Ces discordances s’expliquent essentiellement par le fait
que les recommandations vont souvent très au-delà de la
médecine fondée sur les preuves et accumulent les extra-
polations. Pour identifier les bons candidats à un traite-
ment par statine et les bonnes doses, il est donc indispen-
sable de réexaminer le rapport bénéfice/risque des statines
dans les essais et les données de la pharmacovigilance.
Quel est le bénéfice ?
Le principal bénéfice des statines est de prévenir en
partie le risque d’événements coronaires majeurs (infarc-
tus du myocarde mortels ou non et revascularisation coro-
naire) [5]. En méta-analyse, le traitement pendant 5 ans
par statine fait passer le risque d’infarctus du myocarde
ou de mort coronaire de 9,8 % à 7,4 % soit une réduction
relative de 23 % (IC 95 % : 0,74 à 0,80).
La diminution du risque d’AVC par les statines est un
bénéfice plus marginal. Ainsi dans la même méta-analyse,
le risque d’AVC à 5 ans passait de 3,7 % à 3 % sous statine
[5]. L’incidence plutôt faible de ce type d’événements peut
s’expliquer par l’âge généralement peu avancé des patients
inclus dans les essais. Cependant, dans l’étude PROSPER
menée chez des sujets âgés, la pravastatine ne diminuait
pas significativement le risque d’AVC [6]. Même en ciblant
les patients à haut risque d’AVC comme les survivants d’un
AVC, il est difficile de montrer un effet significatif d’une
statine sur ce critère. Dans SPARCL, de fortes doses d’ator-
vastatine (Tahor
®
80) n’ont eu qu’un effet à la limite de la
signification sur la récidive d’AVC, chez des patients dont
l’âge moyen était de 63 ans [7]. Ce résultat n’est pas sur-
prenant. Le cholestérol n’est pas un facteur de risque
majeur des AVC, à la différence de la pression artérielle.
L’effet des statines sur la mortalité globale est également
modeste : diminution de 12 % en méta-analyse. Dans les
essais, elle n’est significative que dans les populations à
très haut risque coronaire comme celle de l’étude4Squi
avait inclus des patients hypercholestérolémiques aux anté-
cédents d’infarctus du myocarde [8]. L’effet sur la mortalité
cardiovasculaire est plus difficile à cerner, en raison d’un
biais de publication. Par exemple, les auteurs de la publica-
tion de l’étude JUPITER n’ont pas présenté l’effetdelarosu-
vastatine sur la mortalité cardiovasculaire alors qu’il était
neutre [9]. Aussi faut-il prendre avec beaucoup de précau-
tion les résultats des méta-analyses sur les critères secondai-
res. Par exemple, Mills et al. concluent à un effet favorable
des statines sur la mortalité cardiovasculaire en analysant ce
critère sur 18 essais, alors que 19 essais sont inclus dans leur
méta-analyse [10]. Certains auteurs soutiennent que les sta-
tines améliorent la claudication des membres inférieurs en
cas d’artériopathie. Cet effet paraît peu plausible. Il est étayé
par quelques essais [11]. En pratique, cela ne modifie pas
l’indication des statines, largement prescrites pour la préven-
tion des événements cardiovasculaires chez l’artéritique.
Les statines n’ont pas d’intérêt pour prévenir le déclin
cognitif ou pour freiner l’évolution du rétrécissement aor-
tique. D’autres effets hypothétiques ont été avancés, liés
aux effets dits pléiotropes des statines, c’est-à-dire indépen-
dants de la baisse du cholestérol [12]. Par exemple, cer-
tains essais de méthodologie discutable ont suggéré un
effet immunomodulateur des statines. En faveur de ces
effets pléiotropes, il y a principalement des arguments bio-
chimiques et expérimentaux. En particulier, c’est un fait
que les statines ne bloquent pas seulement la voie de syn-
thèse du cholestérol mais aussi celles qui aboutissent à
l’activation des protéines rho et à la synthèse de l’ubiqui-
none. L’importance clinique de ces effets latéraux n’est
toujours pas connue [12]. En d’autres termes, il est possible
d’expliquer l’essentiel du bénéfice lié aux statines par la
diminution de la synthèse du cholestérol. Pour avoir cru
le contraire, les investigateurs de l’étude PROVE-IT ont
été à l’origine d’un échec scientifique et commercial reten-
tissant [13]. Ils avaient fait l’hypothèse que 40 mg de pra-
vastatine (Elisor
®
) étaient non-inférieurs à 80 mg d’atorvas-
tatine en dépit d’un effet moindre sur la cholestérolémie.
L’étude a montré finalement le contraire, le nombre d’évé-
nements vasculaires étant moindre sous atorvastatine.
Quels sont les risques ?
Les effets indésirables les plus fréquents des statines
sont des troubles digestifs mineurs, des douleurs muscu-
laires, le prurit et une élévation modérée des transamina-
ses. La fréquence de ces effets indésirables est plus ou
moins bien estimée dans les essais cliniques. En effet,
ceux-ci n’incluent pas les patients avec antécédent d’into-
lérance aux statines (biais des survivants) et n’incluent pas
les patients les plus fragiles. De plus, les conditions d’uti-
lisation des statines dans les essais sont bien meilleures
que dans la vie courante, en raison en particulier d’un
dépistage plus précoce de ces effets indésirables et d’un
meilleur respect des précautions d’emploi. Toutes ces rai-
sons expliquent que la cérivastatine (Cholstat
®
, Staltor
®
)
ne s’est révélée dangereuse qu’après commercialisation
alors que sa tolérance avait paru satisfaisante au cours
des étapes initiales de son développement. Elle a pro-
voqué des rhabdomyolyses mortelles car dans la pratique
elle a été associée au gemfibrozil (fibrate) et a été admi-
nistrée à trop forte dose à des sujets fragiles.
Alors que faut-il retenir comme incidence de ces effets
indésirables fréquents ? Le seul point dont on est sûr est
que ces effets indésirables sont dose-dépendants, qu’il
s’agisse de la toxicité musculaire ou hépatique (figure 1).
La question qui se pose est de savoir si la toxicité muscu-
laire des fortes doses est due à une chute trop importante
de la cholestérolémie ou à un niveau de cholestérolémie
atteint trop bas. Les essais cliniques et leur méta-analyse
ne sont en faveur ni de l’une ni de l’autre de ces hypothè-
mt, vol. 15, n° 3, juillet-août-septembre 2009
Revue
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