Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (13), n° 4, avril 1999
e souci d’uniformisation des données cliniques et paracliniques fait que, de nos jours, les
observations médicales sont le plus souvent réduites à des questionnaires imprimés couverts
d’items à cocher. La pratique de l’écriture se réduit au profit des données informatiques. Certes, la
triade classique de l’anamnèse, du diagnostic et du traitement est encore reconnaissable mais elle
est très schématisée. Les feuilles d’observation bien connues qui servaient à recueillir les données de
l’examen, par l’externe et l’interne, ont une longue histoire. Si les rapports entre la médecine occi-
dentale et l’écriture datent (pour schématiser) d’Hippocrate qui établissait déjà des sortes de fiches
pour ses cas, un véritable genre littéraire médical s’est constitué entre le XIIeet le XVesiècle de notre
ère, dans l’Occident latin médiéval. Ce genre littéraire médical se nommait
consilium
(au pluriel
consilia
). Le verbe
consulere
ou
conseiller
signifiait l’avis d’une ou de plusieurs personnes. Le fait de
donner des conseils est spécifique à la médecine même si on peut aussi l’observer dans le domaine
juridique.
L
De quels conseils s’agit-il ?
En médecine, le terme conseil convient à deux
actes typiques :
– une visite au chevet du malade pour établir un
diagnostic et un traitement, et pour se forger un
jugement face à une situation médicale complexe ;
– parfois, une consultation, ou réunion d’experts
jugée nécessaire ou imposée par la loi dans cer-
tains cas difficiles.
Le verbe conseiller peut signifier trois choses :
– les directives données au malade ;
– la concession d’un avis à un confrère ;
– les décisions prises à plusieurs médecins concer-
nant un patient.
Consilium et genre littéraire
Le consilium est indissociable de l’acte d’écriture.
Il s’agit d’un texte écrit secondairement à une
consultation ou à une visite. Il est fondamental de
se rappeler que l’élaboration du consilium s’éta-
blit en deux temps. Le médecin recueille les don-
nées nécessaires à son examen, puis il se retire
dans son cabinet de travail pour réfléchir et rédi-
ger. Le second temps, celui de l’écriture, est une
interprétation médicale des signes, à laquelle le
médecin adjoint des réflexions personnelles
d’ordre général et concernant l’habitus du patient,
en lui prodiguant également des règles “d’hygiène
de vie”.
Il existe un genre plus simple et moins personna-
lisé d’écrit médical qui est la tabula. La tabula est
aussi le résultat d’un écrit en deux temps. Le
médecin observe et interroge, puis, dans le silence
de son cabinet, il transcrit les données subjectives
de ses sens pour les comparer et les replacer dans
les classifications nosologiques médicales du
moment. L’acte d’écrire va permettre de rationali-
ser, de penser et de classer ce que les sens ont
perçu. Ces textes sont rédigés dans une scedula.
Si la scedula est adressée à un tiers pour avis ou
comparaison, on rejoint le domaine du consilium.
Dans la tabula et, à fortiori, dans le consilium,le
passage de l’observation à l’écriture vise à rendre
compte de l’évolution d’une maladie chez un
malade en notant les signes. Ce compte rendu sera
conservé dans la mémoire du médecin ou de la
communauté médicale comme résultat rationnel-
lement interprété.
En conclusion
Le genre littéraire du consilium est une forme très
achevée de l’écrit en médecine, ancêtre approxi-
matif des observations médicales hospitalières et
de l’écriture moderne des cas. Les consilia “se
situent à l’intersection de la profession et de l’en-
seignement, de la doctrine et de la pratique”.
Gérard Danou
Pour en savoir plus...
Agrimi J., Crisciani C., Les consilia médicaux. Fasc. 69,
Éditions Brepols, Turnhout (Belgique), 1994.
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Expression
Feuilles d’observation
... UN MOT
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Le poète
Lorand Gaspar
est né en 1925
dans une famille hongroise en Transylvanie orien-
tale (Roumanie). Après la tourmente des années
de guerre, il choisit la France comme terre d’ac-
cueil. Il y effectue ses études de médecine, et part
exercer la chirurgie dans les hôpitaux français du
Moyen-Orient. Dans les années 70, il est chirur-
gien à Tunis. Depuis les années 90, il partage son
temps entre Paris et la Tunisie. Il écrit, en exergue
du recueil Feuilles d’observation :
La Médecine tend à prendre toute la place
dans mon quotidien, elle s’insinue jusque dans
le sommeil. On ne négocie pas avec l’urgence.
Mais plus on est bousculé, plus il est impé-
rieux de s’arrêter, de regarder, de s’aérer. Le
temps de noter une idée, un étonnement. Ces
feuilles me sont une façon de respirer.
Le regard scientifique objectif recherche la cause
des choses. Le regard subjectif établit une rela-
tion avec le monde par tous les sens. Il capte et
approfondit la vie des formes. Les deux regards
n’étant pas du même ordre, ils ne peuvent ni se
contredire ni entrer en conflit.
Cependant, comme la médecine s’adresse à du
sens incarné, les deux qualités de connaissance
sont également précieuses. La possibilité, selon
les circonstances, de passer d’un point de vue
objectif à un regard subjectif ou sensible, est
indispensable pour mieux comprendre l’homme
malade, et non seulement une maladie.
Lorand Gaspar, médecin et écrivain, appelle de
ses vœux l’alliance du mesurable et du sensible.
C’est ce qu’il nomme souvent dans ses textes une
recherche de la lumière. Le mot est riche de sens,
désignant la luminosité méditerranéenne, mais
aussi la clarté de la connaissance scientifique face
à l’obscurantisme, ainsi que les rares instants de
rencontre avec la vérité des choses et des êtres à
travers le médium du regard et du langage :
“Et si les mots s’avèrent parfois impuissants
à communiquer un moment de “vraie vie”,
à faire partager ce qui nous est apparu
comme une connaissance vive,
puissent-ils du moins témoigner
d’un immense désir
de lumière partageable.” (p. 115)
Afin de capter ces rares moments lumineux, il
faut pouvoir s’accorder du temps pour écouter les
malades et pour porter attention aux choses du
monde :
“En sortant de l’hôpital,
la lumière sur un mur mangé de salpêtre.
Et partout la vie en marche,
pressée, mécanique, délirante, digérant tout.
Et tout à coup l’étonnement, le miracle
de l’attention, l’autre lumière.” (p. 117)
La recherche de la lumière est, pour Lorand Gas-
par, un devoir d’accomplissement qu’il nomme
dans un texte du même nom : L’énormité de la
tâche (feuilles d’hopital). Le médecin retrouve la
dimension artistique de son métier où l’adresse
technique va de pair avec la finesse du jugement
dans ses relations aux autres. Une médecine où le
dialogue (un échange de questions et de réponses
et, inversement, de réponses et de questions) sera
à nouveau reconnu comme fondamental pour le
patient. Lorand Gaspar écrit :
Quand je parle de “l’énormité de la tâche”, je
pense, certes, à la difficulté croissante d’un
apprentissage théorique et pratique que nous
savons jamais clos, mais aussi à cette réalité,
à mes yeux essentielle, qu’est le rapport
vivant médecin-malade, relégué avec les clys-
tères et la saignée au fond de nos musées
d’histoire de la médecine.
[...] Faire des investigations, des interven-
tions très sophistiquées est un exercice épui-
sant, mais tout compte fait plus confortable
que la vigilance, la tension, le don de soi
qu’exigent les rapports humains qui engagent
la vie. La parole ne vise plus à établir des
liens par où puissent circuler des énergies,
mais seulement à informer le technicien des
données subjectives du problème.
Gérard Danou (C.H. de Gonesse et
université Paris VIII)
Références bibliographiques
Lorand Gaspar, Feuilles d’observation, Gallimard, Paris
1986.
Lorand Gaspar, L’énormité de la tâche (feuilles d’hôpi-
tal), La Nouvelle Revue Française, juin 1993, n° 485.
Expression
... UNE ŒUVRE
Lorand Gaspar
Feuilles d’observation
(ed. Gallimard, 1986)
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