîner des baisses significatives du volume
expiratoire maximal par seconde (VEMS), qui n’ont générale-
ment pas de traduction clinique (9). Chez des sujets asthmatiques
ou ayant une BPCO, les bêtabloquants peuvent entraîner des
bronchospasmes sévères, parfois mortels (10).
Les bêtabloquants cardiosélectifs sont théoriquement plus sûrs,
car leur affinité pour les récepteurs ß2-adrénergiques est beau-
coup plus faible, sans être nulle. Leur utilisation au long cours
n’entraîne qu’une diminution modeste du VEMS, sans majora-
tion des symptômes ni modification du traitement habituel (9).
Cependant, l’innocuité du traitement n’a été démontrée que chez
des sujets ayant une maladie bronchique (asthme ou BPCO) peu
sévère (VEMS supérieur à 50 % de la théorique en moyenne) et
sur des durées d’utilisation assez courtes, inférieures à 4 semaines
(9). Compte tenu du bénéfice important apporté par les bêtablo-
quants, leur utilisation ne doit pas être contre-indiquée de manière
systématique en cas d’asthme ou de BPCO (11). On privilégiera
dans ce cas une molécule cardiosélective. On n’oubliera pas
cependant de mesurer la fonction respiratoire avant l’introduc-
tion du traitement et de la contrôler régulièrement. En revanche,
si l’asthme ou la BPCO sont sévères (VEMS inférieur à 50 % de
la théorique), l’utilisation d’un bêtabloquant, même cardiosé-
lectif, doit être absolument évitée. Si l’indication du traitement
bêtabloquant est formelle, l’aténolol est habituellement utilisé,
sous couvert d’un traitement bronchodilatateur (5). Il faut rap-
peler que les bêtabloquants diminuent l’efficacité bronchodila-
tatrice des agonistes ß2-adrénergiques en cas de bronchospasme.
Il faudra alors utiliser un antagoniste cholinergique (8).
INTOLÉRANCE À L’ASPIRINE
ET CORONAROPATHIE : FAUT-IL
À TOUT PRIX DÉSENSIBILISER ?
La prévalence de l’intolérance à l’aspirine est estimée à 10 %
de la population générale (12). Elle se manifeste le plus sou-
vent par un asthme, associé à une rhinite et à une polypose naso-
sinusienne. Elle se traduit moins fréquemment uniquement par
un urticaire ou un angio-œdème. Ces manifestations sont dues
à l’inhibition de la cyclo-oxygénase 1 et à l’augmentation secon-
daire de la production des leucotriènes. Elles surviennent donc
dès la première exposition au médicament, sans nécessiter d’ex-
position préalable. L’intolérance à l’aspirine est associée à une
réaction croisée avec les autres anti-inflammatoires non stéroï-
diens (AINS), qui inhibent également la COX-1, mais pas avec
les nouveaux inhibiteurs de la COX-2. La désensibilisation (qui
consiste à prescrire des doses progressivement croissantes par
voie orale, sous surveillance médicale stricte) est efficace et
sûre si le diagnostic d’intolérance à l’aspirine est certain et la
maladie coronaire stable. Cependant, le bénéfice exact de la
désensibilisation par rapport à la poursuite d’autres régimes
antiagrégants reste à évaluer. Enfin, il existe peu de données
sur son innocuité chez les patients ayant une maladie coro-
naire instable ; on préfère dans ce cas d’autres régimes anti-
agrégants (12).
ATTEINTES PARENCHYMATEUSES :
TOUTE PNEUMOPATHIE QUI RESTE
SANS DIAGNOSTIC DOIT FAIRE ÉVOQUER
UNE ORIGINE MÉDICAMENTEUSE
Le parenchyme pulmonaire peut être la cible de la toxicité des
médicaments. Le diagnostic est rendu difficile par la variété et le
caractère non spécifique des tableaux radiocliniques, l’absence
de test biologique de diagnostic, l’absence de spécificité anato-
mopathologique. La présentation clinique est très variée, un
même médicament pouvant entraîner différents tableaux cli-
niques et un même tableau clinique pouvant être dû à différents
médicaments (tableau I). Parmi les médicaments cardiovascu-
laires, c’est l’amiodarone qui est le plus fréquemment incrimi-
née, représentant près de 50 % des pneumopathies médicamen-
teuses dans certaines séries (13). La plupart des médicaments
connus pour avoir une toxicité sur le poumon sont répertoriés
sur le site Pneumotox, géré par P. Foucher et P. Camus à Dijon
(http://www.pneumotox.com).
Démarche diagnostique
Une toxicité pulmonaire médicamenteuse doit être soupçonnée
devant des tableaux cliniques très divers, résumés dans le
tableau I. La démarche diagnostique doit être menée par un pneu-
mologue expérimenté et permettre d’apporter des réponses pré-
cises aux questions suivantes :
–La chronologie d’exposition est-elle compatible avec celle de
l’apparition des symptômes ?
La présentation clinique, radiologique et histologique est-elle
compatible avec les observations déjà rapportées ?
–Y a-t-il un autre diagnostic (en particulier infection, cancer ou
décompensation cardiaque ) ?
Les symptômes ont-ils régressé à l’arrêt du traitement incri-
miné ?
–Éventuellement, les symptômes sont-ils réapparus lors de la
reprise du traitement ?
La Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
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Éléments paracliniques du diagnostic
La radiographie de thorax, réalisée devant tout symptôme respi-
ratoire persistant, sera complétée facilement en cas d’image
parenchymateuse anormale par un scanner thoracique. Parfois, la
radiographie est normale, mais le scanner met en évidence des
opacités en verre dépoli. Il précise les caractéristiques des ano-
malies (nodules, condensations, verre dépoli, fibrose, piégeage
expiratoire des bronchiolites, bronchectasies, etc.), leur locali-
sation (périphérique, prédominance aux bases ou aux sommets,
etc.), le caractère diffus ou localisé, l’association à des épanche-
ments pleuraux ou des adénopathies. Il n’y a aucun aspect radio-
logique qui soit spécifique des pneumopathies médicamenteuses.
La fibroscopie bronchique avec lavage bronchoalvéolaire (LBA)
est nécessaire à la démarche diagnostique. Elle est principalement
destinée à éliminer d’autres diagnostics, notamment l’infection et
le cancer. L’examen cytologique du LBA (dont la formule nor-
male est rappelée dans le tableau II) est un point important pour
le diagnostic de pneumopathie médicamenteuse. Il n’y a pas de
cytologie alvéolaire spécifique d’une pneumopathie médicamen-
teuse. Même une formule alvéolaire normale ne permet pas d’ex-
clure une pneumopathie médicamenteuse. La cytologie la plus
évocatrice est caractérisée par une accumulation anormale de lym-
phocytes, pouvant dépasser 60 %, avec un rapport CD4/CD8 dimi-
nué, inférieur à 1, souvent associée à une augmentation variable
des neutrophiles et des éosinophiles (14). Mais cet aspect est
inconstant. Ainsi, la pneumopathie secondaire à l’amiodarone peut
donner un lavage normal dans 20 % des cas, une alvéolite neu-
trophile et/ou éosinophile dans 25 % des cas, une alvéolite lym-
phocytaire isolée dans 20 % des cas ou une alvéolite panachée,
lymphocytaire et neutrophile, dans un tiers des cas (15),sans qu’il
y ait de différence en termes de pronostic.
En cas de pneumopathie à l’amiodarone, la présence de macro-
phages spumeux (ayant accumulé dans leur cytoplasme des corps
lipidiques) ne signe que l’absorption de la molécule, et ne doit
pas être considérée comme un marqueur de surdosage ou de toxi-
cité pulmonaire (16). À l’inverse, l’absence de ces corps lipi-
diques rend peu probable une toxicité pulmonaire de l’amioda-
rone.
Le LBA peut d’emblée orienter le diagnostic lorsqu’il retrouve
une alvéolite éosinophile prédominante, très évocatrice de pneu-
mopathie médicamenteuse induite par les IEC (17) ou par l’as-
pirine (18). Un aspect d’hémorragie alvéolaire, caractérisé par
un LBA macroscopiquement sanglant ou par la présence de plus
de 30 % de sidérophages (avec un score de Golde > 100), est plus
difficile à interpréter. En effet, l’œdème pulmonaire cardiogé-
nique est la première cause d’hémorragie intra-alvéolaire. Mais
l’amiodarone, les anticoagulants, les fibrinolytiques et les anti-
GPIIb/IIIa (19) peuvent être responsables d’hémorragies intra-
alvéolaires (20).
Enfin, si l’ensemble des éléments déjà évoqués ne permet pas de
conclure de manière certaine à un diagnostic, on discutera une
biopsie pulmonaire chirurgicale. Comme la cytologie, l’histolo-
gie n’est pas spécifique d’une toxicité médicamenteuse. Elle per-
mettra d’exclure d’autres diagnostics et renforcera la probabilité
d’une toxicité médicamenteuse si l’aspect histologique est com-
patible avec un aspect déjà rapporté : aspect de pneumopathie
lymphocytaire interstitielle observé avec l’amiodarone, les bêta-
bloquants et les IEC, aspect de dommage alvéolaire diffus de la
MISE AU POINT
Tableau I. Principaux médicaments cardiovasculaires pouvant être
responsables d’une atteinte pulmonaire (d’après [21] et www.pneumo-
tox.com).
Atteinte des voies aériennes
Toux IEC, losartan, streptokinase
Bronchospasme Bêtabloquants
Réaction anaphylactique : IEC,
bêtabloquants, vérapamil, amiodarone,
dipyridamole, losartan, propafénone,
streptokinase, lidocaïne,
aspirine
Atteinte alvéolaire
Œdème pulmonaire non Inhibiteurs calciques, propranolol,
cardiogénique, SDRA amiodarone, aspirine, fluvastatine,
héparine, protamine, lidocaïne,
streptokinase, diurétiques thiazidiques
Hémorragie alvéolaire Amiodarone, anticoagulants,
anti-agrégants plaquettaires,
anti-GPIIb/IIIa, fibrinolytiques,
hydralazine, quinidine
Pneumopathie organisée Amiodarone, acébutolol, hydralazine,
pravastatine, ticlopidine
Pneumopathie d’hypersensibilité Bêtabloquants, inhibiteurs
de l’HMG-CoA réductase
Pneumopathie interstitielle Amiodarone, sartans, bêtabloquants,
subaiguë IEC, amrinone, flécaïne, hydralazine,
thiazidiques, procaïnamide, simvastatine,
ticlopidine, tocaïnide
Syndrome éosinophilique Amiodarone, IEC, propranolol, aspirine,
clofibrate, simvastatine,
hydrochlorothiazide, ticlopidine
Atteinte localisée nodulaire Amiodarone, ticlopidine
Épanchement pleural Bêtabloquants, amiodarone,
disopyramide, hydralazine, simvastatine,
captopril, procaïnamide, clonidine,
spironolactone
Hémothorax Anticoagulants, ticlopidine
Lupus induit Bêtabloquants, amiodarone, IEC,
clofibrate, clonidine, statines,
hydralazine, procaïnamide
Douleurs thoraciques Statines
Tableau II. Formule normale d’un lavage alvéolaire chez un patient
non fumeur (d’après [20]).
Cellularité totale : 50 à 200 000 éléments/mm
3
,dont :
–macrophages 85-95 %
–lymphocytes 5-15 %
polynucléaires neutrophiles < 3 %
polynucléaires éosinophiles < 1 %
La Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
25
MISE AU POINT
streptokinase, de l’amiodarone, pneumopathie à éosinophiles du
captopril et du propranolol (21),pneumopathie interstitielle non
spécifique des statines (22),etc.
Détresses respiratoires aiguës d’origine médicamenteuse
Certaines pneumopathies médicamenteuses peuvent se manifes-
ter de manière suraiguë par un œdème pulmonaire non cardio-
génique qui peut aller jusqu’au syndrome de détresse respiratoire
aiguë (SDRA). Ces œdèmes surviennent indépendamment de la
dose et de la durée d’utilisation du médicament ; ils récidivent à
la réintroduction du traitement. Leur mécanisme n’est pas clair.
Le tableau clinique est peu spécifique, associant dyspnée rapi-
dement croissante, polypnée, hypoxémie, fièvre parfois et
troubles digestifs dans le cas des œdèmes pulmonaires dus aux
diurétiques thiazidiques. La radiographie de thorax retrouve des
opacités alvéolo-interstitielles diffuses. S’il existe une insuffi-
sance cardiaque sous-jacente, une part d’œdème cardiogénique
peut égarer le diagnostic. Les diagnostics différentiels principaux
sont l’infection et l’hémorragie alvéolaire. La prise en charge, en
dehors de l’arrêt des médicaments suspects, est avant tout symp-
tomatique (oxygène fort débit, éventuellement ventilation méca-
nique, test aux diurétiques). Les corticoïdes sont souvent pres-
crits, mais sans preuve réelle de leur efficacité, sauf dans le cas
de l’amiodarone.
Cas de l’amiodarone
L’amiodarone a une toxicité pulmonaire très particulière, liée à
son métabolisme et à son tropisme particulier pour certains tis-
sus, qui survient en dehors de tout surdosage. La molécule et son
dérivé principal, la déséthylamiodarone, s’accumulent préféren-
tiellement dans le tissu pulmonaire (concentrations pulmonaires
de 10 à 1 000 fois supérieures aux concentrations sériques), tout
comme dans le foie, la peau, la thyroïde ou la cornée, qui sont des
organes où l’on peut observer ses effets indésirables les plus fré-
quents. L’amiodarone inhibe la dégradation des phospholipides
par les phospholipases lysosomales, ce qui entraîne leur accumu-
lation dans les lysosomes et l’apparition de macrophages spumeux
dans les poumons des patients traités au long cours (23). En outre,
l’amiodarone a une demie-vie prolongée (40 à 60 jours).
La pneumopathie liée à l’amiodarone se développe en moyenne
dans la première année de traitement, mais peut apparaître
quelques jours après une dose de charge ou, à l’inverse, après
plusieurs années de traitement. La fréquence de la pneumopathie
induite par l’amiodarone est mal connue : elle est estimée à 0,1 %
chez les sujets recevant une dose faible (200 mg/j) et peut
atteindre 50 % chez ceux recevant des doses plus élevées (24).
Elle est favorisée par l’exposition aiguë à de fortes concentra-
tions d’oxygène, par exemple à l’occasion d’une anesthésie géné-
rale, ce qui suggère un rôle de l’agression oxydante dans sa phy-
siopathologie. Elle survient plus fréquemment chez les hommes,
souvent âgés de plus de 40 ans. Une pathologie pulmonaire pré-
existante augmenterait le risque de développer une pneumopa-
thie symptomatique (25),mais cela est discuté (26).
Dans un tiers des cas, la pneumopathie à l’amiodarone se mani-
feste par une dyspnée qui s’installe sur plusieurs semaines, une
toux sèche, des douleurs de type pleural. Une autre complication
liée au traitement par l’amiodarone, hépatique ou thyroïdienne,
peut être observée en même temps. La radiographie de thorax
montre des images alvéolaires, interstitielles ou mixtes, le plus
souvent asymétriques (figure 1). La biologie est peu spécifique et
associe élévation de la vitesse de sédimentation (VS), hyperleuco-
cytose et augmentation modérée des LDH. Dans les deux autres
tiers, la maladie a une présentation suraiguë, et la radiographie
montre alors des opacités bilatérales en mottes ou plus diffuses,
denses, prédominant parfois dans les bases, le plus souvent sous-
pleurales. L’apparition d’un SDRA est plus rare, décrite généra-
lement après une chirurgie cardiopulmonaire. La présence d’iode
dans la molécule rend compte de la densité particulièrement élevée
des opacités au scanner (figure 2),qui permettra d’orienter le
diagnostic. Enfin, on peut observer une ou plusieurs masses sous-
Figure 1. Pneumopathie à l’amiodarone. Images alvéolaires denses bila-
térales sur le scanner sans injection.
Figure 2. Pneumopathie à l’amiodarone. Image dense localisée au seg-
ment postérieur du lobe supérieur droit sur le scanner sans injection.
La Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
26
pleurales, pouvant faire discuter un cancer ou un infarctus pulmo-
naire, ou, plus rarement, des nodules multiples. Enfin, un épan-
chement ou un épaississement pleural peut être associé.
En pratique, un patient suspect de pneumonie à l’amiodarone doit
avoir une imagerie thoracique détaillée, un LBA, des épreuves
fonctionnelles respiratoires et un test aux diurétiques. S’il existe
assez d’arguments pour retenir le diagnostic, l’amiodarone sera
interrompue. À l’arrêt du traitement, l’amélioration est progres-
sive en 1 à 3 mois du fait de la longue durée de vie de la molé-
cule. L’absence d’amélioration 2 mois après l’interruption du trai-
tement doit faire revoir le diagnostic. Une corticothérapie orale
(prednisone : 0,75 à 1 mg/kg/j) est indiquée s’il existe une
hypoxémie sévère. La corticothérapie permettrait de raccourcir
l’évolution. La mortalité des pneumopathies associées à l’amio-
darone est élevée, pouvant atteindre 20 à 30 % chez les patients
hospitalisés. Le pourcentage de patients répondant favorablement
à la corticothérapie est estimé à 85 % des cas. On peut observer
des récidives en cas d’interruption trop précoce du traitement
(27) ; celui-ci sera donc maintenu au minimum durant un an et
sa décroissance sera progressive. L’évolution vers une fibrose
pulmonaire irréversible et vers l’insuffisance respiratoire survient
chez 5 à 7 % des patients.
Compte tenu de la sévérité potentielle de la pneumonie liée à
l’amiodarone, elle doit être diagnostiquée le plus précocement
possible. Tout symptôme respiratoire persistant doit conduire à la
réalisation d’une radiographie pulmonaire chez les patients trai-
tés par amiodarone, surtout ceux à risque (utilisation de fortes doses,
pathologie respiratoire préexistante, sujet âgé).
PLEURÉSIES
L’atteinte pleurale d’origine médicamenteuse est relativement
rare, souvent liée à l’amiodarone, plus rarement à d’autres molé-
cules (tableau I). Elle entre parfois dans le cadre d’un lupus induit
par le médicament, et le liquide pleural a alors les caractéristiques
retrouvées dans le lupus (liquide exsudatif, prédominance lym-
phocytaire, glycopleurie normale ou basse, titre élevé d’anticorps
antinucléaires dans le liquide pleural).
Le principal diagnostic différentiel est l’épanchement d’origine
cardiaque. Le caractère exsudatif de l’épanchement ne permet
pas toujours de trancher entre les deux, car certains épanchements
anciens d’origine cardiaque peuvent devenir exsudatifs au cours
du temps. La présence d’éosinophiles dans le liquide pleural, bien
qu’elle ne soit pas spécifique, permettra parfois d’orienter le dia-
gnostic. La démarche diagnostique est la même que pour celle
d’une pneumopathie : toute pleurésie exsudative ne faisant pas
sa preuve doit faire rechercher (entre autres) une cause médica-
menteuse et interrompre la molécule incriminée si elle n’est pas
indispensable (28). La biopsie pleurale n’apporte pas d’élément
diagnostique décisif dans les pleurésies médicamenteuses.
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