Abstract: The addiction to opiates. Between replacement therapy and speech Any addiction goes through three different steps, one of “honeymoon”, then misconduct and a deleterious loss of control. The frameworks, limits and goals will be quite different according to the moment. Addiction is a psychological and sometimes physical state resulting from the interaction between a living organism and one (or more) drug(s). This condition can occur with or without tolerance. Buprenorphine and Suboxone® Méthadone® are used as substitution treatment following specific rules. All of these resulted in abuses. An objective withdrawal can always be chosen by the patient or the doctor, but the goal of replacement therapy is first to allow patients to leave the active consumption and start over a family, love, social and professional life. The involvement in this clinical practice presupposes that the healthcare professional accepts to invest an important emotional and psychological energy and some time. Key words: Behavior, Addictive; Opiate Substitution Treatment; Substance Abuse Treatment Centers; Substance-Related Disorders Catherine Herbert CSAPA (Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie spécialisé de Caen) ; 45 rue de Bretagne, Caen Mots clés : addiction ; centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie ; traitement de substitution aux opiacés ; troubles liés à une substance L'addiction aux opiacés Entre traitement de substitution et parole Addiction et dépendance Toute addiction passe par trois phases : 1) lune de miel : la substance consommée ou l’activité vient apporter plaisir ou sensation de soulagement au sujet ; la personne contrôle ses actes et pense pouvoir arrêter quand elle le souhaite ; 2) dérapage : le sujet sent déjà une perte de contrôle soit dans les quantités, soit dans les conséquences ; il doute de plus en plus mais peut encore nier ou minimiser ; 3) phase délétère : la personne a perdu tout contrôle par rapport à son (ou ses) addiction(s) et connaît déjà de nombreuses conséquences délétères sociales, familiales, sanitaires ou judiciaires de son addiction. Lorsqu’arrive un patient dans le soin, la prise en charge qui va être proposée dépend beaucoup de la phase où il se trouve. Les cadres, limites, objectifs seront bien différents. Le concept de dépendance a été défini par l’OMS en 1969 : état psychique et quelquefois physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et une drogue, se caractérisant par des modifications de comportement et par d’autres réactions, qui comprennent toujours une pulsion à prendre le produit de façon continue ou périodique afin de retrouver ses effets psychiques et quelquefois d’éviter le malaise de la privation. Cet état peut s’accompagner ou non de tolérance. Un même individu peut être dépendant de plusieurs produits. DOI : 10.1684/med.2014.1078 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les approches actuelles du concept d’addiction non psychanalytiques proposent, à partir d’une méthode très descriptive utilisant le DSM-IV, un nouveau regroupement transnosographique. Ce regroupement ne cesse de s’élargir pour toucher divers domaines de la vie publique et quotidienne (addiction aux toxiques mais aussi au jeu, au travail, au sexe, au sport, à l’amour, etc.). C’est dire la complexité de ce concept et du mot même d’addiction qui vient non de l’anglo-saxon addiction mais du latin addictere, « donner son corps en gage pour une dette impayée » [1 (p. 3, 5 et 6)]. Ceci peut permettre d’éclairer la dimension pulsionnelle, la culpabilité et le rapport au corps qui est en jeu dans toutes les addictions, sorte de contrainte de consommer ou d’agir, quel que soit le produit ou l’activité, qui engage le corps. STRATÉGIES Stratégies thérapeutiques MÉDECINE mars 2014 115 STRATÉGIES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Stratégies thérapeutiques Trois composantes sont clairement identifiées dans ce concept : la dépendance psychique, la dépendance physique et la tolérance [1 (p. 371-4)] : – La dépendance psychique existe dans toutes les addictions et pour toutes les substances consommées. – La dépendance physique est seulement prouvée pour l’alcool et les opiacés, discutée pour quelques autres substances sans preuve scientifique pour le moment. – La tolérance est ce phénomène qui oblige le sujet à augmenter les quantités pour obtenir les mêmes effets, sorte d’escalade quasi incontournable dans toutes les addictions [1 (p. 371-4)]. La dépendance physique est dangereuse (mortelle dans le cas de l’alcool, d’où l’habituelle obligation d’hospitalisation pour le sevrage) ; très douloureuse dans le cas des opiacés (l’hospitalisation n’est pas obligatoire pour le sevrage) mais est relativement simple à soigner. Globalement, elle disparaît en 8 à 15 jours selon le toxique consommé. En revanche, la dépendance psychique est longue (plusieurs années) à traiter, à encadrer, à canaliser, à soigner et la réadaptation à une vie quotidienne plus normée se fera lentement avec des cadres, limites, objectifs qui seront différents selon les désirs du patient. L’installation de la dépendance psychique ou physique aux opiacés est variable d’un individu à un autre. La dépendance psychique s’installera d’autant plus vite que le sujet trouvera à cette substance une fonction plus ou moins thérapeutique. Le plus souvent, la dépendance physique s’installe en une année à une année et demi de consommations d’abord irrégulières puis de plus en plus régulières et rapprochées jusqu’à devenir quotidiennes. Les signes en sont principalement des douleurs physiques à type de contractures musculaires, de spasmes gastro-intestinaux, de diarrhées, de nausées voire de vomissements, de rhinorrhées, de larmoiements, de troubles du sommeil à type d’insomnies, accompagnés de troubles anxio-dépressifs très importants. À ce jour, les traitements de substitution aux opiacés ne sont autorisés à être prescrits que lorsque la dépendance physique est installée. Les traitements de substitution Buprénorphine C’est une molécule agoniste-antagoniste ou agoniste partiel aux récepteurs μ des opiacés. Du fait de cette propriété agoniste-antagoniste, il n’y a pas de risque d’overdose, sauf association à d’autres substances ou médicaments dépresseurs respiratoires. Ce traitement est réservé aux adultes et enfants de plus de 15 ans, volontaires pour recevoir un traitement de substitution et dépendants physiquement aux opiacés. Plusieurs génériques du Subutex®, médicament princeps, sont maintenant commercialisés sous le nom de buprénorphine. Quelles modalités de prescription ? Ce traitement peut être prescrit par tous les médecins. Les médecins généralistes sont le plus souvent prescripteurs. L’ordonnance, limitée à 28 jours, note la posologie et les dates de début et de fin de traitement en toutes lettres, avec un fractionnement de la délivrance tous les 7 jours maximum 116 MÉDECINE mars 2014 et précise le nom de la pharmacie qui délivrera le traitement. Au début du traitement il est conseillé de fractionner le traitement tous les jours puis tous les deux ou trois jours et de revoir le patient plus souvent. Quels dosages ? Le Subutex® existe en 3 dosages (0, 4, 2 et 8 mg), les génériques en dosages plus nombreux (0,4, 1, 3, 4, 6, 8 mg). Ces molécules se prennent en sublingual pour leur plus grande efficacité (il faut laisser totalement fondre le comprimé sous la langue) en une seule fois par jour. Associations médicamenteuses ? La prise d’opiacés purs ou de médicaments morphiniques ou de méthadone ou de médicaments à base morphinique est contre-indiquée. La prise de naltrexone est contre-indiquée (risque d’apparition brutale d’un syndrome de sevrage). La prise d’alcool ou de benzodiazépines est fortement déconseillée (risque de décès dû à une dépression respiratoire). Les IMAO et inhibiteurs du CYP3A4 sont déconseillés et entraînent des modifications de posologie. Des dérives ont été observées La prise en intraveineux ou intranasal entraîne une perte d’efficacité de la substance. Les injections de génériques seraient encore plus dangereuses que celles du Subutex® en raison de la différence des excipients. Risques principaux des injections : abcès, scléroses veineuses et septicémies ; des prises intranasales : infections et destructions de la cloison nasale. Quand instaurer le traitement ? Quand le sujet le demande et que la dépendance physique aux opiacés est avérée (consommation quotidienne et signes physiques de manque aux tentatives d’arrêt des consommations). Lorsque le traitement est débuté, le patient devient dépendant du Subutex® ou de la buprénorphine. Comment instaurer le traitement ? Progressivement et à distance des dernières prises d’opiacés : 4 à 6 heures s’il s’agit d’héroïne, plus s’il s’agit de médicaments morphiniques, selon la demi-vie du médicament, 48 h s’il s’agit de méthadone. La posologie, d’environ 4 à 6 mg pour le premier jour, dépend de la quantité de produit consommé par jour : globalement un gramme d’héroïne par jour équivaut à 6 à 8 mg de buprénorphine par jour ; posologie à augmenter de 2 mg par paliers de 2 à 3 jours, tant qu’il persiste des signes de manque, que la posologie ne couvre pas les 24 h et qu’il y a encore beaucoup d’envies de consommer. Une posologie maximale a été fixée à 16 mg au-delà de laquelle il n’y a plus d’effet. La posologie moyenne est entre 8 et 12 mg par jour. Comment diminuer le traitement et quand ? Après une phase de stabilisation (de plusieurs années le plus souvent), une diminution progressive pourra être proposée par le médecin ou demandée par le patient. Elle se fait par paliers de 2 mg sur plusieurs mois, avec interruption dès que le patient sent que cela devient soit trop douloureux soit dangereux car un retour des envies de consommer est présent. Sur les derniers mg, il est conseillé de faire des diminutions de 0,4 mg. Lorsqu’il y a eu une interruption de traitement par buprénorphine mais que les circonstances entraînent la remise en place de ce traitement, il est très fortement STRATÉGIES Stratégies thérapeutiques La méthadone ou chlorhydrate de méthadone est un agoniste pur aux récepteurs μ des opiacés. Du fait de cette propriété, il y a risque d’overdose : si le patient n’est pas dépendant physiquement aux opiacés, la dose létale est de 1 mg/kg) ; s’il est dépendant aux opiacés, l’overdose est possible si ce traitement est associé à d’autres substances ou médicaments dépresseurs respiratoires. Ce traitement est réservé aux adultes et enfants de plus de 15 ans, volontaires pour recevoir un traitement de substitution et dépendants physiquement aux opiacés. La forme sirop existe en 5 dosages (5, 10, 20, 40 et 60 mg). La forme gélule existe en 5 dosages (1, 5, 10, 20 et 40 mg). Ce traitement, quelle que soit sa forme, se prend en une seule fois par jour. Il y a une équivalence complète entre le dosage sirop et le dosage gélule. En revanche, la forme gélule est un peu plus longue à agir que la forme sirop (3/4 d’heure à 1 heure au lieu d’1/2 heure). La mise en place d’un traitement par gélule oblige à l’envoi d’un protocole de soins (L. 324-1) qui stipule qui prescrit et qui délivre le traitement à la Caisse Primaire d’AssuranceMaladie du patient. Si la délégation pour une prescription par un médecin généraliste a été faite sous la forme sirop, elle doit être refaite, après passage auprès du premier médecin prescripteur de CSAPA ou de service hospitalier, pour la forme gélule selon les mêmes modalités. Quelles modalités de prescription ? Associations médicamenteuses ? Le traitement ne peut être prescrit que par les médecins exerçant dans les CSAPA (Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) et par les médecins praticiens hospitaliers exerçant en service hospitalier [2, 3]. Les services d’accueil ou d’urgence des établissements hospitaliers ne sont pas habilités à la prescription de méthadone. L’ordonnance est limitée à 14 jours, note la posologie et les dates de début et de fin de traitement en toutes lettres, avec un fractionnement de la délivrance tous les 7 jours maximum, précise le nom de la pharmacie qui délivrera le traitement. Au début du traitement, il est conseillé de fractionner le traitement tous les jours puis tous les deux ou trois jours et de revoir le patient plus souvent. Après une stabilisation, une délégation de prescription peut être faite au médecin généraliste du patient. Cette délégation note le nom du médecin généraliste qui va prescrire et le nom de la pharmacie qui va délivrer. Cette délégation peut être faite pour une période précise ou pour une durée illimitée. Le médecin généraliste doit avoir, pour pouvoir faire sa première ordonnance, cette délégation en toutes lettres dont le double sera communiqué à la pharmacie qui délivrera le traitement. Si le patient change de pharmacie ou de médecin généraliste, la délégation doit être refaite par le médecin premier prescripteur. Cette délégation n’est valable que pour un patient concerné, pas pour d’autres patients. La délégation confère au médecin généraliste le statut de prescripteur pour ce patient et les posologies du traitement par méthadone peuvent être modifiées par lui ; lors de ses vacances, son remplaçant est autorisé à prescrire sous sa responsabilité et sur les ordonnances du médecin généraliste délégué. S’il n’y a pas de remplaçant, le médecin généraliste ne peut pas adresser le patient à un autre médecin généraliste. Il doit organiser le retour du patient au médecin premier prescripteur (CSAPA ou service hospitalier). Très exceptionnellement, si le patient doit s’absenter pour raisons privées ou professionnelles, il pourra être stipulé sur l’ordonnance une délivrance du traitement exceptionnelle en une seule fois pour les 14 jours maximum [4]. La méthadone peut entraîner l’allongement du QT. Il est donc déconseillé pour tous les patients présentant ce trouble. Un électrocardiogramme doit être réalisé dès que la posologie de méthadone atteint 120 mg par jour. Bien évidemment, tous les traitements pouvant aussi entraîner un allongement du QT seront maniés avec prudence. La prise d’opiacés purs est déconseillée du fait du risque d’overdose. La prise de médicaments morphiniques ou de médicaments à base morphinique est déconseillée mais pas contre-indiquée, et nécessite des précautions d’emploi importantes (risque d’overdose d’opiacés par potentialisation des effets dépresseurs centraux). La prise d’alcool ou de benzodiazépines est fortement déconseillée (risque de décès par dépression respiratoire). La prise de buprénorphine, Suboxone® ou naltrexone est contre-indiquée (risque d’apparition brutale d’un syndrome de sevrage). Plusieurs traitements sont déconseillés ou entraînent des modifications de posologie (antiarythmiques, IMAO, bêtabloquant, cimétidine, antiH1, etc.). recommandé de débuter à une posologie très basse (plutôt 1 ou 2 mg, maximum 4 mg) selon le schéma de mise en place du traitement écrit plus haut : le patient devenu non dépendant aux opiacés serait en danger avec une posologie plus élevée. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Chlorhydrate de méthadone Quelles galéniques et quels dosages ? La méthadone existe en sirop et en gélules. La forme sirop est obligatoire lors de la mise en place du traitement. La forme gélule ne pourra être prescrite qu’après au moins un an de traitement par sirop et stabilisation du patient sur le plan addictologique. Des dérives ont été observées La prise en intraveineux ou en intranasal entraîne une perte d’efficacité de la substance. Des essais d’injection du sirop ou de la gélule ont été réalisés. Le plus souvent, il y a obtention d’une pâte difficilement injectable. De même, une prise en intranasal de la gélule est possible. Rapidement une tolérance s’installe (augmentation de la posologie) et des brûlures nasales apparaissent. Quand instaurer le traitement ? Quand le sujet le demande et que la dépendance physique aux opiacés est avérée (consommation quotidienne, signes physiques de manque aux tentatives d’arrêt). Lorsque le traitement est débuté, il devient dépendant de la méthadone. Comment instaurer le traitement ? Progressivement et à distance des dernières prises d’opiacés : 4 à 6 heures s’il s’agit d’héroïne, plus s’il s’agit de médicaments morphiniques (selon la demi-vie du médicament), 24 h s’il s’agit de buprénorphine. La mise en place du traitement (ou induction méthadone) se fait obligatoirement de façon progressive pour éviter les risques d’overdose qui sont les plus importants dans les premières MÉDECINE mars 2014 117 STRATÉGIES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Stratégies thérapeutiques donc les mêmes indications, contre-indications, règles de prescription et précautions d’emploi. Il contient de la buprénorphine (agoniste-antagoniste) et de la naloxone (antagoniste pur). Le but de cette association est d’empêcher l’injection de la molécule. En effet, prise sous la langue, la naloxone est dégradée par la salive et donc sans effet. Prise en injection, la naloxone agit en premier, vide les récepteurs des opiacés présents et provoque un état de manque. Nous avons pour le moment peu de recul en France sur ce traitement. Des études montreraient que les posologies de buprénorphine ne sont pas tout à fait équivalentes entre la buprénorphine seule (générique) et le Suboxone® [5]. Il serait nécessaire de prescrire une posologie de Suboxone® plus importante pour avoir les mêmes résultats peut-être sur une période transitoire. Enfin ces études montreraient qu’il existe des injections de Suboxone®. Cependant, il est une troisième voie possible de thérapeutique qu’il ne faut pas négliger. Pour ces trois traitements, buprénorphine, méthadone, Suboxone®, les professionnels observant un abus ou une dérive du traitement prescrit, doivent en informer le Centre d’Addictovigilance (Centre d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance CEIP) dont ils dépendent [6]. semaines de traitement. Le premier jour, la posologie sera comprise entre 20 mg et 40 mg installés de façon lente sur toute une journée (en 4 ou 5 prises) selon la quantité de substance consommée habituellement (globalement un gramme d’héroïne par jour équivaut à une posologie stable de 40 à 60 mg de méthadone par jour). Le deuxième jour il sera possible d’augmenter de 5 ou 10 mg la posologie de la veille si des signes de manque persistent et la prise se fera en une seule fois. Idem le troisième jour. Puis il faut une stabilisation de la posologie pendant 5 jours (car la méthadone est une molécule qui s’accumule dans le corps). Ensuite par palier d’une semaine voire une quinzaine, la posologie peut être augmentée de 5 ou 10 mg selon la persistance de signes de manque, d’une insuffisance de couverture des 24 h et s’il y a encore beaucoup d’envies de consommer. Il n’y a pas de posologie maximale. La posologie moyenne est entre 60 et 80 mg par jour. La prise de ce traitement se fait en une fois par jour. Comment diminuer le traitement et quand ? Après une phase de stabilisation (de plusieurs années le plus souvent), une diminution progressive pourra être proposée par le médecin ou demandée par le patient. Cette diminution se fera par paliers de 5 ou 10 mg sur plusieurs mois, avec interruption dès que le patient sent que cela devient soit trop douloureux soit dangereux car un retour des envies de consommer est présent. Sur les derniers mg, il est conseillé de faire des diminutions plus petites (de 1 mg). Lorsqu’il y a eu une interruption de traitement par méthadone mais que les circonstances entraînent la remise en place de ce traitement, il est très fortement recommandé de débuter à une posologie très basse (plutôt 10 ou 20 mg, maximum 40 mg) selon le schéma d’induction écrit plus haut. En effet, le patient est alors devenu non dépendant aux opiacés et il serait en danger avec une posologie plus élevée. Suboxone® D’apparition récente comme traitement de substitution, il a exactement les mêmes propriétés que la buprénorphine, 118 MÉDECINE mars 2014 Populations particulières Les « métaboliseurs rapides » Ils métabolisent trop rapidement la méthadone (ce n’est pas démontré pour les patients sous buprénorphine). Ils doivent donc prendre leur traitement obligatoirement en plusieurs prises par jour. Pour avoir une preuve de ce métabolisme trop rapide, il faut faire une méthadonémie (dosage de la méthadone à H3 et à H24 après la prise) et suivre les signes cliniques (malgré l’augmentation de la posologie, lorsque le patient prend en une seule fois son traitement, il persiste toujours des signes de manque qui apparaissent avant la fin des 24 heures et en revanche, s’installe une somnolence 3 à 4 heures après la prise). Les femmes enceintes Pour les femmes enceintes consommatrices et dépendantes aux opiacés un traitement de substitution est obligatoire. Il est possible de poursuivre un traitement de buprénorphine. S’il s’agit d’héroïne, de médicaments morphiniques ou de méthadone, un traitement par méthadone sera instauré ou continué. Le risque essentiel est la perte de l’enfant dû au manque et aux contractions utérines, soit au premier trimestre par fausse-couche, soit au dernier trimestre par accouchement prématuré. La posologie du traitement, quel qu’il soit, sera augmentée au cours des 9 mois de la grossesse (le plus souvent vers 5 à 6 mois puis dans les deux derniers mois). Cette augmentation se fera en moyenne de 2 à 4 mg pour la buprénorphine et de 10 à 30 mg pour la méthadone. Cette augmentation sera supprimée presque en totalité aussitôt l’accouchement. Bien sûr le bébé sera dépendant aux opiacés à sa naissance, et son sevrage sera organisé par le service hospitalier qui accueillera la mère. Il est donc conseillé que la future mère rencontre les professionnels qui STRATÉGIES Stratégies thérapeutiques la prendront en charge et prendront en charge son enfant bien avant la naissance (vers le 6e ou 7e mois). Les personnes ayant un traitement pour une hépatite C Les personnes consommatrices d’opiacés sont souvent porteuses du virus de l’hépatite C et de plus en plus d’entre elles bénéficient d’un traitement contre ce virus. Ce traitement est lourd et long. Lorsque ces patients ont, par ailleurs, un traitement de substitution aux opiacés, il sera nécessaire de revoir la posologie de ce traitement, le plus souvent dans le sens d’une légère augmentation. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Les patients mineurs Les traitements de substitution peuvent être prescrits entre 15 et 18 ans. Les conditions pour qu’un mineur puisse consentir seul à des soins, hors autorisation de ses parents, sont précises [7] : 1. il faut que le traitement s’impose pour sauvegarder sa santé ; 2. il faut qu’il se soit expressément opposé à ce que ses parents soient prévenus et souhaite conserver le secret sur son état ; 3. le médecin doit tout mettre en œuvre pour tenter de le convaincre d’informer ses parents et ce n’est qu’en cas d’échec que les soins pourront être entrepris hors le consentement de ceux-ci ; 4. le mineur devra impérativement se faire accompagner d’une personne majeure de son choix sauf si, étant en rupture complète avec sa famille, il bénéficie d’une couverture sociale personnelle. L’instauration de tels traitements rendant dépendant pour très longtemps, doit donc être très réfléchie, notamment pour les sujets mineurs. Lorsque les consommations de substances opiacées ne sont pas très anciennes et que la dépendance physique est récente, le sevrage reste le traitement de première intention. Le sevrage peut toujours être choisi par le patient ou par le médecin Lorsque les consommations sont très peu anciennes avec une dépendance physique de quelques mois, il est même conseillé de commencer par le sevrage, qui peut se faire en ambulatoire ou en hospitalier. En ambulatoire, il doit être accompagné de nombreuses consultations de soutien et de mises au point régulières. Le traitement se fera sur une quinzaine de jours, voire plus, selon les produits opiacés consommés (selon la demi-vie de la molécule). Ce traitement contient des antalgiques de première génération (paracétamol et ibuprofène aux plus fortes posologies, répartis sur toute la journée ; surtout pas de médicaments antalgiques morphiniques ou de base morphiniques ou codéïnés) ; des antispasmodiques (Spasfon® aux plus fortes posologies et répartis sur toute la journée) ; des antinauséeux et/ou antidiarrhéiques ; des antispastiques (principalement le Coltramyl® répartis sur la journée et pour la nuit) ; des anxiolytiques (si possible pas de benzodiazépine, de l’Atarax® et du Tercian® en cp ou gouttes répartis sur la journée et pour la nuit). Ce traitement au plus fort des posologies pendant 8 jours sera diminué progressivement jusqu’à 15 à 20 jours, selon les signes de manque relatés par le patient. Pluridisciplinarité obligatoire... La première ligne d’intervention est représentée par les médecins généralistes et les pharmaciens ; la deuxième par les structures spécialisées et la troisième par les communautés ou post-cures, le moment et l’histoire du sujet addict définissant le niveau d’intervention. Ces traitements sont longs. Accepter de travailler dans le domaine des addictions est toujours, pour un professionnel du soin, un engagement difficile. Cela suppose un investissement émotionnel et psychique important et du temps, à la fois pour chaque séance et pour la prise en charge dans la durée (comme pour toute pathologie chronique). Les résultats peuvent longtemps paraître médiocres par rapport à « la guérison » attendue : il s’agit de suivre quelqu’un qui va sans cesse se mettre en échec et mettre en échec le professionnel, très souvent consommateur avant tout d’une demande de médicament miracle, voire de « produit » miracle, avant de devenir demandeur de soins. Il faut peu à peu travailler avec lui et devenir un médecin ou pharmacien « médicaments ». Il y a derrière ce comportement toujours une grande souffrance, parfois une dépression grave. Il y a aussi souvent une très grande immaturité (immédiateté, la substance chimique comme panacée, absence de remise en cause, cadenassage sur le présent avec impossibilité de se projeter, etc.), comme si la personne était arrêtée à un stade de son éducation ou n’en avait pas reçu les bases. Les produits sont alors comme des béquilles pour vivre avec les autres. Cela nécessite toujours une grande disponibilité psychique et temporelle de la part des professionnels, ce qui n’empêche surtout pas de savoir faire respecter le cadre qu’il faut poser ensemble comme soignants travaillant en collaboration et ainsi se faire respecter en tant qu’autre acceptant d’accompagner. Ce qui se discute ou se négocie, ce sont les buts de ce cadre que chacun s’engage à respecter et à tenir malgré les échecs et la déception parfois : les limites que les soignants pensent protectrices d’abord pour la personne puis pour la société ; les objectifs du soin qui peuvent se modifier au fur et à mesure du parcours mais qui doivent toujours être précis et réalistes ; la confiance entre les soignants et le patient car une relation d’aide ne peut se fonder que sur une base de confiance partagée. Intentionnellement, aucune distinction n’a été faite entre médecins généralistes et pharmaciens. La pharmacie est aussi un lieu de parole et d’écoute, parfois la première place où va se dérouler, se dévoiler, un peu de vie du patient. La parole quasi obligatoire avec le médecin peut faire peur ; avec le médecin, il s’agit parfois seulement d’obtenir le médicament miracle. Le pharmacien a souvent une place privilégiée pour déceler les ruses mais aussi les soucis et les difficultés des patients, soucis et difficultés que, parfois, ils n’osent pas dire MÉDECINE mars 2014 119 STRATÉGIES Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 24/05/2017. Stratégies thérapeutiques au médecin. La place du pharmacien dans le soin des patients toxicomanes est très importante. Il doit être impliqué dès le début et participer au suivi et au soin. La prise quotidienne ou très rapprochée, donnée par le pharmacien ou devant lui en début de traitement ou aux moments difficiles du parcours de soin, apporte un cadre essentiel. Elle est structurante (les rencontres quotidiennes permettent la mise en place d’une relation forte). Elle peut être vue comme un contrôle (ce qu’elle peut aussi être) mais elle est aussi une protection de la personne, en occupant un peu le temps quotidien auparavant consacré exclusivement à la recherche des produits. Ces propos valent pour les traitements de substitution comme pour d’autres traitements psychotropes. Le même raisonnement vaut pour les rendez-vous médicaux, soi-disant difficiles à respecter pour les personnes consommatrices : il s’agit pour elles d’apprendre qu’elles doivent se consacrer du temps pour atténuer leurs souffrances, du temps pour leur santé physique et mentale, du temps pour le changement de vie qu’elles espèrent et souhaitent. C’est aussi pour le médecin une façon de leur montrer qu’il est prêt à leur accorder une place spéciale, un temps précis, un temps rien que pour elles, pour leur suivi. Vivre une dépendance et accepter de recevoir et d’aider une personne dépendante obligent à travailler en soi la question de la toute-puissance et de l’impuissance. Toute-puissance du sujet par rapport au produit, toute-puissance par le produit versus toute-puissance de l’aide apportée par le soignant pour que la guérison survienne ; impuissance face au produit, impuissance par le produit versus impuissance du soignant face aux pulsions de la personne et aux prises de risques et de dangers. Peut-être faut-il rappeler que la normalité, c’est le symptôme ! Chacun choisit le sien, mais il y a symptôme. La guérison survient de surcroît. En revanche ce qui est là et bien là, c’est l’aide et l’accompagnement des soignants. La parole seule est parfois impuissante, la substitution seule est stérile. Il faut souvent, dans le traitement des dépendances notamment aux opiacés, l’association des deux. Parvenir à un mieux vivre est parfois la seule « guérison » possible, l’abstinence au traitement mais aussi aux produits restant alors comme un idéal impossible à atteindre. Conclusion Olivenstein disait dans les années 70 que la dépendance, c’est la rencontre entre un produit, un individu et un contexte social donnés. On pourrait dire un système social donné, c’est-à-dire une société et son organisation à un moment donné de son histoire. La société n’est pas neutre dans la dépendance psychique et physique, n’est pas neutre dans les addictions, n’est pas neutre dans la ou les consommations des individus. La manière dont une société accueille la vulnérabilité, symbole d’une humanité dans l’homme, conditionne culturellement les formes du lien social et du savoir. Éduquer au sens de sortir de soi, de créer du lien aux autres, de transmettre un savoir, un savoir-être et pas seulement un savoir-faire, mais aussi soigner, c’est le moment où les hommes sentent s’ils aiment suffisamment le monde et la société pour en assumer la responsabilité ; c’est aussi le moment où ils sentent s’ils aiment vraiment les enfants ou les autres hommes pour ne pas les rejeter du monde, les abandonner à eux-mêmes, leur enlever les chances d’entreprendre quelque chose de neuf, et alors les aider et les accompagner dans cette voie pour qu’ils deviennent des hommes responsables et heureux de l’être. Les traitements de substitution aux opiacés sont longs. Ils sont présentés aux patients comme des traitements qui les laissent dépendants des opiacés, mais leur permettent de quitter les consommations actives et de reconstruire leur vie familiale, amoureuse, sociale, professionnelle. Ils sont susceptibles de durer le même nombre d’années voire plus encore que le temps de consommation active que le patient a connu. Quel que soit le traitement de substitution choisi, il n’est malheureusement pas rare de voir revenir alors ce produit tout à fait légal qu’est l’alcool (revenir car, la plupart du temps, il était déjà consommé avant les opiacés). Cette substance permet aux patients de retrouver des effets euphorisants en prise conjointe avec la substitution. Il faut donc être extrêmement vigilant à l’entrée de ce produit dans la vie du patient. Liens d’intérêts : l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. Références : 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. Toubiana EP (sous la direction de). Addictologie clinique. Paris: PUF; 2011. Circulaire DGS/DHOS no 2002/57 du 30 janvier 2002. Arrêté du Journal Officiel du 8 avril 2008. Code de la Santé Publique : Article R. 5132-30. Byrne A. Something old and something new. Études sur la naloxone (et la combinaison buprénorphine-naloxone) Le Flyer. 2013;53:17-9. Code de la santé publique : Articles R. 5219-1 à 5219-15. Code de la santé publique : Articles L. 1111-4 et L. 1111-5. L'addiction aux opiacés. Entre traitement de substitution et parole h Toute addiction passe par trois phases, de « lune de miel », puis de dérapage et de phase délétère de perte de tout contrôle. Les cadres, limites, objectifs seront bien différents selon le moment. h La dépendance est un état psychique et quelquefois physique, résultant de l’interaction entre un organisme vivant et une (ou plusieurs) drogue(s). Cet état peut s’accompagner ou non de tolérance. h Buprénorphine, méthadone et Suboxone® sont utilisés comme traitements de substitution selon des règles précises. Tous ont donné lieu à des dérives. Un objectif de sevrage peut toujours être choisi par le patient ou par le médecin, mais le but du traitement de substitution est d’abord de permettre aux patients de quitter les consommations actives et de reconstruire une vie familiale, amoureuse, sociale, professionnelle. L’implication dans cette pratique clinique suppose de la part du professionnel de santé un investissement émotionnel et psychique important, et du temps. 120 MÉDECINE mars 2014