Comment la moule s'accroche à son rocher Les filaments grâce auxquels les moules s'accrochent aux rochers livrent leur secret : un arrangement particulier de complexes protéiques et ferriques les rend durs et flexibles à la fois. Bénédicte Salthun-Lassalle Les moules sont solidement accrochées à leur rocher grâce à un ensemble de filaments à la fois résistants et élastiques, le byssus. Les physico-chimistes tentent de reproduire ces propriétés mécaniques intéressantes. Matthew Harrington, de l'Institut Max Planck en Allemagne, et ses collègues viennent de comprendre d'où elles proviennent. Le byssus est formé de 50 à 100 filaments très fins produits à partir d'un précurseur protéique – une molécule qui donnera une protéine – secrété par la moule. Les filaments sont regroupés par paquets et enfermés dans une cuticule de deux à cinq micromètres d'épaisseur, elle aussi fabriquée par la moule. Cette cuticule est à la fois dure et extensible. On sait qu'elle est constituée d'une seule protéine, nommée mfp-1 (pour Mussel foot protein 1) et de composants inorganiques tels que des ions ferriques et calciques. Cette protéine existe en deux versions, selon qu'elle possède un ou deux acides aminés dopa (3,4-dihydroxyphenylalanine). Cet acide aminé peut former des complexes stables avec les ions ferriques. On soupçonnait qu'une telle association pouvait expliquer la résistance de la cuticule, restait à le prouver. Les chercheurs ont exploité une technique d'imagerie à haute résolution nommée spectroscopie confocale Raman pour observer l'organisation des acides aminés dopa et des ions dans la cuticule. Ils ont confirmé que cette cuticule est riche en acides aminés dopa et en ions ferriques, qui forment des complexes. Ils ont aussi déterminé la structure spatiale de la cuticule : elle n'est pas homogène, des inclusions plus denses étant noyées dans une matrice plus lâche. Ces inclusions sont riches en complexes d'acides aminés dopa et de fer, contrairement à la matrice protéique. Le fer forme des liaisons avec les acides aminés dopa des protéines et joue le rôle d'un nœud dans un filet de protéines. Quand la densité des nœuds est importante, les mailles du filet sont très serrées, et la cuticule est alors très résistante : elle se déforme peu et résiste aux chocs (comme une cotte de maille). Dans la matrice, en revanche, la densité de complexes fer-dopa est plus faible, si bien que les mailles du filet de protéines sont plus lâches et se déforment facilement. En d'autres termes, les inclusions riches en complexes renforcent la matrice élastique. La présence de ces complexes et leur répartition contribuent à obtenir un matériau aux propriétés physiques originales.