où les points de convergence et les liens entre ces pays émergent au fil des pages. À cet égard, l’ouvrage est utile à quiconque souhaite comparer les situations nationales sur les questions de fécondité mais aussi de rapports croisés, à la famille et à l’emploi des hommes et des femmes, d’une part, des individus et des politiques publiques, d’autre part. C’est bien l’ambition de cet ouvrage d’associer presque systématiquement microcontexte et macroeffets, pratiques privées et action publique, et d’apporter ainsi sa propre réponse à la double dialectique du micro et du macro, de l’empirique et de la montée en généralité. Cette ambition se trouve redoublée par la démarche comparatiste d’un panorama international qui permet de percevoir ressemblances et différences entre pays, non pas seulement entre haut et bas taux de fécondité mais parmi les pays les plus féconds. La France y apparaît encore nataliste, l’État et les politiques familiales produisant des normes qui valorisent la maternité : plus qu’elles ne luttent contre les inégalités entre les hommes et les femmes, les politiques en compensent plutôt les effets négatifs. Les politiques familiales scandinaves, qui ont des points communs avec la France, prônent davantage, et de plus en plus, l’investissement paternel, notamment à l’aide d’un congé parental réservé en partie aux pères. Frédérique Chave Rédactrice en chef Ève Chiapello, Patrick Gilbert Sociologie des outils de gestion Introduction à l’analyse sociale de l’instrumentation de gestion 2013, La Découverte, collection Grands repères, 294 pages. Les auteurs proposent, dans ce manuel, une synthèse des travaux de recherche sur les outils de gestion, dans une perspective d’analyse sociale. Ils mettent à disposition du lecteur un champ de recherches pluridisciplinaire (sociologie, science politique, psychologie sociale et sciences de gestion), sur des terrains variés. Les matériaux sont issus en partie de cours et séminaires à l’École des hautes études commerciales ou à l’Institut d’administration des entreprises de Paris. La tonalité générale de l’ouvrage s’inscrit clairement dans une dimension politique des outils de gestion et non dans le registre utilitaire dans lequel ils sont généralement cantonnés. La notion même d’« outil de gestion » est questionnée. Elle dépend de l’angle pris pour examiner sa matérialité qui peut ainsi être distinguée selon son domaine fonctionnel d’intervention, selon le résultat escompté ou selon l’usage qui en est fait. Le regard des auteurs se focalise sur ce qui se passe dans le quotidien des entreprises aujourd’hui, à travers l’analyse de la multiplicité des outils de gestion développés ces trente dernières années : référentiels, tableaux de bord, badges, charte des valeurs, Customer Relationship Management (CRM – progiciel de gestion de la relation client), logiciels Politiques sociales et familiales 79 intégrés, audits, indicateurs, contrôle de gestion… Le propos n’est pas d’inventorier ces différents outils mais de s’interroger sur les raisons pour lesquelles les entreprises et les services publics s’en saisissent et sur leurs impacts sur le travail des salariés. Ce foisonnement d’outils a pris davantage d’ampleur depuis la révision générale des politiques publiques (RGPP) et des bataillons de consultants ont progressivement transposé les pratiques du privé vers le public. Il n’est pas question ici de décrire les procédés et les techniques mais bien de sortir les outils de gestion de leur invisibilité et de les soumettre à un examen, à une contreexpertise démocratique. En effet, ces instruments techniques, à dimension quantitative le plus souvent, ne sont pas neutres et sont impactés par les lieux où ils sont implantés. Ils sont historiquement associés à l’action bureaucratique à travers des règles formelles et de la prévisibilité et ont vu leur développement décoller avec l’arrivée des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Les auteurs soulignent également que ces outils homogénéisent les pratiques, lissent les métiers et rendent la frontière entre public et privé plus poreuse. La gestion par la performance justifie l’utilisation de ces outils n° 116 - juin 2014 Comptes rendus de lectures qui contribuent par ailleurs à une meilleure transparence et une lisibilité de l’action de l’État. Les auteurs proposent, dans une première partie, une réflexion sur la notion d’« instrumentation de gestion » et décrivent trois types de comportements face aux outils de gestion : le déni de la technique et l’occultation de la place de ces instruments, l’euphorie technophile où la technique s’apparente à une passion et une modernité folle et la technophobie où la technique est vécue comme une oppression. Cette première partie permet également de revenir sur les approches traditionnelles des outils de gestion dans la théorie des organisations, avec l’histoire de la pensée en sciences de gestion et les travaux fondateurs de Frédéric Winslow Taylor et Henri Fayol. La partie centrale de l’ouvrage traite de l’analyse sociale des outils de gestion à partir d’une copieuse revue de littérature dans laquelle trois courants théoriques sont repérés. Tout d’abord, les études critiques qui considèrent que les outils de gestion sont des leviers de domination ou d’exploitation des travailleurs. L’une des manifestations de ce courant porte sur la critique du technicisme et l’évacuation de la subjectivité où la méconnaissance du travail effectif et l’idéologie de la transparence ont des effets néfastes sur la santé des salariés (Christophe Dejours, Yves Clot). Une autre approche assimile l’outil de gestion à un vecteur de déshumanisation et d’aliénation des sujets : des cliniciens considèrent que certaines techniques de management peuvent s’apparenter à de la manipulation (Nicole Aubert, Vincent De Gaulejac). Les études institutionnalistes qui s’intéressent au rôle joué par les institutions dans le développement des outils de gestion sont présentées en deuxième partie de l’ouvrage. L’un des exemples porte sur les normes proposées par des organisations internationales [Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Union européenne, International Organization for Standardization (ISO)] qui se révèlent être sources d’homogénéité plus forte que la centralisation du pouvoir et des décisions. Une autre approche considère l’outil comme un « investissement de forme », expression de François Eymard-Duvernay et Laurent Thévenot qui sont également à l’origine de l’approche conventionnaliste. La convention permet à la fois de régler la coordination de l’action dans un contexte d’incertitude mais elle permet également de coordonner non seulement les comportements mais également les représentations. Le courant de l’approche néo-institutionnaliste repose sur des études qui s’appuient sur les interactions entre outils et acteurs. L’accent est porté sur l’autonomie de ces derniers. Le statut de l’outil de gestion est différent selon les thèses mobilisées. En voici trois types illustratifs : • la théorie de l’acteur-réseau (Michel Callon, Bruno Latour, Madeleine Akrich) où « la société et Politiques sociales et familiales 80 les sciences se mélangent », et où les chercheurs s’intéressent au rôle que les outils de gestion jouent dans les organisations et à la façon dont ils agissent ; • l’outil comme être de langage où l’accent est mis sur la dimension communicationnelle des organisations et qui confirme la simultanéité de l’outil et du langage (travaux du réseau de recherche Langage et Travail autour d’Anni Borzeix et Béatrice Fraenkel) ; • la théorie de l’acteur stratégique élaborée par Michel Crozier et Erhard Friedberg où les comportements ne résultent pas d’un déterminisme mais d’une intention stratégique des acteurs sociaux et où les stratégies individuelles dans le changement et la régulation de l’action dans les organisations sont importantes. La dernière partie de l’ouvrage est constituée de quatre études de cas réalisées par de jeunes chercheurs qui complètent et illustrent les aspects théoriques présentés précédemment. Les thèmes abordés sont variés : le choix des indicateurs de performance de l’enseignement supérieur et de la recherche, les ratios prudentiels de l’activité bancaire, le rôle d’un progiciel dans un processus de changement des pratiques de gestion de la relation-clientèle, les dispositifs de financement de l’action sociale. Chaque outil est éclairé d’un point de vue théorique pour en montrer les conséquences et les enjeux. Deux études de cas ont retenu notre attention de par leur proximité avec les problématiques de la branche Famille. Tout d’abord celui présenté par Bernard Grall sur la mise en place d’un progiciel CRM dans une entreprise. Cet outil permet notamment de gérer les contacts avec les clients, les usagers ou les partenaires, d’identifier et de définir leurs profils et d’organiser la communication avec eux. Le projet a duré trois ans et s’est révélé complexe à mettre en œuvre, les logiques de conception de la relation client étant différentes entre celles inscrites dans le progiciel et celles des commerciaux de l’entreprise. Par ailleurs, des défaillances techniques lors de la phase de lancement ont montré le rôle important de la technique dans le processus d’appropriation par les acteurs. Au final, le progiciel est un acteur à part entière du processus d’appropriation par les utilisateurs. La seconde étude de cas présentée par Corine Eyraud examine la mesure des actions publiques mise en place dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances. Elle décrit ces processus de quantification comme le produit de rapports de force entre les différentes administrations ministérielles, et souligne combien la construction de l’information chiffrée sur le monde peut contribuer à orienter l’action publique, subordonnant ici l’attribution des moyens à la performance des établissements. Cette étude de cas confirme que n° 116 - juin 2014 Comptes rendus de lectures les acteurs orientent leurs actions en fonction des indicateurs. L’ensemble des contributions conduit le lecteur à porter un regard neuf et pluriel sur la place des outils de gestion. Cantonnés à l’origine dans l’entreprise, ces derniers gagnent désormais d’autres sphères de la vie publique : l’État, l’économie sociale, les organisations et les services publics. Les auteurs invitent ainsi à une relecture des travaux de base de la pensée en sciences de gestion et ouvrent de nouvelles perspectives de recherches. Catherine Vérité Cnaf – Département de l’animation de la recherche et du réseau des chargés d’étude Jean-François Gaspar Tenir ! Les raisons d’être des travailleurs sociaux 2012, Paris, La Découverte, collection Enquêtes de terrain, 240 pages. Il n’est pas décelable, à la lecture de son ouvrage Tenir ! Les raisons d’être des travailleurs sociaux, que l’auteur, Jean-François Gaspar, a lui-même été travailleur social. Le sociologue belge (1), auteur de cet ouvrage paru en 2012, s’était notamment fixé comme objectif de « rendre compte sociologique- ment de l’univers du travail social sans enchantement ni prétention démystificatrice » (p. 21). Il y est parvenu, en dépit ou peut-être plutôt grâce au fait qu’il avait auparavant exercé la profession pendant dix ans. Il est en effet réputé « difficile d’enquêter auprès des travailleurs sociaux » dans la mesure où ils « sont soumis à des conditions de travail de plus en plus difficiles (…) » et seraient « frottés plus ou moins de sociologie » de sorte que « certains d’entre eux voient les sociologues comme des concurrents possibles » dont ils « ont de bonnes raisons de chercher à contrôler étroitement le travail (…) » (2). J.-F. Gaspar indique avoir « peu rencontré ce type de difficulté (…) [étant] à la fois suffisamment proche et familier de cet univers (…) pour ne pas être considéré comme ignorant et suffisamment éloigné pour ne pas être impliqué dans les enjeux sociaux locaux » (p. 25). La recherche dont rend compte l’ouvrage de J.-F. Gaspar aura duré quatre ans au cours des années 2000 durant lesquelles l’auteur aura couplé observations et entretiens semi-directifs approfondis avec treize travailleurs sociaux (deux à quatre entretiens par professionnel). L’échantillon, qui n’a pas vocation à être représentatif, a toutefois été construit de façon à intégrer des profils divers en termes de sexe, de types d’institutions, de populations prises en charge et d’âge. Les enquêtés, qui ont au moins cinq ans d’expérience, exercent leur métier en Wallonie (Belgique), dans une ville d’environ quatre-vingt-mille habitants située dans un ancien bassin minier et sidérurgique, rebaptisée « Chaliémon » par l’auteur. Le chômage y atteint un taux de 40 % chez les jeunes âgés de moins de 25 ans et un habitant sur dix est en contact avec le centre public d’action sociale (CPAS) de la ville (équivalent en Belgique des centres communaux d’action sociale français). C’est dans ce cadre qu’évoluent différents types de travailleurs sociaux. J.-F. Gaspar montre que les travailleurs sociaux au sens large présentent des caractéristiques contrastées. Plus précisément, l’auteur parvient à établir une classification des travailleurs sociaux qu’il a étudiés en trois grandes catégories : les travailleurs sociaux « cliniques » ; les travailleurs sociaux « militants » ; les travailleurs sociaux « normatifs ». Chacun de ces types de travailleurs sociaux est finement décrit ; ne sont évoqués ici que quelques éléments parmi les plus saillants de son analyse. Dans la classification construite par J.-F. Gaspar, les travailleurs sociaux dits « cliniques » sont des travailleuses. L’auteur esquisse des éléments d’analyse genrés de cette catégorie et plus largement de la profession dont on sait qu’elle est à la fois très féminisée et, paradoxalement, peu souvent abordée sous cet angle. Les travailleuses sociales évoluent (1) J.-F. Gaspar est maître assistant responsable de la recherche dans le Master en ingénierie et action sociale de Louvain-la-Neuve à Namur, et membre associé du Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP-Paris). (2) Beaud S., Weber F., 2002, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, collection Repères. Politiques sociales et familiales 81 n° 116 - juin 2014 Comptes rendus de lectures