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La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no254 - juin 2000
molécule. Le mécanisme de toxicité de la D-pénicillamine est
inconnu. Nous pouvons supposer que son impact (toxicité)
s’exerce sur le neuroépithélium olfactif.
En effet, sous la membrane basale de cet épithélium olfactif
se trouve un réseau riche en fibres élastiques et collagènes.
Or il est bien établi sur le plan pharmacologique que la
D-pénicillamine se fixe sélectivement sur ces structures
(propriété qui est à la base de son effet thérapeutique). L’ac-
cumulation de la D-pénicillamine au niveau du chorion
pourrait donc entraîner des modifications du mucus et/ou
perturber la transduction de l’influx nerveux. Ces réflexions
restent hypothétiques en l’absence d’une expérimentation
au laboratoire.
TROUBLES DE L’ODORAT
ET TOXICITÉ PHARMACOLOGIQUE
Les dysosmies d’origine médicamenteuse doivent être reconnues,
car elles peuvent aboutir à une régression du trouble à l’arrêt du
traitement, permettant un confort de vie et parfois une réadapta-
tion sociale (professionnels de l’odorat : industrie du parfum, cui-
sinier, dégustateur).
La démarche diagnostique comporte trois étapes :
1. Reconnaître ce trouble (dysosmie).
2. Éliminer les autres étiologies (plus fréquentes).
3. Établir l’imputabilité de l’agent pharmacologique en cause.
1. Reconnaître le trouble : anosmie isolée ou associée à une
dysgueusie.
Le trouble constitue généralement le motif de la consultation.
S’agissant d’un trouble sensoriel, son vécu par le patient est émi-
nemment variable et dépend notamment du niveau socioculturel
ou d’éventuelles implications professionnelles. L’examen cli-
nique permet de conforter la plainte initiale du patient. Les moda-
lités de l’examen de l’olfaction sont variables : méthode des
mouillettes, procédés électrophysiologiques (potentiels évoqués
olfactifs). En pratique, ce “testing” repose sur une évaluation
quantitative en utilisant trois concentrations de phényl-éthyl-
alcool (6).
2. Éliminer les autres étiologies
L’anamnèse permet de faire le point sur les antécédents
médicaux : infection grippale, allergie nasosinusienne, affection
métabolique (diabète), endocrinienne (hypothyroïdie, pseudo-
hypoparathyroïdie), cardiovasculaire (HTA), neurologique (trau-
matisme crânien, épilepsies, tumeurs cérébrales, maladies dégé-
nératives), et chirurgicaux : chirurgie nasosinusienne, séquelles
neurochirurgicales (2).
L’endoscopie nasale permet un bilan local précis, en particulier
du mur externe des fosses nasales (cornets-méats) et de la fente
olfactive (toit des fosses nasales).
L’imagerie est une étape fondamentale. Elle repose sur un exa-
men tomodensitométrique en coupes axiales et coronales, avec
injection de produit de contraste, du massif facial (cavités naso-
sinusiennes) et de la base du crâne.
La négativité des résultats de l’examen clinique et du bilan radio-
logique conforte l’origine toxique du trouble.
3. Établir l’imputabilité de l’agent pharmacologique dans la
genèse du trouble
C’est l’étape la plus importante et aussi la plus difficile. Elle
nécessite une certaine connaissance des effets secondaires des
médicaments en cause.
Les centres de pharmacovigilance constituent une banque de
données très précieuse, et fournissent au clinicien les infor-
mations nécessaires au traitement de son dossier clinique.
Plusieurs molécules thérapeutiques peuvent induire un trouble
de l’odorat. La liste de ces médicaments (non limitative) figure
dans le tableau I, page 16. Par ordre de fréquence, il s’agit essen-
tiellement de médicaments utilisés en pathologie cardiovascu-
laire (inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou
certains bêtabloquants) (8), des anti-infectieux (cyclines, antipa-
rasitaires) (9), des anti-inflammatoires et, enfin, des médicaments
utilisés en endocrinologie (carbimazole), en neurologie, en ORL
(gouttes nasales) et en immunologie (interféron) (10).
Seuls quatre médicaments sont reconnus et répertoriés dans
la pharmacopée comme responsables de troubles de l’odorat :
–le tixocortol-néomycine ;
–la tétrofosmine ;
–l’amrinone ;
–le moexipil (2, 7).
La relation d’imputabilité nécessite en réalité l’observance de
certains critères : délai d’apparition après la prise médica-
menteuse, réversibilité du trouble lors du sevrage et, enfin, réci-
dive de la symptomatologie dès la réintroduction de la molé-
cule en cause.
De plus, la rigueur scientifique impose une expertise en labo-
ratoire, indispensable pour établir la certitude de la relation de
cause à effet et surtout pour comprendre son mécanisme phy-
siopathologique.
Certaines situations peuvent prêter à confusion : polymédica-
tions, pathologies sous-jacentes connues comme étiologies
potentielles de dysosmies (diabète, neuropathies dégénéra-
tives). La réversibilité du trouble (parfois partielle) à l’arrêt du
médicament et sa reproductibilité (réintroduction) sont déci-
sives. Les différentes thérapeutiques associées (corticoïdes,
vitaminothérapie) sont sans effet (11).
CONCLUSION
Les dysosmies d’origine médicamenteuse comptent actuel-
lement, dans l’approche étiologique, des troubles de l’odo-
rat ; leur imputabilité est cependant difficile à mettre en
évidence (12).
Le diagnostic d’une anosmie d’origine médicamenteuse com-
porte une obligation : éliminer les causes habituelles (grippales,
nasosinusiennes, générales), et débouche sur un résultat : la
guérison du trouble, très appréciable compte tenu de l’évolu-
tion en général imprévisible et peu favorable des dysfonction-
nements sensoriels. ■