Dossier D ossier Autour de l’annonce… le point de vue de l’infirmière participant au dispositif Point of view of the nurse IP A. Berger *, M. Dionisio *, J. Behar ** L e centre Alexis-Vautrin, en partenariat avec le CHU, sous l’égide d’ONCOLOR a participé à la mise en place du dispositif d’annonce dans le cadre du Plan Cancer (mesure 40). Un ETP infirmier (1) et un demi ETP psychologue ont permis le développement de cette nouvelle activité. Deux infirmières intégrées à l’UDSOS (2) se partagent le poste et conservent chacune une activité en secteur de soins. Le poste de la psychologue est axé sur l’accompagnement des soignants grâce à un travail hebdomadaire d’élaboration clinique autour des entretiens effectués ou des situations rencontrées. Lorsque nous avons débuté dans notre poste d’infirmière au sein du dispositif d’annonce, nous avons dû mettre en place une activité de consultation infirmière, jusqu’alors inexistante au centre. Cette nouvelle activité a été accompagnée par des réunions de préparation, des échanges pluridisciplinaires sur les propositions et la manière de procéder, soutenue par un cahier des charges et une description de postes précis. Cela nous a confronté à une autonomie d’action assez inhabituelle. Un nouveau partenariat est né, entre les médecins, les équipes soignantes et les infirmières “d’annonce”, soulevant de nombreuses questions autour de la prise en charge du patient et des places respectives de chacun . Dans cette perspective, loin d’envisager le patient selon un abord purement symptomatique, nous nous situons dans un accompagnement tout au long de son parcours de soins. Plus précisément, l’annonce concerne différentes phases de la maladie : – l’annonce du diagnostic ; – l’annonce d’une récidive ; – l’annonce d’arrêt de soins curatifs ; – l’annonce de guérison. Chacune de ces étapes constitue un temps spécifique pour le patient (fort de bouleversements), étapes utiles à accompagner avec le soutien d’une équipe pluridisciplinaire. De ce fait, nous sommes amenées à suivre le patient dans l’établissement (consultations médicales, hospitalisations en chirurgie et/ou en médecine, radiothérapie…). Pour l’infirmière, cela ne représente pas seulement un déplacement dans l’espace, mais cela implique un changement de place, avec toute la complexité que cela suppose. Ce positionnement est complexe, car il nécessite de se faire accepter comme partenaire par l’équipe soignante, avec une mission spécifique au service du patient. Si notre démarche est personnalisée par un entretien individuel, elle n’est pour* Infirmières. ** Psychologue. Centre Alexis-Vautrin, Vandœuvre-les-Nancy. 22 tant pas individualiste : la transmission des informations et des réactions émotionnelles du patient est indispensable pour la continuité de la prise en charge. Diplomatie et humilité sont deux termes phares, avec en point de mire notre rôle spécifique auprès du patient et de ses proches, dès le début de sa prise en charge, et plus particulièrement en amont. Cet accompagnement précoce du patient motive notre intervention, à la différence des équipes soignantes qui le rencontrent le plus souvent dans le cadre de son traitement. Nous pouvons rencontrer les patients lors de la consultation médicale initiale, à l’issue ou à distance de leur annonce de diagnostic, à leur demande ou sur proposition du médecin, de l’assistante médicale… La plaquette “Pour en reparler”, (figure) se trouve à disposition de chacun dans tous les pools de consultations. Nous avons opté, délibérément, pour une non-systématisation de cet entretien infirmier. En effet, les professionnels savent que l’annonce d’un cancer peut entraîner différentes réactions : sidération, colère, déni, intellectualisation… Or, notre expérience démontre que chaque personne réagit de façon certes singulière, mais pas toujours linéaire et parfois déroutante. En tout état de cause, le temps subjectif du patient diffère du temps hospitalier. À ce titre, nous avons souhaité nous adapter au rythme et réactions de chacun, sans imposer de procédure standard. La présence quotidienne de l’infirmière “d’annonce” (3) permet un accueil personnalisé au moment choisi par le patient (seul ou avec ses proches, par téléphone, lors d’un rendez-vous d’examen ou de consultation sur le site…). C’est en travaillant en alternance en secteur de soins que nous avons pris conscience de l’existence de ce décalage entre la “vérité objective” des professionnels de santé et la “vérité subjective” d’un malade en particulier. Dans le cadre de cette activité, nous réalisons des soins de support sans support de soins. Notre rôle infirmier à ce moment précis réside surtout dans une écoute active, produisant un renversement de situation : nous mettons du temps à disposition du patient, c’est lui qui oriente l’entretien en fonction de ses attentes, de son vécu, du sens qu’il donne à sa maladie et de l’historisation qu’il en fait. Des demandes d’informations précises peuvent exister, mais elles sont le plus souvent un “prétexte” ; être attentif à cette modalité implicite de sollicitation peut favoriser un approfondissement de ses préoccupations. Sans être exhaustives, nous pouvons néanmoins relever des constantes : La Lettre du Sénologue - n° 37 - juillet-août-septembre 2007 Figure. Plaquette “Pour en reparler” du centre Alexis-Vautrin. – l’annonce du cancer vient ponctuer la vie entre un avant et un après ; – la maladie peut être abordée indirectement par l’évocation du cancer d’un proche ; – inquiétudes et interrogations : que dire aux proches ? comment ? quand ? et aux enfants ? – anticipation des bouleversements dans sa vie familiale, sociale, professionnelle… Lors de ces moments intenses, il arrive que les patients pleurent, suffoquent, se mettent en colère ou, au contraire, ne paraissent pas concernés, sourient ou semblent absents ; par exemple : “Lorsque le médecin a dit le mot cancer, je n’ai plus rien entendu.” “Je ne me sens pas malade, ma priorité, c’est mon travail, on verra plus tard…” “J’ai toute confiance dans le médecin, c’est lui qui sait, vous êtes tous si gentils, je me sens bien ici…” La lecture a posteriori des entretiens nous permet de constater que, si les mêmes interrogations émergent, chaque entretien est unique et singulier. Il permet au patient de faire le point La Lettre du Sénologue - n° 37 - juillet-août-septembre 2007 sur sa maladie, de tenter de la penser (panser). Il lui est indispensable, suite à l’annonce de mauvaise nouvelle, de pouvoir élaborer psychiquement cette information afin de la digérer. S’il n’est pas toujours nécessaire de nous assurer de la compréhension des informations délivrées par le médecin (diagnostic, traitement), nous y sommes attentives et recueillons des indices à travers ses paroles et l’invitons alors à en reparler avec le médecin. De même, si au cours de l’entretien, le patient évoque des difficultés d’ordre social, psychologique, nous l’adressons au professionnel concerné : assistante sociale, psychologue, psychiatre, ERI, associations… Notre rattachement à l’unité de soins de support favorise les relations interdisciplinaires et facilite la prise de rendez-vous. Ainsi, nous pouvons détecter précocement des difficultés spécifiques et les prendre en compte. Le lien tissé entre le patient et l’infirmière “d’annonce” instaure ainsi une continuité possible : plusieurs rencontres avec l’infirmière à différentes étapes du parcours de soin, orientation vers d’autres professionnels, accueil et/ou suivi des proches. Nous avons construit cette mission spécifique du dispositif d’annonce dans une perspective d’approche globale du patient et de sa famille, dès le début et à des étapes clés de sa prise en charge, afin de permettre un accompagnement personnalisé. L’expérience de ces entretiens nous a enseigné que les réactions des patients et de leurs proches ne sont pas proportionnelles à la gravité du diagnostic ni à leur âge. De même, si l’information sur la maladie et les traitements est indispensable, le patient apprécie la présence attentive d’une infirmière, disponible et à son écoute. Enfin, au même titre qu’il n’est pas toujours possible de prédire la réaction d’un patient au traitement, son abord psychique initial de la maladie est variable (dans un sens favorable ou non), certains patients se surprennent, et nous surprennent… “Je ne suis plus moi-même, j’ai toujours tenu les autres à bout de bras, maintenant ils m’en tombent.” Mme X. “Vous m’avez ouvert une porte sur la maladie.” Mme Y. “Merci d’avoir pris du temps pour nous écouter, on se sent un peu moins seul avec cette terrible nouvelle…” M. et Mme Z. n Dossier D ossier Notes 1. Un “équivalent temps plein” (ETP) dédié au dispositif d’annonce est occupé par deux infirmières en alternance avec leur activité en secteur de soins (une semaine sur deux). 2. L’unité douleur et de soins oncologiques de support (UDSOS) est composée d’une équipe pluridisciplinaire avec des médecins spécialistes, psychiatre, infirmières DIU SP et douleur, psychologue, assistante sociale, diététicienne, musicothérapeute, relaxologue, socio-esthéticienne… 3. Bureau spécifique dédié aux entretiens infirmiers du lundi au vendredi de 9 h à 17 h 30. 23