Infections au cours des greffes d`organes solides : les points de vue

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ÉDITORIAL
Infections au cours
des greffes d’organes solides :
les points de vue de l’infectiologue
et du transplanteur
Infections in solid organ transplant
Le point de vue de l’infectiologue
Pr Olivier Lortholary
Université Paris Descartes, Centre d’infectiologie Necker-Pasteur, IHU Imagine,
hôpital universitaire Necker − Enfants-malades, Centre national de référence mycoses invasives et antifongiques,
unité de mycologie moléculaire, CNRS URA 3012, Institut Pasteur, Paris .
Les infections sont une complication fréquente et potentiellement sévère
au cours des greffes d’organes en raison, d’une part, de l’utilisation de traitements
immunosuppresseurs, et ce dès l’induction de la greffe, mais aussi lors d’épisodes
de rejets. Elles représentent la première cause de mortalité dans ce contexte,
et plusieurs d’entre elles ont aussi un effet sur la survie du greffon. L’histoire
naturelle de certaines infections est également modifiée au cours
de la transplantation. Les traitements immunosuppresseurs agissent en inhibant
des voies importantes de l’immunité cellulaire impliquées dans la reconnaissance
des pathogènes, dans la présentation d’antigènes microbiens, l’axe Th1 et Th17
mais aussi le “killing” des micro-organismes. Ceux-ci confèrent un profil d’infections
particulier comportant par exemple des micro-organismes tels Listeria,
les mycobactéries, les infections à herpèsvirus, la pneumocystose
ou la cryptococcose. La présence associée d’une neutropénie
ou d’une hypogammaglobulinémie élargit le spectre des micro-organismes
impliqués. Interviennent également dans le risque infectieux des patients
transplantés le type d’organe transplanté, la procédure chirurgicale, l’âge, l’état
général et nutritionnel, la fonction rénale, une co-infection virale chronique
(virus de l’hépatite B [VHB], virus de l’hépatite C [VHC] et virus de
l’immunodéficience humaine [VIH]) avec ou sans cirrhose, les antécédents
infectieux ou de colonisation avant la transplantation, la présence de matériel
étranger, les statuts sérologiques du donneur et du receveur (en particulier
cytomégalovirus [CMV] et virus d’Epstein-Barr [EBV]). Ces infections surviennent
parfois tôt dans la phase postopératoire et se présentent sous la forme
d’une infection du site opératoire, ou alors elles correspondent à une contamination
liée aux procédures de soins, à une réactivation d’une infection jusqu’alors latente
chez le receveur, mais aussi parfois chez le donneur, à une infection du greffon
ou une contamination du liquide de conservation. Plus tardivement, les infections
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peuvent être acquises hors de l’hôpital : des recommandations de prévention sont
alors données, à l’occasion de voyages ou non. La prévention repose aussi
sur des chimioprophylaxies ciblées sur les micro-organismes les plus fréquents
et sur le bon contrôle du statut vaccinal. Enfin, très récemment, une susceptibilité
génétique particulière de certains patients a été mise en évidence.
L’infectiologue intervient de manière conjointe au transplanteur dans différentes
étapes de la prévention ou de la prise en charge diagnostique et/ou thérapeutique
des infections et dans la gestion pratique de l’immunosuppression.
Ainsi, des consultations ciblées, parfois transdisciplinaires, peuvent être envisagées
avant la transplantation, impliquant le futur receveur (VIH+ et optimisation
du traitement antirétroviral, statut tuberculeux, portage de bactéries
multirésistantes [BMR], allergie à telle famille d’antibactériens, par exemple),
mais aussi le donneur en cas de procédure impliquant un donneur vivant
(antécédent infectieux, voyage en zone d’endémie, par exemple). Le recours
aux consultations avant des voyages internationaux devrait être systématique,
notamment chez les transplantés rénaux et hépatiques, les plus à même de voyager.
Le choix de l’outil microbiologique permettant le diagnostic ainsi que l’optimisation
du traitement anti-infectieux à l’échelon individuel et le bon usage
des anti-infectieux à l’échelon collectif sont des exemples concrets d’une bonne
collaboration entre infectiologues et transplanteurs.
C’est tout le mérite de ce numéro de La Lettre de l’Infectiologue et du Courrier
de la Transplantation que d’illustrer ces concepts en traitant des infections
fongiques, des diarrhées infectieuses, de la réactivation ou de la primo‑infection
par l’EBV ou le CMV, de l’hépatite E et, de manière originale, de souligner
dans ce contexte le rôle du microbiote intestinal.
Le point de vue du transplanteur
Pr Faouzi Saliba
Centre hépatobiliaire, hôpital Paul-Brousse, AP-HP, Villejuif ; université Paris-Sud, UMR-S 785, Villejuif ;
Inserm, unité 785, Villejuif.
L’infection est longtemps restée la principale cause de décès après
une transplantation d’organe, à court et moyen termes. Elle constituait un véritable
frein à l’amélioration de la survie des patients après la greffe. L’infection est en outre,
quelle que soit sa nature – bactérienne, virale, fongique, parasitaire – souvent
associée à un dysfonctionnement aigu ou chronique du greffon.
Des progrès importants dans la sélection des patients candidats à la greffe,
dans la sélection des donneurs et dans la technique chirurgicale elle-même
(réduction du besoin de transfusions sanguines), ainsi qu’une meilleure
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connaissance des risques et des complications de la greffe, ont été à l’origine
d’une meilleure maîtrise de ce risque et d’une nette réduction de l’incidence
de ces infections. Mais, en somme, c’est l’amélioration des outils de diagnostic
précoce de l’infection et la prophylaxie antimicrobienne instaurée chez les patients
à risque qui ont nettement amélioré le pronostic. Parallèlement, les traitements
immunosuppresseurs postgreffe ont subi d’importantes modifications au cours
des dernières années : l’arrêt précoce des corticoïdes, la minimisation voire l’épargne
des inhibiteurs de la calcineurine (ciclosporine et tacrolimus), la baisse
de l’incidence du rejet et l’optimisation de son traitement ont permis de réduire
les conséquences de ces traitements, notamment les risques cardiovasculaires,
rénaux, infectieux et de cancer de novo. Plus récemment, l’apport des nouvelles
molécules antivirales dans le traitement et la prévention de la récidive du virus
de l’hépatite B sur le greffon et, de façon parallèle, dans le traitement et l’éradication
du virus de l’hépatite C a permis une amélioration considérable de la survie
du patient et du greffon.
Des problématiques plus spécifiques sont apparues au cours de cette dernière
décennie, qui seront particulièrement évoquées dans ce numéro : la transmission
de microbes pathogènes du donneur au receveur, les bactéries hautement résistantes
responsables de certaines épidémies et altérant la survie, la transmission
par le donneur ou l’acquisition d’une hépatite virale E et l’émergence d’espèces
fongiques rares (Zygomycètes, Fusarium, Scedosporium, etc.).
Les études sur le microbiote intestinal chez le patient transplanté semblent
apporter une autre vision. Ainsi, les modifications fréquentes du microbiote
pourraient interférer avec les traitements immunosuppresseurs, augmentant
le risque de rejet aigu et les complications infectieuses.
Avec l’apport de nouvelles molécules antimicrobiennes et les diverses stratégies
et recommandations préventives et thérapeutiques établies par les sociétés savantes,
la prise en charge de ces patients nécessite une étroite collaboration
entre l’infectiologue, le réanimateur et le transplanteur.
Ce numéro rapporte enfin les actualités sur les principales infections
qui continuent à poser un véritable défi touchant de près la survie du greffon
et du patient.
O. Lortholary n’a pas précisé ses éventuels liens d’intérêts.
F. Saliba déclare avoir des liens d’intérêts avec AbbVie, Astellas, Basilea, Baxter, Gilead, MSD, Novartis et Vital Therapies.
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