e poète Lorand Gaspar est né en
1925 dans une famille hongroise
en Transylvanie orientale (Roumanie).
Après la tourmente des années de guer-
re, il choisit la France comme terre
d’accueil. Il y effectue ses études de
médecine, et part exercer la chirurgie
dans les hôpitaux français du Moyen-
Orient. Dans les années 70, il est chirur-
gien à Tunis. Depuis les années 90, il
partage son temps entre Paris et la
Tunisie. Il écrit, en exergue du recueil
Feuilles d’observation :
“La Médecine tend à prendre toute la
place dans mon quotidien, elle s’insinue
jusque dans le sommeil. On ne négocie
pas avec l’urgence. Mais plus on est
bousculé, plus il est impérieux de s’ar-
rêter, de regarder, de s’aérer. Le temps
de noter une idée, un étonnement. Ces
feuilles me sont une façon de respirer.”
Le regard scientifique objectif recherche
la cause des choses. Le regard subjectif
établit une relation avec le monde par
tous les sens. Il capte et approfondit la
vie des formes. Les deux regards
n’étant pas du même ordre, ils ne peu-
vent ni se contredire ni entrer en conflit.
Cependant, comme la médecine
s’adresse à du sens incarné, les deux
qualités de connaissance sont égale-
ment précieuses. La possibilité, selon les
circonstances, de passer d’un point de
vue objectif à un regard subjectif ou
sensible, est indispensable pour mieux
comprendre l’homme malade et, non
seulement une maladie.
Lorand Gaspar, médecin et écrivain,
appelle de ses vœux l’alliance du mesu-
rable et du sensible. C’est ce qu’il
nomme souvent dans ses textes une
recherche de la lumière. Le mot est
riche de sens, désignant la luminosité
méditerranéenne, mais aussi la clarté de
la connaissance scientifique face à
l’obscurantisme, ainsi que les rares ins-
tants de rencontre avec la vérité des
choses et des êtres à travers le médium
du regard et du langage :
“Et si les mots s’avèrent parfois impuis-
sants à communiquer un moment de
“vraie vie”, à faire partager ce qui nous
est apparu comme une connaissance
vive, puissent-ils du moins témoigner
d’un immense désir de lumière parta-
geable.” (p. 115).
Afin de capter ces rares moments lumi-
neux, il faut pouvoir s’accorder du
temps pour écouter les malades et pour
porter attention aux choses du monde :
“En sortant de l’hôpital, la lumière sur
un mur mangé de salpêtre. Et partout la
vie en marche, pressée, mécanique,
délirante, digérant tout. Et tout à coup
l’étonnement, le miracle de l’attention,
l’autre lumière.” (p. 117)
La recherche de la lumière est, pour
Lorand Gaspar, un devoir d’accomplis-
sement qu’il nomme dans un texte du
même nom : L’énormité de la tâche
(feuilles d’hopital). Le médecin retrouve
la dimension artistique de son métier où
l’adresse technique va de pair avec la
finesse du jugement dans ses relations
aux autres. Une médecine où le dia-
logue (un échange de questions et de
réponses et, inversement, de réponses
et de questions) sera à nouveau recon-
nu comme fondamental pour le patient.
Lorand Gaspar écrit :
Quand je parle de “l’énormité de la
tâche”, je pense, certes, à la difficulté
croissante d’un apprentissage théorique
et pratique que nous savons jamais
clos, mais aussi à cette réalité, à mes
yeux essentielle, qu’est le rapport
vivant médecin-malade, relégué avec
les clystères et la saignée au fond de
nos musées d’histoire de la médecine.
[...] Faire des investigations, des inter-
ventions très sophistiquées est un exer-
cice épuisant, mais tout compte fait
plus confortable que la vigilance, la
tension, le don de soi qu’exigent les
rapports humains qui engagent la vie.
La parole ne vise plus à établir des liens
par où puissent circuler des énergies,
mais seulement à informer le techni-
cien des données subjectives du
problème.
Gérard Danou
(C.H. de Gonesse
et université Paris VII)
Références bibliographiques
✔Lorand Gaspar, Feuilles d’observa-
tion, Gallimard, Paris 1986.
✔Lorand Gaspar, L’énormité de la tâche
(feuilles d’hôpital), La Nouvelle Revue
Française, juin 1993, n° 485.
3
Le Courrier de l’Arcol (1), n° 1, février 1999
Culture
et médecine
Une œuvre...
Feuilles d’observation
, Lorand Gaspard
(ed. Gallimard, 1986)
L
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G. Danou 6/02/03 16:00 Page 3