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Le Courrier de l’Arcol (1), n° 1, février 1999
Culture
et médecine
e souci d’uniformisation des données
cliniques et paracliniques fait que, de
nos jours, les observations médicales sont
le plus souvent réduites à des question-
naires imprimés couverts d’items à cocher.
La pratique de l’écriture se réduit au profit
des données informatiques. Certes, la tria-
de classique de l’anamnèse, du diagnostic
et du traitement est encore reconnaissable
mais elle est très schématisée. Les feuilles
d’observation bien connues qui servaient
à recueillir les données de l’examen, par
l’externe et l’interne, ont une longue his-
toire. Si les rapports entre la médecine
occidentale et l’écriture datent (pour sché-
matiser) d’Hippocrate qui établissait déjà
des sortes de fiches pour ses cas, un véri-
table genre littéraire médical s’est consti-
tué entre le XIIeet le XVesiècle de notre ère,
dans l’Occident latin médiéval. Ce genre
littéraire médical se nommait consilium
(au pluriel consilia), du latin conseil(s). Le
verbe consulere ou conseiller signifiait
l’avis d’une ou de plusieurs personnes. Le
fait de donner des conseils est spécifique à
la médecine même si on peut aussi l’ob-
server dans le domaine juridique.
De quels conseils s’agit-il ?
En médecine, le terme conseil convient à
deux actes typiques :
– une visite au chevet du malade pour
établir un diagnostic et un traitement, et
pour se forger un jugement face à une
situation médicale complexe ;
– parfois, une consultation, ou réunion
d’experts jugée nécessaire ou imposée par
la loi dans certains cas difficiles.
Le verbe conseiller peut signifier trois
choses :
– les directives données au malade ;
– la concession d’un avis à un confrère ;
– les décisions prises à plusieurs médecins
concernant un patient.
Consilium et genre littéraire
Le consilium est indissociable de l’acte
d’écriture. Il s’agit d’un texte écrit secon-
dairement à une consultation ou à une
visite. Il est fondamental de se rappeler
que l’élaboration du consilium s’établit en
deux temps. Le médecin recueille les don-
nées nécessaires à son examen, puis il se
retire dans son cabinet de travail pour
réfléchir et rédiger. Le second temps, celui
de l’écriture, est une interprétation médi-
cale des signes, à laquelle le médecin
adjoint des réflexions personnelles d’ordre
général et concernant l’habitus du patient
en lui prodiguant également des règles
“d’hygiène de vie”.
Il existe un genre plus simple et moins
personnalisé d’écrit médical qui est la
tabula. La tabula est aussi le résultat d’un
écrit en deux temps. Le médecin observe
et interroge, puis, dans le silence de son
cabinet, il transcrit les données subjectives
de ses sens pour les comparer et les repla-
cer dans les classifications nosologiques
médicales du moment. L’acte d’écrire va
permettre de rationaliser, de penser et de
classer ce que les sens ont perçu. Ces
textes sont rédigés dans une scedula. Si la
scedula est adressée à un tiers pour avis
ou comparaison, on rejoint le domaine du
consilium.
Dans la tabula et, à fortiori, dans le consi-
lium, le passage de l’observation à l’écri-
ture vise à rendre compte de l’évolution
d’une maladie chez un malade en notant
les signes. Ce compte rendu sera conservé
dans la mémoire du médecin ou de la
communauté médicale comme résultat
rationnellement interprété.
En conclusion
Le genre littéraire du consilium est une
forme très achevée de l’écrit en méde-
cine, ancêtre approximatif des obser-
vations médicales hospitalières et de
l’écriture moderne des cas. Les consilia
“se situent à l’intersection de la profes-
sion et de l’enseignement, de la doctrine
et de la pratique”.
Pour en savoir plus...
Agrimi J., Crisciani C., Les consilia médicaux.
Fasc. 69, Éditions Brepols, Turnhout
(Belgique), 1994.
Un mot...
Feuille d’observation
L
L
G. Danou 6/02/03 16:00 Page 2
e poète Lorand Gaspar est né en
1925 dans une famille hongroise
en Transylvanie orientale (Roumanie).
Après la tourmente des années de guer-
re, il choisit la France comme terre
d’accueil. Il y effectue ses études de
médecine, et part exercer la chirurgie
dans les hôpitaux français du Moyen-
Orient. Dans les années 70, il est chirur-
gien à Tunis. Depuis les années 90, il
partage son temps entre Paris et la
Tunisie. Il écrit, en exergue du recueil
Feuilles d’observation :
“La Médecine tend à prendre toute la
place dans mon quotidien, elle s’insinue
jusque dans le sommeil. On ne négocie
pas avec l’urgence. Mais plus on est
bousculé, plus il est impérieux de s’ar-
rêter, de regarder, de s’aérer. Le temps
de noter une idée, un étonnement. Ces
feuilles me sont une façon de respirer.”
Le regard scientifique objectif recherche
la cause des choses. Le regard subjectif
établit une relation avec le monde par
tous les sens. Il capte et approfondit la
vie des formes. Les deux regards
n’étant pas du même ordre, ils ne peu-
vent ni se contredire ni entrer en conflit.
Cependant, comme la médecine
s’adresse à du sens incarné, les deux
qualités de connaissance sont égale-
ment précieuses. La possibilité, selon les
circonstances, de passer d’un point de
vue objectif à un regard subjectif ou
sensible, est indispensable pour mieux
comprendre l’homme malade et, non
seulement une maladie.
Lorand Gaspar, médecin et écrivain,
appelle de ses vœux l’alliance du mesu-
rable et du sensible. C’est ce qu’il
nomme souvent dans ses textes une
recherche de la lumière. Le mot est
riche de sens, désignant la luminosité
méditerranéenne, mais aussi la clarté de
la connaissance scientifique face à
l’obscurantisme, ainsi que les rares ins-
tants de rencontre avec la vérité des
choses et des êtres à travers le médium
du regard et du langage :
“Et si les mots s’avèrent parfois impuis-
sants à communiquer un moment de
“vraie vie”, à faire partager ce qui nous
est apparu comme une connaissance
vive, puissent-ils du moins témoigner
d’un immense désir de lumière parta-
geable.” (p. 115).
Afin de capter ces rares moments lumi-
neux, il faut pouvoir s’accorder du
temps pour écouter les malades et pour
porter attention aux choses du monde :
“En sortant de l’hôpital, la lumière sur
un mur mangé de salpêtre. Et partout la
vie en marche, pressée, mécanique,
délirante, digérant tout. Et tout à coup
l’étonnement, le miracle de l’attention,
l’autre lumière.” (p. 117)
La recherche de la lumière est, pour
Lorand Gaspar, un devoir d’accomplis-
sement qu’il nomme dans un texte du
même nom : L’énormité de la tâche
(feuilles d’hopital). Le médecin retrouve
la dimension artistique de son métier où
l’adresse technique va de pair avec la
finesse du jugement dans ses relations
aux autres. Une médecine où le dia-
logue (un échange de questions et de
réponses et, inversement, de réponses
et de questions) sera à nouveau recon-
nu comme fondamental pour le patient.
Lorand Gaspar écrit :
Quand je parle de “l’énormité de la
tâche”, je pense, certes, à la difficulté
croissante d’un apprentissage théorique
et pratique que nous savons jamais
clos, mais aussi à cette réalité, à mes
yeux essentielle, qu’est le rapport
vivant médecin-malade, relégué avec
les clystères et la saignée au fond de
nos musées d’histoire de la médecine.
[...] Faire des investigations, des inter-
ventions très sophistiquées est un exer-
cice épuisant, mais tout compte fait
plus confortable que la vigilance, la
tension, le don de soi qu’exigent les
rapports humains qui engagent la vie.
La parole ne vise plus à établir des liens
par où puissent circuler des énergies,
mais seulement à informer le techni-
cien des données subjectives du
problème.
Gérard Danou
(C.H. de Gonesse
et université Paris VII)
Références bibliographiques
Lorand Gaspar, Feuilles d’observa-
tion, Gallimard, Paris 1986.
Lorand Gaspar, L’énormité de la tâche
(feuilles d’hôpital), La Nouvelle Revue
Française, juin 1993, n° 485.
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Le Courrier de l’Arcol (1), n° 1, février 1999
Culture
et médecine
Une œuvre...
Feuilles d’observation
, Lorand Gaspard
(ed. Gallimard, 1986)
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