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Identité professionnelle
Vers une nouvelle demande de la société
envers
les
soignants
comme
facteur
d’identité professionnelle
Delphine LEPOIL
Septembre 2009
Descriptif : Cet article montre comment l’identité professionnelle
infirmière s’est construite en fonction des évolutions de la société.
Quand les demandes de la société changent envers les pratiques soignantes, quand « le
guérir » laisse place au « prendre soin », les soignants doivent penser et reconsidérer le
malade dans leurs pratiques, dévoilant la naissance d’une nouvelle identité professionnelle
infirmière.
Actuellement, l’identité professionnelle infirmière subit certains bouleversements, estce une identité professionnelle en mutation ou est-ce la réelle naissance d’une identité
professionnelle infirmière ? L’identité est un processus de construction individuel, collectif et
professionnel propre à chaque individu. Mais une identité peut aussi être celle d’un corps
professionnel à travers le temps comme celle des infirmiers depuis sa création. En effet, nous
pouvons constater trois grands temps dans la construction identitaire des infirmiers sous
l’influence du comportement de la société au regard de la consommation de soins.
Qu’est ce que l’identité professionnelle ?
Avant d’approfondir ce sujet, il faut bien évidemment définir l’identité individuelle et
décrire l’identité collective qui servent cette identité professionnelle. La définition de
l’identité est reconnue comme la conscience qu’une personne a d’elle-même. Le Littré définit
l’identité individuelle comme la persistance de la conscience de soi qu’a un individu .
« Toutes les identités sont le produit de l’héritage d’un père, d’une mère et d’une
religion que chacun interprète selon son contexte culturel » CYRULNIK Boris [1]. Selon cet
auteur l’identité est un processus de construction de soi qui est sous l’influence de différents
apports culturels, qu’ils soient patriarcaux, matriarcaux, religieux, patriotiques… Mais
l’identité n’est pas qu’individuelle, elle est aussi collective et professionnelle. L’identité
individuelle est privilégiée en psychologie et psychanalyse avec le « SOI matériel » qui est le
corps, le « SOI social » qui correspond aux rôles sociaux, le « SOI connaissant » qui permet à
chacun de nous d’agir, d’être autonome et doué de volonté. JAMES W. est à l’origine de cette
classification.
L’identité individuelle connaît des crises et des réaménagements de l’enfance à l’âge
adulte, elle n’est pas figée. L’identité collective ou sociale qui selon DURCKHEIM E. [2] est
un partage par un individu de normes, de valeurs et de règles avec les individus d’un groupe
auquel il peut parfois appartenir. Cet individu s’adapte selon les besoins aux différents
groupes. MUCCHIELLI A. [3] admet que l’identité sociale est plutôt une identité attribuée
"Toute reproduction partielle ou totale de la présente publication est interdite sans l'autorisation de l'auteur et de son éditeur"
Code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992
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car c’est l’ensemble des critères qui permettent une définition sociale de l’individu ou du
groupe, c’est-à-dire permettant de le situer dans une société. Selon MEAD G.H [4] « la
socialisation est la construction d’un Soi dans la relation à autrui », il s’agit de la construction
de soi dans et par l’interaction sociale. L’image que nous donnons doit être confirmée par
autrui. Le fait que le rôle, le statut et la place des acteurs soient bien identifiés permet aux
interlocuteurs de se reconnaître dans une position sociale.
Nous reconnaissons que l’entrée dans le milieu du travail constitue un moment clé de
la construction identitaire notamment dans la construction identitaire professionnelle de base.
Cette entrée dans le milieu du travail implique que l’individu va participer à des actions
collectives au sein d’organisations et intervenir dans des jeux d’actions. En sociologie, la
notion d’identité professionnelle permet de penser les relations entre les catégories sociales,
de comprendre les sentiments d’appartenance mais aussi le décalage ou l’exclusion.
SAINSAULIEU R. [5], définit l’identité professionnelle comme un processus
relationnel d’accès au pouvoir et à la reconnaissance permettant la constitution de logiques
d’acteurs au travail. La projection à l’autre n’est pas neutre, il existe des phénomènes de
projection et d’imitation. DUBAR C [6] définit l’identité professionnelle comme le produit de
socialisations successives. La socialisation peut être perçue comme un processus de
construction de l’identité individuelle, « identité pour soi » et comme fondement de l’ordre
social « identité pour autrui ». Ce conférencier souligne la dimension particulière de la
socialisation professionnelle et des changements ou transformations identitaires qu’elle
entraine. La configuration identitaire est le résultat d’une double transaction entre l’individu et
les institutions.
L’identité professionnelle est une conception de soi au travail qui met en jeu les
relations entre identité personnelle et identifications collectives. Les identités professionnelles
ne sont plus des catégories acquises mais se construisent tout au long de la vie. L’identité
professionnelle est comme un « jeu de bricolage », restructurations rapides et multiples des
organisations de travail ne permettent plus l’affirmation d’une identité acquise une fois pour
toutes. Pour Peter BERGER et Thomas LUCKMANN [7], la construction d’une identité
professionnelle est basée sur ce qu’ils nomment la « socialisation secondaire » c’est à dire
l’incorporation de savoirs spécialisés, tels que les savoirs professionnels. Ce sont des
machineries conceptuelles comprenant un vocabulaire, des recettes (ou des formules,
propositions, procédures), un programme et un véritable « univers symbolique » véhiculant
une conception du monde mais qui, contrairement au savoir de base de la socialisation
primaire, sont définis et construits en référence à un champ spécialisé d’activités. Pour
DURKHEIM E., l’identité professionnelle serait donnée par les groupes professionnels qui
sont chargés d’initier les membres aux règles, aux « idées, sentiments et intérêts » de leur
communauté de travail.
A partir des années 80, le thème de l’identité est aussi devenu important en sociologie
du travail. Des études ont porté sur le maintien du corporatisme comme reproduction
d’identités professionnelles : groupes structurés autour d’une culture de métier, d’une
tradition syndicale et d’un système de valeurs (sens du service public…). Malgré tout, des
formes de crises identitaires persistent et viennent en partie contredire ces modèles
d’interprétation.
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L’identité professionnelle infirmière et la société Inscription dans l’histoire
La construction identitaire infirmière s’inscrit dans l’histoire. En effet, du Moyen Age
jusque dans les années 1880, l’hôpital fût un lieu d’hébergement des malades pauvres où
exerçaient des frères et des sœurs dans une totale dévotion. De 1880 à 1922, apparaît de façon
très progressive, sous l’influence de la séparation de l’Etat et de l’église, le coté laïc de la
profession infirmière. A cette époque les médecins ont un rôle important dans la société et
c’est à l’initiative de ceux-ci que sera formé le personnel infirmier laïc composé d’anciennes
servantes manquant de formation. S’organisent alors les premiers cours et premières écoles
d’infirmières. Le but de ces écoles est d’avoir des infirmières compétentes mais surtout
fidèles. S’ajoute à cela des cours de morale qui soulignent les limites du rôle de l’infirmière.
Ces cours de morale mettent en avant l’obéissance, la soumission, le dévouement [8].
La vie des infirmières est réglementée par les établissements hospitaliers. Certaines écoles
donneront une instruction aux jeunes femmes de familles aisées ce qui créera deux catégories
de professionnelles : l’une peu instruite et difficile à former et l’autre issue de milieu
bourgeois proche des médecins . La Croix Rouge Française s’organise et montre son
efficacité pendant la première guerre mondiale, il faut attendre l’entre deux guerres pour avoir
une formation bien organisée. De 1922 à 1945, la profession infirmière œuvre vers une
organisation de la profession mais malgré le dynamisme des professionnelles, des décisions
gouvernementales, la formation reste insuffisante car la prise en soin des patients nécessite un
savoir proche des acquis médicaux.
De 1939 à 1945, la seconde guerre mondiale éclate, le corps infirmier répond à
l’urgence. Durant cette période l’Etat français tente de réglementer l’exercice de la profession.
Avec la loi du 8 avril 1946, le gouvernement propose une définition de l’infirmière et fixe les
conditions d’exercice de la profession. Le ministère de la santé créé en 1951 le Conseil
Supérieur des Infirmières dont le but est de défendre le titre et de combattre l’exercice illégal
de la profession.
Les trente glorieuses du soin
Durant cette période propice aux changements la médecine se fait la part belle en
matière de découvertes scientifiques et de technicité. « C’est l’époque pour les infirmières de
l’identification aux médecins. De par une grande pénurie des infirmières et des médecins, une
étroite coopération s’instaure entre ces deux corps professionnels. Les médecins délèguent
aux infirmières certains pouvoirs de décision de façon officieuse pour permettre aux services
de fonctionner » [5]. Cette situation valorise l’infirmière d’autant plus que l’enseignement
inculqué est essentiellement médical. Durant la première moitié de la décennie 1960-1970 la
technicité envahit l’hôpital. « Les infirmières ne deviennent opérationnelles qu’au travers de
la technicité. Tout est centré sur la maladie et non sur le malade » [9] . En 1968, bien que la
conjoncture nationale permette une rébellion des infirmières celles-ci n’ont pas d’exigence.
Dans les années 1970, les demandes de santé croissent la priorité est donnée aux soins
techniques et les soins de confort sont relégués aux aides soignantes. La relation avec le
malade n’est pas encore une priorité. Ce n’est qu’en 1982 que le décret d’application du 12
mai 1981 relatif à l’exercice de la profession d’infirmière légifère sur la fonction infirmière. «
Cette nouvelle conception entraîne un élargissement des soins infirmiers ceux-ci n’étant plus
uniquement sous la dépendance du secteur médical. La loi permet à l’infirmière de mettre en
route des « SOINS INFIRMIERS » dont elle seule à la décision et la responsabilité » [10]. Ce
décret est annulé en 1984 à la demande de médecins pour vice de forme et de fond. Le
remaniement de ce texte de loi donne une place importante au rôle propre infirmier.
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Sur cette même période paraîtra le rapport BERLAND [11] , qui face à la baisse de la
démographique médicale, transfert des actes techniques médicaux sous l’appellation de
compétences aux infirmiers. L’identification des infirmières aux médecins n’en sera que
renforcée. Apparaît alors les prémices d’une identité infirmière. En effet, le semblant de toute
puissance de la médecine dans ces années sert non seulement à la guérison des malades mais
confère également une identité aux infirmiers. De plus, les malades meurent à la maison, la
mort est affaire de famille celle –ci s’inscrit dans la culture de l’époque, la femme est encore
en grande partie au foyer et le prendre soin lui appartient [12].
Ces deux paramètres, l’avancé technologique médicale et la mort au domicile font que
l’infirmier s’est construit une identité professionnelle autour du « guérir », la mort pouvait
sembler être exclue de l’hôpital puisque grâce aux techniques médicales nous étions
persuadés de pouvoir y guérir.
Thanatophobie, la mort dans l’institution
L’apparition du S.I.D.A dans le milieu des années 1980, nous a montré à quel point la
médecine peut être impuissante face à la mort. Cette maladie inattendue, à montré à la
corporation médicale que la « toute puissance du guérir » n’est pas. Cette situation amène le
corps infirmier à se questionner sur son rôle. La mort n’est plus à cette époque affaire de
famille, les malades sont conduits vers les hôpitaux pour y mourir. En effet, la femme
travaillant de plus en plus vers l’extérieur, celle-ci ne peut plus autant s’occuper de ses
proches. Tout « naturellement », les familles se déchargent sur les hôpitaux, lieu de soins, où
ils pensent pouvoir compter sur les soignants pour accompagner leurs proches.
La naissance d’une identité
Pour ERICKSON « l’identité commence là où cesse l’utilité de l’identification ». Cette
nouvelle redéfinition des hôpitaux faite par une pratique sociétale serait-elle à l’origine de la
naissance de l’identité infirmière ? Cette nouvelle demande envers l’hôpital amène vers une
nouvelle prise en soins des patients. La façon de penser le patient dans les pratiques
professionnelles s’en trouve modifiée. Ces pratiques antérieures morcelaient facilement le
patient et l’identifiaient à un organe ou une maladie. Qui n’a jamais entendu dans un hôpital «
c’est le pancréas de la chambre … », en examinant sous un autre angle cette pratique, non
seulement elle ne permettait pas au patient d’exister dans le soin mais en plus elle était
empreinte d’un savoir médical. Mais aujourd’hui, avec l’entrée de la mort de façon importante
dans les hôpitaux cette pratique ne peux plus perdurer, les soignants doivent penser en matière
de « prendre soin ».
La notion du prendre soin, Walter HESBEEN [13] l’a développé. Il faut faire la
distinction entre « faire des soins » où le corps donc le patient est objet et le concept du «
prendre soin » de quelqu’un où le corps est sujet, le patient est pris en compte. Cette
différence permet d’être dans « une perspective soignante, porteuse de sens et aidante pour la
personne soignée » selon cet auteur. Faire du soin renvoi à la technicité et peut être dénué de
lien humain entre le soignant et la personne soignée. Prendre soin implique que l’infirmier
considère le patient qu’il se doit de soigner et qu’en même temps il entreprenne une relation
avec celui-ci. Chaque relation est singulière car elle varie en fonction du soignant et de la
personne soignée. Ce qui induit que chaque relation est particulière.
Ce concept du prendre soin est donc cette attention singulière que l’on va porter à une
personne vivant une situation délicate en vue de lui venir en aide, de contribuer à son bienêtre. En conséquence, tout soignant doit réfléchir sur ses propres valeurs soignantes avant
d’entrer en relation de soin. Les valeurs sont les convictions que nous considérons comme
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particulièrement importantes pour nous, celles qui constituent des repères essentiels, qui nous
guident dans nos choix, qui orientent nos actions et notre comportement. En tant que futur
cadre, je me questionne sur l’accompagnement à mettre en place dans les services de soins
afin de ne pas arriver à des dérives en matière de motivation des infirmiers. Effectivement, si
cette modification de l’identité n’est pas accompagnée, l’infirmier peut ne pas se sentir
reconnu et sera alors vite démotivé. Notre rôle d’encadrement est bien d’accompagner ce
changement en expliquant aux soignants les modifications de leur identité.
Une identité bien réelle
La modification des pratiques de la société envers les hôpitaux amène des
changements notamment en matière d’identité pour les soignants. Assurément, quand le
soignant doit passer du guérir vers le prendre soin cela induit obligatoirement le dépassement
de l’identification au savoir médical pour aller vers la naissance d’une identité réelle lui
permettant de mettre en avant son rôle propre. Ce rôle nécessite de penser le patient dans le
soin et d’en reconnaître l’existence.
Ce qui requiert pour le cadre d’accompagner son équipe afin de permettre à celle-ci de
se sentir reconnue et d’inclure le patient dans sa pratique. Cette technique du prendre soin est
celle des soignants mais ne peut-elle pas être aussi celle des cadres de santé ?
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REFERENCES:
[1] CYRULNIK Boris, Le Courrier de l’Unesco, novembre 2001.
[2] DURKHEIM Emile. De la division sociale du travail, étude sur l’organisation des sociétés
supérieures, Paris : F. Alcan.
[3] MUCCHIELLI. L’identité. Que sais-je, Paris : PUF, 1999.
[4] MEAD G.H. (1863-1931), Professeur de philosophie et psychologie
[5] SAINSAULIEU R. L’identité au travail. 3ème édition. Paris. Presses de la Fondation
Nationale des Sciences Politiques. 1996
[6] DUBAR C. La socialisation, Construction des identités sociales et professionnelles. Paris :
Armand Colin
[7] BERGER Peter, LUCKMANN Thomas. La construction sociale de la réalité, Paris :
Méridiens Klincksieck, 1986.
[8] GRIPI. L’identité professionnelle de l’infirmière. Clamecy : Le centurion, 1986.
[9] LEROUX HUGON, Infirmière des hôpitaux parisiens au début du siècle, in pénélope, la
femme soignante, 1985
[10] LEROUX, HUPON, Infirmière des hôpitaux parisiens au début du siècle, in pénélope, la
femme soignante, 1985
[11] Rapport du nom du Professeur BERLAND Yvon, Président de l’Observatoire national de
la démographie présenté novembre 2002.
[12] COLLIERE M.F, Promouvoir la vie de la pratique des femmes soignantes aux soins
infirmiers, Paris : Inter éditions, 1982.
[13] HESBEEN W. Prendre soin à l’hôpital inscrire le soin infirmier dans une perspective
soignante. Masson, 2008.
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