4/ Mimer le vivant pour piéger les radionucléides

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Mimer le vivant pour piéger les radionucléides
Utilisés ou produits par les centrales électronucléaires, les actinides sont des radionucléides
sans aucune fonction biologique connue et sont toxiques à la fois par leurs propriétés
chimiques et radiologiques. C’est pourquoi les chimistes élaborent des molécules pour
les piéger à l’intérieur de l’organisme et limiter ainsi leur toxicité en cas de contamination
suite à une exposition accidentelle. Une des approches utilisées pour éliminer les actinides
de l’organisme repose sur des peptides mimant le vivant.
© M. AGLIOLO/BSIP
les auteurs
Pascale Delangle* et
Catherine Berthomieu**
es peptides sont des molécules qui ressemblent aux
protéines présentes dans
les organismes vivants. Ils sont
constitués des mêmes briques élémentaires – les acides aminés –,
liés entre eux par des liaisons
amides primaires, dites « peptidiques » (figure p. 40). Il existe
20 acides aminés naturels, qui
diffèrent par la nature de leur
chaîne latérale. Ces acides aminés
donnent naissance à de très nombreuses combinaisons, caractérisées par la grande variété de
protéines du vivant. En général,
on considère que les peptides
possèdent moins de 70 à 80 acides
aminés quand les protéines peuvent être beaucoup plus longues.
La présence de liaisons peptidiques
dans les peptides et les protéines
impose des structures tridimensionnelles particulières, maintenues par de nombreuses liaisons
hydrogène. Les plus communes
sont les structures en hélice α et
en feuillet β, mais il existe aussi
des structures aléatoires sans réelle
organisation tridimensionnelle.
L
Les peptides sont très utilisés en
chimie médicinale car ils présentent de nombreux avantages pour
des utilisations in vivo par rapport
aux molécules purement synthétiques. Comme les protéines, ils
sont solubles dans les fluides
biologiques et leur dégradation
conduit à des acides aminés biocompatibles, ce qui limite leur
toxicité. Des peptides aux séquences bien choisies peuvent
mimer la structure des protéines
et donc reproduire des interactions
moléculaires essentielles dans le
vivant, entre deux protéines ou
entre des protéines et l’ADN par
exemple. Mimer ces interactions
permet non seulement d’étudier
les mécanismes du vivant mais
aussi de bloquer certaines réactions biologiques indésirables,
un point crucial pour qui veut
mettre au point des médicaments
inhibant ces réactions.
Les peptides peuvent également
piéger – ou chélater – des ions
métalliques. À ce titre, ils sont
donc des candidats intéressants
pour mettre au point des molé-
cules visant à éliminer des métaux
toxiques de l’organisme. Ces composés modèles sont également des
outils très utiles pour étudier les
interactions des métaux avec les
protéines, interactions qui sont à
l’origine de nombreux processus
biologiques vitaux ou néfastes.
* Laboratoire de Reconnaissance ionique
et de chimie de coordination,
Université Joseph Fourier - Grenoble 1,
CEA, Institut Nanoscience et Cryogénie,
SCIB, UMR-E3,
Grenoble
** Laboratoire des Interactions
protéine métal (LIPM),
CEA-Cadarache,
UMR7265 CNRS, CEA,
Aix-Marseille Université,
Saint-Paul-lez-Durance
PIÈGES À MÉTAUX
De nombreux ions métalliques
essentiels sont efficacement piégés
ou chélatés dans des sites bien
définis de protéines (1). Certains
interviennent ainsi directement
dans des réactions chimiques ou
biologiques nécessaires à la vie,
à l’instar du fer de l’hémoglobine
sur lequel se fixe l’oxygène lors
du processus de respiration, quand
d’autres sont nécessaires pour
imposer des structures particulières aux protéines, comme les
doigts de zinc. Tout métal, même
essentiel, peut néanmoins s’avérer toxique si sa concentration
excède les valeurs physiologiques.
La concentration cellulaire en
métaux est donc finement régulée
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Liaison peptidique plane
Les acides aminés, briques
élémentaires des peptides
et protéines, peuvent être
classés en fonction
de leur capacité à lier
les métaux.
>
peptides - protéines
20 briques élémentaires
les acides aminés
dipeptide
Chaîne latérale R
ne liant pas les métaux
liant les métaux
Chaînes R « molles »
Acides aminés aliphatiques
glycine (Gly)
alanine (Ala)
Chaînes R « intermédiaires »
Acides aminés aromatiques
cystéine (Cys)
phénylalanine (Phe)
valine (Val)
histidine (His)
méthionine (Met)
Cu+, Ag+, Hg2+
Fe2+, Co2+, Ni2+, Cu2+, Zn2+
leucine (Leu)
thryptophane (Trp)
Chaînes R « dures »
isoleucine (IIe)
Un acide aminé cyclique
acide aspartique (Asp)
acide glutamique (Glu)
glutamine (Gln)
lysine (Lys)
asparagine (Asn)
Acides aminés polaires
sérine (Ser)
thréonine (Thr)
tyrosine (Tyr)
arginine (Arg)
afin d’éviter toute carence mais
aussi toute surcharge qui deviendrait toxique pour l’organisme. Ce
processus d’« homéostasie » fait
intervenir des protéines de transport et de stockage qui permettent
de contrôler les concentrations en
ions métalliques dans l’organisme.
Certains acides aminés possèdent
des fonctions chimiques induisant
des interactions fortes avec les métaux qui peuvent être décrites et
prédites par la théorie des acides
et bases durs et mous proposée
par le chimiste américain Ralph
Pearson en 1963 (2). Dans cette
théorie, les ions métalliques sont
classés dans trois catégories selon
leurs affinités pour des atomes
donneurs définis. De petits ions
possédant un nombre élevé de
charges positives comme le calcium (Ca 2+) sont ainsi appelés
« durs » parce qu’ils possèdent une
charge très concentrée sur l’ion.
Par opposition, des ions métalliques avec un rayon ionique élevé
et une faible charge comme le mercure (Hg2+) sont appelés « mous » car
leur charge est beaucoup plus diffuse. Il existe également des ions
métalliques intermédiaires, comme
le zinc (Zn2+), qui se comportent
à la fois comme des ions durs et
des ions mous. Certains éléments
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Na+, K+, Mg2+, Ca2+, Co3+, Fe3+
Actinides
comme le cuivre donnent des ions
qui peuvent être classés comme
mou (Cu+) ou comme intermédiaire (Cu2+). Les propriétés d’un
ion métallique, notamment les
interactions qu’il établit avec son
environnement, étant très dépendantes de sa nature dure, molle
ou intermédiaire, il est crucial de
connaître son degré d’oxydation
– sa charge – pour prédire les
interactions privilégiées de cet
élément. Les ions métalliques,
chargés positivement donc plutôt
déficitaires en électrons, ont
tendance à s’entourer d’atomes
donneurs (bases) plutôt riches en
électrons (O, N, S…).
Globalement, les acides durs
interagissent préférentiellement
avec des bases dures en formant
des liaisons électrostatiques,
tandis que les ions mous ont une
plus grande affinité pour les bases
molles avec lesquelles ils forment
des liaisons covalentes. Une classification similaire a été établie
pour les bases ce qui permet de
prédire les interactions les plus
favorables entre ions métalliques
et atomes donneurs (3). Les protéines interagissent avec les ions
métalliques majoritairement par
les chaînes latérales des acides
aminés de leur séquence. Les
acides aminés complexant les ions
métalliques peuvent ainsi être
classés en fonction de leur caractère dur, mou ou intermédiaire
(figure ci-dessus). Les ions alcalins
(Na+, K+) et alcalino-terreux (Ca2+,
Mg2+), très abondants dans l’organisme, sont en général liés à des
atomes d’oxygène durs appartenant aux fonctions carboxylates
des résidus aspartate et glutamate,
ou à des fonctions phénolates
des résidus tyrosine, tout comme
l’ion ferrique (Fe3+). De même,
les ions essentiels intermédiaires
Fe2+ et Cu2+ sont couramment liés
aux atomes d’azote des résidus
histidine. Enfin, des ions mous
comme Cu+ ou l’ion toxique Hg2+
sont très fortement associés aux
acides aminés portant des atomes
de soufre comme la cystéine et
la méthionine, connues pour leur
caractère mou. Le vivant a ainsi
mis au point un système naturel
de détoxification à travers les
métallothionéines, de petites
protéines dédiées à la protection
des cellules contre les métaux
toxiques qui contiennent de
nombreuses cystéines destinées à séquestrer efficacement
le Cu+ en excès ainsi que le Hg2+
ou le cadmium (Cd 2+ ) en cas
d’intoxication.
© DR
proline (Pro)
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DES PEPTIDES
MIMÉTIQUES
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Hg2+
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La structure adoptée par les sites
métalliques dans les protéines
permet d’ajuster très finement les
propriétés du métal, grâce à des
interactions directes entre celui-ci
et le ligand mais aussi à des
liaisons plus lointaines, de type
hydrogène ou électrostatique.
Les métalloprotéines catalysent
ainsi de très nombreuses réactions
chimiques spécifiques en utilisant
un petit nombre de métaux essentiels. La dynamique des protéines
comme la maîtrise de l’accessibilité du solvant sont également des
facteurs qui contrôlent l’affinité
des sites pour le métal et leur réactivité. Les protéines sont donc une
source inépuisable d’inspiration
pour la mise au point de composés piégeant les ions métalliques.
Chimistes et biochimistes ont, en
particulier, reproduit les sites de
chélation des ions essentiels dans
des peptides, plus simples que les
protéines, à la fois pour étudier
les mécanismes biologiques liés
à la présence des métaux et obtenir des chélateurs efficaces de
ces ions pour des applications
thérapeutiques.
Le Service de chimie inorganique
et biologique (SCIB) du CEA, à
Grenoble, a développé des peptides
modélisant la boucle de liaison du
cuivre présente dans des transporteurs de ce métal, afin d’étudier
la sélectivité de ces motifs visà-vis des métaux essentiels et
toxiques. Ces transporteurs lient
le cuivre au degré d’oxydation
+I (Cu+) au sein des cellules grâce
à deux cystéines portant des
chaînes latérales soufrées – Cu+
est un ion mou. Un paramètre
important pour décrire l’interaction métal-ligand est la constante
d’affinité K de la réaction entre
ces deux partenaires. Plus cette
constante est élevée, plus l’équi-
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libre est déplacé vers la formation du complexe métal-peptide
et plus la concentration résiduelle en métal libre est faible.
Il s’avère que ces peptides modèles complexent très efficacement
leur métal cible (KCu+ ~
~ 1017) par
rapport à d’autres métaux endogènes abondamment présents
dans les cellules comme le zinc
(KZn2+ ~
~ 107) (4,5). Ces propriétés de
chélation ont donc conduit à
envisager l’utilisation de tels
peptides puis de pseudopeptides
plus riches en cystéines pour la
détoxification du cuivre chez les
patients atteints de la maladie
de Wilson, pathologie génétique
rare conduisant à une surcharge
en cuivre dans le foie (6). La fonctionnalisation de ces peptides
par des unités glucidiques permet leur internalisation dans
les hépatocytes et la chélation du
cuivre en excès au niveau intracellulaire (7,8). Ces dérivés peptidiques sont actuellement considérés comme des candidats
médicament novateurs pour
traiter la maladie.
ET LES ACTINIDES ?
Les actinides n’ont aucun rôle
in vivo. La plupart de ces éléments
ne sont pas naturels et ne participent donc à aucune fonction
biologique. Ils sont, en revanche,
toxiques en cas d’inhalation, d’ingestion ou d’absorption et possèdent une toxicité à la fois chimique et radiologique. Afin de
prédire et de mimer leurs interactions avec le vivant, il faut d’abord
s’intéresser à leur forme chimique
in vivo. Les radionucléides comme
le plutonium et l’américium sont
présents dans les milieux biologiques, respectivement au degré
d’oxydation IV et III, sous la forme
des cations Pu4+ et Am3+, fortement
chargés et sphériques. L’uranium
est, lui, présent à son degré d’oxydation le plus élevé VI, sous forme
de dioxo cation uranyle (UO22+),
une espèce chimique en forme de
bâtonnet qui ne présente pas les
mêmes géométries de coordination que Pu4+ et Am3+. L’encombrement stérique dû aux deux
atomes d’oxygène impose, en
effet, des liaisons avec les ligands
dans le plan équatorial de l’uranyle, perpendiculairement à l’axe
O=U=O. À l’inverse, les liaisons
avec Pu4+ et Am3+ se répartissent
sphériquement dans l’espace en
minimisant l’encombrement entre
les différents ligands (figure cidessous). Malgré ces différences,
les actinides, dans leur ensemble,
sont considérés comme des ions
durs et établissent donc préférentiellement des liaisons avec des
ligands durs oxygénés. Il n’existe
pas de site de liaison spécifique
de ces éléments naturellement
présents dans les protéines. Cependant, les cations actinides se lient
dans les sites connus des ions
essentiels durs comme le Fe3+. Par
exemple, in vitro, UO22+ se lie à
l’apotransferrine à la place de Fe3+.
La coordination de l’ion UO22+
est alors assurée par des ligands
purement oxygénés provenant
notamment de chaînes latérales
carboxylates (acide aspartique) et
phénolates (tyrosine), alors que
dans le cas de Fe3+, un ligand
azoté imidazole (histidine) est
également impliqué dans la sphère
de coordination du cation (9).
Il a par ailleurs été montré que
les ions actinides se lient aux sites
à calcium dans des protéines
comme la calmoduline, présente
dans la signalisation calcique de
toutes les cellules eucaryotes, ou
la protéine C Reactive, synthétisée notamment dans le foie,
qui intervient dans les processus
immunitaires (10), ainsi qu’à des
protéines fortement phosphorylées
Géométrie de coordination
de quelques ions actinides
Caractère dur (en rouge),
mou (en bleu) ou intermédiaire (en jaune) des acides
aminés.
© DR
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comme l’ostéopontine, qui participe à l’homéostasie osseuse (11).
Ces ions durs présentent, en effet,
des affinités très élevées pour
l’oxygène des groupes phosphoryles (P=O), une fonction présente
in vivo dans des protéines lorsque
les acides aminés portant des
alcools comme la sérine, la thréonine ou la tyrosine sont phosphorylés pour donner des chaînes
latérales phosphates (-OP(O)(OH)2)
à forte affinité pour les ions durs
comme les actinides.
PIÉGER L’URANYLE
AVEC DES MIMES DE
PROTÉINES À CALCIUM…
(1) Holm RH et al. (1996)
Chem Rev 96, 2239-314
(2) Pearson RG (1963)
J Am Chem Soc 85, 3533-9
(3) Pearson RG, Songstad J (1967)
J Am Chem Soc 89, 1827-36
(4) Rousselot-Pailley P et al. (2006)
Inorg Chem 45, 5510-20
(5) Sénèque O et al. (2004)
Chem Commun (7), 770-1
(6) Delangle P, Mintz E (2012)
Dalton Trans 41, 6359-70
(7) Pujol AM et al. (2012)
Angew Chem Int Ed 51, 7445-8
(8) Pujol AM et al. (2011)
J Am Chem Soc 133, 286-96
(9) Vidaud C et al. (2007)
Biochemistry 46, 2215-226
(10) Pible O et al. (2010)
Protein Science 19, 2219-30
(11) Qi et al. (2014) Metallomics 6, 166-76
(12) Le Clainche L, Vita C (2006)
Environ Chem Let 4, 45-9
(13) Pardoux R et al. (2012) PLoS ONE 7(8), e41922
(14) Boturyn D et al. (2008)
J Peptide Sci 14, 224-40
(15) Bonnet CS et al. (2009)
Chem Eur J 15, 7083-93
42 > BIOFUTUR 353 • AVRIL 2014
La calmoduline est une protéine
qui lie quatre cations Ca2+ dans
quatre sites structurés par un motif
hélice-boucle-hélice (HBH), très répandu dans les protéines. La boucle
de 12 acides aminés contient l’ensemble des ligands oxygénés du
calcium, inséré dans une structure
bipyramidale à base pentagonale.
L’affinité des sites HBH pour le
calcium est assez faible (K ~
~ 106)
mais suffisante pour permettre de
chélater le calcium lorsque sa
concentration intracellulaire atteint
une valeur micromolaire. L’interaction calmoduline-calcium engendre un changement de conformation
de la protéine qui déclenche son
interaction avec un grand nombre
de protéines cibles. La calmoduline
intervient ainsi dans la régulation
de nombreuses activités physiologiques en réponse à la concentration intracellulaire en Ca2+.
Une première approche pour
mettre au point un site de fixation
de l’uranyle consiste à synthétiser
des peptides dérivés du motif HBH
de la calmoduline en modifiant la
séquence de sa boucle. Elle a permis d’obtenir des peptides présentant une affinité équivalente
pour l’uranyle (K ~
~ 106), tout en
diminuant celle observée pour le
calcium (12). Le Laboratoire des
interactions protéine métal du
CEA, à Cadarache, poursuit cette
démarche en utilisant l’ensemble
du domaine N-terminal de la
calmoduline, qui contient deux
sites de fixation du calcium – et
77 acides aminés –, comme base
structurée pour optimiser la fixation d’actinides, notamment de
l’uranyle, en combinant la substitution des acides aminés et la
phosphorylation. L’objectif est de
bénéficier de l’apport des inter-
actions à plus longue distance et
des aspects de dynamique des
hélices du motif pour accroître
l’affinité et la spécificité des sites
de fixation pour l’uranyle. Ces
variantes du domaine N-terminal
de la calmoduline, dessinées par
biologie moléculaire, sont produites en grande quantité « à
la demande » par la bactérie
Escherichia coli, puis purifiées.
L’interaction avec les ions Ca2+ ou
l’uranyle peut être suivie grâce à
l’introduction d’un acide aminé
aromatique luminescent dans la
boucle du motif HBH. Ce dispositif a permis d’obtenir des peptides
qui fixent l’uranyle avec de
meilleures affinités (K~
~109). En
phosphorylant une thréonine de
la boucle, donc en introduisant
un ligand phosphoryle, on obtient
des peptides qui fixent l’uranyle
avec des constantes d’affinité de
l’ordre de 1010 (13). Approches
expérimentales et modélisation
sont actuellement combinées
pour accroître l’affinité et la sélectivité des architectures protéiques
chélatantes, et piéger de façon
sélective les actinides.
… ET DES PEPTIDES
SYNTHÉTIQUES
Une seconde approche, développée au SCIB, utilise des peptides synthétiques de faible taille
– 10 acides aminés – obtenus par
synthèse chimique sur support
solide. Ces séquences ne sont pas
directement inspirées de sites métalliques existant dans des protéines
mais sont mises au point afin
d’imposer une structure tridimensionnelle optimale pour piéger les
métaux, en prédisposant les chaînes
latérales d’acides aminés appropriés dans l’espace. Des cyclodécapeptides comportant deux
enchaînements Proline-Glycine,
qui favorisent la formation de
coudes, induisent ainsi des structures planes dîtes en feuillet β (14).
Ces plateformes peptidiques préorientent avantageusement quatre
chaînes latérales d’acides aminés
dans la même direction de l’espace pour chélater un ion métallique (15). Cette structure est particulièrement adaptée à la chélation
de l’uranyle, qui est préférentiellement lié par quatre à six ligands
oxygénés dans son plan équatorial. L’aspartate et le glutamate,
durs et chargés négativement,
présentent les affinités les plus
élevées pour les ions actinides
et ont donc été placés dans la
séquence, dans des positions qui
permettent d’optimiser les interactions entre les donneurs oxygénés et le cation uranyle en faisant converger les quatre groupes
carboxylate d es chaînes latérales
de ces acides aminés vers le plan
équatorial de l’uranyle. Un résidu
tryptophane luminescent est également inséré dans la séquence
afin de rendre visible l’interaction
avec l’ion métallique.
La parfaite adaptation de ces
motifs peptidiques à la chélation
de l’uranyle a été démontrée par
des études spectroscopiques. Un
unique complexe se forme, dans
lequel l’ion uranyle est coordonné
par les quatre fonctions carboxylates du glutamate ou de l’aspartate. Structuré en feuillet β, il
démontre une stabilité similaire
aux sites préstructurés pour le calcium de la calmoduline (K ~
~109).
À l’inverse, des séquences peptidiques similaires mais linéaires
piègent l’uranyle avec des affinités moindres. Comme pour
les composés issus de la calmoduline, l’introduction d’acides
aminés phosphorés comme la
phosphosérine exacerbe les affinités pour l’uranyle et permet
d’atteindre des affinités supérieures à 1010.
VERS DES PEPTIDES
POUR DÉTOXIFIER
LES ACTINIDES
L’optimisation de peptides pour
la fixation de l’uranyle, soit en
s’inspirant des sites à calcium de
la calmoduline, soit en construisant de novo des séquences permettant de préorganiser le site de
liaison, ont permis d’atteindre des
affinités significatives vis-à-vis
de l’uranyle. L’insertion d’acides
aminés phosphorés s’avère très
prometteuse pour obtenir des
ligands peptidiques d’affinités
encore plus élevées pour l’uranyle
mais aussi pour d’autres actinides,
comme le plutonium et l’américium. Même si des optimisations
sont encore nécessaires, ces peptides sont très prometteurs pour
la détoxification des actinides,
en cas de contaminations internes
accidentelles chez des travailleurs
du secteur nucléaire ou suite à
une dispersion dans l’environnement liée à une catastrophe
nucléaire. I
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