Complications respiratoires des médicaments cardiovasculaires

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Complications respiratoires
des médicaments cardiovasculaires
Respiratory complications of cardiovascular agents
● C. Taillé, B. Crestani*
Points forts
■ Devant toute manifestation respiratoire nouvelle chez
un patient prenant un traitement à visée cardiovasculaire,
une origine médicamenteuse doit être systématiquement
évoquée, après avoir éliminé principalement une infection
et une décompensation cardiaque.
■ Un même médicament peut avoir des effets indésirables
pulmonaires variés : pneumopathie, toux, épanchement
pleural, etc.
■ Aucun élément radiologique, biologique ou histologique n’est spécifique d’une pneumopathie médicamenteuse. Seule une démarche rigoureuse, incluant une anamnèse bien reconstituée, permettra de retenir le diagnostic.
■ L’amiodarone, de par son métabolisme, est particulièrement toxique pour le poumon. Son utilisation doit être
prudente chez les sujets âgés et chez ceux dont la fonction respiratoire est altérée.
Mots-clés : Effet indésirable des médicaments - Bronchospasme - Toux - Toxicité pulmonaire - Amiodarone.
Keywords: Drug adverse event - Bronchospasm - Cough Lung toxicity - Amiodarone.
es médicaments cardiovasculaires, comme tous les
traitements, peuvent entraîner des manifestations
respiratoires variées et non spécifiques. Certaines
de ces manifestations sont classiques et bien connues, comme
la toux liée aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC)
L
* Service de pneumologie, hôpital Bichat, Paris.
22
ou le bronchospasme lié aux bêtabloquants, et l’arrêt du traitement en fait facilement à la fois le diagnostic et le traitement. Les atteintes médicamenteuses du parenchyme pulmonaire constituent un cadre nosologique plus complexe,
d’une part par la présentation clinico-radiologique variée
(pneumopathie interstitielle, pneumonie organisée, épanchements pleuraux, nodules, etc.), mais surtout parce que le diagnostic ne peut aboutir qu’au terme d’une démarche rigoureuse qui aura permis d’éliminer d’autres diagnostics.
L’apparition de symptômes respiratoires chez un insuffisant
cardiaque fait souvent évoquer en premier lieu une décompensation cardiaque (1). Cependant, la fréquence des effets
indésirables pulmonaires des médicaments cardiovasculaires
ne doit pas être méconnue.
TOUX
Les IEC sont les plus grands pourvoyeurs de toux iatrogénique.
Le mécanisme de cette toux est encore hypothétique, mais fait
probablement intervenir l’accumulation de bradykinines, médiateurs normalement dégradés par l’enzyme de conversion de l’angiotensine (2). La toux survient chez 10 à 30 % des patients traités, quelles que soient la molécule et la dose utilisées. Elle est
plus fréquente chez les sujets traités pour insuffisance cardiaque
que chez ceux traités pour hypertension artérielle (HTA) (3),
ainsi que chez les femmes et chez les sujets porteurs de certains
promoteurs du gène du récepteur de la bradykinine ß2 (4). Typiquement, la toux est sèche, quinteuse, sans dyspnée, ni expectoration ni fièvre, et s’installe entre une semaine et 6 mois après
l’instauration du traitement (5). Les explorations fonctionnelles
respiratoires (EFR) et la radiographie sont normales. À l’arrêt
du traitement, la toux disparaît en moins de deux semaines ; elle
réapparaît pratiquement toujours après réintroduction du traitement, même en cas de changement de molécule (6). Si le
traitement est maintenu, la toux peut parfois disparaître en 2 à
6 mois. Les différents traitements antitussifs sont généralement
peu efficaces. Les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine
induisent beaucoup moins de toux (3 à 4 % des patients) (7)
et peuvent être une alternative en cas de toux induite par les
IEC (6).
La Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
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ASTHME ET BRONCHOPNEUMOPATHIE
CHRONIQUE OBSTRUCTIVE (BPCO) :
PEUT-ON INTRODUIRE UN TRAITEMENT
BÊTABLOQUANT SANS RISQUER
UN BRONCHOSPASME ?
Divers mécanismes peuvent conduire à un bronchospasme induit
par un médicament :
– soit il entre dans le cadre d’une réaction anaphylactique, et il
s’agit alors d’un tableau aigu, souvent accompagné d’une hypotension, d’une éruption cutanée ou d’un angio-œdème : c’est le
cas de l’amiodarone ou des IEC (8) ;
– soit le bronchospasme est lié à une action pharmacologique
directe sur le muscle lisse bronchique, comme c’est le cas pour
les bêtabloquants. Les bêtabloquants inhibent l’action relaxante
des hormones adrénergiques sur le muscle lisse bronchique, qui
est médiée par les récepteurs ß2. L’effet bronchoconstricteur des
bêtabloquants existe quel que soit le mode d’administration du
médicament, y compris en collyre. Chez les sujets sains, les bêtabloquants peuvent entraîner des baisses significatives du volume
expiratoire maximal par seconde (VEMS), qui n’ont généralement pas de traduction clinique (9). Chez des sujets asthmatiques
ou ayant une BPCO, les bêtabloquants peuvent entraîner des
bronchospasmes sévères, parfois mortels (10).
Les bêtabloquants cardiosélectifs sont théoriquement plus sûrs,
car leur affinité pour les récepteurs ß2-adrénergiques est beaucoup plus faible, sans être nulle. Leur utilisation au long cours
n’entraîne qu’une diminution modeste du VEMS, sans majoration des symptômes ni modification du traitement habituel (9).
Cependant, l’innocuité du traitement n’a été démontrée que chez
des sujets ayant une maladie bronchique (asthme ou BPCO) peu
sévère (VEMS supérieur à 50 % de la théorique en moyenne) et
sur des durées d’utilisation assez courtes, inférieures à 4 semaines
(9). Compte tenu du bénéfice important apporté par les bêtabloquants, leur utilisation ne doit pas être contre-indiquée de manière
systématique en cas d’asthme ou de BPCO (11). On privilégiera
dans ce cas une molécule cardiosélective. On n’oubliera pas
cependant de mesurer la fonction respiratoire avant l’introduction du traitement et de la contrôler régulièrement. En revanche,
si l’asthme ou la BPCO sont sévères (VEMS inférieur à 50 % de
la théorique), l’utilisation d’un bêtabloquant, même cardiosélectif, doit être absolument évitée. Si l’indication du traitement
bêtabloquant est formelle, l’aténolol est habituellement utilisé,
sous couvert d’un traitement bronchodilatateur (5). Il faut rappeler que les bêtabloquants diminuent l’efficacité bronchodilatatrice des agonistes ß2-adrénergiques en cas de bronchospasme.
Il faudra alors utiliser un antagoniste cholinergique (8).
INTOLÉRANCE À L’ASPIRINE
ET CORONAROPATHIE : FAUT-IL
À TOUT PRIX DÉSENSIBILISER ?
La prévalence de l’intolérance à l’aspirine est estimée à 10 %
de la population générale (12). Elle se manifeste le plus souvent par un asthme, associé à une rhinite et à une polypose nasoLa Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
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sinusienne. Elle se traduit moins fréquemment uniquement par
un urticaire ou un angio-œdème. Ces manifestations sont dues
à l’inhibition de la cyclo-oxygénase 1 et à l’augmentation secondaire de la production des leucotriènes. Elles surviennent donc
dès la première exposition au médicament, sans nécessiter d’exposition préalable. L’intolérance à l’aspirine est associée à une
réaction croisée avec les autres anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), qui inhibent également la COX-1, mais pas avec
les nouveaux inhibiteurs de la COX-2. La désensibilisation (qui
consiste à prescrire des doses progressivement croissantes par
voie orale, sous surveillance médicale stricte) est efficace et
sûre si le diagnostic d’intolérance à l’aspirine est certain et la
maladie coronaire stable. Cependant, le bénéfice exact de la
désensibilisation par rapport à la poursuite d’autres régimes
antiagrégants reste à évaluer. Enfin, il existe peu de données
sur son innocuité chez les patients ayant une maladie coronaire instable ; on préfère dans ce cas d’autres régimes antiagrégants (12).
ATTEINTES PARENCHYMATEUSES :
TOUTE PNEUMOPATHIE QUI RESTE
SANS DIAGNOSTIC DOIT FAIRE ÉVOQUER
UNE ORIGINE MÉDICAMENTEUSE
Le parenchyme pulmonaire peut être la cible de la toxicité des
médicaments. Le diagnostic est rendu difficile par la variété et le
caractère non spécifique des tableaux radiocliniques, l’absence
de test biologique de diagnostic, l’absence de spécificité anatomopathologique. La présentation clinique est très variée, un
même médicament pouvant entraîner différents tableaux cliniques et un même tableau clinique pouvant être dû à différents
médicaments (tableau I). Parmi les médicaments cardiovasculaires, c’est l’amiodarone qui est le plus fréquemment incriminée, représentant près de 50 % des pneumopathies médicamenteuses dans certaines séries (13). La plupart des médicaments
connus pour avoir une toxicité sur le poumon sont répertoriés
sur le site Pneumotox, géré par P. Foucher et P. Camus à Dijon
(http://www.pneumotox.com).
Démarche diagnostique
Une toxicité pulmonaire médicamenteuse doit être soupçonnée
devant des tableaux cliniques très divers, résumés dans le
tableau I. La démarche diagnostique doit être menée par un pneumologue expérimenté et permettre d’apporter des réponses précises aux questions suivantes :
– La chronologie d’exposition est-elle compatible avec celle de
l’apparition des symptômes ?
– La présentation clinique, radiologique et histologique est-elle
compatible avec les observations déjà rapportées ?
– Y a-t-il un autre diagnostic (en particulier infection, cancer ou
décompensation cardiaque ) ?
– Les symptômes ont-ils régressé à l’arrêt du traitement incriminé ?
– Éventuellement, les symptômes sont-ils réapparus lors de la
reprise du traitement ?
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Tableau I. Principaux médicaments cardiovasculaires pouvant être
responsables d’une atteinte pulmonaire (d’après [21] et www.pneumotox.com).
Atteinte des voies aériennes
Toux
Bronchospasme
Atteinte alvéolaire
Œdème pulmonaire non
cardiogénique, SDRA
IEC, losartan, streptokinase
Bêtabloquants
Réaction anaphylactique : IEC,
bêtabloquants, vérapamil, amiodarone,
dipyridamole, losartan, propafénone,
streptokinase, lidocaïne,
aspirine
Inhibiteurs calciques, propranolol,
amiodarone, aspirine, fluvastatine,
héparine, protamine, lidocaïne,
streptokinase, diurétiques thiazidiques
logique qui soit spécifique des pneumopathies médicamenteuses.
La fibroscopie bronchique avec lavage bronchoalvéolaire (LBA)
est nécessaire à la démarche diagnostique. Elle est principalement
destinée à éliminer d’autres diagnostics, notamment l’infection et
le cancer. L’examen cytologique du LBA (dont la formule normale est rappelée dans le tableau II) est un point important pour
le diagnostic de pneumopathie médicamenteuse. Il n’y a pas de
cytologie alvéolaire spécifique d’une pneumopathie médicamenteuse. Même une formule alvéolaire normale ne permet pas d’exclure une pneumopathie médicamenteuse. La cytologie la plus
évocatrice est caractérisée par une accumulation anormale de lymphocytes, pouvant dépasser 60 %, avec un rapport CD4/CD8 diminué, inférieur à 1, souvent associée à une augmentation variable
des neutrophiles et des éosinophiles (14). Mais cet aspect est
inconstant. Ainsi, la pneumopathie secondaire à l’amiodarone peut
donner un lavage normal dans 20 % des cas, une alvéolite neutrophile et/ou éosinophile dans 25 % des cas, une alvéolite lymphocytaire isolée dans 20 % des cas ou une alvéolite panachée,
lymphocytaire et neutrophile, dans un tiers des cas (15), sans qu’il
y ait de différence en termes de pronostic.
Hémorragie alvéolaire
Amiodarone, anticoagulants,
anti-agrégants plaquettaires,
anti-GPIIb/IIIa, fibrinolytiques,
hydralazine, quinidine
Pneumopathie organisée
Amiodarone, acébutolol, hydralazine,
pravastatine, ticlopidine
Pneumopathie d’hypersensibilité
Bêtabloquants, inhibiteurs
de l’HMG-CoA réductase
Cellularité totale : 50 à 200 000 éléments/mm3, dont :
Pneumopathie interstitielle
subaiguë
Amiodarone, sartans, bêtabloquants,
IEC, amrinone, flécaïne, hydralazine,
thiazidiques, procaïnamide, simvastatine,
ticlopidine, tocaïnide
– macrophages
– lymphocytes
– polynucléaires neutrophiles
– polynucléaires éosinophiles
Syndrome éosinophilique
Amiodarone, IEC, propranolol, aspirine,
clofibrate, simvastatine,
hydrochlorothiazide, ticlopidine
Atteinte localisée nodulaire
Amiodarone, ticlopidine
Épanchement pleural
Bêtabloquants, amiodarone,
disopyramide, hydralazine, simvastatine,
captopril, procaïnamide, clonidine,
spironolactone
Hémothorax
Anticoagulants, ticlopidine
Lupus induit
Bêtabloquants, amiodarone, IEC,
clofibrate, clonidine, statines,
hydralazine, procaïnamide
Douleurs thoraciques
Statines
Éléments paracliniques du diagnostic
La radiographie de thorax, réalisée devant tout symptôme respiratoire persistant, sera complétée facilement en cas d’image
parenchymateuse anormale par un scanner thoracique. Parfois, la
radiographie est normale, mais le scanner met en évidence des
opacités en verre dépoli. Il précise les caractéristiques des anomalies (nodules, condensations, verre dépoli, fibrose, piégeage
expiratoire des bronchiolites, bronchectasies, etc.), leur localisation (périphérique, prédominance aux bases ou aux sommets,
etc.), le caractère diffus ou localisé, l’association à des épanchements pleuraux ou des adénopathies. Il n’y a aucun aspect radio24
Tableau II. Formule normale d’un lavage alvéolaire chez un patient
non fumeur (d’après [20]).
85-95 %
5-15 %
<3%
<1%
En cas de pneumopathie à l’amiodarone, la présence de macrophages spumeux (ayant accumulé dans leur cytoplasme des corps
lipidiques) ne signe que l’absorption de la molécule, et ne doit
pas être considérée comme un marqueur de surdosage ou de toxicité pulmonaire (16). À l’inverse, l’absence de ces corps lipidiques rend peu probable une toxicité pulmonaire de l’amiodarone.
Le LBA peut d’emblée orienter le diagnostic lorsqu’il retrouve
une alvéolite éosinophile prédominante, très évocatrice de pneumopathie médicamenteuse induite par les IEC (17) ou par l’aspirine (18). Un aspect d’hémorragie alvéolaire, caractérisé par
un LBA macroscopiquement sanglant ou par la présence de plus
de 30 % de sidérophages (avec un score de Golde > 100), est plus
difficile à interpréter. En effet, l’œdème pulmonaire cardiogénique est la première cause d’hémorragie intra-alvéolaire. Mais
l’amiodarone, les anticoagulants, les fibrinolytiques et les antiGPIIb/IIIa (19) peuvent être responsables d’hémorragies intraalvéolaires (20).
Enfin, si l’ensemble des éléments déjà évoqués ne permet pas de
conclure de manière certaine à un diagnostic, on discutera une
biopsie pulmonaire chirurgicale. Comme la cytologie, l’histologie n’est pas spécifique d’une toxicité médicamenteuse. Elle permettra d’exclure d’autres diagnostics et renforcera la probabilité
d’une toxicité médicamenteuse si l’aspect histologique est compatible avec un aspect déjà rapporté : aspect de pneumopathie
lymphocytaire interstitielle observé avec l’amiodarone, les bêtabloquants et les IEC, aspect de dommage alvéolaire diffus de la
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streptokinase, de l’amiodarone, pneumopathie à éosinophiles du
captopril et du propranolol (21), pneumopathie interstitielle non
spécifique des statines (22), etc.
Détresses respiratoires aiguës d’origine médicamenteuse
Certaines pneumopathies médicamenteuses peuvent se manifester de manière suraiguë par un œdème pulmonaire non cardiogénique qui peut aller jusqu’au syndrome de détresse respiratoire
aiguë (SDRA). Ces œdèmes surviennent indépendamment de la
dose et de la durée d’utilisation du médicament ; ils récidivent à
la réintroduction du traitement. Leur mécanisme n’est pas clair.
Le tableau clinique est peu spécifique, associant dyspnée rapidement croissante, polypnée, hypoxémie, fièvre parfois et
troubles digestifs dans le cas des œdèmes pulmonaires dus aux
diurétiques thiazidiques. La radiographie de thorax retrouve des
opacités alvéolo-interstitielles diffuses. S’il existe une insuffisance cardiaque sous-jacente, une part d’œdème cardiogénique
peut égarer le diagnostic. Les diagnostics différentiels principaux
sont l’infection et l’hémorragie alvéolaire. La prise en charge, en
dehors de l’arrêt des médicaments suspects, est avant tout symptomatique (oxygène fort débit, éventuellement ventilation mécanique, test aux diurétiques). Les corticoïdes sont souvent prescrits, mais sans preuve réelle de leur efficacité, sauf dans le cas
de l’amiodarone.
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peut être observée en même temps. La radiographie de thorax
montre des images alvéolaires, interstitielles ou mixtes, le plus
souvent asymétriques (figure 1). La biologie est peu spécifique et
associe élévation de la vitesse de sédimentation (VS), hyperleucocytose et augmentation modérée des LDH. Dans les deux autres
tiers, la maladie a une présentation suraiguë, et la radiographie
montre alors des opacités bilatérales en mottes ou plus diffuses,
denses, prédominant parfois dans les bases, le plus souvent souspleurales. L’apparition d’un SDRA est plus rare, décrite généralement après une chirurgie cardiopulmonaire. La présence d’iode
dans la molécule rend compte de la densité particulièrement élevée
des opacités au scanner (figure 2), qui permettra d’orienter le
diagnostic. Enfin, on peut observer une ou plusieurs masses sous-
Cas de l’amiodarone
L’amiodarone a une toxicité pulmonaire très particulière, liée à
son métabolisme et à son tropisme particulier pour certains tissus, qui survient en dehors de tout surdosage. La molécule et son
dérivé principal, la déséthylamiodarone, s’accumulent préférentiellement dans le tissu pulmonaire (concentrations pulmonaires
de 10 à 1 000 fois supérieures aux concentrations sériques), tout
comme dans le foie, la peau, la thyroïde ou la cornée, qui sont des
organes où l’on peut observer ses effets indésirables les plus fréquents. L’amiodarone inhibe la dégradation des phospholipides
par les phospholipases lysosomales, ce qui entraîne leur accumulation dans les lysosomes et l’apparition de macrophages spumeux
dans les poumons des patients traités au long cours (23). En outre,
l’amiodarone a une demie-vie prolongée (40 à 60 jours).
La pneumopathie liée à l’amiodarone se développe en moyenne
dans la première année de traitement, mais peut apparaître
quelques jours après une dose de charge ou, à l’inverse, après
plusieurs années de traitement. La fréquence de la pneumopathie
induite par l’amiodarone est mal connue : elle est estimée à 0,1 %
chez les sujets recevant une dose faible (200 mg/j) et peut
atteindre 50 % chez ceux recevant des doses plus élevées (24).
Elle est favorisée par l’exposition aiguë à de fortes concentrations d’oxygène, par exemple à l’occasion d’une anesthésie générale, ce qui suggère un rôle de l’agression oxydante dans sa physiopathologie. Elle survient plus fréquemment chez les hommes,
souvent âgés de plus de 40 ans. Une pathologie pulmonaire préexistante augmenterait le risque de développer une pneumopathie symptomatique (25), mais cela est discuté (26).
Dans un tiers des cas, la pneumopathie à l’amiodarone se manifeste par une dyspnée qui s’installe sur plusieurs semaines, une
toux sèche, des douleurs de type pleural. Une autre complication
liée au traitement par l’amiodarone, hépatique ou thyroïdienne,
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Figure 1. Pneumopathie à l’amiodarone. Images alvéolaires denses bilatérales sur le scanner sans injection.
Figure 2. Pneumopathie à l’amiodarone. Image dense localisée au segment postérieur du lobe supérieur droit sur le scanner sans injection.
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pleurales, pouvant faire discuter un cancer ou un infarctus pulmonaire, ou, plus rarement, des nodules multiples. Enfin, un épanchement ou un épaississement pleural peut être associé.
En pratique, un patient suspect de pneumonie à l’amiodarone doit
avoir une imagerie thoracique détaillée, un LBA, des épreuves
fonctionnelles respiratoires et un test aux diurétiques. S’il existe
assez d’arguments pour retenir le diagnostic, l’amiodarone sera
interrompue. À l’arrêt du traitement, l’amélioration est progressive en 1 à 3 mois du fait de la longue durée de vie de la molécule. L’absence d’amélioration 2 mois après l’interruption du traitement doit faire revoir le diagnostic. Une corticothérapie orale
(prednisone : 0,75 à 1 mg/kg/j) est indiquée s’il existe une
hypoxémie sévère. La corticothérapie permettrait de raccourcir
l’évolution. La mortalité des pneumopathies associées à l’amiodarone est élevée, pouvant atteindre 20 à 30 % chez les patients
hospitalisés. Le pourcentage de patients répondant favorablement
à la corticothérapie est estimé à 85 % des cas. On peut observer
des récidives en cas d’interruption trop précoce du traitement
(27) ; celui-ci sera donc maintenu au minimum durant un an et
sa décroissance sera progressive. L’évolution vers une fibrose
pulmonaire irréversible et vers l’insuffisance respiratoire survient
chez 5 à 7 % des patients.
Compte tenu de la sévérité potentielle de la pneumonie liée à
l’amiodarone, elle doit être diagnostiquée le plus précocement
possible. Tout symptôme respiratoire persistant doit conduire à la
réalisation d’une radiographie pulmonaire chez les patients traités par amiodarone, surtout ceux à risque (utilisation de fortes doses,
pathologie respiratoire préexistante, sujet âgé).
PLEURÉSIES
L’atteinte pleurale d’origine médicamenteuse est relativement
rare, souvent liée à l’amiodarone, plus rarement à d’autres molécules (tableau I). Elle entre parfois dans le cadre d’un lupus induit
par le médicament, et le liquide pleural a alors les caractéristiques
retrouvées dans le lupus (liquide exsudatif, prédominance lymphocytaire, glycopleurie normale ou basse, titre élevé d’anticorps
antinucléaires dans le liquide pleural).
Le principal diagnostic différentiel est l’épanchement d’origine
cardiaque. Le caractère exsudatif de l’épanchement ne permet
pas toujours de trancher entre les deux, car certains épanchements
anciens d’origine cardiaque peuvent devenir exsudatifs au cours
du temps. La présence d’éosinophiles dans le liquide pleural, bien
qu’elle ne soit pas spécifique, permettra parfois d’orienter le diagnostic. La démarche diagnostique est la même que pour celle
d’une pneumopathie : toute pleurésie exsudative ne faisant pas
sa preuve doit faire rechercher (entre autres) une cause médicamenteuse et interrompre la molécule incriminée si elle n’est pas
indispensable (28). La biopsie pleurale n’apporte pas d’élément
diagnostique décisif dans les pleurésies médicamenteuses.
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La Lettre du Cardiologue - n° 391 - janvier 2006
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